Revenu universel d’activité: attention danger !

 

Emmanuel Macron a annoncé, le 13 septembre 2018, le lancement d’un plan de lutte contre la pauvreté, qui intégrera la mise en place d’un « revenu universel d’activité ». Les associations signataires de cette tribune veulent pointer les risques de ce projet et en appellent à de véritables mesures d’amélioration du système de protection sociale. 20 Juin 2019

Le revenu universel d’activité (RUA) vise à fusionner plusieurs minima sociaux, avec au minimum la prime d’activité et le Revenu de solidarité active (RSA). Il est également envisagé d’intégrer les aides personnalisées au logement (APL), ainsi que des allocations ciblant un public spécifique comme l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), entre autres.

Le RUA sera aussi conditionné à « l’obligation d’inscription dans un parcours d’insertion, qui empêche de refuser plus de deux offres raisonnables d’emploi ou d’activité. » Le risque est donc grand que ce « revenu » soit conditionné à une démarche d’insertion par l’emploi, alors que la plupart des aides actuelles sont liées à un niveau de vulnérabilité (AAH, ASI) ou de ressources (APL).

Ainsi, après avoir organisé le naufrage de l’assurance chômage, qui coupera les droits de centaines de milliers de personnes, les minima sociaux vont se retrouver une nouvelle fois sous tension. Même sans réforme, les budgets augmenteront donc de manière exponentielle par cet afflux de nouveaux allocataires potentiels, alors même que le RUA est pour l’instant prévu à budget constant.

Sortir de la pauvreté doit être un droit inconditionnel pour toutes et tous

Alors même que 5,6 millions de personnes sont actuellement au chômage total ou partiel, il n’existe que 524 000 offres d’emplois à pourvoir. Les discours culpabilisants sur la culture d’assistanat des chômeurs et, plus largement des allocataires des prestations sociales, reposent sur une vision erronée de la société prétextant qu’il suffirait de « traverser la rue » pour trouver un emploi.

L’emploi n’est pourtant pas systématiquement source d’insertion ou de réalisation personnelle. Il est aussi parfois facteur de souffrance, déclencheur de pathologies (surmenage, perte de sens, dépressions, maladies professionnelles…), mais également d’exploitation dans le cas des travailleurs·ses précaires (la France en compte entre un et deux millions, dont une majorité de femmes).

Placer sous condition le droit à la protection sociale est contraire aux principes de solidarité et de justice. Cela reviendrait à infliger une double peine aux publics concernés. Rien ne justifie de maintenir des personnes dans la pauvreté sous prétexte qu’elles n’accepteraient pas d’agir sous injonction (par du bénévolat forcé par exemple, tel qu’envisagé par le Premier Ministre).

Des lignes rouges à ne pas franchir

La concertation organisée par le gouvernement sur le projet de RUA a débuté le 3 juin dernier. L’hypothèse que la réforme se ferait à budget constant est une option sur la table, ce qui ferait de très nombreux perdants parmi les allocataires actuels.

Nous, associations signataires craignons qu’une telle réforme porte préjudice aux plus précaires. Un exemple à ne pas suivre est celui du crédit universel britannique qui, sous couvert de simplification, n’a fait qu’aggraver la précarité mais aussi renforcer le contrôle des plus vulnérables.

Nous appelons à un débat large et transparent, et préconisons d’ores et déjà d’exclure les mesures suivantes :

→ Le conditionnement du RUA à l’acceptation d’une des deux offres d’emploi jugées « raisonnables » par l’administration. Cela n’aboutirait qu’à un contrôle abusif des demandeurs·ses d’emploi et les obligerait à accepter un emploi à n’importe quel prix.

→ Le bénévolat forcé : il est impensable de conditionner des aides sociales à des heures de bénévolat. Cela reviendrait à conditionner la survie des bénéficiaires à du travail forcé.

→ La lutte contre la pauvreté avec des moyens constants : le gouvernement a annoncé vouloir simplifier le système de protection sociale, ce qui est entendable au vu de sa complexité actuelle. Mais pour lutter contre le non-recours aux aides sociales qui touche près de 30 % des allocataires potentiels, il est indispensable de mobiliser des moyens supplémentaires, sans quoi cela reviendra à partager le budget actuel, déjà insuffisant, entre un plus grand nombre de personnes.

→ Une fusion de l’ensemble des minima sociaux : alors qu’il faudrait tendre vers l’inconditionnalité des minima sociaux, certaines aides comme les APL ou l’AAH, en étant intégrées au RUA, risqueraient de devenir elles aussi conditionnées à une démarche d’insertion, alors qu’elles ont été conçues pour pallier un manque de ressources.

→ Le « tout numérique » : aujourd’hui, le conditionnement des prestations sociales va souvent de pair avec une lourdeur administrative et des démarches en ligne obligatoires. Le non-recours est en partie dû à ce problème de fracture numérique, puisque 20 % de personnes en France ne parviennent pas ou ont du mal à effectuer des démarches dématérialisées.

Égalité sociale, liberté individuelle et organisation collective

L’inconditionnalité d’un revenu socle devrait être au cœur du projet gouvernemental. Nous estimons que le projet du gouvernement devrait intégrer les principes suivants :

  • Automatisation du versement des aides sociales, pour lutter contre le non-recours et simplifier les démarches administratives.
  • Élargissement du RSA aux 18-25 ans, un public aujourd’hui particulièrement touché par la précarité.
  • Individualisation des prestations sociales – par opposition à la notion de « foyer fiscal »pour assurer une véritable autonomie des personnes et l’indépendance notamment vis-à-vis dude la conjoint·e.
  • Garantie qu’aucun allocataire actuel ne soit perdant à l’issue de cette réforme.

Notre système de protection sociale est aujourd’hui largement perfectible, mais les intentions affichées par le gouvernement avec le projet de RUA nous inquiètent profondément, en dépit de la concertation lancée récemment. Nous, associations signataires, appelons à un débat de fond sur ce projet. Il est urgent de promouvoir des mesures ambitieuses pour sortir l’ensemble de nos concitoyen·ne·s de la pauvreté.

Organisations signataires :

AequitaZ ; Assemblée des citoyens du monde ; Collectif Roosevelt Ile de France ; Emmaüs France ; Ligue des droits de l’Homme (LDH) ; Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB) ; Mouvement National des Chômeurs et Précaires (MNCP).

