La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente. Voilà ce qu’on peut lire à l’article 21 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUDH) de 1948.
Le dernier volet de la phrase peut étonner: que pourrait-il y avoir d’autre qu’un processus démocratique pour garantir l’expression de la volonté du peuple dans l’organisation des affaires publiques?
De fait, cette étrange alternative énoncée dans la DUDH peut être lue comme l’indice que la démocratie n’y est pas définie comme un droit fondamental, mais comme un moyen d’assurer la réalisation de ces droits.
Cela signifie que la démocratie n’est pas tant un but en soi qu’un outil des «droits de l’Homme» – et que comme pour tout instrument ses effets sont conditionnés par le bon usage qu’on en fait.
Un marteau peut servir à enfoncer un clou… ou un crâne. Et comme il y a des «détournements» de marteaux qui finissent en meurtres, il peut y avoir des détournements de la démocratie qui anéantissent des droits fondamentaux.
On ne peut donc pas tout faire faire à cet outil. Pas plus qu’on ne peut violer par amour, on ne peut abolir «démocratiquement» ni les droits fondamentaux, ni la démocratie elle-même. Que la démocratie se retourne contre elle-même relève bien de la catégorie de la violence contre autrui, car elle ne saborde pas seulement celui qui vote pour son abolition, mais aussi l’autre qui ne vote pas pareil, et tous les autres qui pourraient voter un jour dans le futur, même le plus lointain.
Quand des «séducteurs» politiques se servent de la démocratie à d’autres fins que celles de la réalisation des principes exprimés dans la DUDH, c’est exactement comme lorsque le loup s’habille d’une peau de mouton. Ce n’est jamais le mouton qui tue, mais le loup, et si la dépouille du mouton n’est plus qu’une enveloppe de laine quand elle recouvre le loup, en politique la démocratie ainsi abusée n’est plus rien d’autre que sa propre dépouille déguisant le loup-politicien.
Contre de tels abuseurs il n’y a qu’un seul remède, c’est celui d’une pratique éclairée – il n’y a que si nous évitons de laisser faire de cet outil précieux un travestissement politique que nous tous, détenteurs des droits proclamés dans la DUDH garderons la main.
Tout comme l’horloge, instrument qui mesure le temps, doit être entretenue pour ne pas se dérégler et qu’il faut apprendre à lire sur ses aiguilles, nous devons «entretenir» la pratique démocratique, nous en servir à bon escient – et étendre à la démocratie ce que nous dit l’article 29 de la Déclaration universelle avertissant que nos «droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercer contrairement aux buts et aux principes des Nations Unies», c’est-à-dire contre eux-mêmes et contre nous-mêmes.
Claude Weber
Ligue des Droits de l’Homme du Luxembourg
Article paru initialement dans la revue Le Jeudi