Catégorie : Presse
De quoi, Madame Taubira est-elle la noblesse ?
Blog Médiapart
http://blogs.mediapart.fr/blog/marielle-billy/151113/de-quoi-madame-taubira-est-elle-la-noblesse
Les derniers attentats racistes contre Christiane Taubira n’ont pas seulement agi un discours d’exclusion et de dégradation, expression d’une « pensée mortifère et meurtrière » , il sont aussi le signe d’un état des choses encore plus grave.
Christine Taubira le sait, elle qui s’est gardée de se présenter comme la cible individuelle des lignes immondes de Minute, en ne portant pas plainte elle même ; elle sait que ce n’est pas elle qui est visée (en dépit des apparences), mais qu’à travers elle, bien plus largement, ce sont « tous ceux qui lui [me] ressemblent« , « la famille humaine » qui sont violentés.
Elle a déclaré dans Libération de mercredi : » Ces attaques racistes sont une attaque au cœur de la République. C’est la cohésion sociale qui est mise à bas, l’histoire d’une nation qui est mise en cause. […] Des millions de personnes sont mises en cause quand on me traite de guenon. Des millions de gamines savent qu’on peut les traiter de guenons dans les cours de récréation! »
Comment expliquer qu’il ait fallu tout ce temps, depuis les premières attaques contre Chritiane Taubira, pour voir se réveiller une profonde protestation ? que comprendre derrière cette mollesse ? comment rendre compte de ce qui ressemble à une forme d’usure de la pensée et de la politique ?
Beaucoup de « crans » ont sauté depuis des années : on pense bien sûr aux agitations identitaires du gouvernement Sarkozy – rappelons ici que son conseiller P. Buisson a été journaliste à Minute et au Crapouillot – pensons à la médiatisation de plus en plus forte d’un discours xénophobe et essentialiste, porté au sein même du gouvernement de notre pays (N. Sarkozy, B. Hortefeux, puis M. Valls) puis relayé par divers « intellectuels ».
Si ces « crans » ont pu sauter si facilement dans notre pays, c’est que le terrain était propice, suffisamment défait, destructuré, et c’est là que j’en viens à ce qui me semble miner le terrain depuis des années et des années : je signifie ici l’usure inquiétante du niveau symbolique dans notre pays.
Qu’est-ce que j’entends par là ? Est symbolique un signe qui ne se désigne pas lui même, mais ne vaut que par sa polysémie : le symbole prend en charge toute une épaisseur de sens, il est aux antipodes du sens unique, du mot réduit et aplati à sa plus simple expression. Voici pour éclairer mon propos les caractéristiques de tout symbole d’après Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, dans leur Dictionnaire des symboles (je surligne les éléments qui sont en lien direct avec mon développement) :
- Obscurité : le symbole dépasse l’entendement intellectuel et l’intérêt esthétique. Il est « un terme apparemment saisissable dont l’insaisissable est l’autre terme » (Pierre Emmanuel).
- Stimulation : le symbole suscite une certaine vie. Il fait vibrer.
- Verticalité : le symbole établit des rapports extra-rationnels, imaginatifs, entre faits, objets, signes.
- Hauteur : le symbole relève de l’infini, il révèle l’homme.
- Pluridimensionnalité : chaque symbole condense plusieurs faces, formes, sens, interprétations. Un personnage de Amadou Hampaté Bâ s’écrie : « Ô mon frère, apprends que chaque symbole a un, deux, plusieurs sens ». À la différence du code, univoque, le symbole est polysémique, intelligible selon le système de représentations dans lequel il s’inscrit.
- Constance. Le rapport entre le symbolisant et le symbolisé demeure. Par exemple une coupe renversée symbolise toujours le ciel, quelque forme qu’elle prenne, coupole, tente.
- Relativité. Malgré cette constance, les symboles varient, ils modifient leurs relations avec les autres termes, ils revêtent une grande diversité iconographique ou littéraire, ils sont perçus différemment selon qu’on est éveillé ou endormi, créateur ou interprète.
Or, le siège fondamental (mais pas unique) de la production symbolique est le langage ; que constate-t-on depuis longtemps ? La langue politique s’affaisse, en écho avec un certain usage contemporain de la langue. Par quel processus ?
Quelques exemples pris dans la langue politique, mais largement relayés ailleurs :
Le discours mensonger : Il est établi que le propos énoncé (discours électoral, par exemple) est désormais totalement délié des actes (programme) qui seront posés ensuite ; songeons aussi aux déclarations d’un certain Cahuzac (les yeux dans les yeux) —> non seulement il y a mensonge, mais mensonge comme fonctionnement ordinaire.
Le discours vide, manquant : La politique a perdu la main sur l’économique – ce n’est jamais dit dans les paroles de ceux qui sont aux responsabilités – La situation économique est très difficile, pleine de risques ; pour tenter de faire face à cette guerre, chacun sent bien que ce sera très difficile – demain on ne rasera pas gratis, il faudra se retrousser les manches : pour tenter de gagner, il faut risquer de perdre – Ces paroles manquent, où que ce soit. Il en est de même au sujet de la contradiction entre les réalités écologiques et les « impératifs » économiques : abondance de discours, rareté de paroles politiques appelant à la réflexion collective.
Le discours répétitif : dans l’univers médiatique dominant, certains termes font florès, ils tournent seuls, sans que jamais l’on ne s’arrête pour s’étonner de leur sens, l’interroger – compétitivité, réforme structurelle, remboursement de la dette, croissance, PIB, etc …- Ces mots fonctionnent comme des allant-de-soi.
Le discours pauvre et grossier : songeons au « casse-toi … », mais aussi plus largement, à la grande vacuité de ce qui est dit, ajoutée au manque de « tenue » de ceux qui parlent en tribune. Ce n’est pas une affaire de courtoisie mais de respect qu’on porte au langage même, et à travers lui, aux hommes à qui l’on parle, à l’idée même que l’on se fait de l’être humain (repensons au point 4 cité plus haut !). Un exemple hors de la politique mais très ravageur : si un professeur se met à utiliser le même langage que ses élèves, un cran saute, et l’enseignant mine ainsi le terrain de son exercice (je songe à mon effroi lorsque j’ai vu le film Entre les murs, de L. Cantet, dont je rappelle qu’il a eu La Palme d’Or en 2008, signe fort !). On pourrait à ceci rajouter la pauvreté culturelle de nos hommes politiques… (ou bien : la culture comme affichage – c’était la fonction d’H. Guaino aurpès de N. Sarkozy -). La culture n’est plus vécue que comme « entertainment », produit de consommation qui signe une « disctinction ». La culture est aux antipodes de cette version consumériste : elle est ce qui infuse un pays, sa langue, son peuple, de nombreuses dimensions symboliques, elle est tout à la fois signe de reconnaissance, et puissance de projection créative.
Enfin, pensons aux effets de la forte tendance « micro-trottoir » : surabondance de l’opinion diffusée partout, à tout instant…
Les discours agressifs : l’agressivité est très utile lorsqu’elle est signe de la vie qui se défend ; mais si elle s’attelle à la négativité, l’attaque, l’injure, dans une forme de jouissance, elle défait le langage, et dégrade tout à la fois l’émetteur, le langage et son destinataire. Cette agressivité abonde, y compris dans la bouche d’hommes politiques de tout bord. Faisons aussi le lien avec les débordements via le net : chacun s’autorise, les crans sautent un à un.
Tous ces éléments accompagnent le devenir néo-libéral du monde, son déchaînement financier, sa nécessaire hyper-consommation conjuguée avec la demande permanente du toujours plus vite, du toujours plus pratique : un des effets de ce processis est l’écrasement de la part symbolique de nous-mêmes. Mais gardons-nous de croire que le processus ne corrompt que « les autres » ; si nous ne sommes pas vigilants, ce processus envahit tout l’espace d’échange, défait la pensée.
Aujourd’hui Christiane Taubira nous pousse à ressaisir une part de notre noblesse massacrée : parce qu’elle est femme de conviction, de culture, femme qui porte haut la fonction du langage, la dimension symbolique de sa parole et de sa place, Christiane Taubira nous aide à nommer, à distinguer, à penser.
Se battre contre tout racisme aide à se relever.
Climato-sceptiques: les dessous de la machine à fabriquer du doute
Mediapart.fr
Alors que se tient à Varsovie la conférence de l’ONU sur le climat, le climato-scepticisme continue d’être une machine de propagande très efficace, soutenue par l’industrie et organisée autour des think tanks conservateurs et néo-libéraux. Notre enquête.
Le 11 novembre, alors que s’ouvrait à Varsovie la 19e conférence de l’ONU sur le climat, David Rothbard, président du Committee for a constructive tomorrow (CFACT), think tank climato-sceptique de Washington, s’adressait aux habitants de la capitale polonaise. Sur une tribune installée dans le centre ville, Rothbard appelait les Varsoviens venus célébrer le jour de l’indépendance de la Pologne à « une nouvelle bataille pour la liberté contre ceux qui utilisent l’alarmisme climatique et environnemental pour voler nos libertés et donner aux bureaucrates internationaux le contrôle sur nos sources d’énergie, nos vies quotidiennes, notre prospérité et notre souveraineté nationale ».
L’épisode est relaté sur une quinzaine de blogs climato-sceptiques, qui décrivent un rassemblement de « 50 000 Polonais enthousiastes », unis contre « les tentatives des Nations unies pour voler nos libertés »… En fait, la vidéo diffusée par le CFACT montre un public agitant des drapeaux blanc et rouge et des panneaux avec des slogans comme « Bog, Honor, Ojczyzna » (« Dieu, honneur, patrie »), qui ne semble guère prêter attention à la diatribe de Rothbard, bien que celui-ci se soit adjoint les services d’un interprète.
Le discours de David Rothbard est typique de la rhétorique climato-sceptique, qui considère que toute tentative pour réguler les émissions carbonées est un attentat au libertés publiques. L’activisme du CFACT illustre la guerre de communication permanente menée par les groupes climato-sceptiques américains pour empêcher la mise en place de mesures de protection de l’environnement. Il est frappant d’observer qu’aux États-Unis, la contestation du changement climatique augmente sur la scène politique et dans la société, alors même que le consensus scientifique sur le réchauffement anthropogénique s’est renforcé et que l’opinion publique est sensibilisée à l’environnement.
L’une des raisons de ce paradoxe est que le climato-scepticisme made in USA n’a rien d’un mouvement d’opinion spontané. C’est un système organisé, qui s’appuie sur des puissances financières considérables, dispose de fonds se chiffrant en centaines de millions de dollars, de relais politiques (essentiellement républicains et conservateurs), d’accès à de grands médias comme Fox News, le Wall Street Journal (tous deux appartenant au conservateur Rupert Murdoch) ou le Washington Times du révérend Moon. À quoi s’ajoute une nuée de blogs dont les plus populaires (wattsupwiththat.com, climateaudit.org ou climatedepot.com) ont une audience globale estimée à 700 000 visiteurs par mois.
