De l’immigration au mariage pour tous, du débat sur les Roms au «ras-le-bol fiscal», de l’opération dédiabolisation du Front national à l’inversion tant annoncée de la courbe du chômage… une année de politique, c’est aussi une année d’intox.
Depuis 2008, la rubrique Désintox s’escrime à traquer les bobards, petits et grands, que la classe politique, tous bords confondus, ne peut s’empêcher de débiter à longueur de discours, d’interviews et de débats. Les grands leaders sont évidemment toujours les plus ciblés, mais la multiplication des émissions politiques, notamment sur les chaînes d’information en continu, fait aussi émerger de nouvelles figures, moins connues mais pas moins sujettes à l’intox.
2013 n’a évidemment pas échappé à la règle et, d’Olivier Besancenot à Marine Le Pen en passant par François Hollande, Jean-François Copé, Jean-Luc Mélenchon et quelques nouvelles têtes comme Guillaume Peltier, Florian Philippot ou Najat Vallaud-Belkacem, nos politiques ont rivalisé de mensonges plus ou moins gros, plus ou moins osés, plus ou moins absurdes. Désintox les a rassemblés, bien mélangés, bien secoués… il en ressort ce best-of où pirouettes, ommissions et mauvaise foi font bon ménage. Vivement 2014.
Cachez ce chômage..
A force de prédire l’inversion d’une courbe du chômage qui n’a presque jamais cessé de croître (lire pages 16-17), la gauche a bien été obligée de faire diversion. En mars, le patron des députés PS, Bruno Le Roux, avait mis ces mauvais chiffres sur le dos de plans sociaux décidés sous Nicolas Sarkozy. Problème : en janvier 2013, les licenciements économiques ne représentaient que 2 à 3% des nouveaux chômeurs, un chiffre habituel, contre 25% pour les fins de CDD et 6% pour les fins d’intérim…
En mai, c’est Michel Sapin, le ministre du Travail, qui prenait le relais en affirmant que, s’il y avait environ 1 000 chômeurs supplémentaires par jour – chiffre souvent brandi par la droite -, ce n’était pas depuis l’élection de François Hollande, mais depuis cinq ans… Certes, en février 2008, Pôle Emploi avait enregistré un niveau de chômage historiquement bas, avec moins de 2 millions d’inscrits. Mais depuis, si la hausse a été continue – aujourd’hui, plus de 3 millions -, elle ne s’est pas faite à vitesse constante… A l’époque où Sapin s’emporte, on comptait environ un millier de nouvelles inscriptions par jour depuis mai 2012. Mais, sur les quatre années précédentes, et donc sous Sarkozy, on n’en comptait «que» 620.
En octobre, Najat Vallaud-Belkacem faisait mieux en assurant que c’est le gouvernement socialiste, dont elle est la porte-parole, qui a inversé la tendance en passant de 1 000 à 250 chômeurs par jour depuis l’élection de Hollande. Un chiffre qui n’est vrai que… depuis mars 2013.
A lire pour en savoir plus : Bruno Le Roux charge les plans sociaux / Sapin compte 1 000 chômeurs par jour depuis… cinq ans / 250 chômeurs par jour, le doux rêve de Najat Vallaud-Belkacem
Roms et Schengen, la grande intox
Voilà une intox qui mérite, haut la main, la palme du plus gros bobard de l’année. Pendant plusieurs semaines, à l’automne, tout le monde l’a répétée en boucle, du Front national au gouvernement en passant par les journalistes. En plein débat sur les Roms, les uns et les autres brandissaient le même spectre : celui d’une entrée, au 1er janvier 2014, de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen, et donc, plus ou moins sous-entendu selon les voix, d’un déferlement de Roms en France à cette date. Le mensonge est à tous les étages.
D’une part, l’entrée de ces deux pays dans l’espace Schengen n’est absolument pas prévue pour le 1er janvier : aucune date n’a pour l’heure été fixée, et elle pourrait même ne jamais avoir lieu. D’autre part, si, à l’avenir, ces deux pays entrent bien dans Schengen, cela ne changera rien à la liberté de circulation des Bulgares et des Roumains. Ceux-ci, Roms ou pas, sont déjà libres d’aller et venir au sein de l’Union européenne depuis que ces deux Etats y ont adhéré, en 2007, au même titre qu’un Français est libre de se rendre dans ces pays – avec la même contrainte : celle, au bout de trois mois, d’avoir trouvé un travail rémunéré pour pouvoir y rester.
