PETIT LEXIQUE DES TSIGANES ROMS, GENS DU VOYAGE

Le Monde.fr

| 17.10.2012 à 13h26

Par Angela Bolis

« Toutes les communautés tsiganes ont à affronter le même problème : comment construire et maintenir une autonomie dans une situation d’immersion et, pour la majorité d’entre elles, de dispersion ? Les réponses sont multiples. » Ce postulat, écrit par l’anthropologue Patrick Williams dans Etudes tsiganes en 1994, laisse entrevoir l’unité et la diversité de ce peuple, qui représente la première minorité ethnique d’Europe, forte de 10 à 12 millions de personnes.

De la même manière, si ces communautés peuvent être regroupées sous le terme Tsigane, ou plus récemment Rom, les noms qui servent à les désigner sont multiples. Au point qu’il est parfois difficile de s’y retrouver. Et que, en l’absence de consensus, la question continue à se poser dans la communauté scientifique comme chez les Tsiganes eux-mêmes.

Ainsi, il y a les dénominations internes (Rom par exemple), et les dénominations externes, que les non-Tsiganes utilisent pour désigner les Tsiganes, comme Romanichel, ou encore Bohémien. Ce dernier terme renvoit par exemple aux lettres de protection qui leur étaient accordées par les rois de Hongrie, de Pologne et de Bohême (région située aujourd’hui en République tchèque) à partir du XVe siècle.

Il y a aussi les dénominations qui distinguent les différentes branches de ce peuple hétérogène. Il en est ainsi des Gitans – Gypsi en anglais, Gitanos en espagnol (qui se prénomment eux-mêmes Kalé) – qui vivent en Espagne et dans le sud de la France, et représentent environ 10 % des Tsiganes selon le collectif Romeurope. Les Sinté, ou Manouches en français, se sont plutôt établis dans les régions germanophones, le Bénélux et certains pays nordiques, et représentent environ 4 % des Tsiganes, selon la même association. Les Roms d’Europe orientale et centrale, enfin, se distinguent en diverses communautés selon leur activité, par exemple les Roms kalderasch, chaudronniers, ou les Roms lovaras, marchands de chevaux.

Tsiganes. Ce terme académique générique recouvre toutes les différentes branches de ce peuple. Selon l’Atlas des Tsiganes, Les Dessous de la question rom, de Samuel Délepine, le mot tsigane est issu du grec médiéval athingani, qui signifie intouchable. En Europe de l’Est, ce terme exogène (utilisé par les non-Tsiganes) a « aux yeux de beaucoup de Roms, une connotation péjorative », explique le Conseil de l’Europe. En Europe occidentale, à l’inverse, ainsi qu’en Hongrie et en Russie, il « est mieux toléré et parfois plus approprié », estime l’institution européenne. Selon l’Atlas des Tsiganes, il peut même y être connoté positivement, comme lorsqu’il est associé à la musique ou à la fête tsigane.

Roms. Signifie homme en romanès. Il s’agit là encore d’un terme générique, mais, cette fois, endogène, c’est-à-dire employé par les Roms eux-même. Il a été choisi en 1971 par des associations d’Europe de l’Est, comme l’Union romani internationale, pour remplacer celui de Tsigane, considéré comme péjoratif. Toutefois, il est le plus souvent employé pour désigner une branche du peuple tsigane qui s’est implantée en Europe orientale et centrale – en Roumanie en grande majorité, mais aussi en Bulgarie et en ex-Yougoslavie – et dont une partie a émigré en Europe occidentale plus récemment : depuis la deuxième partie du XIXe siècle, puis depuis la chute des régimes communistes. Selon Romeurope, ils représentent 85 % des Tsiganes européens, et sont « environ 10 millions », selon le Conseil de l’Europe.

Gens du voyage. Il s’agit d’une catégorie administrative, issue de la loi du 3 janvier 1969. Se substituant alors au terme « nomade », elle concerne les personnes vivant plus de six mois par an en résidence mobile terrestre. Selon la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes, « la quasi totalité des gens du voyage sont de citoyenneté française. Leur nombre est estimé autour de 400 000 personnes. Ce n’est pas tant la mobilité des personnes qui prime, que le mode de vie caractérisé par l’habitat en caravane. » Il s’agit donc d’un terme qui ne désigne pas forcément les Tsiganes – les catégories ethniques n’existant de toute façon pas dans le droit français. En France, les gens du voyage sont soumis à un régime particulier, dénoncé « comme source de stigmatisation et de discrimination », comme le relève une proposition de loi enregistrée au Sénat le 12 juin 2012.

En effet, ils doivent attendre trois ans avant de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales au lieu de six mois. Ils détiennent aussi un titre de circulation qu’ils doivent présenter régulièrement aux autorités, sous peine d’une amende, voire d’une peine d’emprisonnement. Pour l’anthropologue Patrick Williams, « c’est un héritage du carnet nomade, qui s’apparente à de l’apartheid : ce sont des citoyens de seconde zone qui ont, au lieu de l’adresse sur leur carte d’identité, le numéro du titre de circulation. Ils sont donc, par exemple, repérés en tant que Tsiganes à n’importe quel contrôle de police. » Dans le « Décalogue du Palais Bourbon« , en 2009, l’Union romani internationale estimait que « nous ne nous reconnaissons pas nous même sous cette appellation d’un point de vue humain, culturel et identitaire ».