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Le PS, ou: Comment s’en débarrasser ?

Mediapart

Le sociologue Éric Fassin revient sur les résultats des élections européennes de 2014, à partir des analyses de son dernier ouvrage qui vient de paraître dans la collection « Petite Encyclopédie Critique » des éditions Textuel : Gauche : l’avenir d’une désillusion.

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Dimanche 25 mai, à l’heure des résultats, Marine Le Pen prend la parole pour les télévisions. Le plus important n’est pas ce qu’elle dit – mais ce qu’elle donne à voir : derrière elle, des affiches célèbrent « le premier parti de France ». Les imprimer sans attendre les résultats signifie ce que chacun savait : tout était déjà joué. Pire : les sondages qui annonçaient cette victoire, loin de l’atténuer en provoquant un sursaut, ont encouragé les électeurs à creuser l’écart avec l’UMP, et davantage encore le PS. Le succès va au succès. Mais il y a plus : c’est le visage de Marianne qui apparaît (en blanc) au centre de l’affiche : le Front national s’affirme républicain. Et de fait, il l’est, à en croire beaucoup d’analystes, puisqu’il est légal – comme si tout ce qui n’est pas interdit était légitime ! En 2017, au moment où le Front national rejoindra un gouvernement de droite, on nous expliquera sans doute qu’il s’agit d’opposer un front républicain à l’extrême droite moins présentable qui va de Robert Ménard à Alain Soral. C’est en tout cas le scénario que j’ai proposé pour conclure mon essai paru après les municipales : Gauche, l’avenir d’une désillusion.

Le PS imite l’UMP, qui imite le FN

Si le résultat était prévisible, et de longue date, ce n’est pas tant du fait des sondages, dont on sait les limites, qu’en raison d’une logique implacable : la droitisation de l’ensemble du paysage politique est la condition de possibilité de la « dédiabolisation » réussie par Marine Le Pen. Le PS imite l’UMP, qui imite le FN ; et Jean-Marie Le Pen le répète depuis longtemps, les électeurs préfèrent l’original à la copie. La mécanique est donc inexorable. En choisissant le parti des patrons et des marchés, le gouvernement socialiste se veut réaliste. Cela revient d’une part à valider la croyance que la réalité serait de droite ; et d’autre part, la réalité dément ce « réalisme » supposé : les politiques d’austérité sont désastreuses, non pas seulement en termes sociaux, mais aussi économiques. Il ne faut donc pas s’étonner si la catastrophe est également politique : le FN dénonce l’UMPS – et en menant la même politique que Nicolas Sarkozy, François Hollande s’emploie à lui donner raison.

Pourquoi la gauche de gauche ne progresse-t-elle pas ?

Reste une question fondamentale : pourquoi la droitisation n’ouvre-t-elle pas à un espace pour la gauche de gauche ? Pourquoi cette dérive bénéficie-t-elle seulement au Front national, et pas au Front de gauche, ni au NPA, ni à toute autre formation à la gauche du Parti socialiste ? Même les résultats de Nouvelle Donne semblent bien modestes en regard des espérances de ses initiateurs… On peut faire l’hypothèse que l’hégémonie idéologique de la droite ne vient pas seulement des politiques économiques, mais aussi des politiques identitaires qui les accompagnent, comme pour les compenser ou du moins en distraire. On l’a vu en 2005, après le référendum sur le Traité constitutionnel européen, avec la lutte contre l’immigration subie, puis durant l’été 2012, avec la nouvelle chasse aux Roms qui a détourné l’attention de l’adoption du Traité de stabilité : la xénophobie d’État serait-elle le remède politique offert aux citoyens contre les maux du néolibéralisme ?

En matière d’immigration, sous François Hollande, le verbe est moins haut que sous Nicolas Sarkozy ; mais les chiffres d’expulsions ne baissent pas. Autrement dit, le PS s’accorde avec l’UMP pour considérer que l’immigration est un problème. Quant aux populations roms, et le discours et l’action se sont aggravés sous l’impulsion de Manuel Valls : le Premier ministre est d’ailleurs cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris, le 5 juin, pour provocation à la discrimination et à la haine raciales : ne prétend-il pas assigner une « vocation » aux Roms, excluant ainsi une population européenne définie par un critère racial ? Or, comme la xénophobie d’État sous Nicolas Sarkozy, la politique de la race menée sous la responsabilité de François Hollande vient légitimer le discours de l’extrême droite : du PS au FN, en passant par l’UMP, c’est un même discours qui s’est imposé. L’hégémonie économique de la droite s’accompagne ainsi d’une hégémonie identitaire de l’extrême droite. Aussi la gauche de gauche ne parvient-elle pas à occuper l’espace que semblerait ouvrir la dérive droitière du PS. Sans doute les électeurs ne se jettent-ils pas forcément dans les bras de l’extrême droite : beaucoup, surtout à gauche, choisissent l’abstention – soit l’autre face du délitement démocratique.

Le Titanic PS

Que faire ? Bien sûr, il serait logique d’en conclure que le PS doit changer de politique. Si la droitisation échoue dans les urnes, pourquoi pas un coup de barre à gauche ? Mais, on le sait désormais, en France, on ne change pas une équipe qui perd : François Hollande avait entendu la colère des Français, après les élections municipales, et il a nommé Manuel Valls à Matignon. Soit la même chose, mais plus vite et plus fort. Et après le « séisme » des élections européennes, le Premier ministre confirme qu’il va continuer… mais plus vite et plus fort. Pendant longtemps, on a cru que le Parti socialiste pouvait s’accommoder de tous les renoncements à condition de garder le contrôle des pouvoirs locaux et régionaux. Désormais, il semble voué à perdre les régions après les villes, mais il ne change pas de cap pour autant.

On voudrait croire que la révolte gronde chez ceux qu’on appelle « les élus de terrain » – mais à ce jour, ils se contentent de grommeler. C’est sans doute qu’ils sont dans la même position que, dans la sphère économique, des employés redoutant la prochaine vague de licenciements : à défaut d’infléchir la politique de l’entreprise, à titre personnel, ils espèrent y échapper. Mieux vaut donc éviter de faire trop de bruit. Les stratégies individuelles contribuent de la sorte à façonner une stratégie collective dont, sinon, on aurait du mal à comprendre l’irrationalité : c’est pour sauver sa peau qu’on court avec les camarades vers l’abîme… Ainsi beaucoup choisissent-ils de couler avec le navire, non pas tant par esprit de sacrifice, mais surtout à défaut d’avoir des projets alternatifs. Car telle pourrait bien être la clé de l’aveuglement socialiste : pour ce parti, il n’existe jamais de plan B.

L’exemple grec

Dans ce contexte, le vote de la Grèce donne à penser, et peut-être à espérer – et pas seulement en raison du succès de Syriza, qui fait rêver le Front de gauche : c’est l’ensemble du paysage politique grec qui doit nourrir la réflexion politique en France. En effet, dans le même temps, les socialistes du Pasok continuent de sombrer. Sans doute Nouvelle Démocratie n’est-elle pas très loin derrière Syriza – mais c’est dire qu’on retrouve un affrontement classique entre droite et gauche. Conséquence de ce clivage, pour ou contre les politiques d’austérité ? L’extrême droite, avec Aube dorée, pèse à peine plus lourd que… le Pasok. Certes, c’est beaucoup pour un parti néonazi ; mais c’est près de trois fois moins que le FN en France. L’alternative politique redonne de la vigueur aux logiques démocratiques : l’abstention est plus basse en Grèce qu’en France (de 13 points !).

Le drame de la France, ce n’est donc pas que le PS soit trop bas ; c’est plutôt qu’il soit trop haut. Il continue de peser comme un poids mort (14%), alors que les Grecs semblent soulagés du fardeau de son homologue (8%). La France est un peu comme le Royaume-Uni : le triomphe de l’extrême droite, avec l’UKIP, s’y accompagne d’un taux d’abstention plus élevé encore (de 8 points) – sans que les travaillistes s’effondrent, il est vrai (à la différence des socialistes français, ils ne sont pas au pouvoir).  Des deux côtés de la Manche, à défaut de proposer une autre politique, le socialisme de gouvernement fait obstacle à la logique démocratique en reprenant à son compte le mantra de Margaret Thatcher : « Il n’y a pas d’alternative ». Seul Bernard-Henri Lévy peut croire qu’un gouvernement d’union nationale ferait obstacle à l’extrême droite : en réalité, ce serait valider les attaques du FN contre la collusion de l’UMP et du PS. La démocratie suppose le choix, et non le consensus.

