Entre affaires et Sarkozy, l’UMP est KO debout

Mediapart.fr

22 mai 2014 | Par Ellen Salvi

 

À trois jours du scrutin européen, l’opposition peine à faire parler d’elle pour autre chose que les affaires. La question du maintien de Copé à la tête du parti est posée. L’UMP tente de minimiser la casse prévisible du vote de dimanche, tandis que Sarkozy profite de la brèche ouverte.

« Grâce à Sarkozy, on parle vraiment de l’Europe. » En une phrase, Brice Hortefeux a résumé sur iTélé la problématique rencontrée par l’UMP depuis une semaine. À trois jours des élections européennes, la tribune de l’ancien chef d’État publiée dans Le Point n’était pas de trop pour espérer reprendre la main sur le débat public. Car dans une campagne déjà très resserrée, et lancée en ordre dispersé, le parti d’opposition fait une nouvelle fois l’actualité sur un sujet que ses principaux responsables ont coutume de mettre sous le tapis : les affaires.

Entre les nouvelles révélations de Libération sur l’affaire Bygmalion, la garde à vue d’Isabelle Balkany dans le cadre de l’enquête pour blanchiment de fraude fiscale qui les vise, elle et son mari, et l’information judiciaire ouverte sur des soupçons de détournement des dotations versées au groupe UMP au Sénat, difficile pour les ténors de la droite et les candidats aux européennes d’éviter de se prononcer sur l’avenir de leur parti. Fin mars, à quelques jours du premier tour des municipales, Nicolas Sarkozy s’était déjà exprimé dans Le Figaro pour répondre aux informations de Mediapart concernant les sept écoutes judiciaires effectuées sur la ligne téléphonique ouverte par ses soins sous une fausse identité.

Dans sa nouvelle tribune, l’ancien président de la République ne fait nulle mention aux affaires, mais se concentre sur l’Europe, répondant ainsi à la demande de plusieurs ténors de l’UMP qui l’appelaient depuis quelques semaines à prendre la parole pour fixer la ligne du parti et faire taire les voix discordantes.

L’ancien président de la République y prône notamment la suspension immédiate des accords de « Schengen I » – qui régissent les flux migratoires dans l’Union européenne – et leur remplacement « par un Schengen II auquel les pays membres ne pourraient adhérer qu’après avoir préalablement adopté une même politique d’immigration ». Sur ce point, le Sarkozy de 2014 ressemble au Sarkozy de 2012 qui avait menacé, en pleine campagne présidentielle, de suspendre la participation de la France aux accords de Schengen. « Les accords de Schengen ne permettent plus de répondre à la gravité de la situation, ils doivent être révisés, avait-il déclaré à Villepinte le 11 mars 2012Si je devais constater que dans les douze mois qui viennent il n’y avait aucun progrès sérieux dans cette direction, alors la France suspendrait sa participation aux accords de Schengen jusqu’à ce que les négociations aient abouti. »

Nicolas Sarkozy à Villepinte, le 11 mars 2012.
Nicolas Sarkozy à Villepinte, le 11 mars 2012. © Reuters

Deux ans plus tard, l’UMP avait retranscrit mot pour mot cette proposition dans la première mouture de son projet pour les européennes, avant de se rappeler qu’elle était désormais dans l’opposition et qu’elle ne pouvait, de fait, suspendre la participation de la France aux accords de Schengen, mais seulement « demander » cette suspension. La phrase a été rectifiée avant que le programme ne soit diffusé.

« Les propositions de Sarkozy pour l’Europe se trouvaient déjà dans notre programme, reconnaît le sénateur des Hauts-de-Seine et vice-président de l’UMP Roger Karoutchi. Nous n’avons pas de personnalité assez forte pour les porter. En ce sens, cette tribune est un vrai coup de pouce pour le parti. » Une façon de souligner l’un des principaux problèmes rencontrés par l’opposition depuis la défaite du 6 mai 2012 : l’absence de leader, les divisions qui l’accompagnent et qui profitent à l’ancien président de la République. De son côté, François Fillon a profité de l’occasion pour se démarquer une nouvelle fois de Nicolas Sarkozy, arguant qu’une « réforme » de l’espace Schengen serait préférable à sa suspension.

Convaincus que la première tribune de l’ex-chef d’État avait déjà joué sur le succès des municipales, les sarkozystes se réjouissent de cette nouvelle prise de parole qui aura, ils l’espèrent, un impact positif sur le scrutin de dimanche. Face à la menace de se voir reléguée à la deuxième place derrière le Front national, l’UMP a multiplié les appels à la mobilisation lors de son meeting national pour les élections européennes, organisé mercredi soir à Paris. Mobiliser les électeurs tentés par le vote frontiste, ceux qui comptent s’abstenir ou encore ceux qui envisagent de plébisciter les listes de l’alternative UDI-MoDem…

Le parti d’opposition se voit contraint de brasser bien plus large qu’aux élections de 2009, où la majorité s’était présentée sur des listes uniques. Le tout dans un contexte qui sent « le moisi », pour reprendre les mots de Bernard Debré. Comme plusieurs autres personnalités de l’opposition – dont bon nombre de soutiens de François Fillon lors de la guerre pour la présidence de l’UMP en novembre 2012 –, le député de Paris a demandé des comptes à Jean-François Copé sur les soupçons de fraudes dont le parti fait l’objet depuis les premières révélations du Point dans l’affaire Bygmalion. Une demande à laquelle se sont joints le président UMP de la commission des finances de l’Assemblée, Gilles Carrez, mais aussi Alain Juppé.

