Le système :
Par un décret, très discret de mai 2019, l’Agence des Titres Sécurisés (ANTS) ambitionne de créer une « identité numérique » pour chaque citoyen français afin de faciliter l’accès à certains services administratifs ou commerciaux sur internet à partir d’un passeport biométrique ou /et d’un titre de séjour électronique.
Une personne pourra grâce à son identité « virtuelle » se connecter à tous les sites reliés à FranceConnect1 (Impots.gouv, Ameli, l’assurance retraite, banques, entreprises privées, etc.).
Pour se connecter, il faudra posséder un téléphone NFC sous Android, puis créer un compte en scannant la puce biométrique du titre électronique (passeport ou carte de séjour). Le système récupérera les données stockées sur la puce. La dernière étape consistera à bouger, face à l’écran de votre téléphone, pour que la caméra capture les traits de votre visage en mouvement et ainsi votre « identité numérique » sera créée.
Cette « identité numérique » comportera vos informations personnelles de base : nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité, sexe, taille, couleur des yeux, adresse, photo du document d’identité, mais aussi la photo et vidéo enregistrée lors de la reconnaissance faciale, numéro de téléphone portable et enfin l’adresse mail, ainsi que les données administratives du document officiel d’identification (numéro du titre, autorité et lieu de délivrance, expiration, etc.)
Enfin, votre historique d’utilisation sera également stocké tant que le compte sera actif. S’il est inactif, il faut attendre six ans pour que ces données personnelles soient supprimées (??). Ces informations pourront être transmises aux fournisseurs de téléservices liés par convention à FranceConnect ou à l’ANTS.
Bien entendu, les services gouvernementaux insistent sur le haut niveau de sécurité qui garantira la confidentialité de vos données personnelles qui seront toutes chiffrées. On sait pourtant qu’en général, les voleurs courent plus vite que les gendarmes.
Ces systèmes sont conçus par le leader mondial de la reconnaissance faciale : la société allemande DERMALOG qui se vante d’avoir développé la reconnaissance faciale la plus rapide au monde : « elle compare un milliard de visage par seconde ».
Une étude de juin 2016 estime qu’avant 2022, le marché de la reconnaissance faciale devrait générer 9,6 Md de dollars de revenus, porté par un taux de croissance annuel de 21,3% sur la période 2016-2022. En 2018, les secteurs les plus porteurs sont la sécurité, la santé et le commerce.
Ces deux éléments ci-dessus expliquent certainement l’emballement macronien à mettre en place ce système dans notre pays : l’aide au développement mondial d’un fleuron2 européen sur un secteur en forte croissance.
Un peu d’histoire, la vidéosurveillance :
La vidéosurveillance connaît une croissance exponentielle, pourtant la légitimité du système n’a jamais pu être démontré en France depuis l’installation des premières caméras. On peut, d’ailleurs, suspecter des actions volontaires d’obstruction des responsables des politiques publiques qui se contentent de donner l’exemple des attentats du métro londonien, exemple manifeste d’inefficacité préventive du système.
Installés, pour la plupart, sans aucun encadrement juridique, sans aucune transparence et sans débat public, la vidéosurveillance ne satisfait pas de nombreux acteurs publics et industriels. Pourtant, on a, au détriment des conséquences pour nos libertés, accéléré et facilité le déploiement de ces dispositifs.
Plus fort encore, pour essayer de supprimer l’image négative du système, on l’a rebaptisée « vidéoprotection », selon la stratégie marketing du renaming et la Commission Nationale de Vidéoprotection (CNV), initiatrice du basculement sémantique, institutionnalise le lobbying privé autour de la vidéosurveillance.
Pourtant, tout un chacun sait qu’elle surveille, mais ne protège pas.
Seulement quelques enquêtes d’opinion ont été réalisées. En 2008, la société IPSOS avait révélé que 71% des Français se disaient très ou plutôt favorables à l’installation de caméras de vidéosurveillance, cependant la validité de ce soutien n’a jamais été prouvée et plusieurs études ont démontré que les avis favorables reposaient souvent sur une méconnaissance du dispositif et de ses capacités, voire sur une manipulation des questions qui en orientant les réponses modifiait sensiblement les résultats.
Conclusions :
Avec la reconnaissance faciale, nous reprenons le même chemin obscur que pour la vidéosurveillance.
Au prétexte de sécurité et de confort, le gouvernement veut imposer la reconnaissance faciale.
Pas de transparence, pas de concertation, pas de débat public, alors que c’est une technique exceptionnellement invasive et déshumanisante qui permet, à plus ou moins court terme, la surveillance permanente de l’espace public.
Elle fait des citoyens des suspects permanents.
Elle attribue au visage non plus une valeur de personnalité mais une fonction de traceur constant, le réduisant à un objet technique.
Elle permet un contrôle invisible.
Elle impose une identification permanente et généralisée.
Elle abolit l’anonymat.
Au-delà de quelques agréments anecdotiques : utiliser son visage plutôt que des mots de passe pour s’authentifier en ligne ou activer son téléphone, aucun argument ne peut justifier le déploiement d’une telle technologie :
Ses seules promesses effectives sont de conférer à l’État un pouvoir de contrôle total sur la population, dont il ne pourra qu’être tenté d’abuser contre ses opposants politiques et certaines populations, comme on l’a vu avec la loi sur l’état d’urgence.
Le Parlement et le gouvernement français doivent interdire tout usage sécuritaire de dispositifs de reconnaissance faciale actuels ou futurs.
De telles interdictions ont déjà été décidées dans plusieurs villes des États-Unis.
La France et l’Union européenne doivent aller encore plus loin et, dans la lignée du règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), construire un modèle européen respectueux des libertés.
Il faut aussi renforcer les exigences de protection des données à caractère personnel et limiter les autres usages de la reconnaissance faciale : qu’il s’agisse d’authentification ou d’identification privée, l’ensemble de ces dispositifs ne sont pas assez protecteurs des atteintes à la vie privée ; ils préparent, et banalisent une société de surveillance de masse.
Jean-Claude VITRAN
1 Listes actuel des partenaires : https://partenaires.franceconnect.gouv.fr/references
2 Nous n’avons pas réussi à savoir si des financiers français sont au capital de DERMALOG.