Catégorie : Presse

Dieudonné joue sans autorisation

Un souci de plus pour Dieudonné. Le Monde a révélé que le théâtre parisien de la Main d’or, où l’humoriste se produit depuis 1999, n’est pas couvert par la licence de catégorie 1, obligatoire pour exploiter un lieu de spectacle. L’information avait d’abord été délivrée par Jean-Claude Elfassi, un paparazzo en lutte ouverte contre Dieudonné. Elle a été confirmée au Monde et à Libération par la direction régionale des affaires culturelles (Drac) d’Ile-de-France.

Dans le détail, cette licence ferait défaut à Bonnie productions, société titulaire du bail de la Main d’or et radiée du registre du commerce depuis septembre 2013. «La licence de Bonnie productions a expiré en février 2012 et n’a pas été renouvelée depuis», confirme-t-on à la Drac. Quant aux Productions de la plume, société gérée par la compagne de Dieudonné et qui produit ses spectacles, elle ne dispose que des licences de deuxième et troisième catégories, correspondant aux producteurs et diffuseurs de spectacles. Pas de la fameuse licence 1, qui permet d’exploiter une salle.

«Des investigations ont été lancées à ce sujet il y a quelque temps, poursuit-on à la Drac, sans préciser leurs résultats. Si elles confirment le manquement, la sanction peut aller jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. En revanche, la fermeture du théâtre n’est pas systématique. Plusieurs autres lieux de spectacles en Ile-de-France sont concernés par un problème similaire.» Du côté de la préfecture de police de Paris, on dit avoir «entendu parler» du sujet, sans plus de commentaires.

La licence de première catégorie est nécessaire «pour ceux qui assument l’entretien et l’aménagement des lieux de spectacle», précise le ministère de la Culture sur son site internet. Elle est attribuée «notamment sur justificatif d’avoir suivi une formation agréée sur la sécurité des spectacles».

Si ce manquement est confirmé, il pourrait être utilisé par les propriétaires du théâtre de la Main d’or, qui entendent faire vider les lieux à leur encombrant locataire. Ces trois cogérants d’une société immobilière parisienne, dont Libération avait révélé les intentions, refusent depuis tout contact avec la presse. Peut-être faute d’avoir, pour le moment, trouvé l’angle d’attaque adéquat : depuis le rachat du théâtre, en 2011, Dieudonné s’est régulièrement acquitté de son loyer de 10 000 euros mensuels. Et la radiation de Bonnie productions ne serait pas un motif suffisant pour rompre le bail, qui court jusqu’en 2019.

Jointe par Libération, l’avocate des Productions de la Plume n’a pas souhaité commenter ce nouveau rebondissement.

Dominique ALBERTINI

Les bobards de l’année

De l’immigration au mariage pour tous, du débat sur les Roms au «ras-le-bol fiscal», de l’opération dédiabolisation du Front national à l’inversion tant annoncée de la courbe du chômage… une année de politique, c’est aussi une année d’intox.

Depuis 2008, la rubrique Désintox s’escrime à traquer les bobards, petits et grands, que la classe politique, tous bords confondus, ne peut s’empêcher de débiter à longueur de discours, d’interviews et de débats. Les grands leaders sont évidemment toujours les plus ciblés, mais la multiplication des émissions politiques, notamment sur les chaînes d’information en continu, fait aussi émerger de nouvelles figures, moins connues mais pas moins sujettes à l’intox.

2013 n’a évidemment pas échappé à la règle et, d’Olivier Besancenot à Marine Le Pen en passant par François Hollande, Jean-François Copé, Jean-Luc Mélenchon et quelques nouvelles têtes comme Guillaume Peltier, Florian Philippot ou Najat Vallaud-Belkacem, nos politiques ont rivalisé de mensonges plus ou moins gros, plus ou moins osés, plus ou moins absurdes. Désintox les a rassemblés, bien mélangés, bien secoués… il en ressort ce best-of où pirouettes, ommissions et mauvaise foi font bon ménage. Vivement 2014.

Cachez ce chômage..

A force de prédire l’inversion d’une courbe du chômage qui n’a presque jamais cessé de croître (lire pages 16-17), la gauche a bien été obligée de faire diversion. En mars, le patron des députés PS, Bruno Le Roux, avait mis ces mauvais chiffres sur le dos de plans sociaux décidés sous Nicolas Sarkozy. Problème : en janvier 2013, les licenciements économiques ne représentaient que 2 à 3% des nouveaux chômeurs, un chiffre habituel, contre 25% pour les fins de CDD et 6% pour les fins d’intérim…

En mai, c’est Michel Sapin, le ministre du Travail, qui prenait le relais en affirmant que, s’il y avait environ 1 000 chômeurs supplémentaires par jour – chiffre souvent brandi par la droite -, ce n’était pas depuis l’élection de François Hollande, mais depuis cinq ans… Certes, en février 2008, Pôle Emploi avait enregistré un niveau de chômage historiquement bas, avec moins de 2 millions d’inscrits. Mais depuis, si la hausse a été continue – aujourd’hui, plus de 3 millions -, elle ne s’est pas faite à vitesse constante… A l’époque où Sapin s’emporte, on comptait environ un millier de nouvelles inscriptions par jour depuis mai 2012. Mais, sur les quatre années précédentes, et donc sous Sarkozy, on n’en comptait «que» 620.

En octobre, Najat Vallaud-Belkacem faisait mieux en assurant que c’est le gouvernement socialiste, dont elle est la porte-parole, qui a inversé la tendance en passant de 1 000 à 250 chômeurs par jour depuis l’élection de Hollande. Un chiffre qui n’est vrai que… depuis mars 2013.

A lire pour en savoir plus : Bruno Le Roux charge les plans sociaux / Sapin compte 1 000 chômeurs par jour depuis… cinq ans / 250 chômeurs par jour, le doux rêve de Najat Vallaud-Belkacem

Roms et Schengen, la grande intox

Voilà une intox qui mérite, haut la main, la palme du plus gros bobard de l’année. Pendant plusieurs semaines, à l’automne, tout le monde l’a répétée en boucle, du Front national au gouvernement en passant par les journalistes. En plein débat sur les Roms, les uns et les autres brandissaient le même spectre : celui d’une entrée, au 1er janvier 2014, de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen, et donc, plus ou moins sous-entendu selon les voix, d’un déferlement de Roms en France à cette date. Le mensonge est à tous les étages.

D’une part, l’entrée de ces deux pays dans l’espace Schengen n’est absolument pas prévue pour le 1er janvier  : aucune date n’a pour l’heure été fixée, et elle pourrait même ne jamais avoir lieu. D’autre part, si, à l’avenir, ces deux pays entrent bien dans Schengen, cela ne changera rien à la liberté de circulation des Bulgares et des Roumains. Ceux-ci, Roms ou pas, sont déjà libres d’aller et venir au sein de l’Union européenne depuis que ces deux Etats y ont adhéré, en 2007, au même titre qu’un Français est libre de se rendre dans ces pays – avec la même contrainte : celle, au bout de trois mois, d’avoir trouvé un travail rémunéré pour pouvoir y rester.

En fait, si la date du 1er janvier 2014 a ainsi été brandie, c’est parce qu’elle verra la fin de certaines restrictions à l’entrée sur le marché du travail français des Roumains et des Bulgares. Mais il existait déjà de nombreuses procédures simplifiées, et il n’y a donc absolument aucune raison d’y voir le risque d’un déferlement massif de Roms.