Ce système constitue une machine de propagande redoutable, dont l’action a fortement contribué à bloquer la ratification du protocole de Kyoto par les États-Unis, selon l’analyse de Aaron Mc Cright et Riley Dunlap, deux universitaires spécialisés dans l’étude du climato-scepticisme américain. Les contestataires du climat ont aussi joué un rôle important dans l’échec de la conférence de Copenhague en 2009. Celle-ci a été plombée par l’affaire du « climategate », qui a donné lieu à une campagne climato-sceptique très agressive visant à discréditer les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). En septembre dernier, l’influence des climato-sceptiques a aidé à la victoire électorale du libéral Tony Abbott, nouveau premier ministre australien, et farouche adversaire de la taxe carbone. Aujourd’hui, les climato-sceptiques cherchent à empêcher que la conférence de Varsovie ne débouche sur un nouveau traité international.
Comment fonctionne la « machine à nier le changement climatique », ainsi que l’appellent McCright et Dunlap ? Selon les deux chercheurs, les composants principaux de cette machine, en dehors des sources de financement, sont des think tanks conservateurs, des “groupes paravents” qui organisent campagnes et actions de promotion, et une “chambre d’écho” politico-médiatique.
Le rôle crucial des think tanks
La pensée climato-sceptique américaine est issue de courants conservateurs et néo-libéraux qui ont utilisé les think tanks comme relais d’opinion. L’un des tout premiers est la Fondation Heritage, créée en 1973 par le philanthrope Joseph Coors, propriétaire des bières du même nom. Mais c’est à partir des années 1980, avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et le « renouveau conservateur », que les think tanks montent en puissance pour mener une guerre des idées contre le progressisme des années 1960-70. Et promouvoir les conceptions néolibérales : dérégulation, libre entreprise, limitation du pouvoir de l’État.
Après Joseph Coors, trois milliardaires, dont les fortunes viennent en partie d’intérêts pétroliers, créent des think tanks influents : Richard Scaife, fondateur du CFACT, cité plus haut ; David Koch, qui fonde Americans for Prosperity ; son frère Charles, fondateur du Cato Institute. Parmi les think tanks importants, on peut aussi citer le Heartland Institute, l’American Enterprise Institute ou encore le George Marshall Institute.
À la fin des années 1980, deux éléments vont cristalliser le mouvement climato-sceptique : la chute de l’empire soviétique qui, en mettant fin à la guerre froide, suscite un besoin de nouveaux horizons géopolitiques ; la mise en place du Giec, en 1988. Ce dernier est immédiatement perçu par les néoconservateurs comme un ennemi, du fait que sa création représente « un effort sans précédent pour développer une base scientifique pour les décisions politiques », écrivent Dunlap et McRight dans un article de 2011. Dans la pensée conservatrice américaine, « la “menace rouge” en voie de disparition (a été remplacée) par la “menace verte” », la crainte de mesures de régulation environnementales, à l’échelle nationale et internationale.
Les efforts de Reagan pour réduire le rôle de l’État vont cependant se heurter à une résistance dans le domaine de la protection de l’environnement. De là vient la stratégie du climato-scepticisme : les conservateurs et l’industrie réalisent qu’il est « plus efficace de mettre en doute le besoin de régulation en discréditant les preuves de la dégradation de l’environnement, que de s’opposer à l’objectif de protéger l’environnement », écrivent Dunlap et McRight.
Le centre névralgique du système climato-sceptique
Autrement dit, plutôt que d’attaquer frontalement les mesures écologiques, la stratégie du scepticisme s’efforce de montrer qu’elles sont inutiles. La méthode consistera donc à jeter le doute sur le changement climatique, à relativiser son importance, à contester son caractère anthropogénique, à mettre en avant d’autres causes de variations climatiques, comme l’effet de l’activité solaire, etc.
Cette rhétorique est construite sur le modèle mis au point par l’industrie du tabac, qui a usé de multiples arguments pour nier ou minimiser le lien entre cigarette et cancer, en le présentant comme une maladie multifactorielle, associée à de multiples causes et en mettant l’accent sur l’importance du style de vie, du niveau économique, et ainsi de suite. La filiation entre la rhétorique des cigarettiers et celle des climato-sceptiques est très clairement analysée dans le livre d’Erik Conway et Naomi Oreskes, Marchands de doute (Éditions Le Pommier) (voir notre article ici).
À partir des années 1990, les think tanks conservateurs sont devenus le centre névralgique du système climato-sceptique. À travers des conférences, des reportages, des interviews diffusés sur les médias sympathisants, ou des campagnes publicitaires, ils assurent la promotion de la conception néo-libérale de l’environnement. Competive Enterprise Institute a aidé l’administration Bush à entraver le développement d’une politique climatique. En 2012, une campagne d’affiches lancée par le Heartland Institute assimilait les scientifiques du Giec au terroriste Unabomber, Ted Kaczynsky, dont les bombes artisanales ont fait, de 1978 à 1996, trois morts et 23 blessés…
Les think tanks ont aussi une activité importante dans l’édition de livres : une étude de Riley Dunlap et Peter Jacques montre que sur 108 livres climato-sceptiques publiés en anglais depuis le début des années 1980, 78, soit 72 %, ont bénéficié d’un financement par un think tank. À noter que deux de ces livres ont été écrits par des auteurs français, Christian Gerondeau et Marcel Leroux.
Le financement : l’industrie du pétrole et du charbon, mais pas seulement
Les compagnies pétrolières et l’industrie du charbon ont bien sûr compris d’emblée l’enjeu que représentait pour elles le changement climatique, dès lors que l’utilisation des combustibles fossiles était identifiée comme la principale source des émissions de gaz à effet de serre. Assez logiquement, l’industrie des combustibles fossiles a financé dès le début les campagnes climato-sceptiques, notamment en soutenant des think tanks et des scientifiques « dissidents ».
L’un des premiers scientifiques à nier le réchauffement planétaire a été Patrick Michaels, climatologue à l’université de Virginie, qui, dès 1989, critiquait ce qu’il appelait « l’environnementalisme apocalyptique », qu’il qualifiait de « religion la plus populaire depuis le marxisme ». Michaels a été sponsorisé par la Western Fuels Association, consortium lié au charbon, et a reconnu en 1995 avoir reçu 165 000 dollars de l’industrie. Il est aujourd’hui « directeur du centre pour l’étude de la science » au Cato Institute, le think tank fondé par Charles Koch.
Travailler pour un think tank offre un statut plus respectable qu’afficher un lien direct avec l’industrie, même si ce n’est souvent qu’une façade. D’après un rapport de Greenpeace USA, entre 1998 et 2012, ExxonMobil a versé un total de 27,4 millions de dollars à une soixantaine de think tanks, dont le Cato Institute, le Heartland Institute et la Fondation Heritage. Selon Dunlap et McCright, ExxonMobil a longtemps été le premier sponsor des think tanks et associations climato-sceptiques, mais aurait réduit sa contribution au cours des dernières années, craignant que cette pratique nuise à son image. La compagnie charbonnière Peabody Energy a également beaucoup contribué au climato-scepticisme, de même que des associations industrielles comme l’Institut américain du pétrole.
En dehors de l’industrie des combustibles fossiles, le climato-scepticisme a été soutenu par des sociétés du secteur de l’énergie comme Southern Company (compagnie d’électricité), des producteurs d’acier, des forestiers, des mines ou des constructeurs d’automobiles (Chrysler, Ford, General Motors). On peut aussi mentionner la Chambre de commerce des États-Unis. Au début des années 1990, un grand nombre d’entreprises américaines était ainsi alliée contre la science du climat et la politique environnementale. Le Giec apparaissant comme la cible centrale de la coalition industrielle.
Cette dernière va pourtant se fracturer au moment du deuxième rapport du Giec, en 1995, et de l’adoption du protocole de Kyoto. De grandes firmes comme BP annoncent qu’elles ne contestent plus la réalité du réchauffement anthropogénique. Plusieurs compagnies pétrolières et d’autres grandes firmes se lient à des organisations environnementales pour former le US climate action Partnership, groupe dont l’objectif est d’encourager une action publique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. À la fin des années 1990, une part importante de l’industrie américaine semble prête à accepter la réalité du changement climatique et la nécessité de politiques de réductions des émissions. Mais cela ne durera pas : avec l’arrivée au pouvoir en janvier 2001 de George Bush qui insititutionnalise « le déni du changement climatique au sein du gouvernement fédéral », selon McRight et Dunlap, l’industrie des combustibles fossiles n’a plus grand-chose à craindre.
L’élection de Barack Obama et d’une majorité démocrate aux deux Chambres a remis au goût du jour la limitation des émissions carbonées, d’où « un énorme lobbying industriel pour s’opposer ou atténuer les mesures introduites par la Chambre des représentants ou le Sénat aussi bien que les tentatives internationales », notamment la conférence de Copenhague de 2009. « Ce lobbying s’est accompagné d’une escalade des attaques contre la science climatique et les scientifiques aussi bien que contre le Giec, avec un soutien considérable d’ExxonMobil et d’associations comme la Chambre de commerce des États-Unis », rapportent Dunlap et McCright. En somme, malgré certaines divisions, une part significative de l’industrie américaine continue d’alimenter le climato-scepticisme.
« La plus grande mystification jamais perpétrée »
À côté de cette coalition industrielle, un soutien très important vient de riches donateurs qui, par l’intermédiaire d’organisations à but non lucratif, financent anonymement le climato-scepticisme. Ainsi, deux organisations associées, Donors Trust et Donors Capital Fund, ont distribué aux think tanks climato-sceptiques un total de près de 150 millions de dollars entre 2002 et 2011 (d’après le rapport de Greenpeace USA). Ces organisations sont liées aux frères Koch, deux des principaux sponsors de think tanks climato-sceptiques. Le financement « philanthropique » pourrait donc être encore plus élevé que le soutien direct de l’industrie. Dunlap et McCright estiment que « dans les années récentes, les fonds versés par les familles Scaife et Koch pour financer les acteurs du déni du changement climatique et leurs actions ont pu dépasser l’apport d’ExxonMobil ».
Les « groupes paravent »
Ces organismes ont un rôle complémentaire de celui des think tanks. Ils fournissent aux entreprises une façade leur permettant de mener des actions sans apparaître directement. Un des premiers exemples est le Global Climate Coalition, créé en 1989 en réaction à la mise en place du Giec, et financé par des compagnies pétrolières (ExxonMobil, Texaco et BP), des constructeurs d’automobiles (Chrysler, Ford, GM), l’Institut américain du pétrole, etc. Le GCC a joué un rôle très actif dans l’opposition à la ratification du protocole de Kyoto par les États-Unis, notamment en diffusant des publicités télévisées et en menant des campagnes pour discréditer le Giec.