Témoignages :

« Le regard sur les chômeurs n’a cessé de se durcir. On cherche à nous faire croire qu’il y a des bons et des mauvais chômeurs. Il y a ceux qui cherchent du boulot et ceux qu’il faut contrôler et sanctionner. Mais on ne cherche pas à comprendre l’impact que ça peut avoir quand ça fait deux ans que vous enchaînez les refus, que vous avez fait tout l’annuaire mais qu’il y a toujours quelqu’un qui finit par vous passer devant. Ce sont toujours les mêmes qui vont prendre une claque dans la gueule. On ne parle jamais de cette violence-là. » Marc Desplats, membre du Mouvement National des Chômeurs et Précaires

« J’ai travaillé pendant de nombreuses années dans une grande entreprises de télécommunications. J’ai vu comment la « gestion managériale» s’est transformée en industrie à broyer des salariés. On finit par devenir des robots, sanctionnés pour avoir eu le malheur de dire « bonjour » au téléphone parce que ça nous faisait perdre en compétitivité… Si le travail nous rend inhumain, il faudra finir par s’interroger sur le bien-fondé de notre système actuel qui l’encense sans poser la moindre question sur sa nature ou ses conditions… » André Barnouin, membre du Mouvement National des Chômeurs et Précaires

« On ne peut pas vivre des minima sociaux aujourd’hui. On peut à peine survivre. Mais ça n’intéresse personne. Depuis le temps qu’on demande à être reçus par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités donc aussi des Précaires… Mais on n’est jamais entendus, jamais à la table des négociations. Il faut se rendre à l’évidence, quand vous êtes chômeurs, précaires, vous finissez par être complètement invisible. Pourtant nous contribuons aussi à l’économie nationale par la TVA. Aujourd’hui, ce n’est pas d’un RUA dont nous avons besoin, mais d’un véritable revenu universel, individuel et inconditionnel. »Isabelle Maurer, membre du MNCP, RSA 68 et MFRB

« Le revenu universel d’activité n’aura d’universel que le nom. Il ne répond pas aux trois critères définissant un revenu de base : il ne sera pas universel puisqu’il ne ciblera que les personnes en recherche d’emploi. Il ne sera pas inconditionnel puisqu’il s’agira d’accepter une des deux offres d’emploi proposées jugées « raisonnables » par l’administration. Et il ne sera pas non plus individuel puisqu’il n’est pas prévu de revoir dans ce projet le modèle du foyer fiscal ». Nicole Teke, membre du Mouvement Français pour un Revenu de Base

 

« Combien coûte la vie d’une femme ? »

« Combien coûte la vie d’une femme ? » : des associations ont réclamé des moyens lors d’un rassemblement lundi à Saint-Denis après la mort de Leïla, une jeune femme enceinte, dont le compagnon est mis en cause pour violences conjugales.
https://reunion.orange.fr/actu/metropole/rassemblement-apres-la-mort-d-une-jeune-femme-enceinte-a-saint-denis.html

Une jeune femme étranglée par son petit ami ce samedi. 75e féminicide de l’année, en France. « L’écoute de la parole de la victime, c’est le premier moment de reconnaissance. » Reportage sur les praticiens qui luttent contre les violences faites aux femmes par la force des mots. France Culture.

 

Les combattantes : sortir des violences faites aux femmes (2/4)

Après le silence

« L’écoute de la parole de la victime, c’est le premier moment de reconnaissance. »

« L’image qu’on a des victimes de violences sexuelles est tellement dégradée, que je n’arrivais pas à me dire que j’étais une victime. J’ai mis beaucoup de temps avant d’accepter de dire ça. (..) Ce qui est encore très difficile aujourd’hui, c’est d’accepter que ça aura été mon histoire. Je ne peux rien y changer. »

Pour aller plus loin :

CNCDH : Avis sur le projet de réforme de la Justice des mineurs

CNCDH : Avis sur le projet de réforme de la Justice des mineurs
(adopté à l’unanimité)

Inquiète du manque de débats parlementaires préalable, la CNCDH a décidé de s’autosaisir en vue de la publication en septembre prochain de l’ordonnance visant à réformer la justice pénale des mineurs. La CNCDH réitère avec force son profond attachement à une politique protectrice des enfants qui ont prévalu dans l’ordonnance de 1945 et qui restent d’actualité.

La CNCDH rappelle au gouvernement que la France, en ratifiant la Convention internationale relative aux droits de l’enfant il y a 30 ans, s’est engagée à placer l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur de toutes les décisions qui le concernent.

Dans son avis, la CNCDH souligne la nécessité d’une réforme globale de la justice des enfants qui intègre tant les dispositions civiles que pénales. Les moyens éducatifs et financiers doivent être à la hauteur des enjeux. La justice des mineurs ne peut pas être celle des majeurs.

La CNCDH rappelle que toute réforme doit privilégier l’éducatif plutôt que le répressif pour réduire les mesures coercitives notamment privatives de liberté. La justice des enfants doit s’assurer que leur intérêt supérieur soit garanti en permettant à l’enfant de bénéficier d’une justice et d’une juridiction spécialisées. La CNCDH souligne que la protection judiciaire de la jeunesse doit retrouver ses compétences en matière pénale, civile et d’investigation.

La CNCDH reconnait la nécessité d’établir un seuil de responsabilité pénale qui ne saurait être inférieur à l’âge de 13 ans. Par ailleurs, elle préconise de rendre obligatoire l’atténuation de la responsabilité de 16 à 18 ans.

La CNCDH suivra de près la réforme et poursuivra ses travaux sur la protection de l’enfance et la justice des mineurs.

