QUELS BENEFICES POLITIQUES LES IDENTITAIRES CATHOLIQUES TIRENT-ILS DE LA CRISE DU COVID ? (30/05/2020)

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Par les bouleversements politiques et sociaux qu’elle provoque dans des domaines où l’extrême-droite est particulièrement investie, la nation, les frontières, la famille, les femmes, les banlieues, l’Etat d’urgence sanitaire lié à l’endémie du Covid a particulièrement mobilisé les identitaires catholiques entre le 16 mars et le 11 mai 2020. Pour cerner leur impact dans le débat, la section de Paray-le-Monial de la LDH a consulté les blogs et sites des réseaux sociaux de 12 personnalités influentes toutes liées à l’Emmanuel-Manif Pour Tous. En ce qui concerne les politiques, ils appartiennent à différents partis : LR (Gosselin, Retailleau, Bellamy, Boyer), le Parti Chrétien- Démocrate (Poisson), le Front National (Gollnisch), la Ligue du Sud (Bompart) ou associations : le think thank La Droite libre (Vanneste), Alliance Vita (Derville), l’AGRIF (Antony). Le monde religieux est représenté par Dominique Rey et Marc Aillet, évêques de Toulon-Fréjus et de Bayonne ainsi que Benoît Guédas, recteur des Sanctuaires de Paray-le-Monial.

Face au Covid, les POLITIQUES se saisissent des erreurs de jugement, des mensonges, de l’arrêt des activités économiques et sociales, pour mettre en cause « la gestion calamiteuse du gouvernement », justifier leurs propres positions nationalistes et prophétiser le malheur. Selon Christian VANNESTE (14/4) « Tous les indicateurs de notre pays sont dans le rouge, déficits du budget, de notre balance commerciale, dette … qu’il faudra payer alors que le chômage a moins diminué en France que dans la plupart des pays européens, et que notre industrie s’est effondrée ». Bruno GOLLNISCH, pointe (18/3) non sans satisfaction et ironie, le « repli nationaliste » (sic), de Macron qui « annonce à grands sons de trompe que l’on ferme les frontières de l’Union européenne ou de l’espace Schengen aux ressortissants extra-européens ». Par contre, avec le recours au Mécanisme Européen de Stabilité, Jean-Frédéric POISSON dénonce, le 28 mars-3 avril, une « perte de souveraineté nationale » et annonce des mesures d’austérité « qui plongeraient la France dans une situation comparable à celle de la Grèce ». Le 26 avril, François-Xavier BELLAMY revient aux fondamentaux identitaires avec des accents tragico-pessimistes pour mettre en cause l’héritage des Lumières à travers une dénonciation de l’idée de progrès -« L’histoire n’est pas le récit d’un progrès continuel »-, pointer la prétendue fragilité de notre démocratie : « l’incroyable fragilité de l’Etat, (le) dénuement de la puissance publique…. la vulnérabilité du monde occidental » et conclure : « Je suis inquiet de ce que serait notre capacité de réaction si nous étions réellement en guerre ». Dans ce registre, Bruno RETAILLEAU est plus explicite le 9 avril dans un article au Figaro : « Notre État est omniprésent et pourtant il est impotent. Cette crise sonne la défaite du progressisme avec sa croyance au progrès perpétuel, à l’émancipation individuelle, à l’abolition des frontières et des nations. Il faudra renoncer à la croyance que l’on peut construire le bien commun par l’addition des droits individuels et réintroduire notre nation souveraine dans le cours de l’Histoire». Ainsi le « bien commun » évoqué ne s’inscrit-il pas dans l’universalité des droits de l’Homme, mais se réfère-t-il au corpus d’une philosophie d’origine thomiste :  fondé contre la modernité politique à la fin du XIXème siècle par Léon XIII, utilisé pendant la Manif Pour Tous par l’archevêque de Paris, le « bien commun » est servi par une justice issue de la volonté de Dieu, supérieure à celle des hommes (Céline Béraud et Philippe Portier dans « Métamorphoses catholiques » p. 70).  Ainsi s’agit -il d’une attaque ouverte contre la république laïque et d’une référence implicite aux « racines chrétiennes» qui font prévaloir les valeurs religieuses sur les droits de l’Homme et dont les identitaires réclament l’inscription dans les constitutions européenne et française.

