Sans-papiers : Valls régularise à peine plus que Sarkozy
Mediapart.fr
Environ 17 000 sans-papiers ont bénéficié de la circulaire de régularisation signée il y a un an. Un chiffre peu élevé compte tenu du nombre d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire.
Une poignée d’heureux bénéficiaires et des milliers d’espoirs déçus. Sur les 200 000 à 400 000 sans-papiers vivant en France, 16 600 ont obtenu une autorisation de séjour au titre de la circulaire du 28 novembre 2012 précisant les critères de régularisation des étrangers en situation irrégulière, selon le ministre de l’intérieur.
Manuel Valls, auditionné mardi 5 novembre 2013 à l’Assemblée nationale, en commission élargie, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2014, sur les crédits de l’État concernant l’immigration, l’asile et l’intégration, a estimé qu’il y aurait en 2013 « 10 000 régularisations supplémentaires » par rapport aux années précédentes, soit environ 46 000 au total. Alors que les gouvernements de la majorité précédente refusaient de communiquer les données chiffrées sur ce sujet considéré comme sensible, le ministère avait fait savoir, en juillet dernier, qu’environ 36 000 personnes avaient été régularisées en 2012. Les dossiers les plus souvent retenus sont ceux émanant de parents d’enfants scolarisés : le motif familial a prévalu dans 81 % des cas.
Afin de ne pas apparaître « laxiste », le ministre de l’intérieur a minimisé son annonce en déclarant qu’« on est loin d’une régularisation massive ». Lors de la publication de la circulaire, qu’il avait justifiée dans un souci d’harmonisation entre les préfectures chargées d’instruire les dossiers, il avait assuré que son intention n’était pas d’augmenter le nombre de régularisations. Lors de la campagne présidentielle, François Hollande avait exclu toute « régularisation de masse », fermant de facto la porte aux procédures telles que celles menées par la gauche en 1981, au cours de laquelle 131 000 étrangers avaient été régularisés, et en 1997, qui avaient bénéficié à 80 000 personnes.
Comme s’il cherchait à contrer les critiques de la droite, et notamment du FN, le ministre, devant les députés, a évoqué « un phénomène conjoncturel, similaire à ce que d’autres circulaires avaient causé ». Sans le citer, Manuel Valls fait ainsi référence au texte du 13 juin 2006, signé par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur qui s’adressait spécifiquement aux parents d’enfants scolarisés. Les personnes disposaient alors de deux mois pour déposer leur dossier. Avant même que toutes les demandes aient été examinées, le ministre avait annoncé le résultat de l’opération en avançant le chiffre de 6 000 régularisations. Le bilan officiel établi en fin de compte faisait état de 6 924 titres de séjour délivrés sur 30 000 dossiers déposés, mais il semble que ce chiffre ait été sous-évalué.
De Nicolas Sarkozy à Manuel Valls, l’ordre de grandeur est le même. « Ce résultat est maigrichon », commente Brigitte Wieser, du réseau Éducation sans frontières (RESF). « En même temps, cela ne nous étonne pas. Manuel Valls avait prévenu. En comparaison avec ce que les élus de gauche et les membres du PS demandaient quand ils étaient dans l’opposition, à savoir la régularisation des familles et des jeunes majeurs, on est loin du compte », ajoute-t-elle.
« S’il est établi que la circulaire en tant que telle n’a permis d’augmenter que de 10 000 le nombre de personnes régularisées, on peut considérer que c’est particulièrement ridicule », renchérit Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). « C’est lassant, nous n’arrêtons pas de le répéter, mais la politique menée par Manuel Valls est dans la lignée de celle de Nicolas Sarkozy : avant, le mot d’ordre était “ferme mais humain”, maintenant c’est “humain mais ferme” », ironise-t-il. « Ça me fait penser aux slogans des lycéens dans la manifestation de mardi : “Nicolas Valls, démission !” » résume Brigitte Wieser.
Il existe néanmoins une différence entre les deux procédures : la circulaire de 2012 n’est pas limitée dans le temps, contrairement à celle de 2006 qui était à durée déterminée. Cela signifie que les personnes peuvent continuer à présenter des dossiers aujourd’hui (à l’exception toutefois des jeunes majeurs qui doivent être rentrés en France avant l’âge de 16 ans, quelle que soit leur durée d’études). La militante de RESF nuance encore : le nombre de personnes régularisées après la circulaire Sarkozy a été, en réalité, « plus proche de 20 000 que des 7 000 affichés » car « les préfectures ont continué à appliquer les critères au-delà de la date butoir ».
Lors de son intervention, le ministre n’a pas indiqué combien de dossiers ont été déposés au cours des douze derniers mois, ce qui ne facilite pas l’évaluation de la portée des chiffres présentés. Il ressort néanmoins de ce bilan « provisoire » que les critères sont suffisamment restrictifs pour n’autoriser qu’un nombre limité de régularisations. Pour rappel, le texte de Manuel Valls vise les familles, les salariés et les jeunes majeurs. Concernant les familles, il fixe à cinq ans la durée de présence sur le territoire et à trois ans la durée de scolarisation. Que les deux parents soient en situation irrégulière n’est plus rédhibitoire, contrairement à ce qui était retenu précédemment. Il est demandé aux jeunes majeurs de prouver deux années de scolarisation « assidue et sérieuse » et d’être arrivés en France avant leur 16 ans (contre 13 auparavant), mais beaucoup passent entre les mailles du filet, soit parce qu’ils sont arrivés après, soit parce qu’ils n’ont que des proches sur le territoire (et pas leurs parents), soit enfin parce qu’ils ont accepté un titre de séjour précaire d’étudiant qui ne leur permet pas de demander un titre plus stable. Quant aux travailleurs, souvent des hommes célibataires, ils doivent combiner plusieurs années de présence en France et de fiches de paie. Or, celles-ci sont difficiles à obtenir de la part d’employeurs qui préfèrent embaucher leur main-d’œuvre au noir.
Une certaine continuité est également observée en matière de reconduites à la frontière. Le ministre lui-même en convient. Manuel Valls s’est récemment fendu d’un communiqué en réponse à un article du Figaro qui pointait du doigt la chute du nombre des expulsions. « Le nombre total d’éloignements d’étrangers en situation irrégulière au 31 août 2013 est de 18 126, et non de 14 800, comme l’affirme à tort » le quotidien, insistait-il, rappelant que la baisse globale s’explique par la moindre attractivité de l’aide au retour. Le montant de celle-ci a en effet été réduit après que les pouvoirs publics ont constaté que leurs bénéficiaires – principalement des Roms roumains et bulgares – revenaient peu de temps après avoir été renvoyés dans leur pays d’origine. « Si on enlève l’effet d’optique de ces aides au retour volontaire, le nombre de retours contraints effectués depuis la métropole s’élevait à 17 422 en 2009, 16 297 en 2010, 19 310 en 2011 et 21 841 en 2012. Au 31 août 2013, le nombre de retours contraints s’élevait à 13 510 », note le ministère. « Cette tendance, souligne-t-il, est supérieure à celle constatée entre 2009 et 2011. » Autrement dit, sans les Roms, Manuel Valls expulserait autant que Nicolas Sarkozy. Et le ministre s’en félicite.
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