A lire pour en savoir plus : Roms, libre circulation des contrevérités

Mariage et mensonges pour tous

Mariage pour tous contre manif pour tous… L’ouverture du mariage aux homosexuels, effective depuis mai, a tellement fait parler que le débat ne pouvait s’exonérer de quelques intox bien senties. Fervent opposant à cette loi, Henri Guaino s’indignait ainsi que l’on puisse «dénaturer» le mariage, une institution qui unirait les hommes et les femmes et réglerait les problèmes de filiation depuis 200 000 ans, c’est-à-dire depuis… l’apparition de l’homo sapiens. Le député UMP avait visiblement mal lu les anthropologues et archéologues sur lesquels il prétendait s’appuyer : ceux-ci parlent plutôt de 6 000 ou 7 000 ans, c’est-à-dire lorsque les hommes se sont sédentarisés et que les religions révélées sont apparues. Et bien malin celui qui peut dire quelle était la règle, en termes d’union, il y a 200 000 ans…

Intox plus classique, mais non moins absurde, du côté de Bruno Gollnisch. Le député européen du Front national cherchait lui à dénoncer les conséquences de ce projet sur l’adoption : «Soit un couple d’homosexuels masculin : l’un d’eux a quitté sa femme, a un enfant, et on le fait adopter par le compagnon homosexuel. Il est évident qu’en permettant cette adoption on contribue à rompre les liens avec la mère.» Du grand n’importe quoi, car ce genre d’adoption ne peut exister qu’à deux conditions : soit la mère est décédée ou a abandonné son enfant ; soit elle aura explicitement donné son accord sans pour autant renoncer à ses propres droits parentaux. Bref, soit les liens avec la mère demeurent, soit ils ont déjà disparu…

A lire pour en savoir plus : Henri Guaino convoque la préhistoire contre le mariage pour tous / Bruno Gollnisch, les gays et l’adoption

Quand le Front national réécrit son histoire

Pas d’extrême droite, le Front national ? En 2013, les cadres en charge de l’opération «dédiabolisation» ont décidé de réécrire les origines du parti. A la recherche d’une crédibilité économique, Marine Le Pen n’a pas hésité à renier la ligne libérale portée par son père pendant trente ans : «Nous n’avons jamais été pour des privatisations massives. Ça, c’est n’importe quoi.» Certes, en 2012, le FN en campagne avait opté pour une «gauchisation» de son programme économique, en dénonçant les pertes d’effectifs dans le service public, les privatisations massives et le gel des salaires. Mais si dans les années 70-80 le FN était un joyeux gloubi-boulga idéologique, Jean-Marie Le Pen s’affichait clairement néolibéral et antifiscaliste, avec pour modèle Ronald Reagan. Une ligne qui sera tenue jusqu’en 1995, lorsque le parti décide d’aller draguer un nouvel électorat : les ouvriers et les employés.

Plus osé, en octobre, la présidente du FN refuse d’admettre qu’à sa création le parti réunissait tout l’éventail de l’extrême droite. Elle va même jusqu’à affirmer que, en 1972, le parti nouveau-né avait recruté parmi les résistants de 1939-1945. Sauf qu’à l’époque le groupuscule néofasciste et raciste Ordre nouveau représentait la moitié des adhérents et bon nombre des dirigeants, parmi lesquels François Brigneau. A la tête du FN, on trouve aussi d’anciens SS comme Pierre Bousquet, et le député poujadiste Jean-Marie Le Pen. Et, s’il y a bien eu quelques résistants inscrits au FN (Roger Holeindre, Michel de Camaret, George Bidault – l’ex-président du Conseil national de la résistance est resté une semaine seulement), ils ont toujours été très minoritaires.

A lire pour en savoir plus : Marine Le Pen enterre le libéralisme à papa / Marine Le Pen tente de nettoyer le FN à la racine

Immigration : un flux de contre-vérités

A l’UMP, le discours des tenants d’une ligne dure sur l’immigration est rodé : la France est un eldorado pour étrangers. Quitte à s’arranger avec la vérité pour les besoins du récit. Ainsi, selon Jean-François Copé, les étrangers irréguliers seraient des privilégiés en matière de santé : les 220 000 bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat (AME) seraient seuls à avoir une couverture minimum gratuite. Or 4,5 millions de Français et d’étrangers en situation régulière bénéficient de la CMU-c, un équivalent de l’AME en mieux… Le président de l’UMP s’indigne aussi que le versement du RSA ne dépende d’aucun «minimum de présence sur le territoire». En réalité, il faut justifier d’un titre de séjour depuis au moins cinq ans.

Même refrain avec le député Hervé Mariton, pour qui un étranger n’aurait qu’à rester quelques mois en France pour toucher le minimum vieillesse ; une antériorité de résidence de dix ans est en réalité requise depuis 2011. Conséquence de ces supposées largesses : à en croire Brice Hortefeux, la France serait le pays d’Europe accueillant le plus d’immigrés. Or, quels que soient les indicateurs choisis, la France arrive derrière ses voisins – Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni.

Le FN n’est pas en reste : pour Marine Le Pen, 95% des étrangers qui vivent en France n’y travaillent pas. Or, en 2010, 59% des immigrés de plus de 15 ans et originaires d’un pays hors UE étaient en activité, contre 57% pour les non-immigrés.

A lire pour en savoir plus : Immigration, l’UMP se ruine la santé / RSA, la France trop généreuse avec les étrangers ? L’UMP divague / Mariton, le minimum vieillesse et les étrangers / Brice Hortefeux et les légions étrangères / Marine Le Pen met les immigrés au chômage forcé

La bourrique de l’année

Le 3 juillet, Pierre Gattaz succédait à Laurence Parisot à la tête du Medef. Depuis, le nouveau patron des patrons le répète à chaque sortie : il faut que les charges sur les entreprises baissent de 100 milliards d’euros. Mais au lieu d’assumer ce chiffrage made in Medef, Gattaz clame qu’on le retrouve dans les textes du FMI, de l’OCDE, de la Cour des comptes et même dans le rapport Gallois. Evidemment, ce montant n’est dans aucune de ces publications ; et Louis Gallois – qui avait préconisé, dans son rapport d’il y a un an, une baisse de 30 milliards ramenée à 20 par le gouvernement – a même récemment considéré que cette requête n’était «pas très réaliste». Pas de quoi empêcher Gattaz de continuer à seriner son chiffre.

A lire pour en savoir plus : Coût du travail, Gattaz invente des rapports à 100 milliards

Impôts : c’est pas nous, c’est eux !

En quête d’unité, l’UMP s’est au moins trouvé un sujet de consensus cette année : le «ras-le-bol fiscal». Quitte à user de ficelles un peu grosses, en oubliant par exemple les hausses d’impôts qu’elle a elle-même votées… Au printemps, Jean-François Copé pointait ainsi la baisse historique du pouvoir d’achat des Français enregistrée par l’Insee en 2012 et en imputait la responsabilité personnellement à François Hollande et à sa folie des impôts. Pas de chance : dans sa note, l’Insee avait détaillé les mesures fiscales qui avaient grevé le pouvoir d’achat. Et l’on y retrouvait 10 milliards d’euros de hausse d’impôts votées à la fin du quinquennat Sarkozy, contre seulement 4,1 milliards sous la présidence de François Hollande…

Pas de quoi décourager l’UMP. A l’automne, un chiffre a circulé dans les bouches des responsables de l’opposition, et même sur un tract : en dix-huit mois, la gauche aurait été responsable d’une hausse d’impôts de 50 milliards – 55 dans certaines versions. Un chiffrage fantaisiste. En réalité, entre l’élection de Hollande et la fin 2013, les impôts ont augmenté d’environ 30 milliards, le même montant que la hausse d’impôts décidée dans les dix-huit derniers mois du mandat de Sarkozy. Le hic est donc sur les 20 milliards restant : c’est selon l’UMP l’augmentation à venir en 2014, obtenue en oubliant par exemple les 10 milliards d’exonération d’impôts pour les entreprises. Le chiffre attendu est en réalité de 3 milliards d’euros de hausse. Moins spectaculaire.

A lire pour en savoir plus : Pouvoir d’achat 2012, Copé refile un peu vite le mistigri à Hollande / Christian Jacob alourdit la note fiscale

Cédric MATHIOT, Baptiste BOUTHIER, Sarah BOSQUET et Amélie MOUGEY

Après Bordeaux et Nantes, Orléans ne veut pas du show de Dieudonné

Faut-il interdire le spectacle de Dieudonné ? C’est la question à laquelle les préfets et les maires sont appelés à répondre, à trois jours du début de la tournée du polémiste. Lundi, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a fait parvenir aux préfets et aux édiles une circulaire leur rappelant les outils juridiques permettant d’empêcher les représentations du one-man-show incriminé, intitulé le Mur. François Hollande demande, lui, aux préfets d’être «vigilants et inflexibles». «Face à l’antisémitisme, face aux troubles à l’ordre public que suscitent des provocations indignes, face aux humiliations que représentent les discriminations, je demande aux représentants de l’Etat et en particulier aux préfets d’être vigilants et inflexibles», a déclaré le chef de l’Etat sans citer nommément le polémiste, lors des vœux aux corps constitués.

L’avocat de Dieudonné a de son côté déjà fait savoir que son client «agirait immédiatement» contre toute interdiction. «Bien sûr, il y aura référé», a indiqué à l’AFP Me Jacques Verdier. Certaines municipalités ont déjà tranché, d’autres doivent le faire dans les jours à venir. Le point.