Les thématiques sociétales abordées se focalisent sur la multiplication des sites pornographiques gratuits, le report du bac en septembre pour les élèves des écoles hors contrat et le report de l’ouverture des églises au-delà du 11 mai.  La pornographie inspire Tugdual DERVILLE qui s’émeut le 17 mars : « Toute crise attire les profiteurs. En voilà qui n’hésitent pas à surfer sur l’isolement, le désœuvrement et le mal-être pour diffuser leur pourriture, accrocher de nouveaux clients et leur inoculer leur porno-virus. Profiter du Covid 19 pour mettre la drogue de l’âme en promo ! ».  Le 3 avril, concernant le report du bac, Jean-Frédéric Poisson considère que c’est « un nouveau coup de rabot donné à la Liberté, l’Égalité, et la Fraternité, donné par ceux qui pourtant nous bassinent avec les « valeurs de la République ». Le 21 avril, Valérie BOYER dépose une uestion écrite au Ministre de l’Education nationale et affirme qu’il y a une « rupture d’égalité quand les élèves des établissements hc ne sont pas admis au bac sur dossier ».  Enfin, le report de l’ouverture des églises suscite de très nombreuses protestations et une riposte médiatique et politique d’ampleur. Le 30 avril, Philippe GOSSELIN affirme que les chrétiens sont traités en « parias » tandis que Jean-Fréréric POISSON commente : « Les croyants ne seraient pas capables de respecter gestes sanitaires pendant les offices religieux ? Discrimination ». Le 1er mai, François-Xavier BELLAMI signe une tribune dans le Figaro avec 73 parlementaires contre ce qu’il considère contre « une atteinte sans précédent…à la liberté de culte ».  Renchérissant sur cette thématique, Jean-Frédéric POISSON dépose le 5 mai un référé auprès du Conseil d’Etat au nom du Parti Chrétien-Démocrate. On constate dans ce domaine que si le moralisme et les droits de l’homme sont convoqués pour légitimer leurs exigences, les identitaires ont largement recours à la traditionnelle posture victimaire relative à une prétendue christianophobie.

Mais les sujets qui déclenchent le plus de protestations sont ceux qui ont un lien direct ou indirect avec le « grand remplacement » d’Eric Zemmour, à la fois « guerre des races et guerre de religion ». Les mesures dérogatoires prises le 15 avril pour prolonger le délai légal de l’IVG, les recours concernant les cas des enfants nés par GPA à l’étranger, les violences des banlieues (12-19 avril), et la libération de prisonniers donnent lieu à des postures ouvertement racistes, islamophobes, homophobes et antiféministes. Ainsi Jean-Frédéric POISSON déplore-t-il, le 2 mars : « Au cœur du champ de bataille, les « pro-mort » sans scrupule continuent leur travail de sape contre la Vie et l’enfant à naître » tandis que Tugdual DERVILLE menace, le 2 avril : « Inciter à « avorter confinée » et mobiliser les soignants pour ce type d’acte, alors qu’à 9 semaines d’aménorrhée, le risque d’hémorragie à la suite d’une IVG « médicamenteuse » est réel » . Bernard ANTONY, quant à lui, n’hésite pas à dénoncer un génocide à la fois culturel, moral, politique et démographique (16/4) « Se développant sur les deux axes de l’avortement (élimination de deux cent mille enfants à naître chaque année) et de l’immigration (plus de deux cent mille entrées chaque année), notre pays subit le processus d’un génocide par substitution. » Entre le 12 et le 19 avril, les violences des banlieues de Bordeaux et du Havre, celles de Mantes-la-Jolie, La Courneuve, Grigny…suscitent une volée de réactions en relation avec le Covid, l’immigration et la libération, entre le 16 mars et le 7 mai de 5000 prisonniers en fin de peine. Le 21 avril, Valérie BOYER ose le premier amalgame : « Émeutes dans des banlieues, rodéos, incendies, violences contre les forces de l’ordre, hashtags insultants… la République ne doit pas céder, l’autorité doit être retrouvée. Qu’en sera-t-il avec des délinquants désormais libres ? ». Avec Bernard ANTONY, second amalgame : « Le coronavirus cache de plus en plus le corano-virus islamiste qui s’est propagé par les effets de la tsunamigration et de l’islamigration » (16/4).  Le 10 mai, Christian Vanneste accuse le gouvernement de favoriser les étrangers ou les Français d’origine étrangère aux dépens des Français « de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. ». Le président de la république « s’est livré à un bavardage présidentiel dont on retiendra surtout que sa préoccupation essentielle se porte sur les « jeunes », pas tous, non, mais ceux, binationaux… ». Il assure que le « blanc » ne peut faire plus de cent  kilomètres mais les étrangers et les migrants ne seront pas soumis à cette règle et pourront en faire plus « pour aller chercher leur carte afin de percevoir leur allocation de demandeurs d’asile ».

