Contribution au nécessaire débat citoyen
La réforme constitutionnelle de F. Hollande n’est-elle pas le symbole d’une France divisée, où l’exercice des libertés serait restreint à la seule volonté de l’exécutif ?
Le 3 février, le Congrès des parlementaires (députés, sénateurs) est appelé à se prononcer sur la loi visant à reformer la Constitution de manière à y inclure l’état d’urgence, hérité de la Guerre d’Algérie avec la loi de 1955, et l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés en France, vieille revendication du FN reprise par Nicolas Sarkozy dans son discours à Grenoble en 2010, par une nouvelle rédaction de l’alinéa 3 de l’article 34 de la Constitution :
Nouvelle rédaction proposée de l’article 34, 3e alinéa : « La loi fixe les règles concernant : (…) – la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation »
La LDH est catégoriquement opposée à chacune de ces mesures lourdes de conséquences qui ne sauraient permettre de lutter plus efficacement contre le terrorisme, objectif que nous partageons tous. Mais cela mérite éclairage juridique, historique et débat citoyen :
1-En matière de lutte antiterroriste, la législation est déjà largement dérogatoire au droit commun et l’empilement des 26 lois votées depuis 1986, avec les Lois Pasqua puis d’autres (dont la plus récente sur « le renseignement ») offre déjà aux juges et aux policiers des pouvoirs d’enquête et d’intervention exorbitants.
-D’ores et déjà, l’infraction d’« association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste » permet aux juges et aux policiers d’agir en amont de tout passage à l’acte.
–D’un point de vue opérationnel, l’état d’urgence n’a donc pas ouvert la voie à des mesures qui n’auraient pu être appliquées sans lui
-Et cet état d’urgence prolongé n’a, semble-t-il, permis aucun résultat tangible : 3000 perquisitions ont eu lieu et 25 terroristes arrêtés selon le Président de la République. En fait, sur ces prétendus « 25 terroristes », 1 a été arrêté, 5 sont l’objet d’une ouverture d’enquêtes préliminaires ou d’information et 20 sont poursuivis pour « apologie du terrorisme », selon Henri Leclerc, avocat, président d’honneur de la LDH nationale. Oui, cet état d’urgence n’a pas servi à grand-chose.
– En revanche, les pouvoirs conférés au ministre de l’Intérieur et aux préfets d’ordonner des assignations à résidence et des perquisitions de jour comme de nuit se sont révélés redoutables pour les libertés individuelles et ont donné lieu à un certain nombre de dérives, dont les médias se sont faits largement l’écho. Ainsi, pour la seule agglomération de La Rochelle, Sud Ouest du 24 décembre informe que le Tribunal administratif de Poitiers a annulé l’assignation à résidence d’un Rochelais soupçonné par les services français de « radicalisation islamiste. Le quotidien du 9 janvier annonce que l’arrêté d’assignation à résidence, limitant la liberté d’un autre Rochelais de 30 ans a été abrogé.
-Telles qu’appliquées, sans grand contrôle des juridictions administratives, elles ont eu pour effet de stigmatiser un peu plus une partie de la population.
2-Pourquoi constitutionnaliser l’état d’urgence ?
Pratiquement, la constitutionnalisation de ce régime d’exception avaliserait, au nom de l’impératif sécuritaire, les atteintes aux libertés individuelles, en évinçant notamment le juge judiciaire pourtant garant de la liberté individuelle d’après l’article 66 de la Constitution qui affirme :
« Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi »
-L’exercice, s’il affiche l’intention du gouvernement de préserver l’Etat de droit, ne permet aucunement de le garantir mais bien au contraire d’y déroger, sans imposer aucune nouvelle limitation au pouvoir exécutif.
-Et ce n’est pas la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, pour renforcer son indépendance que F. Hollande voudrait maintenant introduire en plus dans le projet de réforme constitutionnelle qui réglerait la question de l’état d’urgence qui précisément écarte les juges des tribunaux judiciaires, pourtant « garants de la liberté individuelle » selon la Constitution.
-Par ailleurs, le projet inscrit dans le marbre de la Constitution que la loi pourra toujours proroger la durée de l’état d’urgence. Ainsi, de constats de périls en constats de péril, l’urgence pourra devenir pérenne, permanente, et l’exception sera la règle. Car les menées terroristes ne sont pas nouvelles en France et risquent, malheureusement se poursuivre longtemps.
-A cela s’ajoute que ce serait le troisième régime d’exception qu’intègrerait notre système constitutionnel, après les pouvoirs conférés au président de la République par l’article 16 et l’état de siège :
* Ainsi, l’article 16 prévoit les pleins pouvoirs pour le Président de la République :« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. Il en informe la nation par un message».