https://www.cncdh.fr/…/avis-relatif-la-reforme-de-la-justic…

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« Alors que le gouvernement s’apprête à publier l’ordonnance visant à réformer la justice pénale des mineurs, la CNCDH se saisit de ce sujet afin de rappeler les principes essentiels qui doivent prévaloir pour toute réforme respectueuse des droits fondamentaux et de l’intérêt supérieur de l’enfant. Avant tout, la CNCDH s’étonne de cette procédure qui ne permet pas de véritables débats parlementaires, bien qu’il ait été annoncé que l’ordonnance n’entrerait en vigueur qu’un an après sa publication. Si l’on souhaitait une vraie discussion parlementaire, la procédure d’ordonnance n’était assurément pas la voie à privilégier.
En vue de la publication de l’ordonnance sur la justice pénale des mineurs, la CNCDH souligne la nécessité d’une réforme plus globale de la justice des enfants d’autant que le durcissement de l’arsenal pénal ne se justifie pas au regard de l’état actuel de la délinquance des enfants et des adolescents, globalement stable. La CNCDH insiste sur la nécessaire allocation de moyens éducatifs et financiers conséquents, sans lesquels il serait impossible de mettre en œuvre les textes législatifs et les mesures proposés.
Cette réforme devrait s’articuler autour de quatre grands principes. Dans un premier temps, il convient de mener une réflexion sur la prévention, notamment en aidant les familles les plus précaires. Il s’agit ensuite de donner priorité à l’éducatif par rapport au répressif. En effet, un mineur délinquant étant avant tout un enfant en danger, il faut alors prévoir une procédure garantissant une prise en charge adaptée, en évitant toute confusion entre peine et mesure éducative, et en limitant les mesures privatives de liberté. Troisièmement, pour protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, celui-ci doit bénéficier d’une justice spécialisée, avec un représentant légal et un avocat spécifiquement formé pour l’accompagner, si possible tout au long des procédures. La Protection judiciaire de la jeunesse doit retrouver ses compétences en matière pénale, civile et d’investigation pour lui permettre d’avoir une approche globale. En outre, si la CNCDH se félicite qu’un âge plancher de responsabilité soit fixé à 13 ans, elle rappelle qu’un mineur peut faire preuve de discernement sans pour autant avoir conscience de la gravité de ses actes. Enfin, dans le projet de code, la responsabilité doit obligatoirement être atténuée de 16 à 18 ans.
Pour finir, la CNCDH regrette le choix de la procédure d’ordonnance privant le Parlement d’un débat nécessaire. »
Plan et extraits :
• RÉSUMÉ
• INTRODUCTION
• I. La prévention, une réflexion préalable à toute réforme
« S’il convient de mettre en garde contre toute tentation de définir une population à risque délinquant, il est cependant possible de définir des facteurs qui doivent être pris en compte dans la prévention de la délinquance. L’environnement dans lequel vivent certains jeunes et leur famille accroît le risque de passage à l’acte délinquant. La lutte contre la précarité extrême dont sont victimes certaines populations est donc incontournable pour prévenir ce passage à l’acte. L’ensemble des politiques pertinentes, sociales, éducatives, du logement, de la ville, d’accès au droit, etc. doivent être mobilisées. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les mesures intrusives prises au titre de la protection de l’enfance doivent être précédées d’une « aide appropriée » à la résolution des difficultés concrètes rencontrées. »
• II. L’éducatif doit primer sur le répressif
« (…) Par ailleurs, s’agissant des mineurs non accompagnés, l’application de cette procédure laisse craindre que ces derniers ne bénéficient plus que d’une seule audience. En effet, le juge rendra une décision ordonnant une mesure éducative, et comme ces mineurs étrangers se présentent rarement aux convocations suivantes en raison de leur précarité domiciliaire, ils n’auront bénéficié que d’une audience, en l’absence de tout suivi. Cela conduira à les priver de suivi éducatif, alors que ce sont des enfants qui en ont particulièrement besoin. (…) »
• III. Une justice spécifique et des mesures appropriées
« La CNCDH rappelle que la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant implique une justice et une juridiction spécialisées par la double compétence civile et pénale du juge des enfants. Ce qui signifie, en amont et de façon continue, une formation adéquate de l’ensemble des magistrats pour mineurs. Dans la mesure où les audiences de cabinet vont augmenter, des moyens doivent être alloués afin que la présence de parquetiers spécialisés dans la justice des mineurs soit effective.
(…)
Par ailleurs, pour la CNCDH, chaque enfant, français ou étranger et quel que soit son âge, doit se voir désigner un représentant légal, si nécessaire un administrateur ad hoc, pour faire valoir ses droits. Un accompagnement tout au long des procédures, en matière d’assistance éducative ou pénale, serait plus efficace. (…) »
• IV. Une responsabilité atténuée et un âge plancher de la responsabilité pénale fixé à 13 ans
« La CNCDH a déploré à de nombreuses reprises que l’évolution de la justice des mineurs tende à rapprocher leur statut juridique de celui des majeurs. En ce sens, la CNCDH préconise d’instaurer l’atténuation obligatoire de responsabilité de 16 à 18 ans, afin de se conformer aux recommandations du Comité des droits de l’enfant. (…) »
Document disponible au format pdf ci-dessous :

Lutte contre la haine sur Internet : Avis de la CNCDH

#CNCDH
L’avis relatif à la proposition de loi visant la lutte contre la haine sur Internet est disponible sur le site de la #CNCDH https://bit.ly/2JseHKe 11 juil.

Voir ci-dessous la lettre collective signée par diverses associations dont la LDH

 La CNCDH s’inquiète pour le libertés fondamentales et  appelle à revoir entièrement la proposition de loi pour une lutte plus efficace

 

LETTRE OUVERTE COLLECTIVE APPELANT À GARANTIR NOS LIBERTÉS PUBLIQUES DANS LA PROPOSITION DE LOI VISANT À LUTTER CONTRE LA HAINE SUR INTERNET

Lettre ouverte de plusieurs organisations, dont la LDH

À l’attention de : Madame la Garde des sceaux, ministre de la Justice Nicole Belloubet, Monsieur le secrétaire d’Etat chargé du Numérique Cédric O, Madame la députée Laetitia Avia, Madame la députée Fabienne Colboc, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Monsieur le Défenseur des droits Jacques Toubon, Monsieur le président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme Jean-Marie Delarue

Objet : Lettre ouverte collective appelant à garantir nos libertés publiques dans la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur Internet

Madame la Garde des sceaux, Monsieur le secrétaire d’Etat, Mesdames les rapporteures, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Monsieur le Défenseur des droits, Monsieur le président,

La propagation des contenus haineux a des conséquences particulièrement nocives pour notre démocratie et pour les citoyens. Il est plus que jamais nécessaire de lutter contre ce phénomène. La proposition de loi visant à lutter contre la haine sur Internet actuellement en examen à l’Assemblée nationale entend ainsi traiter un pan de la problématique en renforçant la responsabilité des opérateurs de plateformes dans la modération des contenus en ligne. Cette exigence est légitime et nécessaire. Toutefois, ce texte soulève des inquiétudes quant à ses conséquences sur nos droits et libertés, et notamment les libertés d’expression et d’information ou d’accès à la justice. Depuis l’enregistrement officiel du texte de loi le 20 mars 2019 et ses évolutions, plusieurs de nos organisations ont alerté sur ces risques. Alors que le texte sera très prochainement débattu en séance au Parlement, nous, associations de la défense des droits et de la liberté d’information, instances représentatives de la société civile du numérique et professionnels du droit, initions cette démarche collective pour appeler à une révision profonde de ce texte, et en particulier son article Ier.

L’urgence est d’autant plus grande que d’autres textes en matière de régulation du numérique ou de lutte contre les contenus illicites sont en débat ou lui succéderont dans les prochains mois aux niveaux français et européen. Nous devons impérativement penser la cohérence de ces textes afin d’assurer une régulation efficace des plateformes. Celle-ci ne peut reposer que sur une approche systémique, c’est-à-dire veiller aux systèmes eux-mêmes, plutôt qu’aux contenus. Comme le recommande la MISSION « RÉGULATION DES RÉSEAUX SOCIAUX » dans son rapport paru en mai dernier, il convient de mettre en œuvre une régulation visant à renforcer les obligations de transparence et de diligence de ces acteurs. À ce jour, deux points figurant dans la version actuelle de la loi bousculent l’équilibre fragile entre la dignité humaine et la liberté d’expression, au détriment de cette dernière.

