La Haute-Loire, étendard et laboratoire de Laurent Wauquiez (Ariane Chemin, Le Monde, 17/12/2017)
Ce qui est fait depuis quelque temps par les Wauquiez, c’est le détournement magistral de l’esprit du plateau… » COMME A PARAY-LE-MONIAL AVEC PIERRE MOREAU, EN SAONE-ET-LOIRE AVEC LES COMMEMORATIONS DES ABOLITIONNISTES DE L’ESCLAVAGE, DES PREDATEURS SE SAISSISSENT DES JUSTES DU CHAMBON-SUR-LIGNON ET DES GUERRES DE RELIGION AU CHATEAU DE SAINT VIDAL POUR INSTRUMENTALISER L’HISTOIRE. CES IDENTITAIRES CATHOLIQUES OBTIENNENT D’IMPORTANTS FONDS PUBLICS, ACQUIERENT DES SOUTIENS INATTENDUS ET ONT LA BENEDICTION DE DOMINIQUE REY. Si, à Chambon -sur-Lignon, l’exploitation de la mémoire des Justes se combine sans états d’âme à un activisme anti-migrants, à Paray-le-Monial, celle de l’abolitionniste Pierre Moreau a pu coexister cette année sans plus d’états d’âme avec le travail forcé gratuit des jeunes mineurs africains au Foyer de Jeunes Travailleurs de la ville. La section de la Ligue des Droits de l’Homme de Paray-le-Monial appelle ses lecteurs à la plus grande vigilance, à la diffusion de l’information et à la protestation contre ces détournements éhontés de la mémoire au détriment des Justes, des paix de religion ou des abolitionnistes de l’esclavage. Ce qui est fait depuis quelque temps par Jean-Marc Nesme, c’est aussi un détournement magistral de l’esprit de Paray.
La Haute-Loire, étendard et laboratoire de Laurent Wauquiez
Le président des Républicains tente d’imprimer sa marque dans son fief électoral d’Auvergne, dont il fait sa France idéale. Non sans résistances religieuses et bagarres mémorielles.
LE MONDE | 13.12.2017 à 20h00 • Mis à jour le 15.12.2017 à 17h33 | Par Ariane Chemin (envoyée spéciale en Haute-Loire)
C’est un département de 226 000 habitants « en forme de cœur », dixit Laurent Wauquiez, qui, bottes aux pieds, n’y sèche aucune foire, aucune fête des jonquilles, et gravit chaque été son mont Mézenc. Venue de Saint-Etienne, la Nationale 88 traverse la Haute-Loire, longeant Yssingeaux avant de filer vers Le Puy-en-Velay, l’une des sorties pour le bourg du Chambon-sur-Lignon, plus à l’est. C’est à ce « bout d’Auvergne » que le nouveau patron des Républicains pense quand il parle d’« assumer ses racines », à la Haute-Loire qu’il songe en exaltant cette « France qui est d’abord une terre », ici qu’il ancre son programme : « Transmission, identité, permanence. »
Laurent Wauquiez est de ceux qui jugent que la politique passe par les combats historiques et culturels. Ce département rural est devenu son étendard et son laboratoire depuis que les « métro-bourgeois » ont basculé vers Emmanuel Macron mais que campagnes et quartiers populaires sont prêts, selon lui, à le soutenir. N’est-ce pas cette « N 88 » puis les 3 000 kilomètres de départementales qu’il faut emprunter, sans itinéraire conseillé, pour comprendre son usage politique de la mémoire et de l’histoire ? « Quand on est originaire d’un territoire comme celui-là, la politique ne se vit pas n’importe comment… », a-t-il promis. Sa généalogie a beau l’attacher aux familles patronales du Nord, voila treize ans qu’il est élu ici.
Le petit Laurent a 5 ans quand sa mère, Eliane, achète une maison de vacances dans le hameau de Devesset, en Ardèche. La frontière avec la Haute-Loire n’est qu’à dix kilomètres. Entre deux années scolaires à Paris, il retrouve la campagne auvergnate. Paris Match a photographié son centre hippique, son cheval Assad, son « vallon » fétiche — « mon centre du monde », dit-il.
Les « panneaux de la discorde »
« Le Chambon-sur-Lignon, terre de Justes », affiche un panneau touristique croisé sur la N 88. La presse locale a surnommé ce panneau — et son jumeau, dans l’autre sens de circulation — « les panneaux de la discorde ». Même s’ils réjouissent Eliane Wauquiez, 79 ans, maire du Chambon depuis 2008, l’émoi reste vif sur le « plateau » du Vivarais-Lignon. Le Chambon n’est en effet que le plus connu de la dizaine de villages des environs qui, entre 1940 et 1945, ont sauvé plus d’un millier de juifs, appelé le « Refuge ». Bernard Cotte, le maire du Mazet-Saint-Voy, à six kilomètres de là, juge ainsi que le placard touristique « pervertit l’histoire locale : c’est grâce aux familles modestes d’agriculteurs de tout le plateau, tout, que ces enfants ont été sauvés ! » M. Cotte n’a plus rien à perdre : depuis qu’il s’est présenté aux dernières élections régionales, en 2015, sur la liste du socialiste Jean-Jack Queyranne, Wauquiez, patron de la région, a coupé la subvention destinée à la salle culturelle pour enfants (201 150 euros) allouée par la précédente majorité dans le cadre du plan « Auvergne plus ».