En fait, si la date du 1er janvier 2014 a ainsi été brandie, c’est parce qu’elle verra la fin de certaines restrictions à l’entrée sur le marché du travail français des Roumains et des Bulgares. Mais il existait déjà de nombreuses procédures simplifiées, et il n’y a donc absolument aucune raison d’y voir le risque d’un déferlement massif de Roms.
A lire pour en savoir plus : Roms, libre circulation des contrevérités
Mariage et mensonges pour tous
Mariage pour tous contre manif pour tous… L’ouverture du mariage aux homosexuels, effective depuis mai, a tellement fait parler que le débat ne pouvait s’exonérer de quelques intox bien senties. Fervent opposant à cette loi, Henri Guaino s’indignait ainsi que l’on puisse «dénaturer» le mariage, une institution qui unirait les hommes et les femmes et réglerait les problèmes de filiation depuis 200 000 ans, c’est-à-dire depuis… l’apparition de l’homo sapiens. Le député UMP avait visiblement mal lu les anthropologues et archéologues sur lesquels il prétendait s’appuyer : ceux-ci parlent plutôt de 6 000 ou 7 000 ans, c’est-à-dire lorsque les hommes se sont sédentarisés et que les religions révélées sont apparues. Et bien malin celui qui peut dire quelle était la règle, en termes d’union, il y a 200 000 ans…
Intox plus classique, mais non moins absurde, du côté de Bruno Gollnisch. Le député européen du Front national cherchait lui à dénoncer les conséquences de ce projet sur l’adoption : «Soit un couple d’homosexuels masculin : l’un d’eux a quitté sa femme, a un enfant, et on le fait adopter par le compagnon homosexuel. Il est évident qu’en permettant cette adoption on contribue à rompre les liens avec la mère.» Du grand n’importe quoi, car ce genre d’adoption ne peut exister qu’à deux conditions : soit la mère est décédée ou a abandonné son enfant ; soit elle aura explicitement donné son accord sans pour autant renoncer à ses propres droits parentaux. Bref, soit les liens avec la mère demeurent, soit ils ont déjà disparu…
A lire pour en savoir plus : Henri Guaino convoque la préhistoire contre le mariage pour tous / Bruno Gollnisch, les gays et l’adoption
Quand le Front national réécrit son histoire
Pas d’extrême droite, le Front national ? En 2013, les cadres en charge de l’opération «dédiabolisation» ont décidé de réécrire les origines du parti. A la recherche d’une crédibilité économique, Marine Le Pen n’a pas hésité à renier la ligne libérale portée par son père pendant trente ans : «Nous n’avons jamais été pour des privatisations massives. Ça, c’est n’importe quoi.» Certes, en 2012, le FN en campagne avait opté pour une «gauchisation» de son programme économique, en dénonçant les pertes d’effectifs dans le service public, les privatisations massives et le gel des salaires. Mais si dans les années 70-80 le FN était un joyeux gloubi-boulga idéologique, Jean-Marie Le Pen s’affichait clairement néolibéral et antifiscaliste, avec pour modèle Ronald Reagan. Une ligne qui sera tenue jusqu’en 1995, lorsque le parti décide d’aller draguer un nouvel électorat : les ouvriers et les employés.
Plus osé, en octobre, la présidente du FN refuse d’admettre qu’à sa création le parti réunissait tout l’éventail de l’extrême droite. Elle va même jusqu’à affirmer que, en 1972, le parti nouveau-né avait recruté parmi les résistants de 1939-1945. Sauf qu’à l’époque le groupuscule néofasciste et raciste Ordre nouveau représentait la moitié des adhérents et bon nombre des dirigeants, parmi lesquels François Brigneau. A la tête du FN, on trouve aussi d’anciens SS comme Pierre Bousquet, et le député poujadiste Jean-Marie Le Pen. Et, s’il y a bien eu quelques résistants inscrits au FN (Roger Holeindre, Michel de Camaret, George Bidault – l’ex-président du Conseil national de la résistance est resté une semaine seulement), ils ont toujours été très minoritaires.
