HOMMAGE A PIERRE MOREAU POUR SA CONTRIBUTION A L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE (10.5.2014)
10 MAI 2014 : COMMEMORATION DE l’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE
Photographies : Journal de Saône-et-Loire, et Germaine Lemétayer
Hommage à Pierre Moreau :
« La section de Ligue des Droits de l’Homme de Paray-le-Monial est heureuse de vous accueillir dans la rue Baudron pour commémorer l’abolition de l’esclavage. Aujourd’hui, 10 mai, nous avons décidé de nous associer à la campagne nationale décidée par Jacques Chirac en référence au 10 mai 2001, jour d’adoption de la Loi Taubira reconnaissant la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité. Mais cet anniversaire renvoie d’abord à l’abolition elle-même réalisée il ya 220 ans. C’est en effet le 4 février 1794 que « La Convention nationale déclare que l’esclavage des nègres dans toutes les colonies est aboli ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la constitution ». Par son caractère absolu, il n’y a ni conditions ni restrictions, ce décret s’inscrit dans la continuité des articles de la Déclaration des Droits de l’Homme d’août 1789 qui reconnaissent, dans l’article 1, que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ».
Ce décret qui fait de la France la première nation à abolir l’esclavage nous conduit aujourd’hui à rendre hommage à tous les hommes qui y ont concouru d’une manière ou d’une autre : ceux qui ont élaboré et diffusé au cours du XVIIIe siècle les concepts antiesclavagistes : d’abord les philosophes des Lumières, Montesquieu, Voltaire, Rousseau qui ont dénoncé l’esclavage dans leurs œuvres au nom de la conscience morale, tel Jaucourt dans l’Encyclopédie : « Cet achat de nègres, pour les réduire en esclavage, est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine » ; mais aussi la Société des Amis des Noirs fondée en 1788 par Brissot et Clavière et dont certains de ses membres, députés aux assemblées révolutionnaires, tels Mirabeau, l’abbé Grégoire, Sieyes, Cordorcet, Lafayette, diffusent dans les journaux les idées abolitionnistes et essaient, en qualité d’élus, de convaincre les différents gouvernements d’abolir la traite et l’esclavage ; enfin il faut rendre hommage aussi aux combats des esclaves eux-mêmes qui se saisissent des idées et des droits nouveaux pour se révolter à Saint Domingue à partir de 1791 sous la direction de Toussaint Louverture. Et c’est finalement grâce à ces révoltes que, par delà les pressions du lobby des colons de Saint Domingue, les commissaires nationaux concèdent la suppression de l’esclavage le 29 août 1793. Le décret de février 1794 ne fera donc qu’étendre aux autres colonies celui de 1793. On voit bien comment cette abolition résulte en France à la fois de l’activité intellectuelle des philosophes et des sociétés philanthropiques, des combats politiques et de la violence des révoltes.
Parmi ces hommes éclairés, nous, militants de la LDH de Paray-le-Monial, tenons à honorer l’un de ces abolitionnistes, certes inconnu mais particulièrement remarquable par sa précocité et la lucidité de sa pensée: il s’agit du Parodien Pierre Moreau, qui avec 140 ans d’avance sur les révolutionnaires publie, en 1651, une Relation véritable de ce qui s’est passé en la guerre faicte au pays du Brésil entre les Portugais et les Hollandais, depuis l’an 1644 jusques en 1648 dans laquelle il fait un réquisitoire très ferme contre la colonisation et l’esclavage : dénonçant la maltraitance et des conditions de travail inhumaines au nom de la conscience morale, il formule une critique vigoureuse de ces pratiques et propose un système politique républicain qui les exclut. Dans la république forte qu’il imagine, le Brésil devrait faire prévaloir la liberté de conscience, la solidarité, le partage de la terre, le développement des échanges internationaux, l’égalité face à la justice et à l’école. Pour essayer de comprendre le caractère exceptionnellement innovant d’une telle prise de position, compte tenu du peu d’éléments sur sa biographie, je vous propose de le resituer dans les prismes successifs de son environnement social, intellectuel et communautaire. On peut le faire en le suivant dans sa rue, dans sa communauté parodienne et sur le port d’Amsterdam.
