A LA RECHERCHE DE LA MASCULINITE PERDUE (Comité de la Jupe, 30/12/2016)
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Á la recherche de la masculinité perdue
Anne SOUPA et Bernard BERTHIER
30/12/2016
Masculinité perdue. Grosse prime à qui la retrouvera. À en croire l’article publié dans Le Monde du 28 décembre et intitulé : « Des catholiques veulent rendre à l’Église sa virilité », les catholiques du genre mâle seraient à la recherche de leurs attributs perdus. D’où l’idée, dans des chapelles « masculinistes », de camps et séminaires réservés aux hommes, pour expurger d’eux la part féminine, semble-t-il…
Pas étonnant, me suis-je dit : à force de fréquenter des prêtres de plus en plus ensoutanés, voulant revenir à la belle époque des enfants de Marie, et des évêques un peu cocottes, soignant leur look et sortant de chez la modiste et le bijoutier avec mitres et bagouses, pas étonnant qu’il y ait du jeu dans le genre…
Faux diagnostic, docteur. Selon ces « masculinistes », c’est la féminisation de l’Église qui cause le mal des mâles : la testostérone catholique perd de son efficacité par suite de la présence malsaine des femmes dans nos lieux saints, d’où, disent-ils, un dégueulis d’homélies « asexuées » et de chants sucrés.
Je ne vois pas bien le rapport – si j’ose dire. N’est-ce pas les curés, duos habentes et bene pendentes, qui prononcent les sermons ? N’est-ce pas eux, barbus en puissance ou en acte, qui ressassent seuls les paroles sacrées et qui sont à la barre des liturgies ? Vous dites que la présence des femmes au micro ou distribuant la communion vous désespère et qu’il ne faut pas désespérer Bites-en-chœur. J’ai de la peine à vous suivre : quand je suis entouré de personnes du sexe que je n’ai pas, je ne me sens pas moins du mien. Pas plus, non plus. Je me sens plus humain.
Vous dites que les hommes se construisent non par la relation avec les femmes, mais par la filiation venue du Père céleste. Vraiment ? Que nous ayons tous besoin de pères et de mères pour nous construire, qui le nierait ? Qu’il y ait une crise de la masculinité dans les sociétés occidentales, soit. Sans nul doute, l’émancipation des femmes a « vidé le genre féminin » de sa spécificité ancienne. Les femmes ne sont plus « par définition » douces, passives et silencieuses, voire soumises, l’idéal des messieurs ! Par contrecoup, s’est posée la question du genre masculin : est-il encore définissable maintenant que la compétence est le critère ultime de sélection, que la galette du pouvoir se partage un peu mieux entre tous et que la force physique est presque devenue un accessoire de mode ?
Alors les barbus ne seront-ils plus jamais associés au pouvoir, à la parole qui tranche, à la domination de la sphère publique ? Que faire ? Faut-il croire qu’il est encore temps de rendre aux poilus et aux couillus leur agressivité naturelle et de leur réapprendre le sens du combat ? Faut-il idéaliser l’image de Jésus maniant le fouet aussi bien qu’un héros de Sade ? Nostalgie du bon temps d’hier où tout était simple. Mais souffrance stérile que cette nostalgie implique à une époque où le coming out des personnes homosexuelles chamboule de fond en comble les anciens critères de genre ! En effet, bien malin qui peut prétendre que la personne homosexuelle de sexe masculin choisisse des critères de genre généralement attribués au féminin, et vice versa. Le trouble dans le genre est tellement à son comble que l’on imagine aisément que certains veuillent se raccrocher… aux attributs virils.
Ces changements sont durs à avaler, on est bien d’accord. Mais pourquoi faut-il que ce soit dans l’Église que le malaise soit le plus visible, justement là où les barbus ont encore tout pouvoir, et que l’on veuille recréer une ligne Maginot, alors que les panzer-divisions de la modernité la contourneront de toute façon ? Est-ce parce que sont visés sans le dire les prêtres homos, gros mot tabou dans l’Église, puisqu’ils sont censés ne pas exister ? Est-ce parce que le patronat clérical est indisposé comme une chochotte par les bons et loyaux services d’une main-d’œuvre féminine qu’il a lui-même constituée en prolétariat depuis une génération et maintenue à des postes d’exécution, au mépris de la dignité que lui confèrent son baptême et ses compétences ? Faudrait-il que, de servile qu’elle est déjà, cette main-d’œuvre devienne en outre invisible ? Qu’elle travaille la nuit pour qu’on ne la voie pas ? Que ce soient les prêtres et les évêques qui signent les notes et les rapports établis par elle ?
Vous voulez nous faire croire ou vous croyez que votre virilité s’édifie par votre relation avec le Père, mais vous faites de Dieu le miroir où vous voudriez trouver votre image idéale. Narcisses foudroyés, et fourvoyés, vous voulez rester entre vous, vous voulez aimer le même, votre clone, plutôt que l’autre, le différent, l’intrus, l’insupportable, la femme. Vous voulez nous faire croire que le Père céleste est à votre image, d’une virilité désuète, alors qu’on sait depuis longtemps, depuis les temps bibliques ou l’œuvre de Rembrandt, qu’il a des mains d’homme et de femme, et un cœur de mère. Juste pour dire qu’il dépasse de loin vos petites combines d’arrivistes qui se poussent du coude.
Qu’attendent les évêques, gardiens de la doctrine, pour dénoncer cette simplification blasphématoire de l’Autre, du Tout-Autre, et cette sournoise entrée dans le règne du même ?
Anne Soupa et Bernard Berthier
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