Le groupe Information council on the Environment (ICE) a été créé en 1991 par des entreprises du charbon et des compagnies d’électricité. Avec l’aide de scientifiques sceptiques comme Patrick Michaels, déjà cité, il a lancé une campagne médiatique pour dénigrer la notion de réchauffement global et critiquer l’accord des États-Unis pour la réduction des émissions carbonées lors du sommet de Rio de 1992.
En 1997, est apparu un autre groupe, la Cooler Heads Coalition (CHC), qui n’émane pas de l’industrie mais de plusieurs think tanks (CFACT, Heartland, CEI ou Competitive Entrerprise Institute). Ce groupe et son directeur, Myron Ebell, ainsi que le CEI ont joué un rôle crucial dans la promotion du « climategate » et les campagnes de dénigrement du Giec.
Les politiciens conservateurs
Dès le départ, aux États-Unis, le climato-scepticisme est associé à l’idéologie néo-libérale conservatrice. Il est fortement politisé, comme l’illustre la succession de basculements entre les présidences républicaines et démocrates. L’un des personnages les plus connus à cet égard est James Inhofe, sénateur républicain de l’Oklahoma, célèbre pour avoir affirmé dans un discours au Sénat que le réchauffement global était « la plus grande mystification jamais perpétrée contre le peuple américain ». Inhofe a été président du Comité pour l’environnement et les travaux publics, dont il a fait une tribune ouverte aux contestataires du changement climatique. Il a notamment employé Marc Morano, membre du CFACT et animateur du site climatedepot.com. Morano a aussi travaillé avec l’animateur de radio conservateur Rush Limbaugh, et a fait campagne contre John Kerry lors de la présidentielle de 2004.
Plus récemment, un autre politicien républicain, membre du Tea Party, Ken Cuccinelli, procureur général de Virginie, s’est illustré dans la guerrilla anticlimatologues : il a lancé en 2010 une enquête sur les recherches de Michael Mann, climatologue connu qui a été professeur à l’université de Virginie (il travaille actuellement à l’université de Pennsylvanie).
Sous prétexte de contrôler que l’argent public n’avait pas été gaspillé en finançant les travaux de Mann, Cuccinelli a usé d’une procédure appelée Civil investigative demand pour exiger que l’université de Virginie fournisse tous les documents dont elle disposait ayant un rapport direct ou indirect avec les recherches de Mann, notamment toutes les correspondances entre le chercheur, l’université et 39 autres scientifiques, de 1999 à 2010…
Sachant que cette procédure ne nécessite pas d’engager des poursuites, il est difficile de la considérer autrement que comme une forme de harcèlement administratif. Ce que la justice a d’ailleurs reconnu deux ans plus tard, en considérant que Cuccinelli n’avait pas autorité à demander les documents. En 2013, Cuccinelli a fait campagne pour l’élection au poste de gouverneur de Virginie. Et a perdu, le 6 novembre, face au démocrate Terry McAuliffe…
Même si Cuccinelli a perdu, l’épisode illustre la stratégie climato-sceptique qui fait feu de tout bois pour empêcher que le débat sur le réchauffement soit jamais tranché. Cette stratégie a jusqu’ici permis à l’industrie américaine des combustibles fossiles et à ses alliés politiques conservateurs d’éviter ce qu’elle redoute par-dessus tout : la reconnaissance du réchauffement global comme un problème grave qui justifie des mesures contraignantes pour réduire les émissions carbonées. Pour le mouvement climato-sceptique, le danger n’est pas la dégradation de l’environnement, c’est la remise en cause du dogme de la croissance économique sans freins.
Marchons le 3 décembre pour l’égalité et contre le racisme
Mediapart
L’insulte raciste visant la ministre de la justice Christiane Taubira, à la Une de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute, n’est qu’un épisode de plus du racisme qui monte et qui s’assume en France. La seule perdante, c’est la République. Alors marchons, marchons le 3 décembre 2013, pour l’égalité et contre le racisme.
Cette agression contre Christiane Taubira – c’est le troisième épisode en quelques semaines –, c’est une agression contre nous, c’est une agression contre la République qui se fait au nom du peuple français. Et la question qui est posée, bien au-delà des partis politiques, c’est : est-ce que nous, tous, ceux qui nous écoutent, là, nous sommes attachés à la République?
C’est quoi la République ? L’article premier du Préambule de la Constitution depuis la catastrophe européenne, celui de la Constitution de la Quatrième République, maintenu par la Cinquième, énonce ceci, que je voudrais rappeler : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. »
Le mot race, mot d’époque, que veut-il dire ? Il parle de l’apparence, il parle de la couleur de la peau. Alors il faut s’interroger sur qu’est-ce que c’est que le surgissement de ce racisme le plus archaïque : qu’une élue de la République, ancienne candidate à la présidentielle, aujourd’hui ministre d’un gouvernement de la République, soit traitée de guenon, de singe, parce qu’elle a une couleur de peau qui la distingue, la peau noire.
D’où vient ce racisme le plus archaïque ? Il vient de ce qui a inventé le Blanc. Le blanc, ça n’existait pas cette couleur. Jusqu’à quoi ? Jusqu’à la Traite négrière, jusqu’à l’esclavage, jusqu’au fait de faire de femmes, d’enfants, d’hommes, de vieillards, de gens de tous âges, des esclaves, des marchandises dont on niait totalement l’humanité, que l’on renvoyait, en effet, à leur « animalité ».
Alors, d’où vient cette transgression ? D’où vient cette transgression qui remue profondément tous les racismes : l’article premier du Code Noir qui, sous Louis XIV, a théorisé la Traite, excluait les Juifs de tout ce commerce et visait aussi, assumait l’antijudaïsme. Alors d’où ça vient ? Ça vient d’en haut ! Le peuple français n’est pas raciste. Mais, depuis trop d’années, des intellectuels, des journalistes, des politiques ont ouvert la porte, entrouvert la porte où tout cela se glisse.
Car, depuis quand cette parole est-elle libérée à ce point ? Rappelez-vous, il y a trois ans, un discours de Grenoble qui vise l’origine et qui vise les Roms. Et, dans la foulée, on nous parle d’identité nationale. Et, dans la foulée, on nous parle de civilisations supérieures sur d’autres. Et, dans la foulée, on désigne nos compatriotes de culture musulmane.
Et que s’est-il passé cet été ? Eh bien, on nous a parlé à nouveau des Roms, on nous a parlé à nouveau de l’origine. Quand on entrouvre cette porte et que l’on dit qu’une population, au nom de son origine, n’est pas intégrable, on entrouvre la porte à tous les racismes. Le racisme, c’est une poupée gigogne : on désigne le Rom, puis derrière il y a l’Arabe, puis derrière il y a le Noir, puis derrière il y a le Juif.
On parle d’un journal qui s’appelle Minute. Que disait sa Une il y a quelques semaines ? « L’arbre rom qui cache la forêt arabe » quand M. Manuel Valls, après M. Sarkozy, désignait les Roms. Que disait-il cet été cet hebdomadaire en Une ? « Vas-y Manuel, mords-y l’œil » quand M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur, chargeait sa collègue de la justice au lieu d’être solidaire de ce qu’elle devait faire, c’est-à-dire une réforme pénale conforme aux engagements du candidat Hollande.
Il y a quelques semaines, sur cette antenne, je disais qu’il faut continuer à marcher. C’était les trente ans de cette Marche pour l’égalité et contre le racisme qui est arrivée à Paris le 3 décembre 1983. Nous ne sommes ici que des journalistes, et donc que des citoyens. J’aimerais comme citoyen pouvoir marcher le 3 décembre 2013, de la Bastille à la République pourquoi pas, et que l’ensemble des sociétés de pensée, l’ensemble des partis, l’ensemble des associations, l’ensemble des cultes, l’ensemble des religions de ce pays, appellent à cette Marche, le 3 décembre 2013.
Marc Voinchet (France Culture) : Vous avez un petit livre, comme chaque mercredi, mais qui n’est pas sans rapport avec ce que vous dites. Frantz Fanon ?
Eh oui… Peau noire, masques blancs. Vous savez dans ce livre, qui date du début des années 1950, Frantz Fanon rappelle qu’un de ses professeurs lui disait – c’était à la Martinique, il parlait donc à des Antillais : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille : on parle de vous… Un antisémite est forcément négrophobe ». Il faudrait aussi que les Juifs de France se disent aujourd’hui que, derrière tout négrophobe, il y a un antisémite.
Je voudrais juste lire ces paroles, que nous devrions tous faire nôtres, de Frantz Fanon : « Moi, l’homme de couleur, je ne veux qu’une chose : que jamais l’instrument ne domine l’homme, que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme, c’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme, où qu’il se trouve. Le nègre n’est pas. Pas plus que le blanc. »
Et il ajoutait : « Il ne faut pas essayer de fixer l’homme puisque son destin est d’être lâché ». De bouger, de changer. Car qu’est-ce qui s’exprime là ? C’est le refus du changement, le refus du mouvement ! Une obsession de la fixité, une obsession de l’identité à racine unique, fermée, close. Et donc ce qui est en jeu, c’est profondément notre humanité. J’aimerais, je le redis, et je lance cet appel, à ceux qui peuvent organiser cela : marchons, marchons, le 3 décembre 2013, pour l’égalité et contre le racisme.
Lire également en cliquant ici le billet de blog de Nacira Guénif
Nous sommes tous des Christiane Taubira
Blog Mediapart
Voilà une femme qui par la force de ses convictions et de sa personnalité s’est hissée à hauteur d’une république qu’elle conçoit comme son horizon politique. Mue par une intégrité sans faille, elle consacre depuis longtemps toute son énergie à rendre accessible cet horizon à tous et toutes, sans distinction de sexe, de race, d’origine ou de religion. Elle n’a pas attendu les soubresauts identitaires de partisans d’une France qui veut demeurer blanche et straight pour œuvrer au bien commun. Elle n’en attendait sans doute pas tant de leur part : pourquoi tant de haine ?
Voilà qu’une ministre est ravalée à la rhétorique la plus abjecte qui, parcourant la surface de sa peau, entend l’avilir au plus profond d’elle-même, en tant que femme et en tant que noire. Comme s’il fallait étouffer en elle toute fierté d’être l’une et l’autre.
Pendant que l’on se repaissait de détails croustillants sur les slogans bestialisant la garde des sceaux, dont, par décence, il faudrait cesser de faire la publicité, le silence a régné au plus haut niveau de l’État. Un silence indécemment long. Comme si dans les esprits grinçait cette ritournelle selon laquelle elle l’aurait bien cherché.
Que le silence ait pu persister dans les Palais de la république ne devrait pas nous étonner plus que cela et pour tout dire, ne requiert déjà plus notre attention. Il est urgent de nous tourner vers la seule question qui vaille : serons-nous capable de résister au racisme qui prospère et de lutter pour qu’enfin sa matrice soit démantelée et ses exploiteurs démasqués ?
Voilà des années de trop, que le balancier oscillant de la haine de soi à la haine de l’autre fauche les maigres espoirs d’une France réconciliée avec elle-même. Elle prenait des couleurs pour le meilleur, croyait-on, puis le pire est redevenu notre seul horizon et il vient de se refermer sur elle et sur nous.