Se débarrasser du PS

À défaut de pouvoir changer le PS, peut-être faut-il se résigner à en changer, soit le remplacer, « à la grecque ». « Rompre avec la majorité présidentielle, ou s’abîmer avec elle », écrivait Michel Feher sur Mediapart, le 25 octobre 2013: « Le choix, c’est maintenant »! Mais peut-être n’avons-nous plus le choix aujourd’hui. François Mitterrand avait liquidé le Parti communiste ; peut-être François Hollande va-t-il faire de même avec le Parti socialiste. L’espoir n’est donc plus que l’ancien « premier parti de France » le redevienne enfin, en remontant la pente, mais qu’il finisse de s’effondrer, pour laisser enfin place à d’autres discours – soit à des politiques alternatives. Avant de reconstruire la gauche, il faut donc déblayer les ruines. On songe à la pièce de Ionesco (et ce n’est pas un hasard si l’auteur de Rhinocéros, et son théâtre de l’absurde, résonnent avec notre actualité) : « Amédée, ou comment s’en débarrasser ». Le couple se déchire, et semble voué à l’impuissance ; c’est que la maison est encombrée d’un cadavre qui devient d’autant plus volumineux à mesure qu’on s’en accommode. Ne faut-il pas s’en débarrasser, avant qu’il ne soit trop tard ? La seule question qui vaille est alors : comment ?

 

* Voir aussi sur Mediapart :

. « Quelques pistes pour sortir du champ de ruines socialistes », un chapitre du livre d’Éric Fassin introduit par François Bonnet, 7 mai 2014

. « Mediapart, les « affaires », la pédagogie démocratique et l’avenir d’une politique émancipatrice », par Philippe Corcuff, 20 avril 2014

« François Hollande, une menace pour l’Europe », par Éric Fassin, 12 mai 2014

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* Sommaire de Gauche : l’avenir d’une désillusion par Éric Fassin

(Textuel, collection « Petite Encyclopédie critique », mai 2014, 64 p., 8 euros)

Chapitre I : Les adieux à la gauche

Chapitre II : L’illusion réaliste

Chapitre III : Dérive droitière

Chapitre IV : Reprendre la main

Chapitre V : Changer le peuple

Chapitre VII Changer de peuple

 

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Éric Fassin est sociologue, professeur à l’Université de Paris 8. Il vient donc de publier : Gauche : l’avenir d’une désillusion (Textuel, collection « Petite Encyclopédie critique », mai 2014), ainsi que Roms & riverains. Une politique municipale de la race (en collaboration avec Carine Fouteau, Serge Guichard et Aurelie Wendels, La Fabrique, février 2014). Il tient un blog sur Mediapart : http://blogs.mediapart.fr/blog/eric-fassin.

Les vœux génocidaires de Jean-Marie Le Pen

Blog Médiapart

Le président socialiste du conseil général de l’Essonne, Jérôme Guedj, condamne les propos de Jean-Marie Le Pen, qui a déclaré à l’occasion d’un meeting à Marseille que le virus Ebola était la solution face au « risque de submersion » de la France par l’immigration « Il faut une réponse pénale, car il est interdit en France d’en appeler au génocide, comme à la haine raciale, et une réponse politique. Le racisme n’est pas une opinion, c’est un crime. »


« Monsieur Ebola peut régler tout ça en trois mois. » Jean-Marie Le Pen, qui faisait estrade commune avec sa fille hier à Marseille en meeting, donne donc du « monsieur » au virus mortel qui a fait sa réapparition il y a quelques mois en Afrique. Il lui donne du « monsieur » car il est selon Jean-Marie Le Pen la solution face au « risque de submersion » de la France par l’immigration et au « remplacement de la population qui est en cours ».

Il ne s’agit pas d’un dérapage, d’une parole raciste de plus dans la bouche d’un multirécidiviste en la matière. Non, on est bien au-delà dans le domaine de la haine. Il vient de faire un vœu génocidaire. Ce personnage, qui serait grotesque si le parti politique et les héritières qu’il a engrangées n’étaient des dangers mortels pour la République, a exprimé le souhait qu’en Afrique des millions de personnes disparaissent.

Le président d’honneur du Front National, fondateur et incarnation historique du parti que les sondages placent en tête à l’élection européenne de dimanche, claironne donc à qui veut l’entendre lors d’un rassemblement de sa formation politique que la solution à une question politique, l’immigration, est une solution finale, l’éradication d’une partie de l’humanité, les Africains.

Si certains avaient encore besoin de clarification sur la nature du Front National, sur les idées puantes qui règnent dans ses rangs et la matrice idéologique de ses cadres, Jean-Marie Le Pen vient de leur rafraîchir la mémoire. Le Front National se réclame de la République, emprunte désormais nombre de ses thèmes à la gauche, joue à plus laïque que moi tu meurs, palabre à haute voix sur la défense du monde ouvrier, envoie sur les plateaux télé des cadres bien proprets ? Chassez le naturel, il revient au galop. Le Front National n’est rien de ce qu’il affirme être. Prononcez le mot immigration, et la fable du parti dé-diabolisé, avec ses personnages et ses thèmes fictifs, s’effondre. Prononcez le mot immigration, et la vraie nature de ce parti ressurgit, son logiciel originel se remet en route, avec, intégrée, toute la panoplie de l’extrême droite, dont le génocide, héritage programmatique des nazis. On y est, il n’a pas fallu gratter bien longtemps.

Je ne prendrai pas le temps de répondre ici au mythe des invasions barbares, à la trouille des musulmans et du « remplacement de la population » européenne. Rappelons juste que si quelques valeurs nous unissent encore, c’est bien celles qui président au fait qu’on se fout bien de savoir en France qui sont vos parents ou vos grands-parents, mais quels sont vos droits et vos devoirs. Que s’il existe une identité à la Nation française, elle est fondée sur la citoyenneté, la responsabilité civique qui en découle et s’incarne dans la République, ce vieux projet universaliste que nous ont légués une bande d’illuminés qui décidèrent à la fin du XVIIIe de renverser le cours de l’histoire et d’embarquer l’humanité dans le projet d’une « société des égaux ». Je le rappelle car nous ne sommes pas issus de nulle part. L’Europe non plus, celle pour laquelle nous votons dimanche.

C’est malheureux de devoir remettre sans cesse le couvert, mais si aujourd’hui nous avons le privilège, l’immense privilège, de vivre librement dans le plus grand espace démocratique du monde, c’est loin d’être un hasard et ce n’est pas un acquis éternel. Avant nous, avant que les démocraties européennes ne décident de s’associer pour ne plus se faire la guerre, la spécialité continentale était justement la guerre. Lorsque Jean-Marie Le Pen fait un vœu génocidaire, il se place non dans l’histoire que nous construisons depuis 70 ans, mais dans celle que les nazis voulaient construire pour « mille ans » en Europe. Un monde où on éradique des peuples, des populations parce qu’on estime qu’elles sont un problème pour le genre humain. Ainsi, lorsqu’il déclare hier à Marseille que ce « phénomène d’immigration massive est aggravé chez nous par un fait religieux : une grande partie de ces immigrés sont des musulmans, une religion qui a une vocation conquérante, d’autant plus conquérante qu’elle se sent forte et qu’ils se sentent nombreux. Elle va jusqu’à conquérir jusque dans nos propres rangs – pas au FN mais en France – de nombreux et nouveaux fidèles » (Le Monde, 21/05), il ne fait que reprendre le thème de la « vermine » qui viendrait tarir une « race pure », sous couvert de différences religieuses et culturelles. Dans l’Europe dominée par les nazis, il s’agissait de la « vermine juive », elle a juste été recolorée, mais c’est la même chose. Et en lieu et place du génocide industriel organisé dans les camps de la mort, il souhaite un génocide infectieux, permis par un virus.

Devons-nous laisser de tels « rossignols du carnage » s’ébrouer impunément ? Assurément que non, il faut une réponse pénale, car il est interdit en France d’en appeler au génocide, comme à la haine raciale, et une réponse politique. Le racisme n’est pas une opinion, c’est un crime. Si nos lois l’affirment, c’est pour une bonne raison, c’est que nous en connaissons les funestes conséquences.

Ces paroles doivent être condamnées par tous, et nous devons rappeler aux électeurs que, quels que soient les frustrations et reproches que nous pouvons, et devons, faire à l’Union, ce n’est pas en envoyant des représentants qui prônent la barbarie humaine que nous trouverons les voies qui permettront de ré-enchanter le rêve européen. Bien au contraire. Le FN n’est pas contre le système, il en est la pire des expressions, comme l’extrême droite l’a toujours été depuis son apparition dans le champ politique.

Jérôme Guedj, président (PS) du conseil général de l’Essonne

Asile et immigration: les orientations de la réforme Cazeneuve

Mediapart.fr

20 mai 2014 | Par Carine Fouteau

 Mediapart a consulté les avant-projets de loi sur l’accueil des réfugiés et le séjour des étrangers. Bernard Cazeneuve en présentera la version définitive fin juin. La procédure d’asile sera accélérée, les déboutés seront plus facilement expulsés, une carte de séjour pluriannuelle sera créée, ainsi qu’un « passeport talent ».

Manuel Valls les a initiés, Bernard Cazeneuve, qui a pris la suite de l’actuel premier ministre au ministère de l’intérieur, les défendra devant le Parlement. Réformant l’accueil des réfugiés et le droit au séjour des étrangers en France, les deux projets de loi attendus sur l’asile et l’immigration, les premiers d’envergure de la gauche au pouvoir, commencent à circuler, dans leur version temporaire, dans le milieu associatif. Plusieurs fois reportés dans la perspective des échéances électorales de 2014, ils doivent être présentés fin juin en conseil des ministres, après avoir été sousmis au Conseil d’État.

