Football: Stop la discrim’ !

Voilà déjà plus de trois ans que la section de Paris 18 a lancé l’affaire des licences refusées aux mineurs étrangers. La Ligue des Droits de l’Homme amplifie ce combat à l’échelon national, par le biais de son groupe de travail « Sports, Droits et Liberté » créé en 2012 et animé à l’échelon national par le président de notre section, Pascal Nicolle. Une lettre électronique parue en juillet 2012 fait le point sur ce nouvel axe d’action de la Ligue des Droits de l’Homme.

Nous reproduisons l’article rédigé par deux membres de notre section, Hervé Diakiese et Robert Weinberger, membres du groupe de travail national

La FFF est hors jeu !

L’enfer est pavé de bonnes intentions, la Fédération française de football est en train de démontrer avec éclat la pertinence de cet adage. À la base il se manifeste la volonté de lutter contre les trafics et l’exploitation des jeunes footballeurs étrangers et à la fin le remède a été pire que le mal.


L’enfer est pavé de bonnes intentions, la Fédération française de football est en train de démontrer avec éclat la pertinence de cet adage. À la base il se manifeste la volonté de lutter contre les trafics et l’exploitation des jeunes footballeurs étrangers, la plupart africains. Il s’en est suivi l’élaboration de la circulaire 1190 de la Fifa (particulièrement ses articles 19 et 19 bis) ; et l’on aboutit au constat que le remède a été pire que le mal, les textes censés protéger les jeunes footballeurs servent désormais de fondement légal à leur exclusion des terrains, au refus de délivrance de licence, bref à les chasser du football… dans leur intérêt.

En ce qui concerne la non-obtention d’une première demande de licences, le club de l’ES Parisienne a mené une lutte active (lorsqu’il s’agissait d’une première demande en faveur des jeunes mineurs étrangers (même nés en France). Cette lutte fut menée à l’intérieur de la fédération et également à travers une vigoureuse campagne de presse.

Il ne s’agit ici même pas encore de football professionnel, il est question de jeunes gamins de quartiers qui veulent jouer au football avec leurs copains et qui se voient opposer un veto pour l’obtention de leur licence, avec à la clé l’impossibilité de participer aux compétitions. Cette situation est déjà choquante dans sa démarche et dans ses conséquences, lorsque l’on connaît l’impact socioéducatif indéniable que le football a sur la vie des jeunes dans leur intégration sociale. Ce football est un catalyseur des énergies et du dynamisme, un carrefour de l’intégration sociale et culturelle, mais aussi un lieu de vie festif où l’effort et le dépassement de soi ont encore un sens. La même situation devient particulièrement insoutenable lorsqu’on se réfère aux arguments allégués par la fédération française de football, particulièrement sur la légitimité juridique ou la simple légalité de leur fondement.

En effet, la FFF revendique l’application de la circulaire 1190 de la Fifa , elle en tire la substance des exigences répercutées aux niveaux de ses ligues pour fixer l’ensemble des documents que doit fournir le mineur d’origine étrangère qui veut obtenir sa licence dont, entre autres, apporter la preuve de résidence régulière continue de cinq ans, les quittances de loyer, preuves de ressources des parents, etc. C’est donc sur ce terrain de jeu que cette réflexion va s’exercer ; à savoir : examiner l’applicabilité de la circulaire de la Fifa par la FFF, en l’intégrant dans l’ordonnancement juridique français.

La FFF est une association privée qui, en vertu du code de sport, exerce une mission de service public. De ce fait, elle applique en toute indépendance ses règles qui sont en conformité avec son objet social, lesquelles pour la plupart sont l’application des directives de la Fifa dont elle est membre. En même temps, en tant qu’association française exerçant une mission de service public dans le domaine du sport, elle est astreinte à respecter les exigences incombant à tout service public, particulièrement celles relatives à l’égalité des usagers et à la non discrimination.

Dans le sujet qui nous intéresse et qui est relatif aux premières demandes de licences pour les mineurs d’origines étrangères, la FFF a excipé l’application des articles 19 et 19 bis de la circulaire 1190 de la Fifa, pour justifier les mesures que les différentes ligues ont commencé à prendre à l’encontre des mineurs d’origine étrangère. Il est intéressant de remarquer que les dispositions visées par cette circulaire s’inscrivent dans une rubrique intitulée « protection des mineurs », ça ne s’invente pas !