Désormais, il est trop confortable de se contenter d’accuser la droite extrême, restée assise à l’assemblée, pour avoir bonne conscience et croire s’être ainsi dédouané de toute forme de racisme. Ce sont les mêmes qui hier jetaient de l’huile sur le feu en désignant les coupables à la vindicte populaire et à l’audimat, par viennoiserie interposée, et qui aujourd’hui appellent à rompre avec les scélérats à leur droite toute, en persistant à ignorer qu’ils ne font plus qu’un. Car leur union est déjà scellée par ce dénie partagé : la France est raciste par leur faute. Chaque jour, ils misent un peu plus sur l’exacerbation des propos et des actes de haine qui la mettent à genou.
Mais la gauche n’est pas en reste. Elle n’est plus immunisée, à supposer qu’elle l’ait jamais été. Qu’elle s’installe au pouvoir, ou qu’elle veuille résister à cet exercice corrupteur, elle s’est dissoute au contact corrosif de dissensions et divisions qui laissent la voie libre au grand dérangement raciste. Jusqu’à ses figures consensuelles qui n’ont pas hésité à exploiter le filon de l’aversion contres les nouveaux français, trop basanés, trop musulmans, dont il est temps de dénoncer le jeu dangereux.
Entendons-nous : dire la France est raciste, n’est pas dire tous ses habitants le sont. C’est dire que la xénophobie d’État est bien là, installée dans ses quartiers, qu’ils soient rupins, protégés ou relégués et qu’elle expose toutes sa population au passage à l’acte et à la parole racistes. La xénophobie expose à l’ensauvagement. Que ce soit sous les ors de la république, dans les centres ville préservés ou dans les ornières de périphéries oubliées, le racisme bat son plein, et ce depuis longtemps. C’est donc rappeler que cela ne date pas d’hier et qu’en vérité cela n’a jamais cessé. Certains ont cru, qu’une fois révolues la collaboration et la colonisation, leur pays était tiré d’affaire, guéri d’un désir lancinant de supériorité. Alors qu’il n’était qu’en rémission. Et encore, elle fut bien brève. Tant dans ses tréfonds administratifs, à ses guichets, dans ses dossiers en bas de piles inamovibles, dans ses évictions de postes privilèges réservés, et à chacune de ses brimades, entre dévoilement, expulsion, contrôle au faciès et fouille au corps, s’active un racisme routinier, de basse intensité, sans panache, sans grade, mais bien réel.
Il atteint sans hésiter tout ce qui compte, et ils sont nombreux, de métèques et de parias. Devenu disponible, comme une substance psycho active dont on ne parvient plus à se défaire, objet de transactions à découvert, le racisme peut avoir le visage de chacun d’entre nous, sans exception. Mais, si pour certains, il est insu, ayant infusé face au désastre, pour d’autres il est devenu une vertu, l’ultime rempart d’un patriotisme désastreux.
Il révèle les alliages les plus improbables. Comme les partisans d’un antisexisme patriarcal, s’accommodant d’un racisme aveugle à lui-même, passager clandestin d’un cortège convaincu de cheminer glorieusement vers la liberté et l’égalité pour toutes. Ou ces croisés d’une laïcité dévoyée, tardivement unie à un féminisme intolérant et sélectif, qui marmonnent des formules magiques censées faire fuir les ennemis de l’intérieur qu’ils se sont inventés pour plus de vraisemblance.
Racisme des puissants comme des faibles, l’ironie veut que nous soyons tous égaux face à lui : il corrompt tous ceux qu’il atteint et les avilie bien plus que les cibles qu’il se désigne. Même lorsqu’il nous traverse, il ne nous laisse pas indemne, il se métabolise et s’installe dans les replis de notre être. Ce racisme, dont les effets délétères dissolvent les individus et désagrègent le bien commun, est devenu notre double.
Partout le rictus est sur le point de tordre les bouches et la haine prompte à empoisonner les esprits. Il est temps de les regarder en face.
Faut-il comprendre que répondre à l’abject n’est pas à l’ordre du jour ? Dans ce cas, comment ne pas voir dans le silence qui pèse sur la France une complicité de fait ?
Qui sème le vent récolte la tempête. Qui ne dit mot consent. Ce sont plus que des adages, des alertes qu’il importe désormais d’entendre.
Et qu’enfin, on comprenne que l’intégration n’est plus une réponse, mais le sauf-conduit qui autorise, étalonne et absout toutes les discriminations. Car tenus comptable d’une impossible intégration, les mis en échec subissent la sanction légitimée du racisme et des discriminations. La rhétorique de l’intégration est le plus sûr vecteur de racialisation d’une France qui n’en fini pas d’être hantée par ses spectres coloniaux et raciaux. Ces vestiges survivent au cœur de la république : celles et ceux qui la chérissent devront aller les en extirper.
Voilà pourquoi le silence et l’inaction sont pires que tout, parce qu’ils signent notre capitulation collective devant l’abject. Hormis reconnaître l’étendu du désastre et conjurer la tentation d’une reddition face au raciste pour en venir à bout, aucune autre alternative n’est viable.
La France ressemble déjà à ce qu’elle sera demain, sans retour et sans regret. Il faudra bien qu’enfin ses habitants apprennent, comme y invite la maturité démocratique, à réguler l’aversion qui les étreint encore trop souvent à la vue et au contact d’une altérité devenue intérieure à notre monde commun. L’État doit être le garant du droit à exister avec ses singularités et ses capacités afin d’en faire le multiplicateur des possibles. Il doit mettre un terme à l’aggravation des tensions qui sapent des existences devenues des rebus parce qu’elles sont marquées, à leur corps défendant, du verdict du rejet.
Voilà pourquoi nous sommes tous des Christiane Taubira. Nous, les arabes, les noirs, les roms, les musulmans, les juifs, les migrants, les minoritaires, les étrangers, les indigénisés, les femmes subalternes, les queers, les expulsés, les expulsables, les contrôlés, les contrôlables, les dé/voilées, les percutés au plafond de verre, les exilés forcés, les évincés, les double-peine, les sans droit de vote, les sans papiers, les sans logis, les sans travail. Car elle est comme nous, notre égale, notre semblable, entrée comme nous en résistance face au racisme et à ses pratiquants. Tout ce qui l’atteint nous affecte, tout ce qui lui est ôté nous ampute. Et vice-versa. Bienvenue au club à toutes celles et ceux qui nous rejoindront ! En attendant de manifester, manifestons (nous) sur la toile !
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Le contrat insensé de l’écotaxe
Mediapart.fr
Un contrat léonin souscrit au détriment des intérêts de l’État, des soupçons de favoritisme et de corruption, la menace de 800 millions d’euros à verser en cas d’annulation, une taxe qui ne répond pas aux objectifs de fiscalité écologique… La mise en place de l’écotaxe en France, imaginée et portée par la précédente majorité, tourne au scandale d’État.
Qui a signé le contrat de l’écotaxe ? Au lendemain de l’annonce de la suspension de la taxe sur les transports de poids lourds annoncés par Jean-Marc Ayrault, la pression politique monte au fur et à mesure que le gouvernement révèle les termes du contrat de partenariat public-privé dans lequel il se retrouve piégé. L’État devrait verser 800 millions d’euros de dédit à la société privée Ecomouv, chargée de la mise en place de cette taxe, si jamais il revenait sur sa décision de l’implanter dans les conditions arrêtées par le contrat.
800 millions d’euros ! La somme a sidéré l’ensemble des Français. « Il n’y a pas un scandale de l’ écotaxe, il y a un scandale Ecomouv », a dénoncé Joël Giraud, député radical de gauche lors de la séance des questions d’actualité. Le sénateur PS François Rebsamen demande une commission d’enquête parlementaire pour mettre au clair les conditions d’attribution de ce partenariat public-privé. Il avoue avoir des « doutes sur la création de cette société censée collecter l’écotaxe ».
Jusqu’alors déterminée à utiliser sur tous les tons politiques le thème du ras-le-bol fiscal, prête à dauber sur le énième recul du gouvernement, la droite se tient silencieuse. C’est elle qui a imaginé, porté, choisi les modalités de la mise en œuvre de l’écotaxe, accepté les termes de la société Ecomouv. Même si le contrat a été officiellement signé le 20 octobre 2011 par le directeur des infrastructures, Daniel Bursaux, la signature a été précédée d’un accord écrit de Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’environnement, Valérie Pécresse, ministre du budget, François Baroin, ministre de l’économie et des finances.
Mais, brusquement, les uns et les autres se dégagent de toute responsabilité. Tout semble s’être passé ailleurs, sans eux. « Nathalie Kosciusko-Morizet a bien signé. Mais elle ne s’en est pas occupée. Tout était déjà bouclé », assure sa porte-parole, éludant la question de savoir si elle aurait pu remettre en cause le projet. « Moi, je n’ai rien signé. Le seul texte que j’ai approuvé est le décret pour l’application de l’écotaxe, le 6 mai 2012 (le jour même du second tour de l’élection présidentielle – ndlr) », semble presque se féliciter Thierry Mariani, alors ministre des transports et normalement chargé de la gestion du dossier. Lui aussi dit qu’il n’avait aucun pouvoir de modifier les choses, « tout avait été arrêté avant ».
Tous les regards se tournent vers Jean-Louis Borloo, qui a occupé auparavant le poste de ministre de l’environnement. C’est lui qui a lancé l’écotaxe, seul résultat tangible du Grenelle de l’environnement. Très bavard au lendemain de la révolte bretonne, critiquant la mauvaise gestion gouvernementale, l’ancien ministre de l’environnement se tait désormais. Il n’a pas retourné nos appels. Quant à Dominique Bussereau, ministre des transports qui a supervisé lui aussi le lancement du projet, il a disparu des écrans radars.
Le jeu de défausse des responsables de droite traduit leur inquiétude. Les uns et les autres flairent le danger. Tout est en place pour un scandale d’État. Car il n’y a pas que les 800 millions d’euros de dédit qui sont hors norme. Des choix du contrat aux conditions d’implantation en passant par la sélection de la société, tout a été fait dans des conditions extravagantes, au détriment de l’État. Sous couvert d’écologie, le gouvernement de Nicolas Sarkozy et l’administration ont accepté des mesures exorbitantes du droit commun, allant jusqu’à revenir sur le principe républicain que seul l’État perçoit l’impôt. Chronique d’un naufrage.
Dans l’opacité du PPP
Cela n’a jamais fait l’objet d’un débat. D’emblée, il était évident pour Jean-Louis Borloo que la mise en place de l’écotaxe se ferait dans le cadre d’un partenariat public-privé. « Il y a un consensus dans la haute fonction publique sur ces contrats. Elle ne jure que par eux, avec toujours les mêmes arguments. D’abord, le privé est toujours mieux et sait toujours mieux faire. Et maintenant, l’État est ruiné. Il ne peut plus s’endetter pour mener les projets par lui-même. Désormais, tout passe par les PPP. Cela a coûté dix fois plus cher, comme l’a démontré la Cour des comptes, engagé la Nation et les finances publiques pour des décennies, et on continue. Depuis dix ans, on est ainsi en train de découper tranquillement tous les biens publics pour permettre à des privés de se constituer des rentes à vie », explique un ancien trésorier payeur général.