Les villes qui demandent l’interdiction

Le préfet de Loire-Atlantique, Christian de Lavernée, fait savoir ce mardi que l’arrêté d’interdiction du spectacle de Dieudonné à Nantes, prévu jeudi, a été signé. Le préfet «a procédé à l’analyse des circonstances particulières du spectacle» programmé au Zénith de Nantes le 9 janvier, début d’une tournée du polémiste poursuivi à plusieurs reprises pour ses propos antisémites. Le préfet a ensuite «signé en conséquences l’arrêté d’interdiction». Le tribunal doit se prononcer jeudi matin sur l’interdiction.

Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, avaient laissé entendre dès lundi matin que le spectacle de Nantes pourrait être interdit dans la ville. Plus de 5 200 billets avaient été vendus pour la représentation nantaise, contre laquelle la famille Klarsfeld, au nom des Fils et filles des déportés juifs de France, a appelé à manifester mercredi. Les Klarsfeld ont depuis retiré leur appel à manifester.

Le sénateur-maire de Tours, le socialiste Jean Germain, annonce lui aussi ce mardi son intention d’interdire le spectacle de Dieudonné dans sa ville et précise qu’un arrêté est attendu dans la journée. La salle de 2 000 places du centre de Tours où le spectacle de Dieudonné était annoncé affiche complet.

Dès lundi, le maire UMP de Bordeaux, Alain Juppé, avait fait savoir son intention d’interdire la représentation prévue dans sa ville le 26 janvier. Les conditions «dans lesquelles un spectacle ne pourrait avoir lieu», selon les termes de la circulaire, «sont remplies à Bordeaux», a ainsi indiqué lundi Alain Juppé, premier élu à trancher.

De son côté, Michel Delpuech, préfet de la Gironde et d’Aquitaine, va prendre un arrêté en vue d’interdire ce spectacle «dans le cadre des pouvoirs de police qui sont les siens, afin de prévenir les troubles à la tranquillité et à l’ordre public», a annoncé la préfecture à l’AFP. «L’interdiction d’un spectacle au titre du pouvoir de police générale du maire ne saurait ainsi avoir qu’un caractère tout à fait exceptionnel», relève également l’ancien Premier ministre. L’élu indique toutefois que cette interdiction «peut toutefois être justifiée lorsqu’il apparaît que c’est la seule solution pour mettre fin au trouble à l’ordre public causé par une représentation présentant un ensemble de caractéristiques».

Le député-maire d’Orléans, Serge Grouard, a annoncé mardi qu’il prendrait un arrêté en vue d’interdire lui aussi le spectacle de Dieudonné, programmé samedi dans sa ville. L’élu UMP a précisé lors d’une conférence de presse qu’il signerait l’arrêté «demain (mercredi) ou jeudi matin».

Celles qui doivent encore se prononcer

Les villes de Nancy et de Metz, où le Mur est programmé respectivement les 18 et 19 janvier, avaient pour leur part annoncé leur volonté de le faire interdire dès le 2 janvier, soit avant l’envoi de la circulaire Valls.

Spectacles de Dieudonné : les mots peuvent-ils troubler l’ordre public ?

Pour médiatique qu’elle soit, l’affaire Dieudonné pose l’une des questions les plus anciennes à laquelle la jurisprudence administrative ait eu à répondre. Une question de proportionnalité. A quel moment doit-on restreindre des libertés essentielles à la démocratie – celle de se réunir (l’article 1 de la loi du 30 juin 1881 stipule : «Les réunions publiques sont libres») et celle de s’exprimer publiquement – pour garantir la sécurité et la paix publique (le code de sécurité intérieur fait des maires et des préfets les garants de «l’ordre public») ? Quand les mots deviennent-ils un «trouble sérieux à l’ordre public» ?

«Vous l’avez compris, c’est le mot « sérieux » qui est important dans cette phrase», prévient Anne Baux, présidente de l’Union syndicale des magistrats administratifs. Car c’est à la justice administrative, et non à la justice pénale dont on parle plus souvent dans la presse, qu’il revient de trancher cette question. La justice pénale est chargée de juger les infractions commises (c’est elle qui dira par exemple si les propos antisémites de Dieudonné à l’encontre de Patrick Cohen constituent un délit d’incitation à la haine raciale). La justice administrative, elle, tranche les différends entre des particuliers et l’Etat. Elle est notamment chargée de contrôler les actes de police administrative, c’est-à-dire les pouvoirs de police qui permettent aux maires et aux préfets de garantir l’ordre public. C’est là une police de prévention : les autorités peuvent interdire un spectacle avant même qu’il ne se produise, a priori. C’est d’ailleurs tout le problème : comment prouver que le chanteur ou l’humoriste prononcera bien les paroles incriminées dans son prochain spectacle ?

Une jurisprudence qui remonte à 1933

La définition du «trouble sérieux» est laissée à la totale appréciation du juge : des manifestations se préparent-elles en masse ? Les élus ont-ils reçu plusieurs lettres d’associations et de citoyens outrés ? La présence d’une école juive près de la salle de spectacle d’un humoriste jugé antisémite rend-elle la situation trop critique ? «Depuis près d’un siècle, depuis 1933, la jurisprudence administrative est relativement stable sur la question», estime Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’Université d’Evry et membre du Centre de recherche et d’études sur les droits fondamentaux (Credof). Le juge est (heureusement) très prudent quand il s’agit de limiter a priori la liberté de réunion.

C’est l’arrêt Benjamin, en 1933, qui est le fondement de la jurisprudence. Le maire de Nevers avait interdit une réunion publique de l’écrivain d’extrême droite René Benjamin. Le Conseil d’Etat lui a donné tort : «L’éventualité de troubles, alléguée par le maire de Nevers, ne présente pas un degré de gravité tel qu’il n’ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l’ordre en édictant les mesures de police qu’il lui appartenait de prendre.» Les juges concluent à «l’excès de pouvoir». Un préfet ou un maire ne peut donc interdire un spectacle que s’il a mis en œuvre tous les moyens à sa disposition pour garantir la liberté d’expression et de réunion. C’est ainsi que, de nos jours, le juge administratif a invalidé l’interdiction d’un spectacle de Dieudonné par la mairie de Perpignan, alors qu’il a validé celle décidée par une petite ville : elle n’avait que deux policiers à sa disposition pour assurer l’ordre.

«Il existe une jurisprudence semblable à la Cour européenne des droits de l’homme, rappelle Serge Slama. Dans un arrêt concernant la Russie (Alekseyev c. Russie), qui interdit les « gay pride » en raison des graves troubles à l’ordre public qu’elles entraînent (parfois de réels déchaînements de violences), la Cour rappelle que même si le risque de troubles est réel, c’est à l’Etat de mettre les moyens de police nécessaires pour préserver la liberté de défiler.»

Le contre-exemple de la «soupe au cochon»

Il arrive pourtant que le juge administratif estime que le trouble à l’ordre public est suffisamment sérieux pour justifier l’interdiction d’un rassemblement. En 2006, la question s’est posée avec la «Soupe au cochon», une soupe populaire organisée par une association d’extrême droite : en servant du porc, elles excluaient clairement de leur «solidarité» les SDF musulmans et juifs. Le préfet l’avait interdit. Le Conseil d’Etat l’a cette fois suivi : «Eu égard au fondement et au but de la manifestation et à ses motifs portés à la connaissance du public par le site internet de l’association, le préfet de police n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation.»

Non seulement la soupe au cochon constituait en elle-même un mode d’exclusion des musulmans, mais en plus cette discrimination était le but affiché, politique, de ce rassemblement. En comparaison, en droit, il est plus difficile de faire interdire a priori un spectacle qui ne s’annonce pas comme antisémite et qui n’annonce pas, à l’avance, chaque soir, qu’il va proférer de tels propos.

Un arrêt interdisant le lancer de nain

L’affaire Dieudonné infléchira-t-elle à son tour la jurisprudence ? Lundi, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a envoyé une circulaire à tous les préfets les encourageant à interdire ses spectacles. Ce texte n’a pas force de loi. Mais il fait une lecture originale de la jurisprudence. Il s’appuie en effet sur un arrêt du Conseil d’Etat de 1995, l’arrêt «Morsang-sur-Orge», fameux auprès des étudiants en droit et polémique parmi les juristes. Le maire de cette commune de l’Essonne avait interdit un spectacle de lancer de nain, dont l’organisateur était le nain lui-même. «Le Conseil d’Etat a donné raison au maire considérant que la protection de la personne humaine pouvait être constitutive de l’ordre public», analyse Serge Slama.