L’avant-projet de loi sur l’asile, daté du 6 mai 2014, comprend 27 articles en l’état. Il prévoit des changements importants dans l’examen de la demande, avec notamment l’accès des personnes à un avocat lors de l’entretien, et la possibilité pour l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) d’accélérer les procédures. En vue de leur expulsion, les déboutés du droit d’asile pourraient être assignés à résidence dans des centres d’accueil spécifiques « de préparation au retour ». Des délais abrégés de recours leur seraient appliqués.

 

S’inscrivant dans le droit européen, ce texte retranscrit trois directives (« qualification » du 13 décembre 2011, « procédures » du 26 juin 2013 et « accueil » du 26 juin 2013). Il se veut l’aboutissement d’une concertation, organisée en juillet 2013 par le ministère de l’intérieur avec les acteurs du secteur parmi lesquels des associations et des élus locaux. Il fait le constat d’un dispositif de l’asile à bout de souffle : l’allongement des délais d’examen (deux ans en moyenne au total), en partie dû à la hausse de la demande depuis 2007 (pour atteindre 66 251 en 2013), a pour effet d’engorger les centres d’hébergement (21.400 places) prévus pour les demandeurs d’asile et d’accroître les coûts liés aux allocations qui leur reviennent de droit.

À la sortie, l’enrayement est lié à la difficulté pour les personnes déboutées (76% en 2013) de quitter leur lieu de vie, où elles ont eu le temps de tisser des liens, et le territoire. Beaucoup restent en France, tombant dans l’illégalité. Après avoir rappelé que le droit d’asile est une « valeur fondamentale de notre pays », le ministre se fixe comme double objectif d’accélérer les procédures, tout en améliorant quelques-uns des droits individuels, et de garantir le « départ effectif » des étrangers dont la demande a été définitivement rejetée.

Le texte accroît les marges de manœuvre de l’Ofpra, dont l’indépendance est consacrée officiellement dans la loi, pour « dissuader » les demandes « manifestement » infondées. Les possibilités d’examiner rapidement tel ou tel dossier pour lui opposer une réponse négative seraient amplifiées. Le « pouvoir d’appréciation » de l’Office est renforcé, à la fois pour exclure (notamment les personnes originaires de pays considérés comme “sûrs”) mais aussi pour statuer prioritairement sur les dossiers remplis par des personnes vulnérables (mineurs, femmes enceintes, etc.). En application de la législation européenne, il est prévu que le demandeur puisse être assisté d’un conseil, au moment de l’entretien avec l’officier, et que la transcription de l’échange lui soit communiquée.

L’Ofpra, de son côté, pourrait exiger des pièces complémentaires, parmi lesquelles un certificat médical. Les demandes de réexamen risquent d’être écartées si elles sont estimées « manifestement dilatoires et formées dans le seul but de prolonger le maintien en France ». Le règlement de Dublin est réaffirmé : la demande d’asile ne peut être examinée que par un seul État membre de l’UE (en principe le premier que la personne a traversé physiquement). Si une démarche est engagée ailleurs, l’Ofpra peut refuser de se prononcer – le but initial étant d’éviter l’asylum shopping –, mais un recours en annulation doit néanmoins pouvoir être déposé. À la suite de condamnations de la Cour de justice de l’UE et de la Cour européenne des droits de l’Homme, les étrangers demandant l’asile en rétention ne seraient plus systématiquement placés en procédure dite accélérée, synonyme, le plus souvent, de rejet.

La Cour nationale du droit d’asile (CNDA), un temps menacée, conserve sa place d’autorité de recours. Il lui est fixé comme objectif de statuer dans un délai de quatre mois et, dans un certain nombre de cas (procédure accélérée, décision d’irrecevabilité et réexamen), de statuer « à juge unique » dans un délai d’un mois. Pour plus d’efficacité, l’aide juridictionnelle est affirmée comme étant de « plein droit ».

En matière d’hébergement, un schéma national, décliné par région, géré via un fichier informatique, serait mis en place sous la direction de l’Office français de l’immigration et l’intégration (Ofii) afin de répartir les demandeurs sur le territoire en fonction des places disponibles. En cas de refus des personnes, les conditions d’accueil seraient retirées. En cas de rejet définitif de la demande d’asile (recours compris), elles pourraient être expulsées de leur logement. La gestion de l’allocation financière forfaitaire couvrant les frais de nourriture et d’habillement de base est également confiée à l’Ofii.

Les déboutés ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) pourraient être assignés à résidence dans un « lieu d’aide et de préparation au retour » où leur serait délivré un « accompagnement spécifique », ce transfert permettant de facto de libérer des places dans les centres d’hébergement pour demandeurs d’asile. Ils se verraient appliqués des délais abrégés de recours contre la mesure d’éloignement les concernant, afin de faciliter leur départ de France.

La réforme du droit au séjour des étrangers sur les rails

Également promis de longue date par l’exécutif socialiste, l’avant-projet de loi relatif au droit au séjour des étrangers en France, dans une mouture susceptible d’être amendée, est pour l’instant constitué de 29 articles. Comme prévu par Manuel Valls, son objectif est de « sécuriser le parcours d’intégration » en créant une carte de séjour pluriannuelle et de contribuer à l’attractivité du pays en créant une carte destinée aux « talents internationaux ».

En matière d’accueil des immigrés au cours de leurs premières années en France, ce texte entend, dans le cadre du contrat prévu à cet effet, renforcer l’exigence de connaissance de la langue française, offrir une approche « plus concrète » des droits et devoirs de la République centrée sur l’organisation et le fonctionnement de la société et garantir l’accompagnement vers les services de droit commun.

Annoncé par François Hollande, étudié dans le rapport du député PS Matthias Fekl, un titre de séjour pluriannuel se substituerait à l’enchaînement des titres de séjour de quelques mois à un an. Il serait délivré au bout d’un an de résidence légale pour une durée maximale de quatre ans. Il devrait, selon l’exposé des motifs, permettre d’éviter les multiples passages en préfecture « vécus comme une contrainte et préjudiciables à la qualité de l’accueil et même à la lutte contre la fraude ». L’attribution de cette carte serait conditionnée à une exigence d’assiduité aux formations linguistiques et civiques prescrites par l’État. Elle ne serait pas considérée comme un « blanc-seing » : elle pourrait être reprise en cas de manquements à diverses obligations.

Les « talents » pourraient obtenir une carte spécifique – appelée « passeport talent » – d’une durée de quatre ans, en remplacement des divers titres existants, qui faciliterait l’arrivée de leur famille. Parmi les 10 000 étrangers potentiellement concernés, selon l’évaluation du ministère, sont listés les jeunes diplômés qualifiés, les investisseurs, les mandataires sociaux, les chercheurs, les travailleurs hautement qualifiés, les salariés en mission, les artistes et les étrangers « ayant une renommée internationale » dans les domaines scientifiques, littéraires, éducatifs ou sportifs.

Pour les étudiants, la réforme améliorerait l’adéquation entre la durée de la carte de séjour et le cursus d’enseignement suivi et simplifierait les changements de statut des titulaires d’un master qui voudraient accéder à un emploi correspondant à leurs compétences ou créer une entreprise.

En matière de reconduite à la frontière, le texte privilégie le recours à l’assignation à résidence, mesure moins coercitive que le placement en rétention. Mais les outils répressifs restent à disposition : l’autorité administrative pourrait ainsi recourir à la force publique, « si l’exécution de la mesure d’éloignement l’exige », pour assurer les missions d’escorte ou d’interpellation « directement liées à l’exécution d’office d’une procédure de retour ».

En cas d’enfermement, l’antériorité du juge des libertés n’est pas rétablie, mais, à la différence de ce qui a été mis en place lors du quinquennat précédent, le juge administratif saisi de la légalité de la décision de placement en rétention pourrait examiner la régularité des procédures d’interpellation et, le cas échéant, de retenue ou de garde à vue qui l’ont précédé. Une forme de recours « immédiatement disponible et effectif » serait de la sorte instituée. Pour lutter contre l’immigration irrégulière, le texte doublerait les amendes dues par les transporteurs, tandis que pour prévenir les fraudes, des échanges d’information pourraient être effectués. Quant aux ressortissants européens, ils pourraient être visés par une interdiction temporaire de circulation sur le territoire en cas d’« abus de (leur) droit de libre circulation » ou en cas de menace à l’ordre public.