Mais le 20 mars, Jean-Frédéric POISSON manie le racisme et l’exclusion en associant les délinquants à l’ensemble de la population des banlieues stigmatisée globalement tout en évitant les marqueurs religieux explicites : «Les « territoires perdus de la République » à l’épreuve de la responsabilité civique : résultat 0 pointé ! L’ensauvagement est bien là », thématique reprise et accentuée par Bruno RETAILLEAU, le 8 avril : « dans certains territoires,… la sécession identitaire s’affirme désormais dans la sécession sanitaire ». Enfin, le 24 avril, François-Xavier BELLAMY réfute toute circonstance atténuante au confinement dans des appartements de banlieues surpeuplées : « Soir après soir, des délinquants attaquent les policiers à coup de cocktails incendiaires ; mais il faudrait les comprendre parce que le confinement est trop dur ? Monsieur Castaner n’est pas psychologue de comptoir, il est ministre de l’Intérieur ».

En ce qui concerne les RELIGIEUX, nous constatons que le Covid a un double impact, à la fois dévotionnel et politique. D’abord ressurgit l’idéologie du péché et de la peur  avec l’évocation alarmiste de «la  mise en péril de nos modèles économiques sociaux sanitaires », « l’échec de la mondialisation »,  « un monde apeuré, épuisé et sceptique »  (D. Rey),   « des heures les plus difficiles de l’ histoire  de la France», les « infidélités de la France » qui a construit une société « comme si Dieu n’existait pas »,  avec des atteintes aux solidarités et à la dignité humaine de la naissance à la mort, au mariage, la promotion de la toute-puissance de la liberté individuelle (M Aillet, 19/4). Benoît Guédas va jusqu’à évoquer Auchwitz ( 19/4)… Le report de l’ouverture des églises après le 2 juin suscite la réaction violente de Dominique Rey qui n’a pas assez de mots, sur Facebook, le 29 avril, pour mettre en cause un traitement discriminatoire, injuste, ségrégationniste, une offense aux chrétiens, une mise en cause de la liberté religieuse garantie par la constitution « on les bride, on les bride ! » et qui termine par un appel à la protestation contre le gouvernement. A noter que cette campagne n’a pas été suivie par la Conférence des évêques, ce qui a valu à son président un article furieux de Bernard ANTONY intitulé : « Le suave collaborationnisme du président des évêques de France ». Le 27 avril, Jacques BOMPART accuse le gouvernement de traiter de façon différente les cultes favorisant le culte musulman au détriment du culte catholique. Il oppose les églises de France qui « doivent être fermées », la verbalisation « des prêtres célébrant, même en privé » qui « commence à fleurir dans les périodiques locaux » et les consignes qui « circulent au sein de la police pour recommander le relâchement des contrôles pendant le ramadan et la bienveillance pour les réunions de voisins fêtant la rupture du jeûne chaque soir. ». Il met en cause le président de la Conférence des évêques lors de sa réunion avec le Président de la République : « Cette différence de traitement n’a malheureusement pas été contestée par le président de la Conférence des évêques de France lors de sa réunion avec le Président de la République. ».

Notons les références appuyées de certains à la France pétainiste voire à la Shoah…expression d’une communication dévoyée visant à se dédouaner des affinités de fait qu’ils entretiennent avec le nationalisme, la puissance de l’Etat, la promotion de la famille catholique, le racisme, voire l’exclusion d’une partie de la population de l’Etat français pendant la seconde guerre mondiale.

Ces constats conduisent les identitaires à relancer la thématique de reconquête catholique de la France par une consécration de notre pays au Sacré-Cœur :  Marc Aillet intervient à Bayonne le 19 avril, sur Facebook, dans une référence à la promotion du culte par les jésuites en 1689 à Paray-le-Monial, mais sans préciser qu’il s’agit alors d’une arme spirituelle de reconquête militaire de l’Europe du Nord contre les protestants (après l’avoir été contre ceux de Paray).  Derrière cette promotion, le fantasme identitaire, par les guerres de religions, d’une France catholique, toute catholique. Pour conclure, nous constatons sur les réseaux sociaux, une contestation d’ampleur des identitaires catholiques. S’inscrivant dans une mise en cause souvent violente du gouvernement, du régime démocratique, de la diversité française, de la laïcité, de l’UE et de la mondialisation, ils se saisissent d’une crise qui semble leur donner raison pour jouer sur les peurs, amalgamer, victimiser, et réaffirmer un nationalisme centré sur un pouvoir politique fort et la famille catholique aux valeurs traditionnelles. Par contre, avec le « bien commun » lié à la justice divine, la « sécession identitaire », « les territoires perdus de la république » attribués aux banlieues et la consécration de la France au Sacré-Coeur, les identitaires accentuent leur radicalisation pour s’aventurer de plus en plus ouvertement en dehors de la République solidaire, indivisible et laïque et pour accentuer les postures de haine et d’exclusion d’une population musulmane violemment stigmatisée dans une terminologie inspirée du « choc des civilisations ».

Section de Paray-le-Monial de la Ligue des Droits de l’Homme