Dans le cadre de l’écotaxe, un autre argument est ajouté : celui de la technicité. Il faut implanter des portiques de détection, diffuser des équipements embarqués à bord des camions pour permettre de les identifier, gérer les données, percevoir la taxe. Tout cela demande des équipements, des hommes, des logiciels, des traitements de données. Qui mieux que le privé peut gérer une telle complexité ? s’interroge le ministre de l’écologie, qui pas un instant n’imagine faire appel à des prestataires de services au nom de l’État. Toute la charge doit être déléguée au privé.
Il y a bien un problème, malgré tout. C’est la perception de l’impôt. Depuis la Révolution, l’impôt ne peut être perçu que par l’État. Mais si le privé n’est pas assuré de mettre la main sur les recettes, jamais il n’acceptera de participer au projet. Qu’à cela ne tienne, on habillera le procédé d’un nouveau terme en novlangue : on parlera « d’externalisation de la collecte de l’impôt ». Une grande première qui sera confirmée dans les articles 269 à 283 quater du Code des douanes. Jamais l’État n’a confié au privé la perception des impôts. « C’est le grand retour des fermiers généraux », dénonce Élie Lambert, responsable de Solidaires douanes, qui redoute le précédent.
Très tôt, le syndicat s’est élevé contre les conditions obscures et léonines de ce partenariat public-privé en décortiquant avec précision tous les enjeux de ce contrat, mais sans rencontrer jusqu’à maintenant beaucoup d’audience (lire ici son analyse). « Non seulement, ce contrat tord tous les principes républicains. Mais il le fait dans des conditions désastreuses pour l’État. En exigeant 240 millions d’euros par an pour une recette estimée à 1,2 milliard d’euros, le privé a un taux de recouvrement de plus de 20 %, alors que le coût de la collecte par les services de l’État, estimé par l’OCDE, est d’à peine 1 %, un des meilleurs du monde », poursuit-il.
Soupçons de corruption
Dès le 31 mars 2009, Jean-Louis Borloo lance donc un appel d’offres pour la mise en place d’un télépéage sur l’écotaxe, dans le cadre d’un partenariat public-privé. Mais il le fait dans le cadre d’une procédure spéciale, uniquement possible pour les PPP : le dialogue compétitif. Cette procédure, dénoncée par des parlementaires dès la première loi sur les PPP en 2004, permet tous les détournements de la loi. L’État et les parties privées ne sont plus tenus par rien, ni par le code des marchés publics, ni par la loi Sapin. Les offres peuvent évoluer au gré des discussions. Une solution proposée par un candidat peut être reprise par l’autre. Officiellement, cela permet à l’État de garder la main sur toute la procédure et prendre les meilleures idées partout. Dans les faits, cela peut donner lieu à tous les tours de passe-passe.
Vinci, premier groupe de BTP et premier concessionnaire autoroutier en France, qui était très attendu, choisit de ne pas répondre à l’appel d’offres « jugé trop compliqué » selon un de ses dirigeants. Trois candidatures demeurent : celle du groupe italien autoroutier, Autostrade, au départ tout seul ; celle de Sanef, deuxième groupe autoroutier français contrôlé par l’espagnol Abertis, accompagné par Atos et Siemens ; enfin un troisième consortium est emmené par Orange. Les enjeux sont si importants qu’ils vont donner lieu à une bataille féroce.
Soupçons de corruption
Le 13 janvier 2011, Pierre Chassigneux, préfet, ancien responsable des renseignements généraux, ancien directeur de cabinet de François Mitterrand, devenu président de Sanef, écrit à Jean-Paul Faugère, directeur de cabinet du premier ministre François Fillon. Il est inquiet. Par de multiples bruits de couloirs, si fréquents dans l’administration, la même information lui revient : la proposition de Sanef qui, jusqu’alors semblait en tête, est en train d’être distancée par celle d’Autostrade. Celui-ci fait maintenant figure de favori.
Dans sa lettre, Pierre Chassigneux met en garde le directeur de cabinet sur la candidature d’Autostrade, qui n’a aucune référence en matière de télépéage à la différence de Sanef. Il le prévient aussi qu’au vu d’un certain nombre de distorsion dans l’appel d’offres, son consortium n’hésitera pas à porter le dossier devant le tribunal administratif. Son courrier est explicite : « Ajouté au risque politique évident que présente déjà l’instauration d’une taxe poids lourds, celui d’un cafouillage de mise en place dû à l’incapacité de l’opérateur choisi, additionné d’un contentieux (…) dont le résultat ne fait aucun doute, me paraît présenter une forte accumulation de facteurs négatifs. » Il ajoute : « Le groupe est tout à fait prêt à s’incliner devant une offre concurrente jugée meilleure, à condition que les règles de fair-play et de saine concurrence soient respectées, ce qui n’est hélas ici manifestement pas le cas. »
Car le consortium emmené par Sanef a noté tous les changements intervenus depuis le dépôt des candidatures à l’appel d’offres. Le groupe italien qui était tout seul au départ s’est « francisé » en s’adjoignant le concours de la SNCF, Thalès, SFR et Steria comme partenaires très minoritaires (Autostrade détient 70 % du consortium). De plus, l’État a introduit des critères très imprécis pour évaluer les offres, comme celui de la crédibilité. Il a aussi changé les critères du coût global de l’offre. Enfin, le consultant extérieur, Rapp Trans, chargé d’aider l’État à évaluer les candidatures, est aussi conseiller d’Autostrade dans de nombreux projets. Cela fait beaucoup de transgressions par rapport aux règles usuelles.
Mais il y a un autre fait qui alarme Pierre Chassigneux. Des rumeurs de corruption circulent autour de ce contrat. Sanef se serait vu conseiller d’appeler un grand cabinet d’avocats, rencontré dans de nombreuses autres affaires, s’il voulait l’emporter. L’ancien directeur des RG décide alors, comme cela a déjà été raconté par Charlie Hebdo et Le Point, de faire un signalement auprès du service central de prévention de la corruption.
Tous ces faits ne semblent pas retenir les pouvoirs publics. Le 14 janvier 2011, le classement des appels d’offres, signé par Nathalie Kosciusko-Morizet, est publié : Autostrade, comme l’a annoncé la rumeur, est en tête. Sans attendre les deux mois de réflexion accordés par les textes, la ministre de l’écologie choisit de retenir tout de suite l’offre du candidat italien.
Furieux, le consortium emmené par Sanef dépose une requête en référé devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise pour contester l’appel d’offres. Il reprend tous les griefs qu’il a déjà relevés pour souligner la distorsion de concurrence. Une semaine après, le tribunal administratif lui donne raison sur de nombreux points, notamment le changement de la candidature d’Autostrade avec l’arrivée de la SNCF, le caractère discrétionnaire des critères, le conflit d’intérêts avec le conseil de l’État, Rapp Trans, et casse l’appel d’offres.
Dans ses attendus, le tribunal administratif souligne notamment un point intéressant, celui du prix : « L’État ne paierait pas le prix stipulé dans l’offre du candidat mais un prix qui se formerait dans des conditions qu’il ne maîtrise pas et qu’un candidat peut, le cas échéant, manipuler ; que le critère du coût global a été privé de signification par le pouvoir adjudicateur en introduisant la modification tendant à ne plus rendre comme objectif obligatoire le pourcentage d’abonnés ; qu’ainsi des soumissionnaires tels qu’Alvia (nom du consortium dirigé par Sanef) ont été défavorisés », écrivent les juges.
Sans attendre, Thierry Mariani, ministre des transports, fait appel de la décision du tribunal administratif auprès du conseil d’État, au nom du gouvernement. Le 24 juin 2011, le conseil d’État casse le jugement du tribunal administratif, déclare l’appel d’offres valable et confirme la candidature retenue d’Autostrade. Ce jour-là, selon des témoins, Jean-Paul Faugère, ancien magistrat au conseil d’État, serait venu exceptionnellement assister à la délibération.
Affaire d’Etat
Mais tout ce remue-ménage a laissé des traces. Au ministère des transports et de l’équipement comme dans les milieux du bâtiment, on n’a guère apprécié les initiatives de Pierre Chassigneux. D’autant qu’après avoir saisi la direction de la prévention de la corruption, il a aussi signalé le dossier à la brigade de la délinquance économique. Dans le monde discret du BTP, ce sont des choses qui ne se font pas. Et on le lui fait savoir. « On a fait pression sur moi pour que j’arrête. Certains sont venus me voir en me disant de tout stopper, sinon (dixit) « des gens risquaient d’aller en prison » », raconte Pierre Chassigneux aujourd’hui. Un de ses amis préfets, proche du pouvoir, lui confirmera en juillet 2011 : « C’est une affaire d’État. »
Les représailles ne tarderont pas à son encontre. Dès le printemps, le milieu du BTP décide de le rayer de la présidence de l’association des autoroutes de France qui lui était destinée. Plus tard, profitant de ce que Pierre Chassigneux est atteint par la limite d’âge, l’actionnaire principal de Sanef, l’espagnol Abertis, qui a aussi des liens étroits avec l’italien Autostrade – ils voulaient fusionner en 2007, mais la direction de la concurrence européenne s’y est opposée –, optera pour un candidat nettement moins turbulent pour le remplacer : il nommera Alain Minc.
Lorsqu’il était président de la commission des finances à l’Assemblée nationale, Jérôme Cahuzac s’était intéressé aux conditions d’obtention du contrat de partenariat public-privé et avait auditionné Pierre Chassigneux. Il y fera référence lors d’un débat à l’Assemblée sur l’écotaxe le 17 juillet 2012 : « La régularité des procédures qui ont suivi l’adoption de la loi a été contestée devant les juridictions administratives. En première instance, l’appel d’offres qui avait attribué le marché à une entreprise italienne aux dépens d’une entreprise française, la société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France, a été annulé. Le Conseil d’État a rétabli en appel la décision. Il ne m’appartient pas de juger les raisons pour lesquelles la Haute assemblée a désavoué la première instance, mais ceux qui s’intéressent à ce sujet seraient sans doute intrigués par certaines des modalités qui ont présidé à cette conclusion », déclare-t-il alors.
Le ministère du budget, cependant, ne semble jamais s’être vraiment penché sur le sujet. Lorsque Pierre Chassigneux s’est enquis des suites données au dossier, un conseiller lui a répondu que c’était désormais dans les mains de la justice.
Une enquête préliminaire avait été ouverte par le parquet de Paris. En juin 2011, le dossier a été transmis au parquet de Nanterre, territorialement compétent. À l’époque, ce parquet est dirigé par le juge Philippe Courroye. Depuis, il n’y a plus aucune nouvelle sur le sujet.