 

 

Grand marché transatlantique : les tergiversations du Parti socialiste

Le monde diplomatique

Le 19 mai 2014 débutait le cinquième round de négociations entre Washington et Bruxelles autour du Grand marché transatlantique (GMT). A la veille des élections européennes du 25 mai, ce projet d’accord de libre-échange cristallise le rejet d’une Union européenne toujours plus éloignée des populations. Dans son édition de juin, « Le Monde diplomatique » consacrera tout un dossier au GMT : sa genèse (des racines idéologiques aux ambitions géopolitiques), les menaces qu’il représente sur la vie quotidienne (affaiblissements des normes sanitaires et sociales), les conséquences possibles de l’instauration d’un dispositif permettant aux entreprises de poursuivre les Etats en justice, les moyens à mobiliser pour faire échouer cet accord… Car la contestation gronde depuis quelques mois, et place le Parti socialiste (PS) dans une position de plus en plus inconfortable.

par Laura Raim,
mardi 20 mai 2014

« Nous avons tout à gagner à aller vite, lâchait le président François Hollande lors d’une conférence de presse à Washington, le 11 février 2014. Sinon, nous savons bien qu’il y aura une accumulation de peurs, de menaces, de crispations. »

La volonté d’accélérer les négociations en vue de créer la plus vaste zone de libre-échange du monde peut surprendre, a fortiori quelques mois après le scandale provoqué par les révélations sur l’espionnage des locaux de l’Union européenne par la National Security Agency (NSA) américaine. La sortie du chef de l’Etat français a en tout cas laissé perplexe l’Union pour un mouvement populaire (UMP) au Parlement européen. « Est-ce la chaleur du banquet officiel qui a inspiré à François Hollande cette stratégie de la précipitation ? Elle nous semble à tout le moins prématurée et peu judicieuse », commente l’eurodéputée Constance Le Grip dans un communiqué. L’emballement de M. Hollande va même à contre-courant de l’évolution du commissaire européen au commerce, pourtant très libéral. Face aux inquiétudes soulevées par le projet d’accord et notamment la procédure de règlement des différends entre Etats et investisseurs, M. Karel De Gucht a lancé une consultation publique en mars.

Sans doute est-il temps de cesser de s’étonner chaque fois que M. Hollande double l’UMP et la Commission sur leur droite. Le président n’est-il pas le fils spirituel de M. Jacques Delors, le ministre de l’économie qui a convaincu François Mitterrand de prendre le tournant de la rigueur en 1983 ? Après avoir défendu en France l’orthodoxie budgétaire, la désinflation salariale et la dérégulation financière, M. Delors a consacré son énergie, en tant que président de la Commission européenne (1985-1995), à éradiquer les obstacles limitant la libre circulation des biens, des services et des capitaux pour faire advenir un grand « marché intérieur » européen, en 1986. Ce processus de libéralisation a véritablement déployé tous ses effets de mise en concurrence des travailleurs, des fiscalités et des protections sociales au cours des décennies suivantes. D’une part, en 1994, l’Accord général sur le commerce et les tarifs (GATT) a été transformé en Organisation mondiale du commerce (OMC) afin d’accélérer la mondialisation ; de l’autre, en 2004, l’Union européenne s’est élargie pour inclure les anciens pays communistes.

Les socialistes ont longtemps eu foi dans la déréglementation du commerce comme un jeu à somme positive. M. Pascal Lamy, bras droit de M. Delors au ministère de l’économie au moment du tournant de la rigueur, a inauguré en 1999 son mandat de commissaire européen au commerce en réclamant qu’on lève l’interdiction d’importer des Etats-Unis des semences génétiquement modifiées. Peu après son entrée en fonction, ce proche de M. Hollande déclarait devant l’assemblée du Transatlantic Business Dialogue (TABD), le puissant lobby d’affaires qui porte depuis de longues années le projet de grand marché transatlantique (GMT) : « La nouvelle Commission soutiendra [les propositions du TABD] de la même manière que la précédente. Nous ferons ce que nous avons à faire d’autant plus facilement que, de votre côté, vous nous indiquerez vos priorités (1). »

Mais si, en 2003, M. Lamy pouvait encore déclarer sérieusement que l’« ouverture des échanges » allait « dans le sens du progrès de l’humanité (2)  », l’intensification de la désindustrialisation et la montée du chômage depuis la crise de 2008 ont considérablement décrédibilisé les célébrations de la mondialisation heureuse. Il n’est plus si facile pour les socialistes que nous avons rencontrés en avril 2014 (3) de défendre le principe d’un nouveau partenariat commercial.

Si une bonne partie d’entre eux assument un certain goût pour « l’entreprise » (terme dont le blog Tout va bien s’amuse à relever l’avalanche d’occurrences dans les discours socialistes), ils semblent moins sûrs d’eux quand il s’agit de vanter les mérites du GMT. Lorsqu’il a fallu se prononcer, le 23 mai 2013, sur le mandat de négociation confié à la Commission européenne, huit des onze eurodéputés socialistes français présents ont finalement opté pour l’abstention. Trois ont voté contre.

Même le député Thierry Mandon, pourtant à l’aise avec le discours pro-entreprises du gouvernement, se dit « a priori méfiant » : « Le discours sur la libéralisation des échanges facteur de croissance et d’emploi appartient plus aux années 1990 que 2000 », estime-t-il. M. Mandon défendait pourtant récemment un retour partiel à la défiscalisation des heures supplémentaires. L’aile gauche du Parti socialiste (PS) reste quant à elle ouvertement hostile à la poursuite des négociations. En juin 2013, la motion « Un monde d’avance » a déposé avec « Maintenant la gauche » un amendement au texte de la convention nationale exigeant leur suspension.

Rue de Solférino, au siège du PS, la direction du parti semble elle aussi avoir pris conscience des limites du mantra libre-échangiste. Depuis 2010, elle a commencé à rectifier le tir, au moins formellement. L’opération consiste à reconnaître que le libre-échange n’est pas la panacée, et qu’il faut lui substituer un autre idéal : le « juste échange ». La formule empruntée au souverainiste Philippe de Villiers et défendu par le député européen Henri Weber, trouve sa définition dans le texte de la Convention du PS de 2010 comme une voie intermédiaire entre le « libre-échange intégral » et le « protectionnisme autarcique » (4). Il s’agirait d’intégrer dans les traités commerciaux internationaux des normes sanitaires, environnementales, sociales et culturelles. Et, pour les marchandises qui ne respectent pas ces normes, des droits de douane — baptisés « écluses tarifaires » — devraient s’appliquer.

L’idée du juste échange figure dans le programme du candidat Hollande à partir de décembre 2011. Désormais, le GMT est supposé l’incarner. Le ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, M. Arnaud Montebourg, qui avait bâti sa campagne pour les primaires du PS, en 2011, autour du thème de la « démondialisation », prétend ainsi que le traité transatlantique représente un « rétrécissement de la mondialisation (5». L’argument : « Qu’est-ce que la mondialisation ? C’est tout le monde en concurrence avec tout le monde. En revanche, quand vous négociez un accord bilatéral, vous pouvez défendre vos intérêts. »

Au cas où, contre toute attente, l’accord final ne correspondait pas à leurs critères vertueux, les défenseurs du juste échange se montreraient intransigeants. « Si l’harmonisation des normes se fait par le bas, si on nous demande de nous aligner sur les Etats-Unis pour les préférences collectives, alors les socialistes du Parlement européen le rejetteront, comme ils l’ont fait pour l’ACTA (6) en 2012, ainsi que leurs chefs d’Etat, au Conseil », assure M. Weber.

C’est peut-être sans compter la pression à laquelle le gouvernement soumet les députés lorsqu’il tient à faire passer une loi. « Lors de la résolution sur le budget pluriannuel de l’Union, par exemple, Harlem Désir [alors premier secrétaire du parti] a appelé chaque député PS et lui a dit : “Le président te demande de voter pour ce budget” », se souvient l’eurodéputé socialiste Liêm Hoang Gnoc.

Sans vouloir casser le suspense, on peut se permettre de douter que la Commission, institution dont la mission première est de veiller à la « concurrence libre et non faussée », accepte de mettre en place des « écluses tarifaires ». Pour mesurer son souci du juste échange, il suffit de voir sa réaction lorsque la France a obtenu que l’audiovisuel soit exclu du mandat de négociation. Son président, M. José Manuel Barroso, a qualifié la position française de « réactionnaire (7)  », tandis que M. De Gucht a fait savoir que cette exclusion était « provisoire (8»

Laura Raim est l’auteure, avec Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger et Béatrice Mathieu, de Casser l’euro… pour sauver l’Europe, Les liens qui libèrent, Paris, 2014.

(1) Cité par Raoul Marc Jennar, Europe, la trahison des élites, Fayard, Paris, 2004.

(2) Débat avec José Bové, Le Nouvel Observateur, 4 septembre 2003.

(3) Thierry Mandon, Valérie Rabault, Seybah Dagoma, Pervenche Berès, Liêm Hoang Ngoc, Daniel Raoul et Henri Weber.

(4) Texte de la Convention nationale « Pour une nouvelle donne internationale et européenne » (PDF), adopté à l’unanimité le 9 octobre 2010.

(5) France Inter, 18 février 2014.

(6) Lire Florent Latrive, « Traité secret sur l’immatériel », Le Monde diplomatique, mars 2010.

(7) Entretien recueilli par l’International New York Times, Neuilly-sur-Seine, 17 juin 2013.

(8) Interview dans l’émission« Internationales » de RFI, TV5 et Le Monde, 16 juin 2013.

