A grand renfort de chiffres, François Gemenne, spécialiste des flux migratoires, considère l’immigration indispensable et vertueuse.

 

Le grand entretien 05/11/2013 à 17h20

On a soumis les idées reçues sur l’immigration à celui qui a mouché le FN

 Entretien.

A Menton, près de la frontière italienne, en 2011, sur l’affiche Front national d’un manifestant : « Régularisation des clandestins = immigration sans fin » (Antonio Calanni/AP/SIPA)

On l’a découvert sur un plateau télé, assis pas loin d’un vainqueur de « La Nouvelle Star » et d’un journaliste à moustache, en face d’un dirigeant du Front national et d’une animatrice tendance.

Dans « Salut les Terriens », l’émission mélange des genres de Canal+, son discours a visé juste. En opposant à Florian Philippot, vice-président du FN, des chiffres et des affirmations pro-immigration, François Gemenne l’a rendu silencieux.

« Salut les terriens » : voir à partir de 6 min 44

Nous avons voulu entendre ce chercheur en sciences politiques plus en profondeur. Un Belge qui enseigne à l’Université Libre de Bruxelles et Sciences-Po Paris, spécialiste de la gouvernance globale des migrations environnementales, ces réfugiés climatiques qu’il voit comme un enjeu majeur d’ici le milieu du siècle.

Nous l’avons notamment confronté aux idées reçues sur l’immigration, à ces phrases que l’on entend prononcées avec plus ou moins de précaution dans la vie de tous les jours. « Il y a trop d’immigrés en France », « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde »…

François Gemenne (DR)

A partir des statistiques, surtout celles de l’Insee et de l’OCDE, François Gemenne donne sa vision positive de l’immigration. Il la juge indispensable, vertueuse pour l’économie et inscrite dans le sens de l’Histoire.

Le débat politique français sur l’immigration ? « Il repose quasiment entièrement sur de l’émotionnel, de l’idéologique, du fantasme et de la peur. »

Avant de démarrer sa carrière universitaire, il a travaillé dans le cabinet du ministre belge de l’Ecologie entre 2002 et 2004, en charge de l’énergie des transports.

Le chercheur se dit « plutôt proche des milieux écologistes et de la gauche, quoique assez libéral sur les questions économiques », et ne cache pas ses convictions sur l’immigration :

« Je suis très favorable à l’ouverture des frontières. Je trouve qu’il y a une injustice fondamentale dans le fait que votre vie soit uniquement déterminée par l’endroit où vous êtes né.

Si on accepte que la politique, c’est l’idée d’essayer d’améliorer la vie des gens, je trouve que c’est une faillite politique complète que de raisonner dans le paradigme de l’immobilité. »

  1. « L’immigration fait augmenter les salaires »
  2. « On empêche les immigrés de travailler »
  3. « Dire “la France ne peut accueillir toute la misère du monde” est une insulte »
  4. « Notre politique migratoire, c’est la négation de la Révolution française »
  5. « Je ne suis pas très optimiste sur l’avenir des politiques migratoires »

Quel regard portez-vous sur une première phrase souvent répétée : « Il y a trop d’immigrés en France » ?

L’idée de placer un seuil, de dire « trop » ou « pas assez » est une question idéologique. Mon rôle de chercheur, c’est de dire combien il y en a et après, les acteurs politiques peuvent se positionner.

Ce que je n’accepte pas en tant que chercheur, c’est que l’on donne de faux chiffres et, comme on le fait souvent, que l’on mélange le stock et les flux, le nombre total d’immigrés et ceux qui arrivent chaque année.

En terme de stock d’immigrés, la France se situe dans la moyenne, comparée aux autres pays européens. A peu près 6% ou 7% de la population.

Si on prend les flux ces dernières années, la France accueille plutôt moins d’immigrés que d’autres pays européens comparables. En 2011, l’immigration en France, c’est 267 000 entrées, ce qui inclut les immigrés européens. L’Allemagne est à 490 000 entrées, l’Italie 385 000 et le Royaume-Uni 565 000. En 2012, ce sera vraisemblablement pareil.

Le solde migratoire en France est stable depuis plusieurs années, autour de 54 000. Ça représente moins de 1 pour 1 000 de la population française. Chacun tirera ses conclusions : est-ce que c’est ça la limite maximale ?

Qui sont les immigrés ?

Depuis 2006, on délivre à peu près 200 000 titres de séjour par an – « qui sont différents des flux de l’immigration, les Européens n’ont pas besoin de titres de séjour ». En 2012 :

  • 16 379 titres de séjour économiques – parmi eux 2 000 ou 3 000 travailleurs qualifiés et 15 000 travailleurs peu qualifiés ;
  • 91 000  : le regroupement familial, « dont les critères sont assez restreints en France » ;
  • 58 000 étudiants « qui, pour la plupart, rentrent ensuite chez eux » ;
  • 18 005 : la catégorie humanitaire ;
  • 13 000 : une catégorie résiduelle : « des visiteurs de longue durée (des chercheurs invités pour deux ou trois ans par exemple) et des étrangers qui sont entrés mineurs en France et atteignent leur majorité ».

D’où viennent les immigrés installés en France ?

Si on regarde les stocks, ce sont essentiellement des Européens, à peu près à 45% ; puis 30% de Maghrébins, 10% en provenance de l’Afrique sub-saharienne et ensuite, le reste du monde.

Sur les flux, c’est 20% d’Européens et, année après année, en fonction des crises et des guerres, la nationalité change. Les anciennes colonies, le Maghreb en particulier, restent une source importante des flux migratoires.

Ça donne l’impression qu’il y a de moins en moins d’Européens, c’est surtout que lorsque ceux-ci viennent, c’est pour des raisons professionnelles ou familiales : ils s’installent durablement.

Les gens qui viennent pour des raisons humanitaires rentrent, pour beaucoup, dans leur pays lorsque le conflit est apaisé.

Une autre phrase souvent associée à l’immigration : « Les immigrés viennent faire le travail que personne ne veut faire » ?

Elle est bien intentionnée mais elle n’est que partiellement exacte. Aujourd’hui, les immigrés qui arrivent sont souvent plus qualifiés et plus jeunes que la population française.

Pour une partie d’entre eux, ils viennent occuper des postes très qualifiés. Ce sont des chercheurs, des ingénieurs, des médecins, les footballeurs.

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(Fichier PDF)

Parmi les immigrés, il y a deux extrêmes [voir le PDF] : ceux-là et, en effet, ceux qui travaillent pour des clopinettes à faire des boulots que personne ne veut.

Les deux sont absolument nécessaires à l’économie parce qu’il faut des gens pour remplir des trous dans le marché du travail, notamment dans la restauration et dans la construction, des secteurs qui s’effondreraient économiquement sans l’immigration. C’est aussi le cas des prêtres et des médecins dans les déserts médicaux.

Ces travailleurs acceptent des faibles revenus et du coup, les salaires baissent…

C’est complètement faux. En particulier, pour les salaires des professions plutôt peu qualifiées. On constate de manière assez nette que les salaires de ces emplois augmentent grâce à l’apport de l’immigration.

Parce que les immigrés prennent les salaires tout en bas de l’échelle et que par conséquent, les Français remontent un peu. C’est comme s’ils gagnaient un échelon. On considère que l’impact moyen est de +0,27%. Aux Etats-Unis, les résultats sont comparables [PDF].

Dans les professions plus qualifiées, l’impact sur les salaires est beaucoup plus faible, quasiment nul.