Un contrat en or
Au fur et à mesure des discussions avec l’État, le contrat de partenariat public-privé a beaucoup évolué par rapport à ce qui était envisagé au moment de l’appel d’offres. De dix ans au départ, celui-ci est passé à treize ans et trois mois. Comment ? Pourquoi ? Rien n’a été dit à ce sujet. Est-ce que cela seul ne remet pas en cause le contrat ?
Mais ce changement est tout sauf anodin : au lieu de 2,4 milliards, ce sont 3,2 milliards d’euros qui sont promis à la société Ecomouv, société formée par le consortium dirigé par Autostrade. Jamais l’État n’a signé un PPP aussi ruineux. À titre d’exemple, le contrat de PPP pour la cité judiciaire de Paris, fortement contesté lui aussi, prévoit une rétribution de 3 milliards d’euros pour Bouygues qui a gagné l’adjudication. Mais c’est sur une période de trente ans.
« Vous ne pouvez pas comparer la construction d’un bâtiment à un marché d’équipements où il faut des investissements, des remises à niveau, du personnel », objecte Thierry Mariani. Parlons-en justement des équipements, des investissements. Sous prétexte qu’il s’agit d’un contrat privé, peu de détails sont donnés. La société Ecomouv a pour mission d’assurer la surveillance de quelque 15 000 kilomètres de routes nationales. Elle affirme avoir investi 600 millions pour l’installation des portiques de télépéage, les boîtiers de géolocalisation, les logiciels. Un terrain a été acheté à Metz auprès du ministère de la défense pour installer des centres d’appels.
Mais la société va aussi bénéficier de l’aide des douaniers, comme le confirme Élie Lambert de Solidaires douanes : « Nous sommes dans une complète confusion des genres. D’un côté, cette société va percevoir l’impôt, aura le droit de mettre des amendes, ce qui est aussi du jamais vu dans l’histoire de la République. Mais de l’autre, les services de Douanes vont être requis pour poursuivre et arrêter les contrevenants. C’est-à-dire que la tâche la plus coûteuse et la plus difficile est mise à la charge du public, pour des intérêts privés. »
Côté recettes, l’État s’est engagé à verser 20 millions par mois à la société à partir du 1er janvier 2014, quelle que soit la date de départ de l’écotaxe. « Il faut bien commencer à rembourser les investissements et les frais financiers », a expliqué Michel Cornil, vice-président du groupement au Figaro. Ecomouv n’a pas retourné nos appels.
On comprend que la société soit impatiente de réaliser très vite des rentrées d’argent. Car tout son montage financier repose sur une lévitation : une pincée de capital et une montagne de dettes. Créée le 21 octobre 2011, juste après la signature définitive du contrat, la société dominée par Autostrade – ils ont sept représentants sur dix – a constitué un capital de 30 millions d’euros. Pour un projet évalué autour de 800 millions d’euros, c’est peu. Il est étonnant que cet aspect n’ait pas attiré l’attention de l’État. Comment confier un tel projet à une société si peu solide même si elle a des actionnaires puissants derrière elle ? Que se passe-t-il si tout dérape ? Qui intervient ? On craint de connaître la réponse.
Dès la première année, compte tenu des pertes liées aux investissements de départ, elle n’avait plus que 9 millions de capital. Depuis, à notre connaissance, aucune augmentation de capital n’a été réalisée. En face, il n’y a que des dettes. Au 31 décembre 2012, la société avait déjà un endettement de 300 millions d’euros. Selon ses déclarations, celui-ci s’élève à 485 millions d’euros aujourd’hui.
L’effet de levier est donc gigantesque. Le financement est apporté par un consortium de banques emmené par le Crédit agricole, les banques italiennes Unicredit et Mediobanca, la Deutsche Bank, le Crédit lyonnais et la Caisse des dépôts. Le taux moyen est de 7,01 %. L’État, lui, emprunte à 2,7 %.
Goldman Sachs en percepteur ?
Le montage est conçu de telle sorte que la société qui va dégager une rentabilité hors norme – sur la base des versements prévus, les investissements seront remboursés en moins de trois ans – ne fera jamais de bénéfices. Enfin, officiellement. Ce qui lui permettra de ne jamais payer d’impôts. Un comble pour celui qui se veut percepteur au nom de l’État.
Un alinéa prévoit que Autostrade est libre de revendre toutes ses actions après deux ans de fonctionnement, après en avoir informé l’État qui n’a rien à dire sur le changement de contrôle, selon les statuts de la société. Là encore, pourquoi l’État a-t-il consenti une telle libéralité ? Compte tenu du dispositif, il n’est pas impossible que dans les prochaines années, Ecomouv repasse, avec fortes plus-values à la clé pour ses anciens propriétaires, dans d’autres mains attirées par cette rente perpétuelle. Un Goldman Sachs par exemple, qui prendrait ainsi un contrôle direct sur les impôts des Français.
Curieusement, à entendre la société Ecomouv, elle n’a que des droits vis-à-vis de l’État. Il lui doit 800 millions de dédit si le contrat est cassé, 20 millions d’euros au 1er janvier 2014, même si l’écotaxe est retardée. Mais il n’est jamais évoqué ses propres engagements. Dans tout contrat, il est normalement prévu des dates de mise en exécution, des pénalités de retard ou si les recettes ne sont pas à la hauteur espérée, faute d’une mise en place satisfaisante. Dans celui d’Ecomouv, il n’en est jamais question.
Les retards pourtant sont nombreux. L’écotaxe devait être mise en place en avril 2013 en Alsace et en juillet 2013 dans toute la France. Cela n’a pas été possible. Ecomouv n’était pas prêt. Le système technique était toujours défaillant. Comment se fait-il que l’État n’invoque pas des pénalités de retard, des amendes pour manque à gagner des recettes, voire n’ait pas envisagé la mise en œuvre d’une clause de déchéance ? Faut-il croire que le contrat a été rédigé de telle sorte que l’État soit dépourvu de toute arme ? Dans ce cas, qui a accepté de telles clauses ?
Fin octobre, le système de télépéage n’a toujours pas reçu l’attestation de validation par l’administration. Cette attestation est espérée en novembre. De même, il était prévu afin que le système de perception fonctionne bien que 800 000 abonnements de télépéage soient souscrits au moment du lancement. Fin octobre, les abonnements ne dépassaient les 100 000. « La suspension de l’écotaxe décidée par Jean-Marc Ayrault est une vraie bénédiction pour Ecomouv. Car il n’est pas prêt pour entrer en service au 1er janvier. Cela lui permet de cacher ses défaillances », dit un connaisseur du dossier.
Une taxe qui n’a plus d’écologique que le nom
Il existe tant de problèmes autour de ce contrat de PPP que cela semble impossible qu’il demeure en l’état. Mais le pire est que l’écotaxe, telle qu’elle a été conçue, ne répond en rien aux objectifs d’une véritable fiscalité écologique souhaitée officiellement par l’État.
Lorsque Jean-Louis Borloo présente son projet d’écotaxe à l’Assemblée, le 17 juin 2009, le texte est adopté à une quasi-unanimité. À droite comme à gauche, chacun se félicite de cette avancée écologique. Chacun alors semble avoir compris qu’une nouvelle fiscalité écologique est en train de se mettre en place sur la base du pollueur-payeur, et que les recettes vont servir au développement des transports durables. Erreur ! Car le ministère des finances veille. L’écotaxe pour lui, ce sont des recettes nouvelles pour remplacer les 2 milliards d’euros évaporés à la suite de la perte des autoroutes, bradées au privé. Un moyen aussi de récupérer en partie la TVA sociale que le gouvernement n’a pas réussi à mettre en place.
« Quand l’Allemagne a instauré une taxe sur les transports routiers, les élus alsaciens ont vu tous les camions passer chez eux. Ils ont alors demandé l’instauration d’une taxe pour freiner les nuisances et compenser les dégâts. L’idée a soulevé l’enthousiasme. Taxer les poids lourds était une idée de financement qui circulait depuis 2000. Alors qu’il y avait des autoroutes payantes, les routes nationales restaient gratuites. Pour les camions, c’était un moyen d’échapper aux taxes. Dans l’esprit de Bercy, cette taxe devait être récupérée par les camionneurs et payée par les consommateurs. Ensuite, on habillait tout cela de vert », raconte un ancien membre de cabinet ministériel à Bercy. C’est bien cela qui s’est passé : on habillait de vert sur les routes gratuites jusqu’alors.
Lorsque le Conseil d’État approuve le 27 juillet 2011 le schéma futur de taxation du réseau routier soumis à l’écotaxe, il y a une première surprise : les autoroutes, principaux points de transit de tous les transports internationaux, n’y figurent pas. Motif avancé par les intéressés : les camions paieraient déjà la taxe au travers des péages. Dans les faits, ils ne paient rien du tout. Les sociétés privatisées d’autoroutes reversent juste une redevance d’utilisation du domaine public. Alors que la Cour des comptes dénonce l’opacité des tarifs et l’enrichissement sans cause des sociétés d’autoroutes, la redevance n’a jamais été réévaluée depuis leur privatisation : elle est de 200 millions d’euros par an pour 7,6 milliards de recettes en 2011. Le gouvernement vient de l’augmenter de 50 % pour la porter à 300 millions d’euros.
« Ne pas inclure les autoroutes, c’est donner une super-prime au privé. Tout est fait pour créer un effet d’aubaine et ramener du trafic sur les autoroutes privées, au détriment de l’État et des principes écologiques », dénonce Élie Lambert.
Mais il n’y a pas que cela qui choque dans le schéma retenu. La Bretagne, qui n’a aucune autoroute payante, se voit imposer une taxation sur l’essentiel de son réseau routier. Comme le relevait un excellent billet de blog sur le sujet, l’Aveyron, grand lieu de passage de camions s’il en est, se voit taxé en plusieurs endroits. En revanche, a pointé le député Joël Giraud, toutes les routes nationales empruntées par les camions entre la France et l’Italie, et qui sont un cauchemar pour certains villages, n’ont aucun portique de taxation. « Nous sommes dans un scandale absolu. Cette taxe qui devait servir à limiter les transports internationaux, réduire les nuisances, a été conçue et détournée de telle sorte qu’elle va en fait être payée par les seuls transporteurs locaux, tandis qu’une partie des transports internationaux en seront exemptés. Une fois de plus, le monde politique et le monde administratif tuent le pays réel », accuse Jean-Jacques Goasdoue, conseiller logistique.
La fureur des clients et des transporteurs est d’autant plus grande qu’ils se sentent totalement piégés. Dans cette période de crise, alors que la pression des clients et en particulier de la grande distribution est très forte, ils ne peuvent pas répercuter la taxe qui varie entre 3,7 % et 4,4 % en moyenne, quelle que soit la valeur de la marchandise transportée, et qui va venir s’ajouter au prix de transport. Autant dire que pour nombre d’agriculteurs et de transporteurs, c’est leur marge qui risque de disparaître dans cette taxe.