1ères Journées régionales de la LDH Aquitaine 9 et 10 mai à Bordeaux place Camille Jullian.

Flyer journees regionales version definitive

 

DIMANCHE 27 AVRIL à 11h45 au FORT DU HÂ BORDEAUX RENDRA ENFIN HOMMAGE AUX DÉPORTÉS HOMOSEXUELS

MDH - Logo

 

 

BORDEAUX RENDRA ENFIN HOMMAGE AUX DÉPORTÉS HOMOSEXUELS

 

 

Pour la première fois, les déportés homosexuels ne seront pas oubliés à Bordeaux

A l’occasion de la 

Journée du Souvenir de la Déportation,

pendant la cérémonie officielle, tous les motifs de déportation (y compris pour homosexualité)

seront visibles sur une oriflamme à côté du Monument aux déportés.

 

Une gerbe unique sera également déposée à la mémoire de tous les déportés.


Cette avancée est le résultat d’un travail mené depuis des années par le 

Mémorial de la Déportation Homosexuelle 

auprès de la Préfecture de la Gironde et de la Mairie de Bordeaux.

Cet acte, hautement symbolique, doit contribuer au souvenir des victimes homosexuelles du régime nazi,

mais aussi à lutter contre la recrudescence de l’homophobie ces dernières années.



VENEZ NOMBREUX !


Rendez-vous DIMANCHE 27 AVRIL à 11h45 au FORT DU H (rue des Frères Bonie, Bordeaux)

GABARIT-LDH-SECTIONS


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Discriminations: la France reste bloquée à tous les étages

Mediapart.fr

10 avril 2014 | Par Carine Fouteau

 Être homosexuel, une femme ou être issu de l’immigration n’est pas sans conséquence sur les parcours professionnels. Dans un numéro de la revue Économie et statistique consacré aux discriminations, l’Insee mesure ces inégalités de traitement que, paradoxalement, la possession de diplômes accentue parfois. 

Dans le dernier numéro de sa revue Économie et statistique publié jeudi 10 avril, l’Insee s’empare de la question des discriminations et la déplie sous tous ses angles en rassemblant les principales études françaises qui y sont consacrées. Il en ressort le portrait social d’une France structurellement minée par d’injustifiables blocages. Origines, handicap, hommes/femmes, orientation sexuelle : à tous les niveaux des parcours scolaires, de la vie professionnelle ou de l’accès au logement, les verrous s’accumulent jusqu’à produire une société dangereusement fermée et inégalitaire. Dangereusement, car cette situation provoque l’incompréhension, le repli, voire la défiance des intéressés.

Au cœur des ambitions présidentielles pendant la campagne électorale de François Hollande de 2012, la lutte contre les discriminations a connu quelques déclinaisons, avec la loi en faveur du mariage homosexuel et celle pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Mais l’élan des déclarations des débuts s’est enlisé, notamment en direction des descendants d’immigrés pour lesquels aucune mesure concrète n’a été conçue.

Dans son discours de politique générale, Manuel Valls s’est adressé à « notre jeunesse, celle notamment de nos quartiers populaires, victime trop fréquemment, je le sais, des discriminations »« Souvent, a-t-il ajouté, ces jeunes voudraient, mieux encore, aimer la France et être aimés d’elle. Je veux dire à ces talents qui pensent que la France ne leur fait pas de place que la France a besoin d’eux. » Le premier ministre s’en est toutefois tenu à cette observation générale, sans esquisser le moindre plan d’action.

Une des originalités de ce numéro est de n’exclure aucune méthode d’analyse. Y est représentée l’approche dite indirecte, qui part d’un constat statistique d’inégalité systématique entre deux populations pour aboutir à l’existence éventuelle d’un traitement discriminatoire. Longtemps dévalorisée, l’approche « expérimentale », qui passe par des opérations de testing, n’est plus écartée. Elle consiste à révéler des pratiques discriminatoires en mesurant les réactions d’agents à une situation construite par des chercheurs.

La démarche « subjective », quant à elle, vise à évaluer le ressenti des discriminations tel qu’exprimé par les victimes. C’est à elle que se rattache l’enquête Trajectoires et Origines (TeO) réalisée entre septembre 2008 et février 2009 à partir d’un échantillon de 21 000 personnes. Ces différentes approchent apparaissent comme complémentaires et « en plein renouvellement conceptuel », se félicitent dans l’introduction du volume Éric Delattre, du laboratoire ThEMA de l’université de Cergy-Pontoise, Noam Leandri, de l’Observatoire des inégalités, Dominique Meurs, professeure à l’université de Paris Ouest Nanterre-La Défense, chercheuse à EconomiX (CNRS) et chercheuse associée à l’Ined, et Roland Rathelot, du Centre de recherches en économie et statistique (Crest).

Si l’on prend l’exemple de l’emploi, la discrimination est avérée, selon la définition qu’en donne l’économiste américain James Heckman, « lorsque deux travailleurs pourvus de caractéristiques productives parfaitement identiques et qui ne se différencient que par des caractéristiques non productives, ne bénéficient pas du même traitement de la part d’une entreprise qu’il s’agisse d’accès à l’emploi, de formation, de promotions ou encore de niveau des salaires ». Mediapart a choisi de mettre l’accent sur trois cas patents de discriminations.

  • Origines et embauche

L’une des études les plus frappantes, menée par Emilia Ene Jones, chercheuse à l’université de Paris-Est, membre des équipes Erudite et TEPP, est consacrée à la discrimination à l’embauche des jeunes d’origine maghrébine en Île-de-France. Même plus qualifiés, ces derniers ont moins de chance de décrocher un entretien d’embauche qu’un candidat dont les parents sont de nationalité française. Ce résultat est obtenu à l’aide d’un testing : 441 candidatures ont été envoyées à 147 offres d’emploi pour des postes de technicien de maintenance en Île-de-France entre fin juillet 2010 et fin août 2010.

Trois profils identiques de demandeurs d’emploi ont été fabriqués : de nationalité française, ils sont célibataires, sans enfant, âgés de 28 ans, vivent en Seine-Saint-Denis dans des zones économiquement et socialement similaires et sont pourvus d’un permis de conduire B et d’une expérience professionnelle analogue. Seul un élément les distingue apparemment : deux jeunes hommes se sont vu attribuer un nom à « consonance maghrébine », tandis qu’un troisième répond à un nom « évoquant une origine française ». L’un des deux jeunes hommes identifiés comme d’origine maghrébine détient un diplôme plus élevé – un BTS – alors que les deux autres sont de niveau Bac.

Dans tous les cas, le candidat d’origine française obtient plus de réponses que les autres. Le candidat d’origine maghrébine plus qualifié a plus de chances d’accéder à un entretien d’embauche que l’autre candidat d’origine maghrébine, mais moins que le candidat d’origine française pourtant moins qualifié. Le candidat d’origine française reçoit une invitation d’entretien à l’embauche pour 4 CV envoyés en moyenne, contre 7 CV pour le candidat d’origine maghrébine de même niveau. Le candidat d’origine maghrébine ayant une formation supérieure doit envoyer 5 candidatures pour obtenir une invitation d’entretien à l’embauche. « Lorsque plusieurs candidats sont appelés, c’est en grande majorité le candidat d’origine française qui est appelé en premier », précise l’étude, soulignant l’« ampleur » de la discrimination constatée.

Femmes et hiérarchie

Dans une étude intitulée « Le salaire dépend-il du sexe du supérieur ? », Olivier Godechot, chercheur à Sciences-Po, MaxPo et l’Observatoire sociologique du changement (OSC-CNRS), se demande si les femmes placées dans une situation de supériorité hiérarchique promeuvent une plus grande égalité salariale entre les hommes et les femmes. Il se fonde sur deux enquêtes exploitant des statistiques des Déclarations annuelles de données sociales (Dads) – l’une baptisée SalSa pour Salaires vus par les salariés portant sur un échantillon de 3 000 salariés du secteur privé et de la fonction publique territoriale et hospitalière et l’autre appelée COI sur les Changements organisationnels et l’informatisation portant sur 14 000 salariés.

Après avoir rappelé qu’en France les femmes touchent en moyenne 25 % de moins que les hommes, l’auteur aboutit au résultat que les différences de salaires entre hommes et femmes sont effectivement plus faibles lorsque le supérieur est de sexe féminin. Mais que les niveaux de salaires sont alors aussi un peu plus faibles, y compris lorsque a été pris en compte le fait que les femmes deviennent plus facilement cheffes dans des métiers moins valorisés où les salaires sont moins élevés.

Plusieurs hypothèses sont mises en avant pour expliquer de moindres salaires sous la direction de femmes. D’une part, les femmes cadres bénéficieraient de moins de pouvoir que les hommes au même niveau hiérarchique, ce qui diminuerait leur marge de manœuvre en matière de distribution salariale. D’autre part, leur propre salaire étant moins élevé, elles éviteraient de trop augmenter les personnes sous leurs ordres afin de maintenir autant que possible un écart.