Plus besoin qu’un spectacle entraîne de multiples manifestations d’opposants pour troubler l’ordre public, il suffit qu’il soit considéré comme attentatoire à la dignité humaine pour constituer, en tant que tel, un trouble sérieux. Par la répétition constatée des attaques antisémites de Dieudonné, par ses affiches plaçant son spectacle sous le signe de la quenelle, le show de Dieudonné serait bien, selon le ministère, en lui-même, une atteinte à la dignité : «On ne peut plus parler de dérapages», martèle le ministère. «Je ne suis pas sûre que ça tienne devant le juge», estime la juge Anne Baux.

Un autre tournant de jurisprudence serait alors envisageable. La justice administrative finira-t-elle un jour par estimer que la multiplication d’infractions pénales (pour diffamation et incitation à la haine raciale) est un trouble sérieux à l’ordre public ? «Le cumul de sanctions pénales jamais exécutées par Dieudonné est une piste sérieuse pour justifier l’interdiction, soupèse Serge Slama (1). Au terme de ce cumul d’abus à la liberté d’expression, le trouble à l’ordre public serait constitué : on a la quasi-certitude qu’il va récidiver car c’est son fonds de commerce. Mais une telle jurisprudence justifierait alors aussi l’interdiction de toutes les réunions publiques de Jean-Marie Le Pen, condamné à plusieurs reprises pour les mêmes motifs.» Dans les années 90, les demandes d’interdiction s’étaient en effet multipliées à l’encontre des meetings de Jean-Marie Le Pen, qui suscitait régulièrement de grandes contre-manifestations de militants antifascistes. Le Conseil d’Etat a la plupart du temps permis les meetings et universités d’été de se dérouler.

Risque de légitimer des restrictions de liberté

«Avec la circulaire de Valls, de facto, tous les maires ou tous les préfets interdisent le spectacle alors même qu’il n’existe pas forcément de circonstances locales le justifiant, s’inquiète Serge Slama. Cela revient donc à une interdiction générale et absolue des spectacles sur l’ensemble du territoire, impulsée par le ministre de l’Intérieur. Et si le juge administratif valide ces différentes interdictions cela signifiera que Dieudonné sera désormais interdit de s’exprimer publiquement et ce pour une période indéfinie. C’est problématique même si c’est sûrement un moindre mal pour casser la spirale délirante dans laquelle il est entré. Interdire sur l’ensemble du territoire un spectacle contient le risque de légitimer à terme des restrictions plus générales des libertés.»

Il ajoute : «Regardez dans le football : en voulant légitimement faire cesser les comportements violents de supporters ultra, on en est arrivé à accepter la dissolution de plusieurs groupes de supporters et l’interdiction faite à tous les supporters d’une équipe de se déplacer dans les matchs sensibles, Parisiens à Marseille, Lyonnais à St Etienne, etc.»

 

(1) Serge Slama a passé un temps infini à nous documenter pour cette chronique. Nous l’en remercions vivement. Retrouvez son blog, Combats pour les droits de l’homme.

Sonya FAURE

Charles Martel, ce bâtard

http://wp.me/p21cdX-1pg

Editorial de POLITIS : Utopies réalistes

Par Denis Sieffert5 décembre 2013

Utopies réalistes

Ce qui est parfois désespérant, ce n’est pas l’absence de solutions, c’est le manque d’articulation avec les forces politiques existantes.

En France, fonder un nouveau mouvement politique relève de la gageure. Au cours des trois dernières décennies, seuls les Verts, en 1984, et le Parti de gauche, en 2009, ont à peu près réussi leur coup. Mais sans jamais pouvoir déloger les dinosaures socialistes de leur position dominante au sein de la gauche. Saluons donc comme il se doit l’audace de l’économiste Pierre Larrouturou avec sa Nouvelle Donne, nommée ainsi en référence au New Deal de Roosevelt. Nul ne peut prédire l’avenir de ce mouvement porté sur les fonts baptismaux par des intellectuels et personnalités parfois proches de Politis – je pense à Susan George, à Dominique Méda ou à Jean Gadrey, qui signe une chronique plus loin dans ce journal – et par d’autres qui le sont beaucoup moins.

Quoi qu’il en soit, l’initiative met cruellement en évidence les difficultés des Verts à incarner aujourd’hui des idées qu’ils ont jadis contribué à introduire dans notre paysage politique. La réduction du temps de travail, par exemple. Larrouturou a pourtant fait une tentative dans leurs rangs, comme il a rejoint ensuite, avec une certaine naïveté, le Parti socialiste. Le voilà revenu de ses illusions. Ce nomadisme incite à penser que le nouveau mouvement aura plus vocation à exercer une pression sur les partis existants qu’à postuler lui-même à des positions de pouvoir. Boîte à idées sans base sociale, il se fera entendre pendant la campagne des européennes. Ce qui nous intéresse dans ce « nouveau » New Deal (excusez le pléonasme !), c’est évidemment les quelques « utopies réalistes » dont il est le messager. Comme chacun sait, Pierre Larrouturou est l’homme des 32 heures hebdomadaires. Il est convaincu qu’une réduction franche du temps de travail serait massivement créatrice d’emplois. Et on aimerait en effet que cette voie soit sérieusement explorée. Pour l’heure – et en dépit de la fragile et artificielle embellie d’octobre –, il n’existe guère que deux vraies-fausses solutions au chômage : la précarisation générale de la société et le retour de la croissance. La première a son charme libéral. Si on ne rémunère plus le travail, on finira bien par avoir moins de chômeurs… La seconde relève de plus en plus d’un mysticisme halluciné. C’est la croyance dans un retour de la croissance à un niveau tel qu’il assurerait le plein-emploi  [1]. En vérité, plus personne n’y croit, même ceux qui prétendent le contraire. À moins d’espérer une « bonne guerre » ou une gigantesque crise économique qui ferait place nette pour deux ou trois décennies « glorieuses » de reconstruction.

Si on ne souhaite pas particulièrement explorer ces deux pistes, reste à lire ou à relire Gorz et les critiques de la société du travail. Il est vrai qu’il faut avoir l’âme chevillée au corps pour relancer le débat. Le fiasco des 35 heures est passé par là. Le rouleau compresseur libéral aussi. Au prétexte que le libéralisme domine l’Europe et qu’on ne saurait se singulariser, l’affaire est évacuée d’un revers de main. On en vient à défier toute logique. Car l’histoire des deux derniers siècles est celle d’une réduction continue du temps de travail. On ne comprend pas très bien pourquoi au moment où les machines les plus sophistiquées remplacent le travail humain, et alors que notre système surproduit par rapport à ce que nous pouvons consommer (les achats de biens ont encore reculé de 0,2 % en octobre), il faudrait soudain faire tourner la roue de l’histoire en sens inverse. L’idéologie du « il faut travailler plus et plus longtemps » est d’ailleurs cruellement démentie par une évidence qui s’appelle le chômage. Qu’est-ce donc que le chômage sinon une réduction sauvage du temps de travail ?

Si Nouvelle Donne pouvait réimposer ce débat, ce ne serait déjà pas si mal. Et si ce mouvement pouvait convaincre certains de nos politiques de renoncer à attendre la croissance comme les vagabonds de Beckett attendent Godot, ce serait très bien. Mais, outre la difficulté de la bataille idéologique, il faut parer les risques de récupération libérale. Pour cela, il est nécessaire de trancher un vieux débat au sein des partisans de la réduction du temps de travail entre ceux qui plaident pour une action collective et ceux qui voient là un choix de vie individuel. Pour ces derniers, c’est le travail à la carte. Lequel a tôt fait de s’apparenter à du temps partiel dont le système capitaliste s’accommode fort bien. Ce peut être l’autre nom de la précarité. Le risque existe donc d’un détournement de sens. Mais l’adaptation au système, la fossilisation et la résignation sont des périls plus redoutables encore. Ce qui est frappant, et parfois désespérant, ce n’est pas l’absence d’idées, ni de solutions – elles existent, généralement enfouies dans d’absconses résolutions de congrès –, c’est le manque d’articulation avec les forces politiques existantes. Les intellectuels regroupés autour de Pierre Larrouturou ne remplaceront pas le Front de gauche, ni même les Verts. Il n’est pas souhaitable qu’ils leur fassent concurrence. La résistance à l’augmentation de la TVA et le combat pour une fiscalité juste, thèmes de la manifestation de dimanche dernier à Paris, sont indispensables. La résistance est un préalable à toute chose. Manquent parfois l’audace des idées et le réenchantement.