« Combien de personnes empruntant la N 88 ne savent rien de notre histoire ? », balaie l’adjointe à la culture du Chambon qui, dans la presse, répond toujours à la place d’Eliane Wauquiez. Bernard Cotte rétorque que la religion protestante, toujours vivace dans la région, « ne justifie pas l’homme par les œuvres mais par la foi ». Depuis l’« affaire des panneaux », un discours circule, photocopié. Il est écrit : « Si un jour, à l’entrée des villages du plateau, on voit fleurir des panneaux “Ici on a aimé les juifs” comme ailleurs on signale les ravages de la bête du Gévaudan, si notre plateau tire un profit touristique de ce qui était désintéressé, alors ceux qui sont aujourd’hui remerciés, seront reniés. L’esprit qui a régné ici serait trahi. »
Ces mots datent de 1990. Le pasteur André Arnoux les avait prononcés devant l’ambassadeur d’Israël en France venu remettre la médaille des Justes à l’ensemble des villages du coin. « Une sorte de prophétie », note aujourd’hui Joël Ferrier, ex-directeur d’un centre d’hébergement pour personnes handicapées à Montfaucon et chef de file de l’opposition (sans étiquette) à Eliane Wauquiez au conseil municipal du Chambon.
La mère et le fils Wauquiez
Le « Wauquiez tour » ne s’annonce donc pas comme une promenade de curistes. Une autre bataille a divisé la municipalité ces dernières années. En septembre 2016, à peine élu président de la région, Laurent Wauquiez lance une pétition hostile au projet de répartition de migrants du nord de la France. La crainte d’un « mini-Calais », justifie-t-il alors. En réaction, l’opposition du Chambon propose aux vingt-trois conseillers de se prononcer en faveur de l’accueil de migrants. « C’est quand nous avons demandé à ce qu’on entérine cet engagement — qui s’est fait à l’unanimité — par un vote, raconte Hervé Routier, ancien enseignant en économie, que Mme Wauquiez a refusé. Sans doute ne voulait-elle pas que, dans la presse, on oppose la mère au fils. » Durant la campagne, elle venait au premier rang l’écouter vanter « ce vieux pays » si supérieur « au triste village global (…) ouvert à tous les vents financiers et migratoires ».
A l’entrée du Chambon, le temple de pierre au toit de lauzes, gris et austère à souhait, a lui aussi tenu à se rappeler au bon souvenir du président de région. Une banderole rouge et noir barre son entrée : « Liberté, égalité, fraternité, exilés, l’accueil d’abord. » Il y a quelque temps, Eliane Wauquiez a tenté de la faire retirer. « Il vaudrait mieux que vous ne la laissiez pas », a-t-elle glissé à Pierre-Jacques Exbrayat, le président du conseil presbytéral de la paroisse. Mais le protestant, ici, est rarement docile. « J’ai fait celui qui n’entendait pas », confie le retraité.
Le temple fait face au « lieu de mémoire » ouvert en juin 2013 par la même Eliane Wauquiez. Touristes et « scolaires » s’y arrêtent le temps d’une visite. A l’étage, on découvre les figures cachées dans les environs durant l’Occupation, comme Jules Isaac, auteur du manuel d’histoire qui a bercé des générations d’élèves, ou André Chouraqui, futur traducteur de la Bible en français, hébergé au hameau de Chaumargeais… Pourtant, à l’entrée, on ne voit que la plaque posée en majesté au pied de l’escalier : « Lieu de mémoire dédié aux habitants du Chambon-sur-Lignon inauguré par Madame Wauquiez-Motte, maire, et son conseil, en présence de Madame George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative. »
« Un lieu de mémoire à but utilitaire »
L’inscription n’a pas plu à tout le monde. « Un lieu de mémoire à but utilitaire », accuse le maire du Mazet. « Ce qui est fait depuis quelque temps par les Wauquiez, c’est le détournement magistral de l’esprit du plateau, assène le pasteur Arnoux, désormais installé à Dieulefit, bastion protestant de la Drôme. Je vais vous faire un aveu : le lieu de mémoire, je n’y suis pas allé. J’ai refusé, parce que ça allait à l’inverse de ce qui avait été voulu. » L’historien local Gérard Bollon, qui a consacré son travail au « Refuge », tempère : « Sans Mme Wauquiez, ce lieu qui transmet la mémoire aux enfants n’existerait pas. » L’« ami », dont Wauquiez fils faisait l’éloge dans Un huron à l’Assemblée nationale (Editions Privé, 2006) est en revanche « devenu réticent sur la carrière de Laurent. Il a beaucoup changé depuis notre engagement commun. Entre 2001 et 2004, il trouvait discrètement des papiers pour les demandeurs d’asile du Chambon. Comme on dit, il a viré sa cuti ».