Plusieurs autres incohérences pourront être stigmatisées, il convient dans un premier temps de remarquer que cette circulaire avait créé une sous-commission du statut des joueurs devant statuer sur des questions de validité de transfert internationaux. La FFF a pu obtenir de la Fifa de se substituer à cette sous-commission des statuts, pour qu’à travers ses ligues, elle puisse exercer les attributions dévolues à ladite sous-commission. Cette démarche procède d’une délégation de pouvoir emportant comme conséquence que le délégataire (en l’espèce la FFF et ses ligues) ne peut statuer au-delà des attributions qui étaient dévolues au délégant (à savoir la Fifa et sa sous-commission du statut). Lorsque le délégataire statue au-delà des pouvoirs reconnus par la délégation, sa décision est entachée d’excès de pouvoir et doit être annulée de ce chef.

Or, en l’occurrence, la FFF s’est substituée à la Fifa sur des questions relatives aux transferts internationaux des joueurs non amateurs ! Cependant, la FFF a de ce fait, et sous couvert de la protection des mineurs, décrété des mesures justifiant de facto le refus de délivrance de licence à des joueurs amateurs non concernés par la circulaire de la Fifa.

En outre, même s’il s’était agi de statuer de manière indiscriminée sur les amateurs comme sur les professionnels, force aurait été de constater qu’une fois encore, la philosophie de la circulaire 1190 visait à protéger les mineurs étrangers du trafic et de l’exploitation, en aucun cas cette question ne se posait sur des mineurs vivant en France et dont les parents étaient dépourvus de titres de séjour et qui avaient toujours évolué dans les clubs de leurs quartiers !

Dans l’exercice de sa délégation de pouvoir pour l’application de la circulaire de la Fifa, la FFF a fait montre d’une manifeste erreur d’appréciation et a pris des décisions entachées d’excès de pouvoir. En termes footballistiques, sur ce point précis la FFF est « hors jeu ».

Mais encore faudrait-il aussi examiner cette irrégularité dans l’aire de jeu français où, si l’on peut ainsi dire, le match se joue. Sur le terrain français, il a été déjà dit que la FFF exerce une mission de délégation de service public et, par conséquent, il lui incombe d’assurer le respect du principe d’égalité des usagers ainsi que de non discrimination.

Dans les règles émises par ses différentes ligues et qui sont relatives notamment aux éléments à réunir pour le mineur d’origine étrangère, il convient de constater que la première irrégularité à siffler par l’arbitre porte déjà sur le concept de preuves de la régularité et de la continuité du séjour du mineur. En droit français, un mineur sans papier n’existe pas ; en d’autres termes il ne peut pas être question pour un mineur de prouver la régularité de son séjour. Partant de ce constat, le fait pour la FFF d’élaborer des règles qui sont en contradiction avec la législation relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France constitue une violation du principe de légalité d’une décision administrative.

De surcroît, en appliquant une règle particulière limitée à une catégorie précise d’usagers (mineurs d’origine étrangère même nés en France) non prévue par la loi pour ce qui est de l’exigence de régularité du titre de séjour, la FFF a élaboré une règle entachée du vice de discrimination et d’atteinte à l’égalité des usagers devant le service public.

Au demeurant la FFF se retrouve en porte-à-faux avec les dispositions de l’article 3 de la convention relative aux droits de l’enfant qui fait obligation aux autorités (notamment administratives) dans les décisions qui le concernent, de privilégier l’intérêt supérieur de l’enfant. Or s’il semble évident que le droit au sport et aux loisirs soit un impératif pour l’enfant : que pèse-t-il sur la balance avec l’exigence paperassière des documents dont le fondement légal demeure discutable ?

Cette accumulation de fautes n’aurait-elle pas valu plus qu’un carton rouge à la FFF sur un terrain de jeu ?

Hervé Diakiese Robert Weinberger

Le rappel des parutions dans la presse en 2010 :

Contact presse : ldhparis18@gmail.comLa plaquette éditée par la LDH