Nota Bene :

P.-S. : Beaucoup de nos lecteurs n’ont pu trouver le numéro de Politis de la semaine dernière en raison d’une grève dans la distribution. Nous avons décidé de mettre le PDF en accès gratuit sur notre site.

A Bayonne, après la dynastie Grenet, la gauche ?

Après cinquante-quatre ans à l’hôtel de ville de Bayonne, la famille Grenet s’apprête à lâcher la rampe. Jean, le fils, 74 ans, ne rempilera pas pour un quatrième mandat lors de l’élection municipale de mars 2014. «Il faut savoir s’arrêter. J’ai eu une vie bien remplie et j’ai horreur du sentiment d’appropriation. C’est normal de céder la place», confie celui qui avait succédé en 1995 à son père Henri, lui-même élu en 1959. Bayonne, c’est le radicalisme municipal à l’œuvre : consensus, tempérance et empathie. Jean Grenet se voit d’ailleurs comme un maire «œcuménique». «Mon père et moi avons toujours eu le soutien de 12% à 15% de voix de gauche», explique l’ancien chirurgien.

Membre du parti radical valoisien, Grenet espère que Jean-René Etchegaray, son premier adjoint, saura reprendre le flambeau, sous la bannière de l’UDI, du Modem et de l’UMP. Avec une inconnue de taille : Bayonne, aux dernières élections nationales, a voté largement à gauche. Jean Grenet pose lui-même les termes du débat : «Le capital de confiance dont je bénéficie est-il transmissible à la liste de Jean-René Etchegaray ?»

Les forces en présence

Les deux principaux candidats se sont efforcés de rassembler dès le premier tour. Jean-René Etchegaray, avocat de 61 ans, a été investi par l’UDI. Sylvie Durruty, d’abord choisie par l’UMP, a finalement décidé de lui apporter son soutien. Un signe fort : l’élection se jouera au centre. A Bayonne, les thèmes chers à une partie de la droite — insécurité, «ras-le-bol fiscal» — portent peu. Sylvie Durruty le reconnaît à sa manière : «De toute façon, quand on connaît la sociologie de la ville…»

A gauche, Henri Etcheto, professeur d’histoire de 42 ans, se présente avec l’onction du PS, du PC et d’Europe-Ecologie les Verts. «Cette année, la gauche est unie et ancrée dans son territoire. C’est une gauche très bayonnaise, peut-être plus que la droite», avance-t-il. Ses adversaires, eux, critiquent son «inexpérience» et son «étiquette». «C’est le candidat d’un appareil», pointe Jean-René Etchegaray. Qui s’amuse de la tendance d’Etcheto à se présenter comme le meilleur successeur de Grenet-le-pater-familias : «Il a bien le droit de trouver qu’il a un bon bilan. Mais ce bilan, c’est un peu le mien !»

Jean Grenet, de son côté, refuse tout excès de confiance. «Ça sera une élection serrée», dit-il. S’il soutient Etchegaray – «un homme compétent et expérimenté» –, il reconnaît quelques qualités à l’opposant socialiste : «C’est un garçon intelligent, honnête et respectable. Le problème, c’est de savoir s’il sera d’abord bayonnais ou socialiste.» Autre inconnue : Etcheto, qui a passé un accord avec les écolos et communistes, aura-t-il les réserves de voix nécessaires au second tour ? Il pourrait en tout cas bénéficier du soutien de la gauche de la gauche, qui présente une liste indépendante «contre l’austérité gouvernementale». Dernière invitée sur la ligne de départ, la liste des abertzale de gauche, qui revendique une plus grande affirmation de l’identité basque.

Le cœur du débat

Oubliez toutes les polémiques sur les Roms ou l’insécurité galopante. La campagne électorale bayonnaise se jouera sur le thème de… l’intercommunalité. Tous les candidats le répètent à l’envi, tel Henri Etcheto : «Les contraintes budgétaires futures vont pousser à davantage de mutualisation.» Le constat est partagé : les cinq villes membres de la communauté d’agglo – Anglet, Bayonne, Biarritz, Bidart et Boucau – ne travaillent pas assez ensemble, tant au niveau des transports que du logement. «Les Bayonnais, surtout les plus jeunes, ont l’impression d’appartenir à un bassin de vie plus large que les simples frontières de la commune», explique Etchegaray. Le candidat UDI se félicite du rapprochement effectué avec ses collègues de centre-droit d’Anglet et de Biarritz, en vue d’un «programme commun».

L’opposant socialiste milite en faveur de «centre-villes plus denses et d’un meilleur maillage des réseaux de transports». Il reprend à son compte certains projets du maire sortant, comme un projet de réseau de bus en site propre ou de tram-train vers la périphérie plus lointaine. Henri Etcheto demande également «la poursuite des efforts sur le logement social». Bayonne est plutôt bon élève dans ce domaine, avec un taux de 27% – la loi impose un minimum de 20%. Martine Mailfert, militante Front de gauche et candidate en 2008, regrette néanmoins une certaine disparité géographique. «La répartition de ces logements sociaux ne permet pas réellement aux personnes à petits salaires, aux chômeurs, d’habiter en centre-ville», juge-t-elle.

Le candidat à surveiller

Jean-Claude Iriart, 50 ans, conduira la liste «Baiona 2014». Composée d’abertzale de gauche, qui revendiquent à des degrés divers l’affirmation de l’identité basque, cette liste intégrera également des «personnalités engagées sur le plan environnemental, syndical, associatif». S’il met l’accent sur l’intercommunalité, Iriart a aussi ses marottes : transition énergétique, démocratie participative et promotion de la langue et de la culture basque.

«Aujourd’hui, 36% des enfants du primaire sont dans des filières bilingues ou immersives. L’offre est inférieure à la demande.» Il souhaite que les pouvoirs publics privilégient, dans leur communication, l’usage des langues régionales. En 2008, cette famille politique avait obtenu plus de 7% des voix. Peut-elle faire mieux en mars prochain ? Iriart y croit : «On n’est pas favoris, mais on peut espérer être qualifiés au second tour. On peut viser 10% des voix, peut-être même plus.»

La fiche technique

Population
46 191 habitants au 1er janvier 2013

Taux de chômage
9,6% dans la zone d’emploi bayonnaise au deuxième trimestre 2013 (Insee)

Résultats au second tour de la présidentielle 2012
François Hollande : 59,26%, Nicolas Sarkozy : 40,74%

Résultats au second tour des législatives 2012
PS : 56,47%, UMP : 43,53%

Sylvain MOUILLARD envoyé spécial à Bayonne (64)

Nelson Mandela ou le triomphe des principes

Mediapart.fr

05 décembre 2013 | Par Thomas Cantaloube
Nelson Mandela.
Nelson Mandela. © (Reuters)

Le président sud-africain Jacob Zuma a annoncé, jeudi 5 décembre, la mort de Nelson Mandela, âgé de 95 ans. Le grand homme sud-africain a eu plusieurs vies, mais c’est lors de sa transition de prisonnier à président qu’il a montré ce qui faisait de lui une personnalité exceptionnelle: son intégrité non dénuée de réalisme politique.

La mort de Nelson Mandela, annoncée jeudi 5 décembre, n’est rien moins que la mort d’un des plus grands hommes du XXème siècle, sinon le plus grand dans la sphère politique. Pas seulement parce que ses combats ont épousé les luttes majeures de son époque (égalité des droits, anticolonialisme, antiracisme), mais parce qu’à chacune des étapes de sa vie il a fait triompher ses principes, même quand il les a trempés dans le réalisme politique. Il a eu des pairs dans ses luttes – combat révolutionnaire, leader syndical et politique, emprisonnement, pouvoir, retraite –, des personnalités qui ont marqué leur temps sur les cinq continents, mais aucun n’est parvenu à franchir toutes ces phases avec autant de réussite et surtout d’intégrité.