D’abord sa rue : la rue des Cordonniers qui commence à la place du marché et se termine à la place de la Boucherie. Cette rue appartient alors à la partie la plus ancienne et la plus populaire de la ville : la ville basse de Paray forme vers le milieu du XVIIe siècle un contraste saisissant avec la ville haute et les faubourgs. Accolé au prieuré bénédictin, c’est un ensemble encore très marqué par sa ruralité : seulement un tiers des parcelles est bâti de petites maisons en bois et en torchis, le reste est occupé par des cours, des jardins et des terres à chanvre qui offrent aux petits artisans des ressources complémentaires. C’est le quartier où les loyers sont les plus bas, peuplé de cordonniers, de tixiers de chanvre de tisserands de laine. Or dans les années 1650, du fait de la pression démographique et de l’ascension sociale, les bourgeois investissent le début de la rue, font rehausser et rénover leur maison, créant ainsi même une forme de mixité sociale. Fils d’un cordonnier assez aisé mais qui ne s’est pas reconverti comme les autres dans les secteurs plus porteurs la tannerie et l’exploitation foncière, Pierre Moreau qui est fils unique, a pu décider de refuser un héritage qui le condamne alors à une vie modeste et sans relief ; en avançant qu’il a voulu « rompre les chaînes » pour voir du pays et se faire une idée par lui-même de leur réalité, il fait une rupture brutale qui le conduit à transgresser la coutume et l’autorité paternelle.
La seconde perspective est celle de la communauté parodienne : Vers 1640-50, sous l’influence des pasteurs, du seigneur de la Nocle, Alexandre Du Puy Montbrun, protecteur des protestants, sous celle de Richelieu qui est en qualité d’abbé de Cluny le seigneur de Paray, les relations interconfessionnelles évoluent vers l’irénisme : par réflexe de survie, les 50 familles protestantes de Paray décident de renoncer au dogmatisme calviniste pour se rapprocher des catholiques, qui font de même. Ainsi commence à s’instaurer dès les années 1640-1650, une religion commune dans laquelle tous se reconnaissent chrétiens, mettent en avant les points communs et laissent en retrait leurs différences. Cet irénisme qui s’inspire directement des écrits d’Erasme met en avant la liberté de conscience et la tolérance.
Le troisième angle est celui de la Hollande. Lorsqu’il réside à Amsterdam dans les années 1648-52, Pierre Moreau se trouve en contact dans cette ville avec un groupe d’intellectuels qui gravite autour d’un jésuite converti, François Van Den Enden, précepteur de Spinosa, d’un éditeur Jan Rieuwerst et d’un imprimeur Jan Glazemaker. Issus des milieux mennonites, une minorité protestante persécutée, héritière de la tradition érasmienne du XVI e siècle extrêmement libérale, certains d’entre eux se montrent très peu dogmatiques, mais porteurs de revendications morales et sociales fortes : l’égalité entre les hommes et les femmes, l’éducation pour les pauvres, le partage des fruits du travail. François Van Den Enden fait, quant à lui, l’éloge d’une république conçue comme démocratique et égalitaire et pourvue d’un système éducatif destiné à éclairer le peuple.
Pour conclure, on constate que si l’ouvrage de Pierre Moreau a pu constituer pour les intellectuels contestataires d’Amsterdam une sorte de ballon d’essai de leurs propres idées, le Parodien les publie avec dix ans d’avance sur eux et avec deux éléments novateurs qui lui sont propres : d’une part, par la tolérance à l’égard des Juifs, il élargit les références d’un universalisme qui s’en tient, pour les Hollandais, au monde chrétien ; d’autre part, il est le seul à présenter un projet politique cohérent et organisé de ces idées nouvelles. A Paray-le-Monial un tel auteur qui se positionne ainsi à l’origine même des Lumières et promeut un ensemble de valeurs si hautement humanistes est un honneur pour notre ville »
G Lemétayer
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