Les données exploitées montrent par ailleurs des pratiques managériales vécues différemment : les femmes sont perçues comme aidant davantage leurs subordonnés et les rencontrant plus souvent dans le cadre d’entretiens annuels. Le tutoiement est réputé plus fréquent avec elles, et la « performance » paraît moins considérée comme un facteur de progression salariale.

  • Homosexualité et salaires

En matière d’orientation sexuelle, les écarts sur le marché du travail sont également accablants. De nombreuses études portant sur les pays anglo-saxons ont révélé des discriminations. En France, la question fait l’objet de peu d’enquêtes statistiques. Thierry Laurent et Ferhat Mihoubi, membres, au moment de la rédaction de l’article, du Centre d’étude des politiques économiques (Epee) et de l’équipe Travail, emploi et politiques publiques (TEPP) de l’université Évry Val d’Essonne et UniverSud Paris, ont tenté de combler ce manque, à l’aide des données de l’enquête Emploi de l’Insee, en y sélectionnant les individus cohabitant avec une personne de même sexe dont ils se déclarent « ami » (accéder à l’étude).

Les limites méthodologiques sont d’emblée évoquées : cette recherche exclut les homosexuels qui vivent seuls et, à l’inverse, agrège des individus co-résidant avec une personne de même sexe pour de toutes autres raisons que l’orientation sexuelle. Les hommes ainsi identifiés ont un salaire environ 6 % plus faible que leurs homologues vivant en couple hétérosexuel, à caractéristiques identiques. Plus précisément, les revenus liés au travail sont inférieurs de 6 à 7 % dans le secteur privé, un écart d’ampleur comparable à celui «inexpliqué» (hors effets de secteur d’activité ou de mode de travail) entre les hommes et les femmes.

Contrairement à une idée répandue, l’homophobie n’est pas moins forte dans le secteur public puisque l’écart y atteint 5 à 6 %. Les salaires étant fixés à partir d’une grille, l’existence d’un tel différentiel peut alors s’expliquer par un « plafond de verre » qui s’exprimerait notamment lors des promotions, des notations et des changements de grade induisant des déroulements de carrière plus lents pour les gays.

La qualification ne suffit pas à éviter ce désavantage salarial : dans le secteur privé, il apparaît même plus élevé pour les travailleurs qualifiés que pour les non-qualifiés. Et il s’accroît également avec l’âge. Les femmes lesbiennes ne sont en revanche pas touchées par ces écarts, en raison, semble-t-il, d’une perception moins négative dans le monde du travail. Une légère différence en leur faveur est même observée dans l’étude, dans les entreprises privées tout du moins.

 

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/france/100414/discriminations-la-france-reste-bloquee-tous-les-etages

Le dérèglement climatique pousse toujours plus de migrants sur les routes

 Mediapart.fr

20 avril 2014 |

 Les hausses des températures modifient les déplacements de population à travers le monde. Au moment où les experts du Giec rendent public leur cinquième rapport, un livre consacré aux migrations internationales explique les effets du changement climatique sur l’urbanisation accélérée de la planète. 

Recensés dans le volumineux cinquième rapport du Groupe intergouvernemental d’experts de l’ONU sur l’évolution du climat (Giec), notamment dans son deuxième volet paru en avril 2014, les effets du réchauffement climatique sur les déplacements de population dans le monde font l’objet de débats politiques et juridiques aussi nombreux que passionnants. Mais les réalisations susceptibles d’améliorer le sort des personnes concernées restent balbutiantes et insuffisamment coordonnées.

Pour comprendre les enjeux liés à cette question multidimensionnelle, la publication de l’ouvrage compact de Christel Cournil, maître de conférences en droit public à l’université Paris-13 et membre de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), et Benoît Mayer, doctorant en droit à l’université nationale de Singapour et coordinateur d’un programme de recherche sur les migrations environnementales de l’université McGill à Montréal, Les Migrations environnementales, aux Presses de Sciences-Po, tombe à point nommé.

La situation est alarmante, puisque des dizaines de millions d’individus à travers la planète sont à la merci des mutations en cours, certaines causées par la main de l’homme, d’autres aux origines naturelles sans lien avec l’intervention humaine. Le parti pris du livre est toutefois d’éviter la polémique. Pas de prévisions catastrophistes, ni d’acteurs cloués au pilori. Tout en exposant les controverses, les auteurs invitent à renoncer aux visions simplificatrices en définissant aussi rigoureusement que possible le sujet pour identifier la terminologie pertinente et les solutions juridiques adéquates.

 

Au-delà de la variété des configurations des migrations environnementales (individuelles ou collectives, temporaires ou permanentes, volontaires ou contraintes, proches ou lointaines), des traits saillants sont repérables. Les changements climatiques poussent le plus souvent les personnes à quitter leur région mais pas leur pays. Alimentant un mouvement ininterrompu d’urbanisation, ils les incitent à se diriger en priorité vers les métropoles régionales, comme en témoignent, au Bangladesh et au Nigeria, les paysans chassés de leur terre venus tenter leur chance à Dhaka ou Lagos. Les populations déjà vulnérables vivant dans les pays aux structures politiques et économiques les plus fragiles, c’est-à-dire au Sud du globe, sont les plus touchées. Pour autant, les plus pauvres des pauvres se trouvent fréquemment empêchés de migrer, comme piégés, en raison du manque de ressources financières indispensables pour envisager de partir de chez soi.

Dans un souci de classification et de clarification, les auteurs répertorient plusieurs facteurs naturels déclenchants. Les désastres naturels soudains, comme les inondations, les ouragans, les typhons, les cyclones ou les glissements de terrain, peuvent conduire à l’évacuation forcée de milliers de personnes, généralement sur de petites distances. Beaucoup reviennent une fois la catastrophe passée. Sur les rives du Mékong, au Viêtnam, les populations ne se déplacent ainsi que de quelques mètres lorsque la rivière s’élargit. Dans le Nord-Kivu, en République démocratique du Congo, les fermiers déplacés par des coulées de lave retournent sur leur terre quelques jours après l’éruption, alors que la lave est à peine figée. Lors des inondations de l’hiver 2003, à Jakarta en Indonésie, les familles se sont regroupées aux étages supérieurs de leurs immeubles pendant quelques jours. À l’inverse, après le passage de l’ouragan Katrina, aux États-Unis, en 2005, les personnes ont eu tendance à parcourir des milliers de kilomètres pour retrouver du travail et bâtir une nouvelle vie, rendant leur retour moins fréquent.

La dégradation lente de l’environnement produit des migrations d’un autre type. En écho à la montée du niveau de la mer, à la salinisation des sols ou à la désertification, des personnes sont amenées, de manière plus individuelle, à faire le choix du déménagement. C’est le cas, par exemple, dans le Sahel africain, en Amérique latine et en Asie centrale, où les agriculteurs et les éleveurs voient leurs ressources progressivement grignotées par les intempéries. Certains, ceux qui en ont les moyens, finissent par faire le choix de la migration, le plus souvent vers la ville la plus proche. S’ensuit, de temps en temps, un périple plus long, et parfois clandestin, vers le Nord.

Le cas particulier des petits États insulaires de l’océan Indien ou de l’océan Pacifique menacés d’immersion provoque des déplacements irréversibles vers d’autres pays. Contrairement à une idée reçue, les départs résultent moins de l’élévation du niveau de la mer, qui n’est pas perçue comme un risque immédiat, que de l’appauvrissement des réserves d’eau douce découlant de l’acidification des océans (détruisant les massifs coralliens) et de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des tornades et des sécheresses. Les auteurs rappellent ainsi que l’urgence nationale a été déclarée à Tuvalu en 2011 à la suite d’une sécheresse de plus de six mois qui a épuisé les réserves d’eau potable.

Dans ces lieux en sursis, les départs sont massifs : près de 3 000 Tuvaluans, soit le quart de la population, vivent et travaillent à Auckland en Nouvelle-Zélande ; en Micronésie, le taux net de migration (différence entre immigrants et émigrants) est négatif (-2 %), de même qu’aux Maldives (-1,3 %), où la production d’eau douce par désalinisation est tout juste suffisante pour la population. Dès septembre 2008, Maumoon Abdul Gayoom, le président de cet archipel dont le point culminant atteint 2,4 mètres d’altitude, a tiré la sonnette d’alarme. Dans une tribune publiée dans le New York Times, il a évoqué les conséquences du changement climatique qui menacent « de réécrire les frontières, de causer des conflits et de violer les droits fondamentaux individuels à une échelle au moins comparable à celles des guerres majeures du XXe siècle ». Son successeur, Mohamed Anni Nasheed, a marqué les esprits en organisant, en octobre 2009, le premier conseil des ministres sous-marin de l’histoire. Il s’est même dit prêt à acheter de nouvelles terres où la population des Maldives pourrait se relocaliser.