Le pire est qu’ils n’ont aucun choix. Depuis l’annonce de l’écotaxe en 2009, rien n’a été fait pour développer des transports alternatifs, mettre en place des solutions de ferroutage, de transport multi-modal. La faillite de la SNCF en ce domaine est pointée du doigt. « Nous sommes en matière de transport ferroviaire dans une situation pire qu’en 2007. Alors que le fret en Allemagne ne cesse de se développer, chez nous il régresse à vue d’œil », accuse Jean-Jacques Goasdoue. « En 2008, il y avait eu un accord entre Sarkorzy et Pepy (président de la SNCF). Le gouvernement aidait la Sncf à conforter son pôle marchandise, en regroupant le fret et les transports routiers sous l’enseigne Geodis. Geodis a été confié à Pierre Blayau. Ce président qui a déjà ruiné Moulinex dans le passé est en train de ruiner Geodis. Sous sa présidence, le fret n’a cessé de régresser. Il a supprimé le transport wagon par wagon, fermé certaines gares de triage. Il a été incapable de mettre en place une offre sur les grandes lignes, d’aider au développement du transport multi-modal », poursuit-il.
Aucun changement ne se dessine. Les 750 millions d’euros de recettes que l’État est censé percevoir par le biais de l’écotaxe doivent normalement servir à l’amélioration des infrastructures de transport. C’est l’agence de financement des infrastructures de transports qui a la responsabilité de gérer cet argent. Une agence parfaitement inutile, a dénoncé la Cour des comptes, mais qui a tenu lieu de sinécure pour certains : Gérard Longuet puis Dominique Perben, ancien ministre des transports, en ont eu la présidence depuis sa création en 2005. C’est le maire de Caen, Philippe Duron, qui la dirige depuis novembre 2012.
Cette agence n’a aucun pouvoir de décision. Elle ne fait que verser l’argent à des projets qui ont été sélectionnés ailleurs. Dans son rapport sur le sujet, le député UMP Hervé Mariton ne cachait pas quelle serait la principale utilisation de cet argent : tout devait être fait pour conforter l’offre routière et autoroutière française. Pas étonnant que la fédération des travaux publics ait été la première à s’émouvoir de la suspension de l’écotaxe. Elle devrait être la première bénéficiaire de cette manne. Cette fédération est dominée par les grands du BTP, qui (hasard…) sont aussi, à l’exception notable de Bouygues, les grands bénéficiaires de la privatisation des autoroutes.
Pour l’avenir, Bercy a déjà un schéma tout arrêté sur le futur de l’écotaxe. « Dans l’esprit des finances, il est évident que les recettes de l’écotaxe sont appelées à augmenter. En fonction de son acceptabilité, il est possible de jouer sur différents leviers : son taux, son périmètre – on peut très bien imaginer inclure certaines départementales dans la taxe – et son assiette. Pour l’instant, la taxe est payée par les camions au-dessus de 3,5 tonnes, mais il est possible d’abaisser ce seuil, d’aller jusqu’aux fourgonnettes », dit cet ancien haut fonctionnaire des finances. Un vrai projet écologique !
La boîte noire :Tous les interlocuteurs cités ont été appelés ou rencontrés entre les 28 et 30 octobre. Jean-Louis Borloo n’a pas retourné nos appels, de même que la société Ecomouv.
Sans-papiers : Valls régularise à peine plus que Sarkozy
Mediapart.fr
Environ 17 000 sans-papiers ont bénéficié de la circulaire de régularisation signée il y a un an. Un chiffre peu élevé compte tenu du nombre d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire.
Une poignée d’heureux bénéficiaires et des milliers d’espoirs déçus. Sur les 200 000 à 400 000 sans-papiers vivant en France, 16 600 ont obtenu une autorisation de séjour au titre de la circulaire du 28 novembre 2012 précisant les critères de régularisation des étrangers en situation irrégulière, selon le ministre de l’intérieur.
Manuel Valls, auditionné mardi 5 novembre 2013 à l’Assemblée nationale, en commission élargie, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2014, sur les crédits de l’État concernant l’immigration, l’asile et l’intégration, a estimé qu’il y aurait en 2013 « 10 000 régularisations supplémentaires » par rapport aux années précédentes, soit environ 46 000 au total. Alors que les gouvernements de la majorité précédente refusaient de communiquer les données chiffrées sur ce sujet considéré comme sensible, le ministère avait fait savoir, en juillet dernier, qu’environ 36 000 personnes avaient été régularisées en 2012. Les dossiers les plus souvent retenus sont ceux émanant de parents d’enfants scolarisés : le motif familial a prévalu dans 81 % des cas.
Afin de ne pas apparaître « laxiste », le ministre de l’intérieur a minimisé son annonce en déclarant qu’« on est loin d’une régularisation massive ». Lors de la publication de la circulaire, qu’il avait justifiée dans un souci d’harmonisation entre les préfectures chargées d’instruire les dossiers, il avait assuré que son intention n’était pas d’augmenter le nombre de régularisations. Lors de la campagne présidentielle, François Hollande avait exclu toute « régularisation de masse », fermant de facto la porte aux procédures telles que celles menées par la gauche en 1981, au cours de laquelle 131 000 étrangers avaient été régularisés, et en 1997, qui avaient bénéficié à 80 000 personnes.
Comme s’il cherchait à contrer les critiques de la droite, et notamment du FN, le ministre, devant les députés, a évoqué « un phénomène conjoncturel, similaire à ce que d’autres circulaires avaient causé ». Sans le citer, Manuel Valls fait ainsi référence au texte du 13 juin 2006, signé par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur qui s’adressait spécifiquement aux parents d’enfants scolarisés. Les personnes disposaient alors de deux mois pour déposer leur dossier. Avant même que toutes les demandes aient été examinées, le ministre avait annoncé le résultat de l’opération en avançant le chiffre de 6 000 régularisations. Le bilan officiel établi en fin de compte faisait état de 6 924 titres de séjour délivrés sur 30 000 dossiers déposés, mais il semble que ce chiffre ait été sous-évalué.
De Nicolas Sarkozy à Manuel Valls, l’ordre de grandeur est le même. « Ce résultat est maigrichon », commente Brigitte Wieser, du réseau Éducation sans frontières (RESF). « En même temps, cela ne nous étonne pas. Manuel Valls avait prévenu. En comparaison avec ce que les élus de gauche et les membres du PS demandaient quand ils étaient dans l’opposition, à savoir la régularisation des familles et des jeunes majeurs, on est loin du compte », ajoute-t-elle.
« S’il est établi que la circulaire en tant que telle n’a permis d’augmenter que de 10 000 le nombre de personnes régularisées, on peut considérer que c’est particulièrement ridicule », renchérit Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). « C’est lassant, nous n’arrêtons pas de le répéter, mais la politique menée par Manuel Valls est dans la lignée de celle de Nicolas Sarkozy : avant, le mot d’ordre était “ferme mais humain”, maintenant c’est “humain mais ferme” », ironise-t-il. « Ça me fait penser aux slogans des lycéens dans la manifestation de mardi : “Nicolas Valls, démission !” » résume Brigitte Wieser.
Il existe néanmoins une différence entre les deux procédures : la circulaire de 2012 n’est pas limitée dans le temps, contrairement à celle de 2006 qui était à durée déterminée. Cela signifie que les personnes peuvent continuer à présenter des dossiers aujourd’hui (à l’exception toutefois des jeunes majeurs qui doivent être rentrés en France avant l’âge de 16 ans, quelle que soit leur durée d’études). La militante de RESF nuance encore : le nombre de personnes régularisées après la circulaire Sarkozy a été, en réalité, « plus proche de 20 000 que des 7 000 affichés » car « les préfectures ont continué à appliquer les critères au-delà de la date butoir ».
Lors de son intervention, le ministre n’a pas indiqué combien de dossiers ont été déposés au cours des douze derniers mois, ce qui ne facilite pas l’évaluation de la portée des chiffres présentés. Il ressort néanmoins de ce bilan « provisoire » que les critères sont suffisamment restrictifs pour n’autoriser qu’un nombre limité de régularisations. Pour rappel, le texte de Manuel Valls vise les familles, les salariés et les jeunes majeurs. Concernant les familles, il fixe à cinq ans la durée de présence sur le territoire et à trois ans la durée de scolarisation. Que les deux parents soient en situation irrégulière n’est plus rédhibitoire, contrairement à ce qui était retenu précédemment. Il est demandé aux jeunes majeurs de prouver deux années de scolarisation « assidue et sérieuse » et d’être arrivés en France avant leur 16 ans (contre 13 auparavant), mais beaucoup passent entre les mailles du filet, soit parce qu’ils sont arrivés après, soit parce qu’ils n’ont que des proches sur le territoire (et pas leurs parents), soit enfin parce qu’ils ont accepté un titre de séjour précaire d’étudiant qui ne leur permet pas de demander un titre plus stable. Quant aux travailleurs, souvent des hommes célibataires, ils doivent combiner plusieurs années de présence en France et de fiches de paie. Or, celles-ci sont difficiles à obtenir de la part d’employeurs qui préfèrent embaucher leur main-d’œuvre au noir.
Une certaine continuité est également observée en matière de reconduites à la frontière. Le ministre lui-même en convient. Manuel Valls s’est récemment fendu d’un communiqué en réponse à un article du Figaro qui pointait du doigt la chute du nombre des expulsions. « Le nombre total d’éloignements d’étrangers en situation irrégulière au 31 août 2013 est de 18 126, et non de 14 800, comme l’affirme à tort » le quotidien, insistait-il, rappelant que la baisse globale s’explique par la moindre attractivité de l’aide au retour. Le montant de celle-ci a en effet été réduit après que les pouvoirs publics ont constaté que leurs bénéficiaires – principalement des Roms roumains et bulgares – revenaient peu de temps après avoir été renvoyés dans leur pays d’origine. « Si on enlève l’effet d’optique de ces aides au retour volontaire, le nombre de retours contraints effectués depuis la métropole s’élevait à 17 422 en 2009, 16 297 en 2010, 19 310 en 2011 et 21 841 en 2012. Au 31 août 2013, le nombre de retours contraints s’élevait à 13 510 », note le ministère. « Cette tendance, souligne-t-il, est supérieure à celle constatée entre 2009 et 2011. » Autrement dit, sans les Roms, Manuel Valls expulserait autant que Nicolas Sarkozy. Et le ministre s’en félicite.
Sous les révoltes fiscales, la menace populiste
Mediapart.fr
Avec la Nuit du 4-Août puis la Déclaration de l’homme, la République s’est construite en 1789 sur un fondement majeur, celui du consentement à l’impôt. Or, c’est ce même consentement qui est aujourd’hui menacé par la politique fiscale injuste et incohérente conduite par François Hollande. C’est dire la gravité des événements qui, partis de Bretagne, secouent aujourd’hui le pays.
