La soupe au caillou ou comment accueillir l’étranger
C’est une histoire traditionnelle, un conte pour enfants, mais me direz-vous, que vient faire un conte au sein des réunions, généralement fort sérieuses, de la Ligue des droits de l’homme ? Je vous laisse en juger.
C’était Christian, de l’association des Crieurs publics, qui nous l’avait contée, il y a de cela un an, pour le début d’année 2015 – comme on se réunit au coin du feu, en quelque sorte, sauf que c’était à la salle polyvalente de la Maison des associations de Niort.
L’histoire a plusieurs variantes : tantôt c’est un soldat qui s’approche du village, et tantôt c’est un loup qui s’aventure dans la ferme des animaux. Mais toujours, c’est un étranger, perdu de froid et de faim, qui s’en vient frapper à la porte. Il demande l’hospitalité, mais, oh, rien qu’un toit, le gîte, pas le couvert – il sait trop ce qu’on lui répondrait, qu’on a faim ici aussi monsieur, qu’ici aussi les temps sont difficiles, et qu’on lui refermerait la porte au nez.
Donc notre étranger ne demande qu’une chose : un coin de feu et une marmite d’eau pour y faire cuire un caillou, et là le soldat sort un gros caillou de sa besace et le montre à la fermière (ou bien le loup sort un galet de son sac et le montre à la poule, suivant la version). La fermière (ou la poule) y regarde à deux fois, mais le soldat (ou le loup) est tellement sûr de lui qu’elle va chercher la marmite, la pend à la crémaillère et y pose le caillou.
L’étranger demande une louche, et il se penche au-dessus du feu pour remuer avec attention – pour que ça n’attache pas, dit-il.
Le doute – et la curiosité- ronge l’hôtesse. Elle demande : « – Et, c’est bon, la soupe au caillou ? » « – Dame, oui, répond l’autre, c’est une recette de chez moi ». Son interlocutrice commence à s’interroger sur ce qu’il peut bien manger, chez lui, et dans quel pays on peut bien manger des cailloux. « Mais, ajoute le soldat (le loup, l’étranger, comme vous le sentez), il y a un petit quelque chose qui fait la différence, par rapport à une soupe au caillou normale. Vous n’auriez pas un oignon qu’on ajoute dans la soupe ? » La villageoise (la gallinacée) dit que oui, bon quand même, on a beau être en temps de misère, un oignon, elle en aurait peut-être bien un. Qu’elle va chercher, et le soldat/le loup l’épluche et le met dans le bouillon.
Le fumet s’améliore. La femme (à cheveux ou à plumes) continue à poser des questions, et l’homme lui suggère d’ajouter une branche de céleri, puis une carotte. Parfois à ce stade du récit, ce sont les autres villageois qui arrivent les uns après les autres, attirés par l’odeur et la curiosité, ou bien les animaux de la ferme, un peu inquiets d’avoir vu le loup entrer chez la poule. Et chacun, intrigué par la préparation de la soupe au caillou, amène un légume, des croûtons de pain, ou un peu de beurre, destinés à imprégner de bon parfum le caillou.
Finalement la soupe est prête. Tous s’attablent et partagent le potage (même si il faut bien le dire, le caillou n’est pas encore vraiment cuit). La petite communauté se retrouve, comme elle ne l’avait pas fait depuis peut-être longtemps, discute, rit. Et parfois à la fin de l’histoire, l’homme épouse la femme, la villageoise épouse le loup et la poule ne finit pas dans le pot.
Et les droits de l’homme dans tout ça ? Soldats, étrangers, autres, loups, ne sont-ce pas les migrants, réfugiés, déplacés de toute espèce ?
A ceux qui souhaitent faire valoir les traditions françaises et européennes (ce dont nous ne les blâmons pas), vous pourrez répondre que cette histoire fait partie du folklore littéraire européen, et que dans certaines régions, notamment en Lorraine, une soupe au caillou existait bel et bien, le caillou servant à broyer les aliments au rythme de l’ébullition.
A ceux qui vous disent que c’est faire rentrer le loup dans la bergerie, rappelez-vous de l’histoire de la soupe au caillou.
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