«Une personne ne peut pas être persécutée par des facteurs environnementaux»

La décision d’émigrer est rarement le résultat du seul facteur climatique, notent les auteurs. Les raisons économiques, politiques, sociales, démographiques et/ou environnementales s’entremêlent et interagissent. Les éleveurs nomades de Mongolie en sont une illustration : ils migrent actuellement massivement vers Oulan-Bator en raison des pertes importantes de bétails qu’ils subissent sous l’effet combiné des sécheresses estivales (exacerbées par le réchauffement climatique) et des hivers glaciaux. Mais le climat ne fait pas tout. La chute du communisme en 1990 s’est accompagnée d’une désorganisation du secteur agricole, ainsi que d’une concentration des investissements sur la capitale, qui les poussent à se reconvertir pour survivre.

La difficulté à circonscrire le phénomène rend les estimations numériques particulièrement incertaines. Selon les auteurs, les travaux de l’Internal displacement monitoring center (IDMC) et du Norwegian refugee council sont néanmoins les plus crédibles. D’après leurs conclusions, entre 16,7 et 42,3 millions de personnes ont été déplacées chaque année de 2008 à 2012 par des désastres naturels (sans compter les migrations à la suite de changements lents de l’environnement), principalement en Asie.

Réfugiés climatiques, migrants ou déplacés environnementaux ? Comment désigner un processus multifactoriel aussi large et mouvant ? Les auteurs notent que le terme de « réfugié » est souvent mal vécu par les personnes elles-mêmes. En témoigne l’exemple de La Nouvelle-Orléans après Katrina. En évoquant le sort des 1,2 million de « réfugiés environnementaux » de la ville, une partie de la presse américaine s’est attiré les foudres des victimes qui ne se sont pas reconnues dans ce vocabulaire. Le président d’alors, George W. Bush, est même intervenu pour affirmer que ces personnes « ne sont pas des réfugiés. Ce sont des Américains, et ils ont besoin de l’aide et de l’amour et de la compassion de nos compatriotes », comme si le terme de réfugié devait être réservé aux habitants du « tiers-monde ». Le recours à ce mot est par ailleurs problématique juridiquement, dans la mesure où il n’entre pas dans la définition de la Convention de Genève des réfugiés politiques. « Il est difficile de considérer qu’une personne puisse être persécutée par des facteurs environnementaux : la notion de persécution semble renvoyer à un comportement intentionnel, destiné à porter préjudice. À l’inverse, si des facteurs environnementaux peuvent porter préjudice, l’intention est absente, soulignent Christel Cournil et Benoît Mayer. En tout état de cause, la définition d’un réfugié contient une deuxième condition : la persécution doit cibler un groupe particulier. L’appartenance à un tel groupe fait généralement défaut dans le cas des personnes affectées par un phénomène environnemental. »

Le concept est toutefois défendu par celles et ceux qui jugent utile de l’appuyer sur un dispositif existant, pour en étendre le champ d’application. Parce qu’il n’est pas aisé de déterminer dans quelle mesure un événement météorologique donné relève ou non d’un changement du climat provoqué par l’activité humaine, les auteurs du livre semblent préférer la référence aux migrations environnementales plutôt que climatiques. Quant à « déplacé », ce terme renvoie, selon eux, à la contrainte du déménagement et, en ce sens, rend mal compte du fait que d’innombrables migrations environnementales sont volontaires.

Les victimes se comptent par milliers. Mais où sont les responsables ? Les migrants environnementaux, comme les auteurs se résolvent à les appeler, bénéficient pour l’instant de peu de protection juridique. Les débats sur les solutions à apporter s’organisent selon deux axes : soit privilégier la solidarité internationale, en mettant l’accent sur les droits de l’homme, soit insister sur la responsabilité des États, et notamment de ceux du Nord, pour instaurer des taxes de type pollueur-payeur. Les propositions, depuis une dizaine d’années, se multiplient dans le cadre des rencontres internationales entre États, groupes de pressions et ONG.

En raison de la focalisation à l’échelon mondial sur les questions de sécurité, l’adoption d’un traité international sur la protection de ces migrants semble aujourd’hui hors de portée, estiment les auteurs qui jugent les réponses politiques et institutionnelles apportées « fractionnées et insuffisantes ». Les projets ambitieux de conventions internationales, engagés à partir de la fin des années 2000, restent inaboutis. En revanche, des initiatives pragmatiques passant par un droit souple (soft law) suscitent de l’espoir, veulent croire les chercheurs, citant le processus intergouvernemental connu sous le nom de « Nansen », lancé en 2012, visant à trouver, entre États volontaires, un consensus sur la meilleure manière de répondre aux effets migratoires des « catastrophes naturelles lentes et soudaines ».

Certains États agissent d’ores et déjà, comme la Finlande, la Norvège et la Suède, où il existe une protection subsidiaire pour les personnes incapables de retourner dans leur pays d’origine à la suite d’un désastre environnemental. L’absence de « déferlantes » de ces réfugiés n’encourage pour autant pas leurs voisins à les imiter. Au niveau continental, l’Union européenne semble étrangement en retrait sur un sujet recouvrant deux préoccupations prétendument majeures (droits de l’Homme et changement climatique) susceptibles de bouleverser les équilibres mondiaux dans les années à venir.

Éditorial Par Denis Sieffert

 – 17 avril 2014

Le temps du rassemblement

 

Il ne s’agit pas de nier les différences, voire les antagonismes, ni de prétendre les abolir. Il ne s’agit pas de fusionner, mais de rassembler.

Àla veille d’une manifestation plutôt réussie, samedi dernier, sur nos boulevards parisiens ensoleillés, deux députés écologistes ont publié dans le Monde une tribune en tout point intéressante. Les auteurs, Sergio Coronado et Noël Mamère, y approuvaient la décision de Cécile Duflot et de Pascal Canfin de ne pas participer au gouvernement de Manuel Valls. Ils y expliquaient pourquoi eux-mêmes, en s’abstenant, avaient choisi de ne pas accorder leur confiance au nouveau Premier ministre, et ils invitaient leurs petits camarades d’Europe Écologie-Les Verts à préparer « le jour d’après ». Enfin, ils plaidaient pour une « écologie populaire » qui échapperait au stéréotype du bourgeois-bohême, le fameux « bobo », plutôt mal vu du prolétaire et de l’agriculteur. Toutes propositions qui ne sont évidemment pas pour nous déplaire. Après quoi, Coronado et Mamère traçaient les contours d’une « gauche sociale et écologiste » qui, disent-ils, existe bel et bien « en germe » dans le pays.

Dans ce périmètre, ils recensaient « les déçus du hollandisme, notamment la gauche du Parti socialiste », mais aussi « les groupes et mouvements citoyens qui cherchent […] une traduction politique à leurs actions de terrain ». Seul bémol dans ce discours irénique, la flèche décochée à une gauche qui aurait « le sectarisme pour boussole ». Il se pourrait bien (mais je peux me tromper…) que cette saillie vise Mélenchon et peut-être même Pierre Laurent. La question est de savoir s’il s’agit d’une exclusion du Front de gauche du cercle vertueux de la « gauche sociale et écologiste », ou d’une invitation aux uns et aux autres à témoigner de moins de sectarisme. Mais, quoi qu’il en soit, et même si les emportements atrabilaires de Mélenchon peuvent parfois défriser, qui pourrait sérieusement prétendre au rassemblement en écartant le PCF et le PG ? Encore moins en ce lendemain de manif alors que le Front de gauche a fait une nouvelle fois la démonstration de sa capacité de mobilisation d’une gauche qui n’est pas « bobo ». Et si l’on veut faire souffler sur le pays cet « esprit de Grenoble », invoqué par Coronado et Mamère, il faut réunir tout le monde.

À Grenoble, les écologistes et le Parti de gauche sont allés ensemble à la bataille et l’ont remportée. Même lorsque les reproches sont fondés, ils doivent s’effacer devant la gravité des enjeux actuels. Nos deux écolos tribuniciens en citent un qui est de taille : le fameux traité transatlantique qui, disent-ils à juste titre, « fera tomber toutes les normes environnementales et sanitaires protectrices, et permettra à des multinationales d’attaquer les États devant les tribunaux ». Pour ne parler que de l’aspect écologique d’un problème qui est tout autant social. Et nous sommes à la veille d’un plan d’austérité qui ne dit pas encore son nom. Notre gouvernement socialiste étant irréversiblement engagé dans cette mauvaise voie, il en va de la survie de la gauche. Une opposition doit donc se dresser. Il ne s’agit évidemment pas ici de nier les différences, voire les antagonismes, ni de prétendre les abolir. Il ne s’agit pas de fusionner, mais de rassembler. Quelques élus écolos, des personnalités de la gauche du PS ont montré le chemin en manifestant samedi contre l’austérité, aux côtés des militants du PCF, du PG et du NPA. Pas sûr pour autant qu’ils soient tous d’accord sur le sort de la centrale de Fessenheim ou sur l’analyse de la crise ukrainienne. En cette année anniversaire, il ne devrait pas être déraisonnable de songer à une nouvelle « synthèse jaurésienne ». Certes, nous ne sommes plus en 1905. C’est l’écologie et le social qu’il faut aujourd’hui marier. Mais, par-dessus tout, c’est la démocratie qu’il faut revitaliser. Il est proprement insensé que notre pays ait deux discours, l’un à Paris, l’autre à Berlin. Nous venons encore de voir comment, en visite dans la capitale allemande lundi, Manuel Valls a dû se soumettre après avoir laissé entendre à l’Assemblée qu’il demanderait un sursis pour la réduction des déficits publics.

