Le cynisme criminel de l’Union européenne
Pour toute réponse aux drames quotidiens et croissants qui se jouent aux frontières de l’Union européenne, la Commission a annoncé la publication prochaine d’un énième « programme européen en matière de migration ». Il innovera par son approche holistique, nous dit-on. En fait d’innovation, « assorti d’une meilleure gouvernance », il a pour ambition redondante de permettre, notamment, « d’agir plus résolument contre la migration irrégulière et d’assurer une plus grande sécurité des frontières» (1).
Il y a deux mois, était d’ailleurs annoncée la prolongation de l’opération Triton, coordonnée par Frontex, jusqu’à la fin de l’année 2015.
L’Union européenne ne saurait dire plus clairement que les Soudanais, les Erythréens ou les Syriens qui cherchent à sauver leur liberté – et leur vie – en tentant de rejoindre les côtes européennes sont promis à la mort !
Pour l’heure, c’est pourtant bien pour ces derniers que la protection serait nécessaire et non pour les Européens. Que l’on sache, ceux-ci, en dépit de leurs difficultés économiques, ne sont pas acculés à la mort, ne vivent pas dans des pays en guerre, ne doivent pas quitter logement, ville, village, famille, etc. pour tenter de survivre ! Ces exilés, oui ! Et le Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) nous dit qu’ils n’ont jamais été aussi nombreux depuis vingt ans et qu’ils seront encore plus nombreux demain …
Nous, membres de l’Association Européenne des Droits de l’Homme, citoyens européens, nous sommes en colère !
Nous sommes en colère parce que, année après année, nous avons répété que ce n’est pas ainsi que doit être traitée la question de l’immigration. C’est inefficace et contreproductif puisque chaque barrière supplémentaire, chaque opération nouvelle (Triton, aujourd’hui, Aenas, Héra, Hermes, hier) n’entrave pas la peur des migrants, ne freine pas leur folle envie de vivre et donne aux passeurs la perspective de plus de profit.
Nous sommes en colère parce que, année après année, nous avons vu les États membres – chantres de la liberté de circulation intra-européenne et de la mondialisation – ériger des murs, des barrières, des barbelés pour s’offrir l’illusion d’une sécurité à leurs frontières.
Nous sommes en colère parce que nous faisons le compte des sommes dépensées pour ces pitoyables armadas ! Plus d’une centaine de millions d’euros par an à distraire du budget qui pourrait être consacré à l’accueil des réfugiés… Et à chaque nouveau drame en mer, la fuite en avant vers une illusoire sécurité européenne alourdit la facture. Et, cela sans compter les dizaines de millions d’euros consacrés à ce nouveau « système des systèmes » qu’est EUROSUR et qui était vanté pour la façon dont il devait faciliter les opérations de recherche et de sauvetage.
Nous sommes en colère parce que nous avons honte que les migrants prennent peur lorsqu’ils voient approcher les bâtiments des forces maritimes européennes et tentent de leur échapper en se jetant à la mer.
Nous ne voulons plus avoir honte d’être Européens ! Alors nous disons : STOP ! BASTA ! ASSEZ ! Спри! ΦΤΑΝΕΙ! ΠΙΑ! SUFICIENTE! Pietiekami! PAKANKAMAI! GENOEG! DOŚĆ! DOSŤ! Riittää! DOVOLJ!
Nous ne voulons plus avoir honte de nos pays, incapables de participer à l’effort de réinstallation des réfugiés syriens, et les abandonnant à la charge de la Jordanie, de la Turquie ou du Liban, notamment. Nous ne voulons plus avoir honte de voir les États-Unis se montrer largement plus ouverts à la relocalisation de personnes réfugiées que l’ensemble des pays de l’UE réunis.
Nous refusons que, face à l’urgence vitale pour des milliers de personnes, la seule réponse soit d’accroître les entraves opposées à la migration, notamment par le renforcement d’un « partenariat » avec les pays tiers – d’origine ou de transit. Nous refuserons plus encore que l’UE délègue auxdits pays tiers la charge de contenir les réfugiés loin de ses frontières, que ce soit dans le cadre de la PEV ou du processus de Khartoum comme du « Programme commun pour les migrations et la mobilité » (PCMM) récemment signé avec le Nigeria. Nous jugerions indigne de les charger d’accueillir les réfugiés dont l’UE ne veut pas !
En d’autres termes, nous demandons à nos ministres de cesser de se réunir, de mois en mois, pour sombrement déplorer les drames des migrants et, dans le même temps, de se refuser à mettre en place une politique d’accueil des réfugiés qui soit digne de l’Union européenne et de l’histoire de nos pays !
Les solutions et les moyens existent pour garantir un accès sécurisé des migrants et des réfugiés à l’Union européenne. L’UE peut et doit les mettre en œuvre. Maintenant !
En termes juridiques, cela passe par une profonde révision de la politique de délivrance des visas : accès facilité aux visas humanitaires ou asile là où existe une antenne consulaire d’un État membre ; suppression des visa de transit aéroportuaires pratiqués par certains États membres ; contrôle, par la Commission, de l’application des garanties procédurales prévues par le Code communautaire des visas dans chaque État membre. L’Agence des droits fondamentaux, dans une note récente, a fait des propositions allant dans ce sens (2).
Matériellement, cela signifie que les espaces maritimes et terrestres d’accès à l’UE doivent être sécurisés, non pas pour intercepter les migrants mais pour assurer leur sécurité. C’est le rôle que nombre d’ONG ont souhaité voir dévolu à Frontex depuis sa création ; si Frontex ne peut s’engager dans cette voie, nous demandons que les moyens actuellement affectés à cette Agence soient transférés à l’organisation d’opérations de surveillance telles que préconisée par le HCR dans son « Initiative pour la Méditerranée centrale » (CMSI), à l’image de Mare Nostrum.
Parce que tout donne à penser que les flux de demandeurs d’asile vont continuer de croître, nous demandons que soit enfin activée la directive sur la protection temporaire de 2001. Elle a été conçue pour répondre aux « cas d’afflux massif de personnes déplacées » et prévoie « des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil ». Elle a donc toute sa place dans le contexte actuel.
Puisque les frontières de l’UE sont partagées à 28 et que ce partage implique la solidarité entre les États membres, nous persistons dans notre demande de suppression du règlement Dublin III, source de déséquilibre entre les États membres et de maltraitance des demandeurs d’asile.
Lorsque seront engagées ces premières mesures pour « une Union européenne ouverte et sûre, pleinement attachée au respect des obligations de la Convention de Genève sur les réfugiés et des autres instruments pertinents en matière de droits de l’homme, et capable de répondre aux besoins humanitaires sur la base de la solidarité », alors nous serons fiers d’être citoyens européens !
(1) Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission, Bruxelles, 4 mars 2015 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-4545_fr.htm
(2) http://fra.europa.eu/fr/news/2015/sauver-des-vies-en-creant-davantage-de-possibilites-pour-les-refugies-dentrer-de-maniere
(3) http://www.unhcr.fr/5501cb9ac.html
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