CINÉ-DÉBAT FILM « NO LAND’S SONG » le 8 décembre à 20h
à la Médiathèque de Mâcon
Film de Ayat Najafi, sorti le 16 mars 2016 – 1h35 min – Documentaire musical
Avec Sara Najafi, Parvin Namazi, Sayeh Sodeyfi
Nationalités allemand, français, iranien
DÉBAT avec Yann RICHARD : PROFESSEUR ÉMÉRITE A L’UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE, et directeur de l’Institut d’études iraniennes (IEI), il est spécialiste de la sociologie religieuse du chiisme moderne, de l’histoire de l’Iran contemporain ainsi que de littérature persane.
M.Richard présentera quelques exemplaires de son livre L’Iran de 1800 à nos jours (Flammarion, Champs, 11€)
SYNOPSIS : En Iran, depuis la révolution de 1979, les femmes n’ont plus le droit de chanter en public en tant que solistes.
Une jeune compositrice, Sara Najafi, avec l’aide de trois artistes venues de France (Elise Caron, Jeanne Cherhal et Emel Mathlouthi), va braver censure et tabous pour tenter d’organiser un concert de chanteuses solo.
La LDH soutient le film documentaire « No Land’s Song », d’Ayat Najafi
Prix du meilleur documentaire au Festival des films du monde de Montréal
En Iran, depuis la révolution de 1979, les chanteuses ne sont plus autorisées à se produire en soliste, du moins devant un parterre composé (en partie) d’hommes… Voulant rendre hommage aux grandes artistes des années 1920, Sara Najafi, une compositrice de Téhéran, est déterminée à faire revivre la voix des femmes. Défiant la censure, elle veut organiser un concert pour des chanteuses solistes et rouvrir un pont culturel entre Paris et Téhéran. Elle invite Élise Caron, Jeanne Cherhal et Emel Mathouthi à venir rejoindre Parvin Namazi et Sayeh Sodeyfi dans leur combat. Durant deux ans et demi, Sara se voit opposer des refus, des réunions régulières au ministère de la Culture mettant en lumière la logique et l’arbitraire du système. Mais jusqu’où aller trop loin ? La solidarité interculturelle et le pouvoir révolutionnaire de la musique triompheront-ils ? Thriller politique et voyage musical, No Land’s Song ne perd jamais de vue son véritable centre – la voix des femmes.
Ne pas avoir le droit de chanter en public devant des hommes est un interdit tellement ridicule et surtout humiliant pour les femmes, que Sara Najafi a décidé d’en prendre le contre-pied.
C’était en 2009, précise-t-elle, une année de révolte en Iran. La rue est en ébullition contre les autorités après l’élection tronquée du président Mahmoud Ahmadinejad. Un mouvement vite retombé car durement réprimé. Mais Sara, elle, a gardé son idée en tête et l’a fait mûrir pendant trois ans jusqu’à faire naître un projet à la fois simple et complexe : organiser un concert officiel pour femmes solistes en faisant monter sur scène non seulement des Iraniennes mais aussi deux Françaises et une Tunisienne. Le tout filmé par son frère Ayat Najafi.
La première mission de Sara est alors de convaincre. Convaincre le père d’une des chanteuses iraniennes de laisser sa fille participer au projet. Convaincre les chanteuses françaises de s’emparer du répertoire perse d’avant la Révolution islamique. Convaincre la chanteuse tunisienne (qui s’est fait connaître lors des manifestations anti-Ben Ali de janvier 2011) du caractère subversif du projet. Convaincre, enfin, une poignée de musiciens à Paris et à Téhéran de s’accorder ensemble. Mais ceci est la partie la plus facile.
Les vrais problèmes commencent quand Sara se met à défier le pouvoir de la censure. « C’était notre principal objectif »,précise Ayat qui, avant de réaliser des films, montait des pièces de théâtre engagées à Téhéran. « Montrer comment fonctionne la censure de l’intérieur et en même temps la combattre. »
La caméra cherche alors à se faufiler au plus près du système. Recouverte de noir de la tête au pied, on aperçoit Sara entrer au ministère de la Culture et de la Guidance islamique. Puis, dans l’ascenseur, on la voit glisser rapidement un microphone sous son corsage. Et, soudain, l’écran devient noir. Seule sa voix et celles des fonctionnaires se font entendre. Sara se rend au moins cinq fois au ministère dans l’espoir d’y décrocher une autorisation. Un jeu d’hypocrisie total mais révélateur des absurdités du régime.
Troquant ses habituelles tenues colorées et élégantes contre une lugubre abaya, Sara va même demander des explications à un théologien. Les arguments avancés par l’érudit en religion sont tellement rocambolesques que la scène en devient truculente. Sur un ton des plus sérieux, il explique que « la fréquence de la voix de la femme ne doit pas dépasser une certaine limite ».
« Pour nous, c’était important que cette scène existe. En Iran, les deux clans cherchent à s’ignorer. On voulait les faire se rencontrer. On voulait aussi montrer que le problème n’est pas cet homme mais l’idéologie qu’il porte. »
Mais aussi, et c’est là où le film est si radieux, il s’agissait de partager l’énergie, l’engouement, la rencontre et le partage d’artistes mus par le désir de mettre leur art en commun au-delà des frontières et des répertoires, faire résonner le plus beau et le plus universel des instruments : la voix. La figure tutélaire de Qamar plane sur le projet, elle qui lapremière a chanté en public devant des hommes dans les années 1920, sans porter le voile. Faire vibrer la voix des femmes dans des chants au pouvoir éminemment subversif mais également faire savoir que Téhéran fut autrefois une ville dans laquelle le spectacle et le divertissement ont existé est une des autres dimensions de No Land’s Song. Arpenter les lieux décatis et désertés transformés en vulgaires entrepôts, c’est dire ce qui fut et implicitement suggérer ce qui pourrait à nouveau être. Résister et entrevoir, faire germer un possible.
Ce film est beau : beauté des personnes et du projet, beauté des voix et du chant ; il constitue un magnifique hommage au courage, à l’obstination et à la solidarité féminine dont il porte témoignage. Comme beaucoup de documentaires actuels, il refuse la voix off pour nous plonger au cœur de l’intrigue que représente le projet fou de Sara et nous fait voyager de Téhéran à Paris, aller-retour, dans un équilibre très juste de ces différents moments du projet et ce sont les dernières répétitions à Téhéran qui recèlent la charge émotive le plus forte. Le spectateur, en empathie avec Sara et ses ami-e-s, est emporté, suspendu à la réussite espérée. Dans la simplicité et la sincérité du propos, pointe un brin d’utopie. Une leçon de courage dont on ressort ému, plein d’énergie et d’airs empreints de liberté.
Seul bémol, il aurait été intéressant de savoir comment a été financé ce projet, et donc de quels appuis il a bénéficié.
Aucune diffusion officielle n’est prévue en Iran mais le réalisateurespère que le film sera piraté et vendu sous le manteau. « C’est un film qui est d’abord fait pour les Iraniens ».
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