Il est impensable que la gauche – celle qui n’accepte pas la fatalité – renonce à des questionnements essentiels sur cette Europe, et sur d’autres grands sujets identitaires, comme la réduction du temps de travail, une fiscalité juste, la question de la croissance et les moyens de lutter contre l’endettement sans ébranler toute notre architecture sociale. On voit bien que, depuis quelques semaines, la colère gronde jusque dans les rangs du PS, que des intellectuels, des économistes bousculent les dogmes « européistes ». Il faut utiliser cette fenêtre de tir. Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs au point de croire que tous les élus vont d’un coup se délier du fil à la patte qui leur assure un statut social – cette dimension de la politique n’est ni négligeable ni méprisable – et que les logiques d’appareil vont disparaître. Mais il faut au moins espérer que des lieux et des espaces permettent des rapprochements pour de vrais débats. Le moment l’exige et il nous semble qu’une certaine prise de conscience le permet.

Christian Paul (PS): «En l’état, je ne voterai pas» le plan Valls

 

Mediapart.fr

16 avril 2014 | Par Lénaïg Bredoux

 

Christian Paul.
Christian Paul. © (dr)

Le député socialiste de la Nièvre, un des initiateurs de « l’appel des 100 » parlementaires critiques du gouvernement, dénonce les mesures d’économies annoncées par Manuel Valls, qu’il qualifie d’« injustes ». Il juge également « irrespirable » le mépris de l’exécutif pour sa majorité parlementaire.

La colère montait depuis des semaines. L’annonce des mesures d’économies mercredi par Manuel Valls, à la sortie du conseil des ministres, l’a encore fait monter d’un cran. « L’appel des 100 » députés socialistes, critiques de l’orientation du gouvernement, demande une nouvelle rencontre avec le premier ministre pour lui présenter un programme alternatif. Ils préconisent un pacte de responsabilité réduit à 35 milliards d’euros avec des aides ciblées sur certaines entreprises, et un assouplissement du calendrier pour atteindre l’objectif européen de 3 % de déficit.

Un des initiateurs de cette fronde parlementaire, le député Christian Paul, proche de Martine Aubry, explique pourquoi il s’oppose aux mesures du gouvernement.

Dès l’annonce des mesures de Manuel Valls, vous avez exprimé sur Twitter votre désaccord « sur la forme et sur le fond ». Pourquoi ?

Christian Paul. Nous indiquons depuis des mois au gouvernement les réserves exprimées au groupe socialiste sur le pacte de responsabilité. Nous avons répété que financer des aides aux entreprises en réduisant les prestations sociales serait un marché difficile à mettre dans la main des parlementaires. Nous avons exprimé le besoin collectif d’améliorer les méthodes et les rapports entre l’exécutif et le parlement, fort malmené depuis 22 mois.

Là, nous faisons face à un dérèglement institutionnel. Mercredi matin, nous étions entre 100 et 150 députés socialistes réunis salle Colbert, à l’Assemblée nationale, en attendant des ministres qui ne sont jamais arrivés (André Vallini et Marylise Lebranchu, ndlr). Et nous avons découvert à la télévision, dans un silence total, les annonces du gouvernement.

Aucun d’entre nous ne connaissait le moindre détail du programme d’économies et aucun d’entre nous ne savait qu’il allait être annoncé dès aujourd’hui. C’est là qu’est le dérèglement institutionnel ! La volonté affichée par le gouvernement de revitaliser le parlement et, à travers lui, de faire davantage entendre les citoyens, a été oubliée avant même d’être mise en œuvre…

 

Manuel Valls avait pourtant insisté la semaine dernière lors de son discours de politique générale sur sa volonté d’associer davantage le parlement. Le secrétaire d’État aux relations avec le parlement, Jean-Marie Le Guen, ne vous a pas rappelé ce message quand le groupe PS l’a rencontré mardi ?

Jean-Marie Le Guen a rappelé les engagements du premier ministre mais il a aussi théorisé l’idée qu’il n’y a pas de contrat entre le président de la République et le Parlement. Selon lui, l’exécutif a une légitimité supérieure due à l’élection du président au suffrage universel. Mais aucun pouvoir exécutif n’est obligé de maltraiter sa majorité ! D’autant plus que nous sommes, nous aussi, convaincus qu’il faut un programme d’économies et redresser les comptes publics.

Sur le fond, ce qui nous heurte réellement, c’est que l’objectif de justice, rappelé par Manuel Valls, n’est pas atteint. Quand on annonce un gel des prestations pendant 18 mois, cela se traduit par un appauvrissement de pans entiers de la société française ! Des salariés, des retraités, des précaires, des jeunes qu’il faudrait préserver vont perdre du pouvoir d’achat.

En réalité, cela signifie que 50 milliards pour le pacte de responsabilité, c’est trop. Ce n’est ni réaliste ni réalisable. Il faut mieux le cibler.

Comment ?

Nous allons soumettre à Manuel Valls nos propositions. Selon nous, le pacte ne peut pas dépasser 35 milliards d’euros. Il faut cibler les baisses de prélèvements obligatoires pour les entreprises qui recrutent, qui investissent ou qui forment leurs salariés. Cela permettrait de faire un effort d’économies, mais sans reculs sociaux et sans reculs des services publics.

C’était déjà le même débat sur le pacte de compétitivité (CICE) à l’automne 2012…

Oui. Déjà la première fois, les mesures avaient été financées pour partie par la hausse d’un impôt injuste, la TVA. Nous n’avions pas applaudi. Là, cela va beaucoup trop loin. C’est pourquoi nous avons formulé des contre-propositions.

 

Christian Paul
Christian Paul © Richard Ying, Flickr

 

Si vous réduisez à 35 milliards d’euros le pacte de responsabilité, vous pouvez annuler les 11 milliards annoncés de baisses des prestations sociales. Mais pour le reste, quelles économies comptez-vous faire ?

Si nous pensons que 35 milliards sont un maximum, nous pensons aussi que la trajectoire de réduction des déficits publics n’est pas crédible. Même si on maintient l’objectif de 3 % de déficit, il faut jouer sur les délais avant d’y parvenir. Nous allons là aussi proposer une trajectoire alternative.

Nous ne voulons pas que s’installe un débat totalement stérile entre ceux qui seraient les cigales et ceux qui seraient les fourmis. Il n’y a pas d’un côté les réalistes et, de l’autre, les démagos. Nous voulons un débat responsable, même s’il est difficile, et peut-être douloureux demain si nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord. Nous sommes à la recherche de solutions justes et d’une politique efficace. Et le président de la République ferait bien d’écouter sa majorité – ce qu’il ne fait pas.

J’ai le sentiment que le premier ministre défend avec énergie un programme qui est avant tout porté et assumé par le président de la République. Mais l’énergie ne fait pas une politique. Manuel Valls aurait été plus inspiré à trouver une voie plus juste et plus acceptable. Il a encore la possibilité de le faire.

En l’état, voterez-vous le programme de réduction des déficits publics qui sera présenté à Bruxelles et soumis aux députés le 30 avril ?

En l’état, et à titre personnel, je ne voterai pas l’avis sur le programme de stabilité. À ce propos, je ne crois pas du tout à la menace parfois évoquée d’une dissolution. Si le gouvernement prend enfin le temps du dialogue, un accord est possible avec la majorité. Mais il ne prend pour l’instant ni le temps ni le chemin du dialogue. C’est inexplicable et irrespirable !

Pourquoi ?

C’est pour moi un des mystères de ce quinquennat.

La présentation du plan d’économies par Manuel Valls

Pensez-vous que François Hollande dispose d’une majorité pour la politique annoncée lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014 ?

Tout le monde est au pied du mur et tout le monde devra prendre ses responsabilités. Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, à quinze jours d’un vote, nous avons un devoir d’alerte, nous exprimons une injonction au dialogue et le souci de trouver un compromis juste. En réalité, face à l’emballement et à l’accélération que provoque l’exécutif, c’est nous qui sommes les modérés.

Vous avez d’ailleurs voté la confiance à Manuel Valls.

Nous avons voté l’investiture, davantage que la confiance, parce que nous ne voulions pas hâter d’une heure le retour de Jean-François Copé ou de Nicolas Sarkozy. Je l’assume.

Mais c’est vous qui agitez la menace de la dissolution ! Refuser la confiance ne signifie pas une dissolution… François Hollande pouvait nommer un autre gouvernement.

Certes. Mais nous ne voulions pas provoquer une crise institutionnelle. Le fait d’avoir voté l’investiture ne nous condamne pas à être des exécutants. Il faut recréer dans ce pays une culture démocratique qui permette à des parlementaires de faire vivre leur mandat au nom du peuple. À l’occasion de ce moment de tension, nous devons aussi être capables d’inventer de nouveaux rapports entre les pouvoirs.

La boîte noire :L’entretien a été enregistré mercredi après-midi par téléphone. Il n’a pas été relu par Christian Paul.