  1. Le manque de définition des contenus visés par la loi

La définition des contenus de haine en ligne est complexe, elle fait encore l’objet de discussions juridiques et académiques. Eu égard au périmètre et à la nature de l’intervention qu’il induit, l’objet de ce texte doit être précisé et doit reposer sur des définitions claires, en particulier en ce qui concerne le caractère « manifestement » illicite d’une « incitation à la haine » ou d’une « injure discriminatoire » à raison de « la race, de la religion, du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap ». Lors du dernier examen de la commission des lois au sein de l’Assemblée nationale, ce périmètre a été étendu au-delà des seules infractions de haine manifeste qui étaient auparavant visées par le texte. Désormais le texte vise toute une série d’infractions qui doivent aussi être retirées sous 24h. Cela est particulièrement inquiétant par exemple puisqu’il peut être utilisé pour faire retirer des contenus « à caractère violent », ce qui est encore plus complexe à caractériser que le discours de haine, et ce sans la décision d’un juge.

  1. La préservation de nos libertés fondamentales par le renforcement de la place du juge judiciaire

Si la position et le comportement des grands acteurs du numérique posent la question de la préservation de notre souveraineté, il est contradictoire de fragiliser cette dernière en donnant aux plateformes des prérogatives propres au domaine du droit et de la justice. Seule la décision de justice, issue du pouvoir de l’Etat institué démocratiquement, est acceptable quand il s’agit de censurer un propos, acte « particulièrement radical » comme le qualifie le Conseil d’Etat dans son avis. La protection de nos droits fondamentaux repose sur l’équilibre des pouvoirs démocratiques.

En matière de régulation des contenus en ligne, comme ailleurs, le rôle de la justice doit être préservé. Le juge doit être au cœur tant de la procédure de qualification des contenus que de la décision de leur retrait ou blocage. L’appréciation du caractère illicite des contenus haineux ne peut être confiée aux seuls opérateurs de plateformes, au risque d’induire une privatisation des fonctions judiciaires et de mettre à mal les garde-fous démocratiques pour nos citoyens. Nous mettons en garde contre le contournement des pouvoirs des autorités judiciaires au profit des autorités administratives indépendantes. Nous préconisons de conforter la place du juge judiciaire, gardien des libertés fondamentales, à tous les niveaux de la lutte contre les contenus illicites et de renforcer les moyens d’action de la justice. Les opérateurs de plateformes doivent avoir la possibilité d’interroger le juge en cas de doute sur le caractère « manifestement illicite » d’un contenu.

Citoyens, associations, professionnels du droit, nous estimons qu’il est essentiel de protéger notre espace public en ligne et la qualité de notre débat démocratique face à des contenus et des stratégies d’acteurs qui participent volontairement ou non à les affaiblir. Mais cet enjeu ne doit pas se faire au détriment de nos droits et libertés. C’est au nom de la défense de ces priorités que nous appelons, collectivement, à redéfinir l’équilibre entre le rôle dévolu au juge et la responsabilité des acteurs privés qui n’est pas atteint par le texte en l’état. Espérant que ces recommandations seront entendues, nous vous prions d’agréer, Mesdames et Messieurs, l’expression de notre haute considération.

Paris, le 2 juillet

Signataires : Nicolas Chagny, président de l’Internet society France ; Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux ; Henri Isaac, président de Renaissance numérique ; Jacques-François Marchandise, délégué général de la Fing ; Julie Owono, directrice exécutive de l’Internet sans frontières ; Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme ; Salwa Toko, présidente du Conseil national du numérique

Mandela day !

« Je suis né libre – libre de toutes les façons que je pouvais connaître » écrit Nelson Mandela dans ses mémoires. « Libre de courir dans les champs près de la hutte de ma mère, libre de nager dans le ruisseau clair qui traversait mon village, libre de faire griller du maïs sous les étoiles et de monter sur le dos large des boeufs au pas lent (…) Ce n’est que lorsque j’ai appris que la liberté de mon enfance n’était qu’une illusion, qu’on m’avait déjà pris ma liberté, que j’ai commencé à avoir faim d’elle. »

Nelson Mandela, né le 18 juillet 1918

N’oublions pas au travers du Mandela day, la tragédie que fut l’apartheid. Le combat pour la liberté et l’égalité de millions de femmes et d’hommes symbolisé par Nelson Madiba Mandela. Il su porter une nation Arc-en-Ciel et en paix. Pensées pour Johnny Clegg et Steve Biko.

LIBERTE D’EXPRESSION [Partout dans le monde]

[Partout dans le monde]
Liberté d’expression, recherche scientifique, éducation… autant d’enjeux pour la construction d’une société libre et démocratique. Soutien à#FaribaAdelkhah ! Sciences Poo École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Pourquoi l’Iran a arrêté la chercheuse franco iranienne Fariba Adelkhah

https://www.nouvelobs.com/edito/20190717.OBS16024/pourquoi-l-iran-a-arrete-la-chercheuse-franco-iranienne-fariba-adelkhah.html?fbclid=IwAR0ztpeR7Ae6HS8UqBcTibHlHvNvhB2RfQleJywRYmjG-IRDZkNabM-jfH4

AIDE AU DEVELOPPEMENT – TRIBUNE

[Tribune]