* L’état de siège peut être décrété selon l’article 36 : « L’état de siège est décrété en Conseil des ministres. Sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement ».
3-Quant à la déchéance de nationalité, cette mesure, rappelons-le, est une très ancienne revendication de l’extrême droite et particulièrement des Le Pen – père, fille et maintenant petite-fille –, reprise par Nicolas Sarkozy, notamment dans son discours de Grenoble en 2010 inspiré par Patrick Buisson et alors vilipendé par la gauche. Ainsi, Manuel Valls, alors député, parlait-il d’une mesure « absurde » lors d’une intervention à l’Assemblée Nationale.
– Historique de la déchéance. Cette mesure de déchéance de la nationalité française est née avec le décret d’abolition de l’esclavage en 1848, qui précise que tout français qui continue de pratiquer l’esclavage pourra être déchu de sa nationalité. Lors de la Première Guerre mondiale, une législation spéciale permettait de déchoir des Français originaires des pays avec laquelle la France était en guerre, en cas de trahison. Mais c’est sous le régime de Vichy que la déchéance a été massive touchant les français nés en France. A la suite de la loi du 22 juillet 1940, Alibert, ministre de la justice, créé une commission de révision des 480 000 naturalisations prononcées depuis 1927 (1927, parce que la loi du 10 août 1927 facilitait l’acquisition de la nationalité française en réduisant de 10 à 3 ans la durée de domiciliation sur le territoire français et en multipliant les cas d’accession automatiques). En réalité, la commission était d’abord dirigée contre les juifs ; 15 000 personnes, dont 40 % de juifs, ont été déchues de leur nationalité sous le Régime de Vichy. Philippe Pétain entendait ainsi réviser « toutes les acquisitions de nationalité française ». Ces dispositions ont été annulées après-guerre et une ordonnance a fixé les grandes lignes de la déchéance de nationalité, qui ont peu bougé depuis .
-Le Code civil, articles 23 à 23-9, définit les cas pour lesquels la « perte » de la nationalité française est possible, soit à la demande de la personne elle-même, soit à titre de conséquence d’un comportement précis qui peut entraîner cette perte de qualité de Français, même sans l’accord de la personne concernée.
-Le même code civil, articles 25 et 25-1, organise la déchéance de nationalité pour un individu qui a acquis la nationalité française et en détient une autre, mais ne concerne pas les binationaux nés en France. C’est cela que F. Hollande veut revoir.
-Le projet de réforme introduit ainsi une différence de traitement – une inégalité manifeste – entre les Français « mononationaux » et les Français binationaux, plus encore ceux nés en France, comme si ces derniers étaient plus susceptibles que les Français « de souche » de perpétrer des actes terroristes. Idée parfaitement démentie par l’identité des auteurs des actes de terrorisme de janvier ou de novembre 2015 . Idée saugrenue aussi, mais qui n’est pas neutre et qui, au contraire, révèle la volonté de stigmatiser encore et toujours, et cette fois au niveau même de la Constitution, une catégorie de Français, ceux dont l’histoire est en partie liée aux anciennes colonies françaises et qui se sentent déjà particulièrement ciblés.
-Par ailleurs, si l’on reconnaît qu’il existe deux catégories de Français, c’est bien que le peuple français n’est plus un et indivisible : c’est donc bien un des fondements du pacte républicain qui est mis à mal, alors même que le Premier ministre ne cesse d’en appeler aux valeurs républicaines.
-Enfin, si l’objectif est d’expulser du territoire français ceux qui deviendraient alors parfaitement étrangers, les autorités restent contraintes par leurs engagements internationaux relatifs aux droits fondamentaux. A tout le moins, en effet la Cour européenne des droits de l’Homme, comme d’autres organes internationaux, interdit d’expulser des étrangers même pour terrorisme vers tout Etat, y compris le leur, où ils risquent d’être soumis à des actes de torture et traitements inhumains ou dégradants.
Au total, ces mesures portent en elles le symbole d’une France divisée, où l’exercice des libertés serait restreint à la seule volonté de l’exécutif. Elles n’apportent en outre aucune efficacité dans la lutte contre le terrorisme et il est à craindre que, sous prétexte de leur adoption, le nécessaire examen des dispositifs antiterroristes n’ait pas lieu.
La Rochelle, 2016-01-18
Henri MOULINIER
Docteur en histoire contemporaine
Président le la section LDH La Rochelle-Aunis
Délégué régional LDH par intérim pour le Poitou-Charentes