Pour gagner Saint-Vidal en quittant le Chambon, il faut passer le Puy et prendre la Nationale 102 en direction de Brioude. A gauche, une route tortueuse mène à une forteresse du XIIe siècle rachetée par un ex-Lyonnais de 31 ans, « autodidacte passionné d’histoire et de patrimoine » : Vianney d’Alançon, cofondateur de Laudate, une maison de joaillerie qui fabrique des médailles de baptême, les vend à Versailles et à Lyon, et en fait la publicité dans Famille chrétienne et sur le site du Salon beige, média traditionaliste qui guerroie contre le pape François.
« Le château, dit-il, a appartenu à ma famille durant cinquante ans il y a cinq cents ans et fut pendant les guerres de religion le fief de la Sainte-Ligue [catholique] », qui prônait l’intransigeance envers les protestants, explique le jeune entrepreneur, teint pâle et éternel pantalon rouge. Laurent Wauquiez a raconté dans La Haute-Loire de ses origines à nos jours (Jeanne d’Arc, 2011), les aventures du « ligueur » Antoine de Saint-Vidal. Face à cet « ultra », les Huguenots avaient dû se réfugier sur le plateau du Chambon.
Un « Puy-du-Fou » grassement subventionné
Vianney d’Alançon proposera l’été prochain un spectacle didactique « sur les guerres de religions au XVIe dans le Velay » et « une déambulation de pièce en pièce, de Vercingétorix à la bête du Gévaudan ». Les travaux en cours s’appuient sur « cent cinquante bénévoles levés récemment », mais aussi sur de généreuses subventions. Plus d’un million d’euros au total, octroyés par le conseil régional (600 000 euros), le département (300 000) et la communauté d’agglomération (300 000 encore), malgré les réticences de plusieurs élus, étonnés de voir autant de deniers publics engagés dans une aventure privée. « Le projet est très inspiré du Puy-du-Fou », a expliqué Laurent Wauquiez lors de sa présentation à la forteresse. « Il me soutient, mais comme président de région, tient à préciser Vianney d’Alançon. Je profite aussi du mécénat : la fondation et la famille Michelin, la famille Dassault… »
Lorànt Deutsch, « historien de garde » au large public, mais aussi Stéphane Bern, animateur connu avant qu’il ne devienne le conseiller en patrimoine d’Emmanuel Macron, et le journaliste de télévision Bernard de la Villardière appuient également le projet dans de petits textes ou des vidéos. Les élus alto-ligériens l’ignorent, mais le bijoutier de Laudate a la bénédiction de Mgr Dominique Rey, qui, à Toulon, a poussé sur le devant de la scène catholique Marion Maréchal-Le Pen et milite pour SOS Chrétiens d’Orient, organisation créée par d’ex-collaborateurs d’élus Front national.
« C’est un homme très jeune, enfin très jeune dans sa tête, s’enthousiasme M. d’Alançon à propos de l’évêque le plus conservateur de France. Il a compris les problématiques spirituelles de l’époque et ce dont le pays a besoin. C’est important, à un moment où des jeunes se radicalisent et sont attirés pour certains par le djihadisme. Mais mon projet est culturel, et nullement politique. »
Interview dans « Famille chrétienne »
Mgr Rey a d’ailleurs marié Vianney d’Alançon, et fait le voyage jusqu’à la somptueuse cathédrale du Puy-en-Velay pour baptiser son fils. Le Puy est l’un des plus grands sanctuaires mariaux de la chrétienté médiévale depuis l’apparition de la Vierge noire, voilà quinze siècles. Le matin, on y croise des pèlerins tout juste sortis des gîtes. « J’ai ranimé les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, j’ai mis en lumière la cathédrale », a insisté Laurent Wauquiez dans Famille chrétienne peu après son accession à la tête des Républicains, le 10 décembre.
Une longue volée de marches mène au majestueux évêché du XVIIIe siècle. Il ne se visite pas, mais tous les anciens évêques du Puy y ont leur portrait. C’est aujourd’hui la résidence de Mgr Luc Crépy. Quelques mois après son arrivée, il y a deux ans, celui-ci s’était réjoui d’entendre le pape François demander à « chaque paroisse » d’accueillir une famille de migrants. Des Ponots (les habitants du Puy) ont ouvert leurs portes à des Irakiens — lui-même a montré l’exemple à l’évêché. « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli » : Mgr Crépy ne cite jamais Laurent Wauquiez, mais très volontiers l’Evangile selon Matthieu. « Que les hommes et les femmes politiques ne s’y retrouvent pas est une autre question », lâche-t-il, et ce n’est pas la moindre surprise de ce « tour » que d’entendre ces mots au cœur de la ville dont Laurent Wauquiez est roi.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/13/wauquiez-tour-en-haute-loire_5229280_3232.html#OgLoIEBB29lUqvK8.99
http://www.lemonde.fr/acces-restreint/idees/article/2017/12/13/e65fa01259311da7e5222da0257f8ce4_5229280_3232.html
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