A lire pour en savoir plus : Marine Le Pen enterre le libéralisme à papa / Marine Le Pen tente de nettoyer le FN à la racine
Immigration : un flux de contre-vérités
A l’UMP, le discours des tenants d’une ligne dure sur l’immigration est rodé : la France est un eldorado pour étrangers. Quitte à s’arranger avec la vérité pour les besoins du récit. Ainsi, selon Jean-François Copé, les étrangers irréguliers seraient des privilégiés en matière de santé : les 220 000 bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat (AME) seraient seuls à avoir une couverture minimum gratuite. Or 4,5 millions de Français et d’étrangers en situation régulière bénéficient de la CMU-c, un équivalent de l’AME en mieux… Le président de l’UMP s’indigne aussi que le versement du RSA ne dépende d’aucun «minimum de présence sur le territoire». En réalité, il faut justifier d’un titre de séjour depuis au moins cinq ans.
Même refrain avec le député Hervé Mariton, pour qui un étranger n’aurait qu’à rester quelques mois en France pour toucher le minimum vieillesse ; une antériorité de résidence de dix ans est en réalité requise depuis 2011. Conséquence de ces supposées largesses : à en croire Brice Hortefeux, la France serait le pays d’Europe accueillant le plus d’immigrés. Or, quels que soient les indicateurs choisis, la France arrive derrière ses voisins – Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni.
Le FN n’est pas en reste : pour Marine Le Pen, 95% des étrangers qui vivent en France n’y travaillent pas. Or, en 2010, 59% des immigrés de plus de 15 ans et originaires d’un pays hors UE étaient en activité, contre 57% pour les non-immigrés.
A lire pour en savoir plus : Immigration, l’UMP se ruine la santé / RSA, la France trop généreuse avec les étrangers ? L’UMP divague / Mariton, le minimum vieillesse et les étrangers / Brice Hortefeux et les légions étrangères / Marine Le Pen met les immigrés au chômage forcé
La bourrique de l’année
Le 3 juillet, Pierre Gattaz succédait à Laurence Parisot à la tête du Medef. Depuis, le nouveau patron des patrons le répète à chaque sortie : il faut que les charges sur les entreprises baissent de 100 milliards d’euros. Mais au lieu d’assumer ce chiffrage made in Medef, Gattaz clame qu’on le retrouve dans les textes du FMI, de l’OCDE, de la Cour des comptes et même dans le rapport Gallois. Evidemment, ce montant n’est dans aucune de ces publications ; et Louis Gallois – qui avait préconisé, dans son rapport d’il y a un an, une baisse de 30 milliards ramenée à 20 par le gouvernement – a même récemment considéré que cette requête n’était «pas très réaliste». Pas de quoi empêcher Gattaz de continuer à seriner son chiffre.
A lire pour en savoir plus : Coût du travail, Gattaz invente des rapports à 100 milliards
Impôts : c’est pas nous, c’est eux !
En quête d’unité, l’UMP s’est au moins trouvé un sujet de consensus cette année : le «ras-le-bol fiscal». Quitte à user de ficelles un peu grosses, en oubliant par exemple les hausses d’impôts qu’elle a elle-même votées… Au printemps, Jean-François Copé pointait ainsi la baisse historique du pouvoir d’achat des Français enregistrée par l’Insee en 2012 et en imputait la responsabilité personnellement à François Hollande et à sa folie des impôts. Pas de chance : dans sa note, l’Insee avait détaillé les mesures fiscales qui avaient grevé le pouvoir d’achat. Et l’on y retrouvait 10 milliards d’euros de hausse d’impôts votées à la fin du quinquennat Sarkozy, contre seulement 4,1 milliards sous la présidence de François Hollande…
Pas de quoi décourager l’UMP. A l’automne, un chiffre a circulé dans les bouches des responsables de l’opposition, et même sur un tract : en dix-huit mois, la gauche aurait été responsable d’une hausse d’impôts de 50 milliards – 55 dans certaines versions. Un chiffrage fantaisiste. En réalité, entre l’élection de Hollande et la fin 2013, les impôts ont augmenté d’environ 30 milliards, le même montant que la hausse d’impôts décidée dans les dix-huit derniers mois du mandat de Sarkozy. Le hic est donc sur les 20 milliards restant : c’est selon l’UMP l’augmentation à venir en 2014, obtenue en oubliant par exemple les 10 milliards d’exonération d’impôts pour les entreprises. Le chiffre attendu est en réalité de 3 milliards d’euros de hausse. Moins spectaculaire.
A lire pour en savoir plus : Pouvoir d’achat 2012, Copé refile un peu vite le mistigri à Hollande / Christian Jacob alourdit la note fiscale