Gandhi et Martin Luther King sont les deux noms que l’on associe le plus souvent à celui de Nelson Mandela – le premier l’a inspiré, le second a porté le combat pour l’égalité dans la nation majeure du XXème siècle – mais aucun des deux n’a gouverné. Leurs parcours restent donc « pur » et leur assassinat a grandi leur légende. Quant aux grands révolutionnaires ou « libérateurs » de cette ère, la plupart ont grossi les rangs des dictateurs (Lénine, Staline, Castro, Mao…) ou fini précipitamment au cimetière (Guevara, Lumumba…). Du côté de ceux qui ont gouverné dignement (Nehru, Havel, Walesa), aucun n’avait un passé de résistant aussi marquant que celui de Mandela et, de toute manière, aucun n’est parvenu à s’affranchir des basses querelles internes, ni à organiser de succession réussie. Et puis il y a tout ceux qui ont brillé à un moment charnière du siècle, mais n’ont guère été des inspirateurs au-delà de leurs frontières (Churchill, De Gaulle, Roosevelt

Le musée de l'Apartheid à Johannesburg
Le musée de l’Apartheid à Johannesburg © TC

La grandeur de Mandela passe évidemment par son activisme de jeunesse et ses 27 années d’emprisonnement durant lesquelles il n’a rien cédé. Mais elle se niche surtout dans sa transition réussie de résistant héroïque à chef d’Etat. Dès le début des années 1980, le pouvoir sud-africain lui avait fait des offres de libération assorties de différentes conditions (ayant généralement trait au comportement de l’ANC, le parti qu’il avait dirigé). Mais il les a toutes refusées, préférant sortir de prison selon ses propres termes. Ce qui ne l’a pas empêché de commencer à négocier avec des représentants du gouvernement d’apartheid pendant plusieurs années depuis sa cellule. Au nom du pragmatisme, mais aussi parce qu’il savait qu’une fois libre, le régime de ségrégation s’effondrerait et qu’il lui faudrait alors gouverner. Mandela ne voulait pas être pris en défaut ni se retrouver à la tête d’un pays sans avoir rien préparé.

Ces négociations se sont poursuivies pendant trois ans après son affranchissement. Trois années durant lesquelles Mandela a pu prendre la mesure du monde qu’il rejoignait pleinement – un monde où le communisme, auquel l’ANC était associé, s’effondrait – , éviter les erreurs, et préparer la réconciliation nationale.

S’il a toujours su composer avec la réalité politique, il n’a jamais trahi ses principes ni ses amis

En 1990, lorsqu’il sort de prison, Mandela n’est pas la figure révérée et consensuelle qu’il est devenu par la suite. Mais ses premiers gestes et ses premières paroles sont à mille lieues de tout esprit de revanche. Il va même jusqu’à qualifier Frederik de Klerk, le président afrikaner qui l’a fait sortir de prison, d’« homme intègre » (il le regrettera plus tard), et à pousser un soupir de soulagement lorsque l’ANC, aux élection de 1994, n’obtient pas la majorité des deux tiers qu’elle espérait et qui lui aurait permis de rédiger seule la nouvelle Constitution.

« Je voulais une constitution sud-africaine, pas une constitution de l’ANC. Je voulais un gouvernement d’union nationale », écrira-t-il dans ses superbes mémoires, « Un long chemin vers la liberté ». Dans les dernière pages de cet ouvrage, il ajoute : « Quand j’ai franchi les portes de la prison, telle était ma mission : libérer à la fois l’opprimé et l’oppresseur. »

Une fois élu président en 1994, Mandela mettra en place la Commission Vérité et réconciliation, qui sera considérée comme LE modèle du genre. Beaucoup de noirs sud-africains reprocheront à cette instance l’absence de sanctions et le sentiment qu’ils ont parfois eu que les bourreaux s’en sortaient avec une légère réprimande. Mais dans le tête de Mandela et du président de la Commission, l’archevêque Desmond Tutu, l’accent a toujours été mis sur le deuxième terme de l’intitulé : la réconciliation. Et même si, vingt ans après la fin de l’apartheid, l’Afrique du sud demeure un pays complexe, torturé et occasionnellement violent, la nation arc-en-ciel n’est pas qu’un vain mot. C’est le pays le plus riche du continent, mais aussi un des plus démocratiques et des mieux intégrés.

En tant que président, Mandela fera ce que peu de ses pairs ont su faire : il abandonnera le pouvoir après un unique mandat. Il aurait aisément pu devenir « président à vie », mais très peu pour lui. Là encore, il sera exemplaire. Il ne se battra même pas pour imposer son héritier préféré, Cyril Ramaphosa, laissant Thabo Mbeki, le favori de l’ANC, prendre sa place. Enfin, une fois la vieillesse devenue trop débilitante, il saura s’éloigner de la vie publique avec ces mots élégants : « Je me retire de ma retraite. Ne m’appelez pas, je vous contacterai. ». Les dernières années de sa vie se dérouleront à l’abri des regards – sauf ceux de ses proches – laissant son image intacte et intouchable.

Nelson Mandela a commis des faux pas durant sa longue vie politique : de son acceptation de la violence comme outil politique, à son soutien persistant à des dirigeants peu recommandables mais qui l’avaient aidé dans son combat contre l’Apartheid (Kadhafi ou Mugabé). Il n’a jamais été irréprochable, comme il était le premier à l’admettre avec sincérité, ce qui rend ses réussites encore plus remarquables. S’il a toujours su composer avec la réalité politique du moment, il n’a jamais trahi ses principes ni ses amis, et il n’a jamais perdu de vue le cap qu’il s’était fixé.

« J’ai parcouru ce long chemin vers la liberté », écrit-il au dernier paragraphe de ses mémoires. « J’ai essayé de ne pas hésiter ; j’ai fait beaucoup de faux pas. Mais j’ai découvert ce secret : après avoir gravi une haute colline, tout ce qu’on découvre, c’est qu’il reste beaucoup d’autres collines à gravir. Je me suis arrêté un instant pour me reposer, pour contempler l’admirable paysage qui m’entoure, pour regarder derrière moi la longue route que j’ai parcourue. Mais je ne peux me reposer qu’un instant ; avec la liberté viennent les responsabilités, et je n’ose m’attarder car je ne suis pas arrivé au terme de mon long chemin. »

Les dernières mois de sa vie ont été étonnants : tout la nation sud-africaine est restée suspendue, jours après jour, à ses bulletins de santé. Non pas pour attendre une improbable rémission, mais plutôt comme s’il s’agissait de profiter des derniers instants de vie du grand homme, de partager encore un bout d’existence avec lui sur cette Terre. Car rares sont les personnalités politiques qui ont eu autant de vies en une seule et qui les ont toutes menées avec succès, élégance et dignité.

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/international/051213/nelson-mandela-ou-le-triomphe-des-principes

Le racisme a changé de visage, les militants antiracistes aussi

 

Mediapart.fr

03 décembre 2013 | Par Carine Fouteau

 

Les divers événements organisés ces jours-ci pour dénoncer le racisme et commémorer la Marche pour l’égalité sèment le doute sur le combat antiraciste. Est-il moribond ou déjà mort ? N’a-t-il pas oublié de se réactualiser ? Grosses structures et partis politiques patinent, mais sur le terrain des milliers de militants, anonymes, s’activent.

Les occasions de mobiliser n’ont pas manqué ces derniers jours. Entre les injures racistes dont a été la cible Christiane Taubira et le trentenaire de la Marche de 1983, au cours de laquelle une poignée de jeunes des Minguettes a rallié Paris sous les acclamations de 100 000 personnes, elles se sont même bousculées, au point que les associations engagées dans la lutte contre le racisme ont semblé paralysées : elles ont tardé à réagir, en écho au retard à l’allumage des responsables politiques, ont déployé pas mal d’efforts pour surmonter leurs divergences et ont fini par se mettre en ordre de bataille pour se retrouver à quelques milliers à peine à battre le pavé.

En fin de cortège de la manifestation du 30 novembre 2013, à Paris.
En fin de cortège de la manifestation du 30 novembre 2013, à Paris.

Entre les organisations syndicales en service minimum et les petites mains jaunes frénétiques, la manifestation du samedi 30 novembre – initiée par le collectifDOM et le comité Marche du 23 mai 1998 (CM98) avec le soutien de la Ligue des droits de l’homme, de SOS-Racisme, de la Licra et du Mrap – n’a ni fait le plein ni suscité d’élan. Tout juste a-t-elle permis aux dirigeants d’associations de se remettre autour d’une table et d’organiser une action commune. Ce n’est pas rien mais c’est insuffisant. D’autres événements sont prévus, privilégiant d’autres alliances. Ce mardi 3 décembre, un rassemblement « pour transmettre le message des marcheurs d’il y a trente ans et continuer le combat qui fut le leur » doit se tenir devant la gare Montparnasse, lieu d’arrivée de la Marche dans la capitale, avec, outre la LDH, le Collectif ACLefeu et Au nom de la mémoire. Samedi 7 décembre, à Paris, les membres du collectif Égalité des droits, justice pour tous, qui réunit principalement des associations de quartiers, se sont donné rendez-vous à Paris devant l’église Saint-Bernard.