Selon le Canard enchaîné, le maire de Bordeaux serait même allé plus loin la semaine dernière en déclarant devant des syndicalistes UMP : « Jean-François Copé ne sera plus président de l’UMP en septembre. C’est clair pour tous, et sans doute pour lui aussi. Pour le moment, sa chance, c’est que personne ne veut sa place. »

 

« Mise sous tutelle » de Copé

 

 

Le député de Haute-Savoie Lionel Tardy, qui s’était attiré les foudres de Copé en montant au créneau dès le mois de février, a adressé une lettre ouverte au patron de l’opposition pour dénoncer « le silence assourdissant des dirigeants » du parti face à la multiplication des affaires. « Nous ne sommes pas sur un problème de ligne politique, mais de transparence », écrit-il avant de prévenir : « Il est enfin temps pour vous, dès le début juin, d’éclairer les Français, militants et élus UMP, faute de quoi l’UMP, notre parti, notre bien commun, n’y survivra pas. »

Interrogé jeudi matin sur iTélé, François Fillon s’est à son tour exprimé sur le sujet en rappelant qu’il avait « demandé en son temps qu’il y ait un petit comité pluraliste qui contrôle la gestion du parti, comme ça se fait dans n’importe quelle entreprise privée ». « Ça m’a toujours été refusé, a-t-il indiqué. Je pense que si l’on avait mis en place ce comité, on se serait prémunis contre beaucoup des accusations qui sont portées aujourd’hui. » Début avril, à l’issue des municipales, l’ancien premier ministre avait demandé la mise en place d’un comité de surveillance pour superviser la gestion financière de l’UMP. Jean-François Copé lui avait alors opposé une fin de non-recevoir, indiquant qu’il allait mettre tous les comptes sur la table.

Jean-François Copé.
Jean-François Copé. © Reuters

Pour finir, le patron de l’opposition s’était contenté d’exposer aux ténors du parti une synthèse de sa gestion financière de l’UMP, sans toutefois leur présenter de documents comptables. Mais aujourd’hui, les moitiés d’explications et les appels à laisser « la justice faire son travail » ne suffisent plus. « Nous sommes dans une autre séquence que celle des municipales, estime un parlementaire UMP sous couvert d’anonymat. Cette fois-ci, on ne se contentera pas d’un “circulez, il n’y a rien à voir”. Les premières informations du Point étaient moins précises que celles de Libération. Là, on est dans du factuel. Cela prend une dimension politique en interne, qui sera forcément différenciée du traitement judiciaire. »

Jean-François Copé, lui-même, a bien compris que la donne avait changé depuis le mois de février. Alors qu’il dénonçait, il y a encore quelques semaines, « le bûcher médiatique » et « la manipulation » que constituaient, à ses yeux, les révélations du Point « à quelques semaines de scrutins très importants pour notre pays », le député et maire UMP de Meaux fait désormais profil bas. Depuis peu, il répète à l’envi qu’en qualité de président du parti, il n’est pas « au fait de la gestion quotidienne de l’UMP dans sa dimension comptable ». Un argument qui peine à convaincre les membres de sa famille politique tant sa proximité avec la société Bygmalion – qui a empoché 12,7 millions d’euros au cours du premier semestre 2012 pour l’organisation de conventions dont personne ne se souvient – est de notoriété publique.

 

Pour répondre aux critiques émanant de son propre camp, Jean-François Copé a demandé au directeur général de l’UMP, Éric Césari, de préparer un rapport détaillé sur les factures payées à Bygmalion. Il sera présenté mardi 27 mai, devant le bureau politique statutaire, exceptionnellement convoqué le matin, en lieu et place du comité politique du parti. « Je peux vous dire que tout le monde sera là !, s’amuse un parlementaire UMP en “off”. Si le rapport de Césari est aussi accablant que les affirmations de Libération, ce sera difficile pour Copé de rester. »

En cas de démission du patron de l’UMP, le parti va se retrouver confronté à l’épineux problème de sa succession. « Il y a une grande différence entre les désirs de chacun et leurs intérêts politiques, poursuit le même parlementaire. Les ténors du parti se réservent pour la primaire de 2016. Le maintien de Copé les arrangerait bien, dans le sens où ils ne veulent pas se griller dans une nouvelle élection interne après le fiasco de 2012. Le calendrier n’est pas favorable. On n’a pas de solution toute faite. »

Car si Copé venait à présenter sa démission la semaine prochaine, une nouvelle élection devrait avoir lieu dès le mois d’octobre, selon les statuts de l’UMP, adoptés par les adhérents en juin 2013. Et pour l’heure, les candidats à la tête du parti ne se bousculent pas. En coulisses, d’aucuns évoquent l’éventualité d’une « mise sous tutelle » du patron de l’opposition par une partie du bureau politique statutaire. Une sorte de “direction collégiale” qui ne porterait pas son nom. « On trouvera bien un nom élégant pour l’habiller », souffle un cadre du parti. D’autres considèrent déjà l’UMP comme « une coquille vide » et avancent timidement une tout autre hypothèse : la création d’un nouveau mouvement par Nicolas Sarkozy, en vue de 2017.