FRANCE Droite ou gauche : les Roms sont toujours aussi maltraités
Courrier International
- The New York Times
- | Steven Erlanger
Au cours du seul mois de mai, la police française a démantelé des camps roms à Saint-Denis, près de Paris, et à l’ouest de Nice, le long du Var. A Lyon, 200 Roms ont été installés temporairement dans un gymnase après l’incendie criminel de l’usine désaffectée qu’ils squattaient, et la mort de deux femmes et d’un enfant de 12 ans [mercredi 10 juillet, une cinquantaine de Roms ont été évacués d’un squat de Lyon et quelques jours auparavant, le maire de Nice, Christian Estrosi, appelait les maires de France à la révolte contre les Roms « délinquants » qui occupent illégalement certains terrains].
Le gouvernement socialiste du président François Hollande est arrivé au pouvoir il y a un an avec la promesse d’un meilleur traitement des Roms, ou tsiganes, avec la fin des camps de fortune et le relogement et l’intégration des personnes déplacées. Mais comme face à d’autres promesses, tel le retour à la croissance, la réalité se révèle un bien piètre partenaire politique.
Malgré ses critiques envers le gouvernement de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, jugé peu respectueux des libertés individuelles et enclin à flirter avec l’extrême droite hostile à l’immigration, le gouvernement Hollande n’a guère infléchi la politique française à l’égard des Roms. Son ministre de l’Intérieur Manuel Valls, salué pour son efficacité et sa fermeté, a expulsé à ce jour au moins autant de Roms étrangers que son prédécesseur et continue d’ordonner aux services de police de démanteler bidonvilles et camps illégaux sans offrir de solution de relogement à la plupart des familles.
Une situation complexe et tragique
Or le 1er janvier prochain, les règles vont changer : les ressortissants de Roumanie et de Bulgarie, membres de l’Union européenne depuis sept ans, bénéficieront de la même liberté de circulation et d’accès à l’emploi que les autres Etats de l’UE. Mais cela ne leur vaudra pas un meilleur accueil – la plupart des clandestins issus de la communauté rom viennent de ces deux pays d’Europe de l’Est. Brandie comme un épouvantail par les partis nationalistes et anti-immigration de droite et d’extrême droite dans toute l’Europe, cette ouverture des frontières fait craindre un afflux massif de travailleurs et de délinquants qui prendraient leurs emplois aux populations locales et vivraient aux dépens de généreux systèmes d’aide sociale.
« Sur le papier, les choses sont différentes en France, mais en pratique, c’est pareil, déplore Dezideriu Gergely, directeur à Budapest du Centre européen pour les droits des Roms (ERRC). Nous nous attendions à un changement de ton, à une lutte contre l’exclusion sociale et les problèmes économiques, et pas à ce qu’on se contente toujours de déplacer le problème. »
La complexité et la dimension tragique de la situation sautent aux yeux à Paris, à la gare du Nord, l’une des plates-formes de transport les plus fréquentées de France. Devant la partie la plus ancienne de la gare, près de la troisième porte vitrée à partir de la gauche, de jeunes Roms font les cent pas. Petits et minces, portant souvent des vêtements très colorés, pantalon vert ou écharpe rose, ces hommes sont des prostitués qui attendent une passe ou un rendez-vous.
Certains n’ont pas plus de 14 ans, même s’ils disent le contraire. D’autres ont 16 ans et sont mariés, voire ont des enfants. Ils viennent de la région de Craiova, dans le sud de la Roumanie. Ils attendent le client dans cette gare pour gagner leur vie, en général une centaine d’euros par jour, disent-ils.
Ruset, qui dit avoir 19 ans, a quitté la Roumanie alors qu’il était encore enfant. Lui et ses amis, dont Bogdan, 17 ans, et Gutsa, même âge, marié et bientôt papa, « font leur business » à la gare et vivent dans un camp installé dans un bois près de la gare RER Noisy-Champs, à l’est de Paris. Tous refusent que leur nom de famille soit cité.
« La France est terrible avec nous », assène Ruset tout en guettant l’arrivée éventuelle de la police, qu’il dit « super raciste, tout le temps à nous harceler ». « J’aurais préféré rester en Roumanie, mais il n’y a pas moyen de trouver du travail là-bas. La France, j’aimais bien au début, mais aujourd’hui les choses sont très dures », explique-t-il, comme nombre des 20 000 Roms étrangers installés en France.
Malgré l’évolution prochaine de la réglementation, les expulsions sont en augmentation dans l’Hexagone. En 2012, année électorale, 12 841 ressortissants romains et bulgares, roms dans leur immense majorité, ont été expulsés, contre 10 841 en 2011, soit une progression de 18,4 %. En 2010, 9 529 personnes avaient fait l’objet de ce type de procédure.
Le gouvernement Sarkozy offrait le billet d’avion et 300 euros par adulte et 100 euros par enfant pour favoriser les « retours volontaires », système jugé pervers et dépensier par l’équipe de François Hollande. L’Etat continue toutefois de donner 50 euros par adulte et 30 par enfant, a précisé Manuel Valls, tout en soulignant que la France préférait financer en Roumanie « 80 microprojets » destinés à « l’amélioration des conditions de vie ».
Guillaume Landarchet dirige « Hors la rue », une organisation parisienne qui travaille avec des mineurs étrangers en difficulté, dont de jeunes Roms. « Valls reproduit exactement la même stratégie que Sarkozy, dénonce-t-il. Nous n’avons pas vu de vraie différence avec le gouvernement précédent. »
La délinquance associée aux Roms
Pour Robert A. Kushen, le président du Centre européen pour les droits des Roms, il est particulièrement étrange que l’Etat français poursuive les expulsions alors que s’annonce tout prochainement un changement de la réglementation migratoire. Alors que la Roumanie et la Bulgarie sont entrées dans l’UE en 2007, des restrictions particulières avaient été mises en place, imposant à leurs ressortissants qu’ils décrochent un permis de travail dans les trois mois après leur arrivée en France [et dans d’autres pays de l’UE] et les cantonnant à certains secteurs d’activité. Le gouvernement Hollande a certes supprimé la taxe qui était imposée aux employeurs des Roms, mais dans une France en récession où le chômage est élevé, difficile de trouver du travail.
Le monde politique braque par ailleurs les projecteurs sur la délinquance (pickpockets et vols de smartphones) associée aux Roms. Cet hiver, le Louvre a fermé une journée pour dénoncer les agissements de bandes très agressives envers les visiteurs comme le personnel, et composées surtout de jeunes garçons [le Louvre est gratuit pour les Européens de moins de 26 ans]. Le site Internet du musée a ajouté une page « Vigilance ! » sur les pickpockets.
Le flou juridique à l’égard de la Roumanie et de la Bulgarie a fait du tort aux Roms, estime Alexandre Le Clève, ancien directeur de « Hors La Rue » et membre de « Romeurope », un collectif qui œuvre dans six pays à l’amélioration de l’état sanitaire et des conditions de vie des tsiganes. « Paradoxalement, leur situation s’est dégradée depuis l’entrée de la Roumanie dans l’UE. Les Roms ont perdu certains droits, comme l’aide médicale publique, dont ils bénéficiaient quand ils étaient encore des ressortissants hors-UE. »
Le nouveau dispositif juridique européen « va mettre en relief toutes les contradictions de ce gouvernement », prédit Alexandre Le Clève. Aux Etats-Unis, « on parle de régularisation des immigrés. Ici, rien. »
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