Au-delà de la question tactique (est-il judicieux de démultiplier les initiatives), se pose celle du rôle des structures antiracistes. Les festivités organisées ces jours-ci sèment le doute sur le combat mené. Ce dernier est-il moribond ou déjà mort ? N’a-t-il pas oublié de se réactualiser ? Sans tambour ni trompette, le relais est pris par ces milliers de militants qui chaque jour apportent leur aide aux populations stigmatisées et font avancer la lutte pour l’égalité des droits réels. Souvent isolés dans leurs actions, ils désespèrent parfois d’obtenir le moindre soutien, y compris des associations référentes.

Serrés sur un podium devant une place de la Bastille clairsemée, les organisateurs de la manifestation du 30 novembre ont reconnu à mi-mots leur difficulté à réunir les foules et à transmettre leur message. « La lutte antiraciste est un peu en panne », a admis Serge Romana du CM98. « Nous avons émis un cri. Nous sommes au début d’un travail de rassemblement », a-t-il ajouté. Se présentant comme « un Français descendant d’esclave », il a estimé indispensable de « ne pas convaincre que les convaincus ». Le président de la LDH, Pierre Tartakowsky, au lendemain du week-end, a eu raison de souligner sur France Inter qu’« on peut toujours se dire que les pompiers se sont emmêlé les pieds dans leurs tuyaux, mais il ne faudrait quand même pas oublier les responsabilités des pyromanes, de ceux qui tous les jours mettent le feu à la maison. Les pompiers font ce qu’ils peuvent, je crois qu’on peut les saluer tout en regrettant qu’ils ne soient pas assez nombreux ».

La déroute en termes de mobilisation n’est pas nouvelle. Sans retracer la chronologie de la lutte antiraciste, le déclin ne date pas d’aujourd’hui. Les communiqués sont fréquents, mais les appels à manifester se font rares. Au cours de la dernière décennie, seules deux marches ont attiré au-delà des traditionnels militants et sympathisants : celle de l’entre-deux-tours de la présidentielle de mai 2002 lancée par l’ensemble des partis politiques hors extrême droite, des syndicats et des associations concernées pour dire non au Front national et celle de septembre 2010 pour dénoncer la politique xénophobe de Nicolas Sarkozy qui a visé, l’été précédent, aussi bien les Roms que les « Français d’origine étrangère » dans son sinistre discours de Grenoble. L’indignation, comme l’a par la suite montré le succès fulgurant du livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous !, vendu à des centaines de milliers d’exemplaires, a trouvé là son déclencheur.

Au fil des décennies, certaines de ces associations, aux âges, aux histoires et aux missions divers, sont devenues des coquilles vides, d’autres ont laissé leur personnel permanent vieillir sans prévoir de relève, d’autres encore ont vu fondre leurs subventions. Alors qu’elles sont pour la plupart ancrées idéologiquement à gauche, le retour de ministres socialistes aux affaires à partir de 2012 n’a pas facilité l’exercice de la contestation. La parole critique, surtout dans un premier temps, s’est effacée, notamment dans les structures où le PS, après des années dans l’opposition, a fini par être accueilli.

Le racisme, pourtant, n’a pas disparu. Mais il prend de nouvelles formes, moins faciles à appréhender. Plus insidieux, moins frontal (l’insulte contre la garde des Sceaux est l’exception qui confirme la règle), il s’introduit dans les discours des élites et les politiques des gouvernants pour justifier des pratiques d’exclusion. Il est devenu mouvant, ciblant une population, puis une autre, stigmatisant les uns, avant de s’en prendre aux autres, jouant les uns contre les autres, le plus souvent les pauvres contre les pauvres, dans un contexte de crise économique et sociale. Plus difficile à démasquer, moins détectable, il prend des contours culturalistes, des modes de vies étant décrétés incompatibles.

Ces dernières années, deux figures ont plus que les autres, et chacune à leur manière, cristallisé la haine et les préjugés, comme si elles devaient à elles seules résumer l’ensemble des maux des Français. Les Roms, d’une part, sont devenus des repoussoirs à plusieurs titres. En tant qu’Européens, ils paraissent symboliser cette contrainte que l’Hexagone ne pourrait supporter. En tant que pauvres, ils attiseraient la peur du déclassement grandissante dans le pays. Plus encore, désignés comme inintégrables par le ministre de l’intérieur lui-même, ils sont perçus comme culturellement différents, avec des manières de vivre jugées étrangères aux « nôtres ». À l’approche des élections municipales, ils sont déshumanisés et racialisés. Des tracts et des pétitions, parfois encouragés par des maires, les comparent à des « rats », leur reprochent de « dépecer des animaux » et les accusent sans preuve de vols. Des élus les parquent sur des terrains, les empêchant d’entrer ou de sortir, leur coupent l’accès à l’eau, quand ils ne cherchent pas à les expulser hors des frontières de la ville par tous les moyens. Les Roms sont traités comme des êtres à part dont il faudrait se débarrasser. De temps en temps, les pratiques de harcèlement mises en place provoquent l’émoi. Le plus souvent, elles se déploient dans l’indifférence.

Divisions

Les femmes portant le voile, d’autre part, sont de plus en plus fréquemment victimes d’agressions dans les rues. Récemment encore, à Thionville en Moselle, une mère de famille a été insultée et violentée. Le Républicain lorrain rapporte l’histoire de cette femme : « Jeudi dernier (le 28 novembre 2013), le mari de Leila part de bon matin, comme à son habitude, et descend le sac-poubelle pour le poser avec les autres déchets des habitants de l’immeuble. Un peu plus tard, un voisin demande à Leila de descendre. À cette heure-ci, elle est seule avec ses enfants dans le logement, à vaquer à ses tâches ménagères. “Il m’a appelée à l’interphone pour dire que ma poubelle était étalée devant la porte et que je devais ramasser.” Surprise, mais pas inquiète, elle descend donc les étages. Le voisin l’agresse verbalement, puis physiquement. Elle se retrouve coincée contre un arbre, le cou serré par la poigne de l’homme qui lui envoie au visage : “Sale race”, “rentre chez toi”. Une plainte a été déposée au commissariat de police de Thionville. Sept jours d’ITT (interruption temporaire de travail) ont été prescrits à la jeune femme. Le médecin note œdèmes, contusions, ecchymoses “compatibles avec une ou plusieurs tentatives de strangulation”. » « Plus que les traces sur le corps, note l’article, cette agression a blessé profondément Leila (…). Le caractère raciste ne fait aucun doute à ses yeux. “Mais c’est une policière qui me l’a fait réaliser, explique-t-elle. Et puis, on nous avait déjà mis des tranches de jambon et des peaux de banane dans la boîte à lettres. Mon mari avait essayé de le cacher mais je l’ai entendu en parler au bailleur.”»

Qu’elles soient qualifiées de racisme ou d’islamophobie, les attaques de ce type prennent un tour particulier avec l’intensification et la radicalisation des débats sur la laïcité et la place de l’islam en France. Au nom de l’égalité entre les hommes et les femmes, les musulmanes revêtant un foulard sont stigmatisées. Dans son dernier rapport annuel sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’inquiète d’une « flambée de violence » dont elle observe qu’elle vise en priorité les musulmans. Alors que sur le long terme, la tolérance de la société semble s’affirmer, cette population voit les comportements à son égard se dégrader, selon cette institution indépendante, qui souligne par ailleurs que le climat est pire encore, si c’est possible, à l’encontre des Roms.

Dans un cas comme dans l’autre, il serait injuste de dire que les associations antiracistes se taisent. Elles poussent un « cri » une fois de temps en temps. Elles organisent un colloque. Mais qui a marché pour soutenir les femmes voilées agressées, qui a marché pour que les Roms ne soient plus maltraités ? Diverses raisons empêchent un tel mouvement de solidarité : peu organisés, jamais écoutés, les migrants roumains et bulgares issus d’une minorité discriminée dans leur pays d’origine manquent de porte-parole. Le voile, quant à lui, divise profondément la gauche au nom du féminisme et des « valeurs de la République ». Elles aussi scindées, les structures associatives peinent à prendre en charge la souffrance de ces victimes pas assez consensuelles, à modifier leur logiciel en fonction de ces changements de curseur et à inventer de nouvelles réponses.