Concernant l’aide au développement, 65 dirigeants d’ONG, dont la #LDH appellent à une augmentation et une réaffectation de la taxe sur les transactions financières.
➤ frama.link/TribuneleJDD
Tribune de plusieurs dirigeants d’ONG, signée par Malik Salemkour, président de la LDH
Politique de développement : le Gouvernement doit presser le pas pour plus de justice sociale « ici » et « là-bas »
Alors que la France s’apprête à mettre à jour sa politique relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, l’ambition politique clamée en début de mandat s’est essoufflée.
Lors de la déclaration de politique générale, le Premier ministre a annoncé le renvoi à 2020 de l’examen de la nouvelle loi d’orientation et de programmation dédiée à ces questions, initialement prévue pour 2019. Avec cet ajournement, puis un nouveau report du Conseil du développement, l’ambition présidentielle de renforcer le dispositif et les moyens de la coopération au développement et à la solidarité internationale tarde à se concrétiser.
Ce texte doit pourtant fixer les orientations de la politique de développement dont l’enjeu est d’assurer la protection des biens publics mondiaux que sont, entre-autres, le climat, l’eau, la santé et l’éducation. Elle doit aussi préciser les modalités de mise en cohérence des autres politiques avec les objectifs du développement ; enfin donner la programmation budgétaire qui doit détailler la façon dont le gouvernement mettra en œuvre l’engagement présidentiel à atteindre 0,55 % du revenu national brut pour l’aide publique au développement.
Il est regrettable que les atermoiements, le manque d’ambition et le délai dans l’adoption de la loi soient justifiés comme des conséquences des dépenses engagées dans le contexte social français actuel et la mobilisation des Gilets jaunes.
Il faut accélérer le processus et dès cette année, allouer des moyens à la hauteur des enjeux et le faire avec une prévisibilité nécessaire à une réponse efficace. Pour ce faire, un outil remarquable permet à la fois de financer notre politique de solidarité internationale et de répondre à l’aspiration pressante pour plus de justice fiscale : la taxe sur les transactions financières.
Cette dernière a été créée à la suite de la crise de 2008 pour que le secteur bancaire, ayant largement bénéficié de la mondialisation et de l’envol des flux financiers internationaux, mais également du soutien de la puissance publique pendant la crise, participe à la lutte contre l’extrême pauvreté et les changements climatiques.Ce que nos concitoyennes et concitoyens veulent aujourd’hui, c’est la justice et l’équité, pour tous et toutes afin que les personnes les plus pauvres, et les plus vulnérables, où qu’elles soient, puissent vivre dignement.
S’exprime ainsi le souhait d’une plus juste redistribution des richesses, en France et à l’échelle mondiale. Le gouvernement doit entendre cette soif de justice fiscale et de nécessaire solidarité et la traduire par des mesures concrètes sans plus attendre.
En effet, les solidarités ne s’opposent pas. Bien au contraire, elles convergent. La défense et la promotion des biens publics mondiaux bénéficient, par définition, à l’ensemble de la population du globe. Nos concitoyennes et concitoyens ont bien conscience que sur de nombreux sujets, nos destins sont liés avec les pays les plus pauvres. Tous et toutes comprennent l’intérêt de se battre pour la défense des droits humains et la nécessité de lutter, aux côtés de nos partenaires, contre les changements climatiques, et de construire des systèmes éducatifs, alimentaires, sanitaires et fiscaux efficients, durables et équitables. Ils attendent que nos pays luttent sérieusement contre les inégalités, y compris celles entre les femmes et les hommes, où qu’elles se manifestent.
Renforcer cette taxe en augmentant son taux et son affectation à la solidarité internationale, dès cette année, permettrait de faire un pas vers l’atteinte des engagements internationaux en matière d’aide publique au développement en répondant aux aspirations de nos concitoyennes et concitoyens : construire une société plus juste et un monde plus équitable.
Lire la tribune sur le JDD
Liste des signataires : Philippe JAHSHAN, Président (Coordination SUD) ; Cécile DUFLOT, Directrice Générale (Oxfam France) ; Bertrand LEBEL, Directeur Exécutif (Acting For Life) ; Thomas RIBEMONT, Président d’honneur (Action Contre la Faim) ; Catherine Sophie DIMITROULIAS, Présidente (AFEM) ; Frédéric APOLLIN, Directeur (Agronomes et Vétérinaires sans Frontières – AVSF) ; Gwenaëlle BOUILLE, Présidente (Aide et Action) ; Aurélien BEAUCAMP, Président (AIDES) ; Alexandra POTEAU, coordinatrice générale (Amis des Enfants du Monde) ; Thomas DE LA BOUVRIE, Trésorier (Antenna France) ; Alain CHEVALIER, President (APIFLORDEV) ; Alain BARRAU, Président (Asmae-Association Sœur Emmanuelle) ; Halimatou CAMARA, Présidente (Association des Jeunes Guinéens de France – AJGF) ; Benoît LAMBERT, Président (Association la Voûte Nubienne) ; Gilles COLLARD, Directeur Général (Bioforce) ; Philippe LEVEQUE, Directeur Général (CARE France) ; Sylvie BUKHARI-DE PONTUAL, Présidente (CCFD-Terre Solidaire) ; Bruno GALLAND, Conseiller technique régional (CIDR) ; Daneil VERGER, Président (CLONG-Volontariat) ; Sandra METAYER, Coordinatrice (Coalition Eau) ; Anne-Françoise TAISNE, Déléguée Générale (Comité français pour la solidarité internationale – CFSI) ; Julie STOLL, Déléguée Générale (Commerce équitable France) ; Thierry MAURICET et Xavier BOUTIN, Présidents (Coordination Humanitaire Développement – CHD) ; Emmanuel POILANE, Président (CRID) ; Emilie VALLAT, Directrice (ECPAT France) ; Hervé GOUYET, Président (Electriciens sans frontières) ; Armelle RENAUDIN, Cofondatrice (Entrepreneurs du Monde) ; Aurélie GAL-REGNIEZ, Directrice Exécutive (Equipop) ; Ruvie GAMBIA, Président (Etudiants et Développement) ; Gérald GODREUIL, Délégué Général (Fédération Artisans du Monde) ; Manuel PATROUILLARD, Directeur Général (Fédération Handicap International) ; Mackendie TOUPUISSANT, Président (FORIM) ; Matthieu GAUTIER, Directeur Général (Futur Au Présent) ; Laurence TOMMASINO, Déléguée Générale (GERES) ; Jean-Michel ROYER, Président (Gevalor) ; Bruno RIVALAN, Directeur Exécutif adjoint (Global Health Advocates / Action Santé Mondiale) ; Olivier BRUYERON, Directeur (Gret) ; Pierre JACQUEMOT, Président (Groupe Initiatives) ; Claude ROSENTHAL, Président (Gynecologie Sans Frontières) ; Cathy BLANC-GONNET, Directrice (HUMATEM) Alexis BEGUIN, Directeur Général (IECD) ; Marie Francoise PLUZANSKI, Présidente (Initiative Développement) ; François DOLIGEZ, Président (Inter-réseaux Développement rural) ; Johan GLAISNER, Directeur de programme (Ircom) ; Jean-Paul DAVID, Président (Kinésithérapeutes du Monde) ; Anouchka FINKER, Directrice Générale (La Chaîne de l’Espoir) ; Olivier ALLARD, Délégué (Général La Guilde) ; Malik SALEMKOUR, Président (Ligue des droits de l’Homme) ; Blaise DESBORDES, Directeur Général (Max Havelaar France) ; Dr Philippe DE BOTTON, Président (Médecins du monde) ; Xavier DEMANCHE, Directeur Général par Intérim (Partage) ; Dominique BISSUEL, Président (PARTAGE avec les enfants du monde) ; Yvan SAVY, Directeur (Plan International France) ; Stéphanie SELLE, Co-Directice (Planète Enfants & Développement) ; Thierry MAURICET, Directeur Général (Première Urgence Internationale) ; Jean-Louis MAROLLEAU, Secrétaire Exécutif (RESEAU FOI & JUSTICE AFRIQUE EUROPE) ; Rachid LAHLOU, Président-Fondateur (Secours Islamique France) ; Florence THUNE, Directrice Générale (Sidaction) ; Clotilde BATO, Déléguée Générale (SOL, Alternatives Agroécologiques et Solidaires) ; Alain CANONNE, Délégué Général (Solidarité Laïque) ; Antoine PEIGNEY, Président (Solidarités International) ; Isabelle MORET, Directrice Générale (SOS VILLAGE D’ENFANTS) ; Lysiane ANDRE, Présidente (Terre des Hommes France) ; Camille ROMAIN DES BOSCS, Directrice Générale (Vision du Monde) ; Véronique MOREIRA, Présidente (Women Engage for a Common Future (wecf) France).

