Vidéosurveillance : lettre ouverte au maire de Niort

Lettre ouverte à Monsieur le Maire de Niort

POUR UNE SOCIETE DE SOLIDARITE, NON DE SURVEILLANCE !

Monsieur le Maire,

La Ligue des Droits de l’Homme de Niort s’inquiète de la décision prise par votre majorité concernant l’installation de dispositifs de vidéo-surveillance dans le centre-ville de Niort. Face à la délinquance, vous prônez une idéologie techno-policière où la technologie est censée répondre aux faillites sociales et politiques.

Oui, la sécurité est un sujet important et une source de préoccupation légitime pour nos concitoyens. C’est pourquoi nous devons apporter des réponses avec sérieux et objectivité, sans posture martiale ni instrumentalisation politique de l’actualité, contrairement à votre déclaration faite dès le lendemain au journal le Courrier de l’Ouest (1) suite à une agression criminelle récente en plein centre de Niort.

« J’estime qu’il y a urgence à installer un système de vidéosurveillance . En début d’année prochaine, celui-ci permettra de couvrir, avec vingt-huit caméras, l’ensemble de l’hypercentre ».

Il conviendrait, au lieu d’une  récupération démagogique, que les institutions  dont vous êtes un des représentants, rappellent quelles sont les différentes mesures de soutien et d’aide aux victimes. Toutes  ne portant pas spontanément plainte. Nous nous associons, au delà d’une légitime et humaine émotion ressentie,  à  la condamnation de ces actes d’une violence inouïe. Nous exprimons notre soutien aux deux victimes en espérant que les pouvoirs publics mettront tout en œuvre pour que justice soit faite.

Nous tenons à vous rappeler les principes de la Charte européenne pour une utilisation démocratique de la vidéo-surveillance (2). Cette charte prévoit que « les installations de vidéo-surveillance ne peuvent être mises en service qu’à partir du moment où les autres mesures, moins intrusives, se sont révélées insuffisantes ou inapplicables. ».

– La municipalité a-t-elle vraiment fait tout ce qui est possible pour situer la réponse au niveau d’une politique globale de prévention ?
– Par une stratégie de prévention qui mobilise une panoplie d’actions de terrain ?
– Par le renforcement de la présence humaine dans l’espace public pour lutter contre la délinquance ?

Cette même Charte recommande, avant toute implantation, « la réalisation d’un diagnostic préalable visant à définir de manière objective les besoins locaux. Ce diagnostic doit aussi permettre d’évaluer la faisabilité d’un projet de vidéo-surveillance sur un territoire ».

– Qu’en est-il à Niort ?
– Quelles études ont-été menées ?
– Par qui ?
– A partir de quelles données ?

Nous nous interrogeons aussi sur la réponse niortaise qui sera apportée aux autres volets du Plan Départemental de Prévention de la Délinquance.

– Quelles actions locales à l’intention des adolescents et jeunes adultes de 12 à 25 ans exposés à la délinquance ?
– Quelles réponses pour prévenir le basculement dans la délinquance et la prévention de la récidive ?
– Comment comptez-vous améliorer la prévention des violences faites aux femmes, des violences intrafamiliales et l’aide aux victimes de façon générale ?
– Les femmes sont régulièrement agressées verbalement dans la rue, ce qui est potentiellement l’engrenage du pire. Nous ne pensons pas que les caméras de vidéo-surveillance soient d’une quelconque utilité pour lutter contre ces agressions sexistes.

Votre projet de vidéo-surveillance surprend une très grande partie de nos concitoyens, d’autant plus qu’ils prennent connaissance des bilans et autres études, effectués en France et à l’étranger, qui montrent que :

La vidéo-surveillance de l’espace public ne diminue pas la délinquance
– Elle n’accélère pas l’intervention en temps réel sur les lieux d’un délit
– Elle ne dissuade pas les actes délinquants
– Elle permet d’élucider des crimes et délits dans seulement 1 à 3% des faits sur la voie publique.

Ces investissements inutiles en matériel sont désormais dénoncés dans des émissions de télévision grand public comme « Cash Investigation » sur France 2 le lundi 21 septembre 2015. Des investissements communaux inconsidérés, y sont révélés, conduisant même une commune à être mise sous tutelle… (3)
Pouvez-vous nous dire quel est le coût en investissement, en maintenance et en fonctionnement de votre projet sur la ville de Niort à échéance de 1, 2 et 6 ans ?

Aujourd’hui, vous balayez d’un revers de la main les questions et inquiétudes de ces concitoyens, malgré les nombreuses interrogations et réticences qu’ils expriment. Votre réponse est lapidaire : « La vidéo-surveillance est la solution qui va être mise en place. » Vous l’abordez donc comme une fin en soi, sans prise en compte de sa pertinence dans un contexte donné.

Il faut aborder la question des libertés individuelles et collectives, au présent, mais aussi, de façon prospective, en regard des évolutions technologiques. Seul un cheminement démocratique, comme celui-ci, pourrait permettre de tenir à distance et l’idéologie sécuritaire et l’électoralisme.

La Ligue des droits de l’Homme de Niort vous demande de répondre aux questions légitimes que se posent vos administrés et vous incite à reconsidérer cette question. Tant que n’auront pas été apportées des réponses claires et convaincantes de votre part nous continuerons à nous opposer et à appeler les Niortais à s’opposer à la mise en place d’un système de vidéo-surveillance de l’espace public dans notre commune et nous appelons les Niortais à ne pas cautionner cette dérive liberticide.

(1) édition du 03/10/2015

(2) Charte qui a été adoptée par de grandes villes françaises comme Bordeaux ou Toulouse.

(3) Cash Investigation : Le business de la peur. Vidéosurveillance : 40 000 caméras pour rien ? – Une enquête de Jean-Pierre Canet avec Jean-Marc Manach et Arthur Bouvard diffusée lundi 21 septembre à 23 heures sur France 2