Conséquence : sur le terrain, les militants se retrouvent esseulés. Le désarroi et la solitude sont particulièrement sensibles concernant les Roms. Dans les départements, aux côtés des campements, la mobilisation ne fléchit pas. Au contraire, elle n’a jamais été aussi prenante en énergie et en dévouement individuels. Elle suppose un investissement quotidien. Aucune caméra n’est là pour en témoigner, mais des résistances se transmettent ici et là. Ces soutiens atomisés sont tout ce qu’il y a de plus concrets et solides, mais ils sont invisibles. Les militants sont des anonymes, des Léo, des Claude, des Robi, des Serge et autres Mourad qui, au jour le jour, entrent dans les bidonvilles, apportent des vivres et des vêtements, ouvrent des Doodle pour s’occuper du ramassage scolaire des enfants, poussent la porte des différents pouvoirs publics pour les contraindre à appliquer le droit : par exemple scolariser les enfants et assurer le ramassage des ordures. Cela prend du temps, exige de la ténacité. Ces personnes se rassemblent autour d’une cause, par-delà les appartenances politiques, militantes et syndicales classiques. S’y croisent des catholiques, des Verts, des communistes, des centristes et pourquoi pas des juppéistes, des parents d’élèves, des retraités. Leurs identités sont multiples, irréductibles à la LDH ou au Mrap. Ces militants agissent, mais se sentent seuls, manquent de repères et d’appuis organiques. Face à eux : les maires, les conseils généraux, les préfets, avec lesquels il faut négocier pour obtenir un point d’eau ou une domiciliation, mais aussi les juges, qu’il faut convaincre de retarder les expulsions le temps de trouver des solutions de relogement.

Leur engagement en rappelle un autre qui a fait de cette autonomie et de cette souplesse une force. Celui des membres du réseau Éducation sans frontières (RESF), qui, à partir du milieu des années 2000, ont su repenser la lutte en faveur des sans-papiers en centrant la mobilisation sur les parents d’enfants scolarisés. Il s’agissait de susciter l’émotion des autres parents, de jouer sur les relations de voisinage et de proximité. À leur manière, les travailleurs en situation irrégulière ont aussi réussi à faire entendre leurs voix en lançant le slogan « On bosse ici, on vit ici, on reste ici ! ». En sortant leurs feuilles d’impôts, ils ont montré qu’ils étaient comme n’importe quel contribuable français. À la différence des Roms, ils ont bénéficié d’une aide logistique – de taille puisqu’il s’agit de celle de la CGT – même si seuls quelques responsables de la confédération sont réellement impliqués.

Ces quelques exemples rappellent que non seulement la lutte contre le racisme est indissociable de celle pour l’égalité mais surtout qu’elle n’est rien sans la quête de droits économiques, sociaux et politiques. Le succès relatif d’une association comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), centré sur l’aide juridique aux personnes victimes d’injures ou d’agressions en raison de leur appartenance réelle ou supposée à l’islam, en apporte la démonstration. Le combat de la LDH n’est quant à lui jamais aussi convaincant que quand il déplie ses argumentaires en faveur du droit de vote pour les étrangers. Pour être audible, l’appel à combattre le racisme ne peut rester théorique, tout aussi lyrique soit-il. En ne se démarquant pas de la bonne conscience d’une gauche moralisatrice, il risque d’être contre-productif et de desservir les convictions qui l’animent.

Israël : oh, les beaux discours !

Par Denis Sieffert21 novembre 2013

Le nombre des colons est passé en vingt ans de 115 000 à 329 000. Combien de discours comme celui de François Hollande pendant toutes ces années ?

Quand un Président français se rend en Israël et en Palestine, il y a les mots qu’il se doit absolument de prononcer et il y a ceux qui ne sont pas obligatoires, et peut-être même, pas nécessaires. Pour ce qui est des premiers, François Hollande n’a pas failli. Il a récité son petit catéchisme diplomatique avec une application toute chrétienne. Il n’a pas manqué de rappeler que la France est favorable à un « règlement négocié pour que les deux États, ayant tout deux Jérusalem pour capitale, puissent coexister en paix et en sécurité ». Tardivement, il a même fini par évoquer la colonisation. « Tardivement », parce que c’est en Palestine, et devant le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qu’il a pour la première fois demandé l’« arrêt total et définitif de la colonisation ». Mais au mauvais moment et au mauvais endroit, cela ressemblait à une fanfaronnade de Matamore. Ce personnage qui défie son adversaire quand celui-ci est à bonne distance.

Auparavant, le Président français avait même paru assez désinvolte sur le sujet, demandant à ses hôtes israéliens de « faire un geste », tout en suggérant aussitôt que ce geste avait déjà été accompli puisque Benyamin Netanyahou venait d’annoncer le report du plus gigantesque programme de construction dans les Territoires palestiniens. Un projet qui devrait définitivement liquider la solution à deux États. On a donc eu d’abord le sentiment que François Hollande allait dire à chacun ce que chacun voulait entendre. Mais il a finalement fait le service minimum en demandant devant la Knesset, le Parlement israélien, que soit mis fin à la colonisation. C’est ce qu’on appelle « rappeler la position traditionnelle de la France ». Il l’a dit en usant des mêmes mots que Nicolas Sarkozy en 2008.

Ces mots, inspirés par les résolutions de l’ONU de 1967, qui n’ont jamais eu aucun effet. Pas même depuis les accords d’Oslo en 1993. Il suffit pour s’en convaincre de citer quelques chiffres. Le nombre des colons en Cisjordanie est passé en vingt ans de 115 000 à 329 000. Et la partie orientale de Jérusalem compte aujourd’hui deux cent mille colons. Combien de discours comme celui de François Hollande pendant toutes ces années ? Au point que, devant l’incrédulité des opinions et la somnolence des auditoires, il serait peut-être préférable de s’abstenir. Hélas, les seuls à y prêter encore attention, ce sont les journalistes. Ce qui nous vaut des titres claironnants, du genre : « Hollande se prononce pour deux États » ou « Hollande demande l’arrêt de la colonisation ». Sans compter l’apologie du « discours équilibré ». C’est d’ailleurs ce souci d’équilibre qui a conduit le Président français à appeler Mahmoud Abbas au « réalisme », et à taire ses « revendications ». Invitation discrète à renoncer au droit au retour des réfugiés, et peut-être même à passer sous les fourches caudines du gouvernement israélien qui exige la reconnaissance d’Israël en tant qu’État juif. Ce qui revient à imposer à 1,6 million de Palestiniens de nationalité israélienne qu’ils entérinent un statut de citoyens de seconde zone. Nous sommes là dans le registre de ces petites phrases qui n’étaient pas indispensables, mais que l’on prononce quand on veut flatter l’ami Netanyahou. Comme l’éloge devant la Knesset de cette « démocratie israélienne dont rien n’a jamais pu altérer la vitalité ». C’est à croire que le Président français ignore tout du sort des Palestiniens de Galilée ou des Bédouins du Néguev. Et qu’il considère les destructions de maisons, les expulsions, l’accaparement des ressources hydrauliques, l’asphyxie de la population de Gaza, les assassinats extra-judiciaires, les arrestations et les détentions arbitraires comme autant de manifestations ordinaires de la démocratie.

La vérité, c’est que ce voyage avait d’autres objectifs. À la veille du départ de la délégation française, l’Élysée avait regretté que les liens économiques ne soient « guère à la hauteur de la qualité de la relation politique ». Le but était donc de gagner quelques places dans le classement des fournisseurs d’Israël, où la France ne figure qu’en onzième position. François Hollande s’était fait accompagner pour cela de six ministres… et d’une quarantaine de grands patrons, dont ceux d’Alstom, Vinci, Total, Bouygues, Arianespace et Orange… Voilà qui remet à leur place les grands principes. Et c’est ce qui fait que M. Netanyahou peut applaudir un discours qui lui « demande » d’arrêter la colonisation. On est très loin des pressions économiques qui pourraient faire lâcher prise au gouvernement le plus à droite de toute l’histoire d’Israël. Un gouvernement qui a besoin pour sa cohésion et sa propagande d’entretenir dans le pays un climat de peur. C’est aujourd’hui, comme on le sait, l’Iran qui remplit la fonction historique de la « menace existentielle ». En ce domaine aussi François Hollande a su plaire  [1]. Les cyniques espéreront que M. Netanyahou ne sera pas ingrat et que la France, en récompense de tous ces efforts, pourra gravir quelques échelons dans la hiérarchie des partenaires commerciaux de l’État hébreu. Puisque tout le reste n’est que littérature.

[1] Voir, en page 15, la tribune de Bernard Ravenel sur le dossier du nucléaire iranien.