Non, les jeunes ne sont pas de plus en plus violents ! Dix idées reçues sur la délinquance des mineurs 25 JUILLET 2019

Mineurs, fausses idées et droits des enfants.

Les « jeunes délinquants » seraient plus violents, moins punis que leurs aînés. La justice serait à leur égard indulgente, lente, inefficace. Autant de préjugés non confirmés par les faits. Alors que la ministre Nicole Belloubet envisage de réformer par ordonnance la justice des enfants – donc sans débat parlementaire – voici dix idées reçues démontées par des professionnels du secteur.

Ce texte est issu du guide « Idées fausses sur la justice des mineurs : déminons le terrain ! 10 réponses pour en finir avec les préjugés ». Le texte complet est disponible à cette adresse.

Idée reçue n°1 : L’ordonnance du 2 février de 1945 [qui définit la justice des mineurs] n’est plus adaptée aux jeunes d’aujourd’hui

Le texte de 1945 […] a été profondément réécrit au gré des alternances politiques. 90% de ses 80 articles ont été modifiés et, pour certains, plusieurs fois.

Certes il n’y a jamais eu de refonte globale et le texte est complexe car composé d’un mille feuille de dispositions votées par à coups. Pour autant sa philosophie reste aujourd’hui d’actualité. Elle repose sur quelques idées simples : un mineur délinquant est un enfant en danger, plus que l’acte ce qui importe c’est le contexte du passage à l’acte, un mineur est un être en évolution, les réponses éducatives doivent précéder toute réponse coercitive, la procédure et les peines doivent protéger la vie privée du mineur et permettre sa réinsertion. Certes les infractions ont changé, les mineurs – et les majeurs – ne sont plus les mêmes. Pour autant, ces grands principes d’hier restent contemporains. Sauf à considérer qu’un enfant délinquant n’est plus un enfant [1].

Idée reçue n°2 : Les jeunes entrent dans la délinquance de plus en plus tôt

Les délinquants sont « de plus en plus jeunes et de plus en plus violents » : On lit et on entend cela depuis (au moins) la fin du 19ème siècle. On pourrait donc s’attendre à ce que, bientôt, les nourrissons braquent les banques ! Si certaines données font apparaître un rajeunissement des délinquants ces vingt dernières années, c’est parce que les prises en charge des mineurs délinquants se font de plus en plus tôt, et non parce qu’il y a désormais des braqueurs de banque dès la maternelle ! Exemple : le harcèlement mobilise aujourd’hui les pouvoirs publics dès l’école primaire, cela ne signifie pas que les comportements concernés soient nouveaux ni plus nombreux.

Quant à l’évolution des modes d’éducation parentale et des relations entre adultes (plus d’anonymat, moins de solidarité) qui conduit parfois à un relâchement des cadres éducatifs et un affaiblissement de l’autorité des adultes, elle n’est pas centrale en matière de délinquance. Les jeunes qui basculent durablement dans la délinquance sont déterminés par d’autres facteurs : carences affectives précoces, violences intrafamiliales, échec scolaire, facteurs collectifs d’entraînement dans le quartier, absence de perspective d’insertion…

Aujourd’hui comme hier, ces « carrières délinquantes » (au sens d’un engagement durable et assumé dans la délinquance) se fixent en moyenne vers l’âge de 15 ans. Le débat public se désintéresse d’une autre question autant sinon plus importante : quand est-ce que la délinquance s’arrête ? Le chômage de masse qui frappe les jeunes peu ou pas diplômés constitue un obstacle majeur à la réinsertion. Il est ainsi probable que l’on assiste non pas à un rajeunissement mais plutôt à un vieillissement de la délinquance.

Idée reçue n°3 : La justice des mineurs est lente

Pour juger un jeune en devenir il est essentiel de comprendre sa situation familiale et sa personnalité par une évaluation approfondie, et de lui permettre d’évoluer dans le cadre de mesures d’accompagnement : suivi éducatif , dispositifs permettant d’engager une formation professionnelle, de travailler sur des addictions (cannabis, alcool, jeux vidéos…), parfois placement. Un temps de maturation est nécessaire pour que le mineur prenne conscience des conséquences de son acte pour les victimes, pour son entourage et puisse s’interroger sur les raisons de cet acte, mal être, difficultés à gérer ses émotions, influence du groupe…

Une sanction n’a évidemment de sens pour le jeune et pour la société que si cette prise de conscience est intervenue, permettant une insertion sociale de l’intéressé et une lutte efficace contre la récidive. Tout cela prend du temps, d’autant que le manque de moyens de certains services éducatifs et tribunaux peut aboutir à ce que le tribunal pour enfants ait des difficultés à juger toutes ses affaires dans le délai souhaité. Mais si le jugement de l’affaire a lieu lui plusieurs mois après la commission des faits, une réponse rapide est toujours donnée au mineur : rappels à la loi pour les petites affaires, convocations remises par les services de police, présentation du mineur au juge à la sortie de la garde à vue.

La première rencontre avec un éducateur et un juge des enfants intervient au plus tard dans les semaines suivant l’interpellation et permet de reprendre avec le mineur les conséquences de son acte et d’instaurer une évaluation, une réparation ou un suivi éducatif. Le mineur est informé ce jour là que le jugement dépendra de son évolution dans les mois suivants. En cas de suivi éducatif, le mineur et sa famille doivent rencontrer le service dans les cinq jours. La réponse donnée par la justice des mineurs est donc rapide malgré la pauvreté des moyens attribués.

Idée reçue n°4 : La justice des mineurs est laxiste et inefficace

Le taux de réponse pénale est plus élevé pour les mineurs que pour les majeurs. La société ne tolère plus les incivilités et le parquet ne classe quasiment plus d’affaires sans suite pour les mineurs. Les mesures éducatives sont exigeantes et parfois s’enchaînent : réparation pénale, suivi éducatif, activité de jour, placement en foyer, ou en centre éducatif renforcé. De véritables peines sont régulièrement prononcées par les tribunaux pour enfants. Les enfants peuvent aller en prison à partir de 13 ans, et 4703 peines d’emprisonnement ferme ont été prononcées à leur encontre en 2015.

A ce jour plus de 700 mineurs sont incarcérés, et parfois pour de longues années. Récemment, une cour d’assises a rejeté l’excuse de minorité pour condamner à la réclusion criminelle à perpétuité… sous les applaudissements du public. Cependant si la justice pénale des mineurs est efficace, ce n’est pas parce qu’elle est de plus en plus sévère, c’est grâce à la spécialisation des intervenants, à la prévention, à la prise de risque et à la diversité des réponses.

Idée reçue n°5 : Les filles sont plus violentes et de plus en plus nombreuses à commettre des délits

Les médias, ces dernières années, semblent être unanimes à montrer l’évolution explosive et dramatique de la violence et de la délinquance juvéniles féminines. On assisterait là, au mieux, à un effet logique de la fin de la différence des sexes, au pire, à une crise morale si profonde que même les filles deviendraient des sauvageonnes. En regardant les statistiques sur un temps long on observe en fait que les femmes et les filles sont ultra-minoritaires dans les statistiques de la délinquance. Pour les mineures cela oscillent entre 10 % et 15 % des poursuites, et moins de 2% pour l’incarcération et ce de manière fort stable. Ces chiffres attestent davantage des inflexions des politiques pénales que de l’évolution des illégalismes réellement commis.

L’annonce des chiffres de la délinquance féminine juvénile depuis 2010 témoigne surtout d’un emballement médiatique qui confine à la « panique morale ». En réalité, la violence des filles fait régulièrement événement dans l’histoire ce qui prouve qu’elle a toujours existé – elle est alors perçue comme une nouvelle menace. L’émotion que suscite son surgissement est à la hauteur de son invisibilité sociale, laquelle est avant tout la conséquence d’une domination politique. Reconnaître aux filles la possibilité de se comporter avec violence, ce serait aussi leur reconnaître un statut dans la cité.

Idée reçue n° 6 : Les enfants roms sont tous des voleurs

En Île-de-France, selon la police, sur l’ensemble des voleurs mineurs, ceux qui vivent en bidonville seraient 400. Rapporté au nombre d’enfants vivant dans la région en bidonville, qui ne sont pas tous des Roms, ce chiffre représente 5 à 10 %. La très grande majorité des enfants Roms, donc, ne sont pas des voleurs. Quand on étudie de plus près le phénomène des mineurs voleurs en Île de France, on s’aperçoit qu’ils viennent de quelques quartiers ou villages particuliers. Il y a ainsi 34 groupes en région parisienne, connus des services de police, qui pratiquent l’exploitation de jeunes enfants, les contraignant à la mendicité, au vol. On est là face à un phénomène de traite, comme il en existe dans d’autres populations, et qui devrait être combattu comme tel.

Mais la tendance est de plus en plus à considérer qu’on ne saurait être à la fois délinquant et en danger. Aucun mineur victime de vol forcé n’a jusqu’à présent été reconnu comme victime ! Et lorsque l’une de ces petites victimes est découverte, la « réponse » pénale apportée est généralement l’incarcération… non de l’adulte coupable d’avoir poussé, obligé au vol, mais de l’enfant ! Les enfants Roms victimes d’exploitation restent pour la plupart d’entre eux sans protection, ce qui permet d’entretenir le mythe, régulièrement réactivé, du Rom par nature voleur.

Idée reçue n°7 : Les jeunes délinquants sont tous originaires des quartiers populaires

Il existe plusieurs formes de délinquance juvénile :

- La délinquance « initiatique », qui implique des préadolescents et des adolescents originaires de tous les milieux sociaux, qui n’ont pas nécessairement de problèmes familiaux ni scolaires, mais qui, souvent sous la pression du groupe, commettent des transgressions. Bagarres, vols, dégradations… Les faits sont rarement graves mais cela concerne une bonne partie d’une classe d’âge.

- La délinquance « pathologique », qui concerne au contraire une petite minorité de jeunes qui ont des problèmes d’équilibre psychologique et de contrôle des émotions. Les causes sont d’ordre familial, elles s’enracinent dans diverses formes de carences et/ou de traumatismes vécus durant l’enfance (carences affectives précoces, violences psychologiques, physiques et/ou sexuelles…). Les psychologues en parlent mieux que les sociologues. Ces pathologies peuvent se rencontrer également dans tous les milieux sociaux mais elles sont plus fréquentes dans les familles pauvres car, comme l’ont montré de nombreuses études, la précarité désinsère les individus des normes et des rythmes de la vie sociale, elle les enferme dans leurs problèmes personnels et elle exacerbe les conflits conjugaux et familiaux.

- La délinquance « d’exclusion », qui concerne les grands adolescents et les jeunes adultes qui font véritablement carrière dans la délinquance, quelque part entre 15 et 30 ans, et qui constituent la « clientèle » ordinaire des services de police et de justice. Les jeunes de ce type sont clairement surreprésentés dans les quartiers populaires des villes et dans les familles pauvres des villages. La raison principale est qu’ils cumulent deux exclusions sociales. La première est l’exclusion scolaire (ce sont des jeunes précocement en échec), la seconde l’exclusion économique (ce sont des jeunes qui n’ont pas de véritables perspectives d’insertion professionnelle donc d’intégration sociale).

Idée reçue n°8 : Les mineurs étrangers isolés trichent sur leur situation

Le climat de suspicion qui sévit depuis plusieurs années en France tend à faire de tous les étrangers des fraudeurs dont le seul souci serait de profiter des avantages que leur procurerait leur statut. Les mineurs n’échappent pas à ces stéréotypes honteux, et pourtant… Le recours aux tests osseux est aujourd’hui la méthode la plus utilisée pour déterminer l’âge des mineurs qui sollicitent la prise en charge par l’État au titre de l’enfance en danger. Ils consistent essentiellement en une radiographie du poignet et de la main gauche de l’intéressé et une comparaison de ce document à un atlas de référence élaboré dans les années 1930 à partir de radiographies d’enfants et d’adolescents américains blancs issus de classes moyennes.

La liste est longue des institutions qui ont dénoncé le manque de fiabilité de ces tests osseux, dont il est avéré qu’ils intègrent une marge d’erreur d’au moins 18 mois [2]. D’ailleurs, les conclusions des rapports médicaux s’expriment toujours sous la forme d’une fourchette approximative « entre 17 et 22 ans ». Sage précaution mais lourde de conséquences, puisque selon que le juge retient la fourchette basse ou la fourchette haute, la minorité du jeune est reconnue ou non et sa prise en charge acceptée ou rejetée.

L’autre élément qui peut amener à considérer que le jeune « ment » repose sur l’examen des actes d’état civil qu’il présente. Souvent, les papiers détenus par le jeune sont considérés, à priori, comme faux, alors même qu’ils sont rédigés selon la forme en usage dans le pays concerné. Par ailleurs et dans tous les cas, la charge de la preuve en cas de contestation relative à un acte d’état civil étranger repose sur l’administration, c’est à dire sur la partie qui conteste la validité de l’acte. Dans les faits, le jeune mineur se trouve pourtant sommé de démentir les accusations de « falsification » dont il fait l’objet, alors même que de par sa situation même, il est souvent bien démuni pour entreprendre de telles démarches.

Idée reçue n°9 : La menace de peines lourdes peut enrayer la délinquance juvénile

L’idée commune selon laquelle un durcissement des peines permettrait de réduire la délinquance s’appuie entre autres sur une théorie criminologique dite « de la dissuasion ». Celle-ci postule que l’on peut empêcher quelqu’un de commettre un délit ou un crime par la crainte de ses conséquences. Cette représentation du délinquant est pourtant très éloignée des formes les plus concrètes de l’engagement (et du désengagement) des adolescents dans des carrières délinquantes.

Comme le concluait il y a maintenant plus de soixante ans la première vaste enquête sur le devenir des jeunes autrefois dits « anormaux », menée entre 1947 et 1950 par des psychiatres de l’enfance, les principaux facteurs de non engagement ou de désengagement de la délinquance sont à rechercher du côté des « événements de la vie » : mariage, possibilité d’étude, travail, etc. Ces résultats, inédits à l’époque mais aujourd’hui corroborés par de nombreux travaux sociologiques consacrés aux déviances et à la délinquance juvénile, ont justifié la mise en place d’un modèle de justice qui devait être prioritairement fondé, non sur la punition ou la menace de la punition, mais sur le suivi des jeunes aussi proche que possible de leur milieu habituel de vie, de manière à les accompagner dans leur passage vers la vie adulte.

Les travaux menés en sociologie de la prison permettent d’enfoncer le clou : loin de dissuader, l’incarcération tend, au contraire, à consolider l’identité délinquante de jeunes en quête de repères, tout en faisant obstacle, par la stigmatisation qu’elle produit, aux opportunités de réinsertion. Ainsi doit-on comprendre l’une des principales ambitions de l’ordonnance du 2 février 1945, consistant à inscrire dans le droit la nécessité d’une réflexion sur les origines socio-économiques et psychosociales de la délinquance juvénile.

Idée reçue n°10 : Un passage par la prison apportera aux jeunes un cadre et les remettra dans le droit chemin

Si le nombre de mineurs incarcérés reste globalement stable, la privation de liberté a pris de l’ampleur ces dernières années avec le basculement de certaines prises en charge du milieu ouvert sur des structures plus ou moins fermées. Le nombre de placements annuels en centres éducatifs fermés montre la place croissante accordée à l’enfermement dans la justice des mineurs, qui n’échappe pas au vent répressif qui souffle sur la justice pénale en général. Il semble ainsi admis que, pour certains, une incarcération permettra de mettre un coup d’arrêt à une carrière délinquante.

Mais le pédopsychiatre Boris Cyrulnik met en garde : si une coupure peut être utile, la prison est « la pire des réponses : elle provoque l’isolement sensoriel, l’arrêt de l’empathie, l’augmentation de l’angoisse, entretient les relations toxiques, l’humiliation ». Pour la juge des enfants Laurence Bellon, « concentrer en un même lieu une population uniquement constituée d’adolescents délinquants pose de très grandes difficultés ».

Des difficultés de prise en charge d’abord : proposer un travail éducatif individualisé dans un environnement où le collectif est omniprésent et entravé par des contraintes pénitentiaires s’avère compliqué. Ainsi, les mineurs détenus au Quartier mineurs de Fleury Mérogis n’ont en moyenne que deux à trois heures de cours par semaine et « une majorité reste en cellule une vingtaine d’heures par jour », précise une éducatrice de l’établissement.

Si les moyens investis dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) créés par la loi de 2002 sont beaucoup plus conséquents, avec une prise en charge pluridisciplinaire, l’accompagnement se heurte tout de même à une logique pénitentiaire et à des contraintes organisationnelles importantes. Surtout, avec des durées de détention majoritairement inférieures à trois mois, l’impact sur la trajectoire des jeunes ne peut être que limité. « Le risque est de voir les enfants prendre les habitudes du milieu carcéral », pointe une éducatrice.

Un milieu carcéral est avant tout caractérisé par la violence, où les tensions et rapports de forces sont exacerbés. Un ancien détenu témoigne ainsi d’une ambiance tendue « toujours dans la provocation. Qui va s’imposer, être le plus gros caïd, qui a commis le pire ? » Au final, l’incarcération va le plus souvent avoir tendance à accélérer l’ancrage dans la délinquance : elle fragilise les liens familiaux, socialise dans un milieu criminogène, y confère un statut, etc. Selon une étude sur les sortants de prison, le taux de re-condamnation dans les cinq ans des mineurs est de l’ordre de 70%, plus élevé encore que chez les majeurs (63%).

Auteur.es : Christophe Daadouch (juriste), Laurent Mucchielli (sociologue), Odile Barral (présidente du tribunal pour enfants de Toulouse), Eric Bocciarelli (magistrat à Nancy), Véronique Blanchard (éducatrice à la PJJ), Violaine Carrere (Gisti), Guy Hardy (assistant social), Françoise Dumont (présidente de la ligue des droits de l’homme), Nicolas Sallée (sociologue), Cécile Marcel (directrice de l’observatoire international des prisons).

- Les « Idées fausses sur la justice des mineurs » sont une initiative soutenue par les syndicats FSU et UGFF-CGT, la Ligue des droits de l’Homme, l’Observatoire international des prisons, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature. Le texte original est disponible à cette adresse.

- Illustration : Cc Jared Rodriguez / t r u t h o u t

Notes

[1De plus, cette ordonnance est un texte procédural, qui ne définit pas la délinquance ni les mineurs. Cette définition relève du code pénal, qui n’a cessé d’être modifié pour répondre aux évolutions de la délinquance en général et de celle des mineurs en particulier.

[2Parmi les institutions dénonciatrices de cette méthode, citons le Haut Conseil à la santé publique qui, en 2014, demandait carrément de la proscrire, mais aussi le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’Homme… Une décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2019 sur les tests osseux rappelle toutes les conditions préalables avant qu’un juge puisse ordonner un test osseux, ainsi que les réserves qu’il convient d’appliquer (application de la marge d’erreur, ne pas tirer de conséquence d’un refus, etc).