C’est comme un méchant clin d’œil de l’histoire. Voici 224 ans, c’est de la Bretagne qu’un vent nouveau a d’abord soufflé sur la France, contribuant à abolir les privilèges et les passe-droits qui étaient les fondements de l’Ancien régime, et à instaurer des principes nouveaux, et notamment ceux de l’égalité des citoyens devant l’impôt, qui sont devenus les fondements de la République naissante. Et voilà qu’aujourd’hui, c’est de nouveau de Bretagne que soufflent des vents contraires, charriant une contestation contre l’écotaxe, mais au-delà, manifestant un rejet beaucoup plus large et donc beaucoup plus grave, celui du consentement à l’impôt.
Un méchant clin d’œil qui vient illustrer la très lourde responsabilité prise par les dirigeants socialistes, et au premier chef par François Hollande, qui depuis l’alternance ont conduit une politique fiscale brouillonne, incohérente et surtout profondément inégalitaire et qui ont réussi du même coup le tour de force de fédérer contre eux toutes les couches sociales du pays, des plus pauvres jusqu’aux plus riches, et d’alimenter une fronde aux accents parfois populistes.
Il ne faudrait pas minimiser la gravité de la bourrasque qui vient ces dernières semaines de Bretagne et n’y voir que les soubresauts, somme toute assez classique, d’une fronde sociale, sur fond d’envolée du chômage, de multiplication des plans sociaux, et d’effondrement du pouvoir d’achat. Car, dans la contestation multiforme qui ne cesse d’enfler dans le pays, il y a le rejet de l’écotaxe, dont la suppression pure et simple est demandée par les « bonnets rouges » bretons. Mais il y a plus largement une grogne fiscale – un « ras-le bol fiscal » pour reprendre la formule désastreuse que le ministre des finances, Pierre Moscovici, a eu l’irresponsabilité d’employer le premier.
Or, la contestation sociale n’a strictement rien à voir avec la contestation fiscale. La première est consubstantielle à la République, dont la raison d’être est précisément d’être un mode de règlement des conflits, aussi âpres soient-ils. La seconde, elle, est en revanche antagonique à la République, dont l’un des fondements majeurs est précisément le consentement à l’impôt.
Que l’on se souvienne des premiers soubresauts de la Révolution française. Emmené par Isaac Le Chapelier ou encore le duc d’Aiguillon, c’est le Club breton, qui, ultérieurement, sera l’amorce du Club des Jacobins et qui est constitué par les délégués de Rennes, de Saint-Brieuc ou encore de… Quimper aux Etats Généraux, et qui propose le premier, le 3 août 1789, l’abolition des droits seigneuriaux.
La revendication était au cœur des cahiers de doléances. Au milieu du siècle suivant, dans son célèbre pamphlet Napoléon le Petit, Victor Hugo décrira avec verve l’exaspération que suscite à l’époque les privilèges dont jouissent la noblesse et le clergé :
« Un jour, il y a soixante-trois ans de cela, le peuple français, possédé par une famille depuis huit cents années, opprimé par les barons jusqu’à Louis XI, et depuis Louis XI par les parlements, c’est-à-dire, pour employer la sincère expression d’un grand seigneur du XVIIIè siècle, « mangé d’abord par les loups et ensuite par les poux », parqué en provinces, en châtellenies, en bailliages et en sénéchaussées, exploité, pressuré, taxé, taillé, pelé, tondu, rasé, rogné et vilipendé à merci, mis à l’amende indéfiniment pour le bon plaisir des maîtres ; gouverné, conduit, mené, surmené, traîné, torturé ; battu de verges et marqué d’un fer chaud pour un jurement ; pendu pour cinq sous ; fournissant ses millions à Versailles et son squelette à Montfaucon ; chargé de prohibitions, d’ordonnances, de patentes, de lettres royaux, d’édits bursaux et ruraux, de lois de codes, de coutumes ; écrasé de gabelles, d’aides, de censives, de mainmortes, d’accises et d’excises, de redevances de dîmes, de péages, de corvées, de banqueroutes ; bâtonné d’un bâton qu’on appelait sceptre ; suant, soufflant, geignant, marchant toujours, couronné, mais aux genoux, plus bête de somme que nation, se redressa tout à coup, voulut devenir homme, et se mit en tête de demander des comptes à la monarchie, de demander des comptes à la Providence, et de liquider ces huit siècles de misère. Ce fut un grand effort ».
Voici la version intégrale de ce formidable extrait, tel qu’il est paru dans une version de Napoléon le Petit, publié en 1879 par Eugène Huges Editeurs:
L’actualité de la Nuit du 4-Août
La contestation de l’inégalité des impôts innombrables qui pèsent d’abord sur le peuple est donc au coeur des premiers soubresauts de la Révolution. Et le Club breton est aussitôt entendu. Dès le lendemain, au cours de la célèbre Nuit du 4-Août, l’Assemblée constituante vote l’abolition des privilèges, ceux-là même qui étaient au fondement de l’Ancien régime et garantissaient la suprématie de la noblesse, et entérine, toujours sur la proposition du duc d’Aiguillon, le principe de l’égalité des citoyens devant l’impôt.
Dans les jours qui suivent, les députés à la Constituante prolongent le formidable travail qu’ils viennent d’accomplir en adoptant le 26 août 1789 les derniers articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui garantit de manière solennelle ce principe d’égalité.
Témoin l’article 13 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». C’est donc le premier acquis majeur de la Révolution française : balayant tous impôts inégalitaires issus du monde féodal, dont étaient exemptés les nobles, l’article édicte un principe fiscal de progressivité. En clair, plus on est riche, plus on doit contribuer.
Témoin encore l’article 14 qui édicte un autre principe majeur de transparence dans l’usage des fonds publics : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. ». (Soit dit en passant, on comprend mieux à la lecture de ces principes, qui ont toujours aujourd’hui valeur constitutionnelle, ce que le contrat conclu entre l’Etat et la société Ecomouv pour le recouvrement de l’écotaxe a de scandaleux : dérogeant à toutes ces règles de la République, il est de surcroît confidentiel. A bon droit, on a donc pu dire qu’il constituait une régression invraisemblable. En quelque sorte, le retour aux temps détestables des Fermiers généraux.)
Quoiqu’il en soit, on mesure ici pourquoi le consentement à l’impôt – à un impôt juste, transparent, équitablement réparti, sans passe-droit ni privilèges – est au cœur même de la naissance de la République et en devient l’un des principaux ressorts. Tout se joue dès cet été 1789 et depuis plus de deux siècles, les mêmes valeurs ont ensuite toujours perduré. Ou plutôt… presque toujours perduré. Car il est certes arrivé, en des temps troublés, que la France connaisse des frondes fiscales. Que le consentement à l’impôt soit contesté. Mais il est frappant de remarquer que ces périodes troubles de notre histoire où le consentement à l’impôt s’est fissuré correspondent très précisément à des époques où la République a été menacée ; où ses valeurs fondatrices ont été contestées.
Qui ne se souvient de la fin des années 1920 ? Aux côtés des ligues qui prennent une importance croissante et qui vont défier la République le 6 février 1934, il y a aussi une Fédération nationale des contribuables (FNC), qui se crée en 1928 et qui rassemble de « braves gens » écrasés par les impôts. « Nous entreprendrons une marche convergente vers cet antre qui s’appelle le Palais-Bourbon, et s’il le faut, nous prendrons des fouets et des bâtons pour balayer cette Chambre d’incapables », proclame en janvier 1933 l’éditorial du Réveil du contribuable, l’organe de la FNC.
Qui ne se souvient du poujadisme, aussi, qui a eu le succès que l’on sait dans les années 1950, avec de nombreux députés élus à la Chambre, dont un certain… Jean-Marie Le Pen, et dont le principal fonds de commerce était encore une fois l’antifiscalisme, avec à la clef la mise à sac des trésoreries publiques. La publication Fraternité française, qui est la tribune de Pierre Poujade, donne le ton de ces campagnes antifiscales.
La « révolution fiscale » aux oubliettes
Sans doute n’en sommes-nous pas là aujourd’hui. Mais la détestation de l’impôt que les dirigeants socialistes sont parvenus à attiser a de quoi inquiéter. Car elle conduit à des temps brouillés, où tous les repères de la République s’estompent. Ainsi a-t-on vu l’autre samedi à Quimper manifester bras dessus bras dessous ouvriers et patrons, sous les banderoles du Medef ou de la CGPME, pour dénoncer les impôts nouveaux décidés par le gouvernement, jusqu’à l’écotaxe – quand bien même celle-ci a vu le jour sous le quinquennat précédent. Spectacle inouï, dont le leader du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, a parfaitement résumé le paradoxe dans l’une de ces formules dont il a le secret : « Les esclaves ont manifesté pour défendre les droits de leurs maîtres ». Spectacle lourd de dangers pour la République que ces cortèges en rangs serrés des pigeons et des pigeonnés, pour entonner le grand refrain du moment, celui du « ras-le-bol fiscal »: attisé par la droite et l’extrême droite, sans parler du patronat, la détestation de l’impôt va-t-il devenir l’un des points de clivage majeurs du débat politique français ? Si ce devait être le cas, ce serait le signe que la République vacille et perd certains de ces principaux repères. Sale temps pour la démocratie ! Après la xénophobie entretenue par Claude Guéant et Brice Hortefeux et prolongée par Manuel Valls, voici le retour des temps obscurs de l’antifiscalisme…
Il faut dire les choses telles qu’elles sont : si les temps présents ont des petits relents poujadistes passablement inquiétants, c’est par la faute exclusive de François Hollande et de la politique fiscale inégalitaire qu’il a choisie de mener. Car avant l’élection présidentielle, il avait pris un engagement majeur, celui d’œuvrer à une nouvelle « révolution fiscale ». Par le biais notamment d’une fusion de l’impôt sur le revenu et de la Contribution sociale généralisée (CSG), il s’agissait de récréer un impôt citoyen et progressif et de supprimer tous les passe-droits, exonérations et abattements divers dont les plus hautes fortunes sont les premières bénéficiaires. Il s’agissait, en somme, de faire une nouvelle Nuit du 4-Août, et d’abolir les nouveaux privilèges qui se sont créés ces dernières années, aboutissant à ce que l’impôt sur le revenu soit un impôt dégressif pour les plus hauts revenus, en violation de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme.
Or, on sait que François Hollande a fait tout le contraire de ce qu’il avait promis. Au lieu de remettre de la justice dans un système fiscal qui en est de plus en plus dénué, il a renforcé les inégalités en assommant le pays, et d’abord les contribuables les plus modestes, de prélèvements nouveaux pour multiplier les cadeaux au camp d’en face. L’illustration la plus spectaculaire de cette volte-face a été le cadeau de 20 milliards d’euros apporté aux entreprises sous la forme d’un crédit d’impôt, financé sur le dos des ménages par le biais notamment du relèvement de l’impôt le plus inégalitaire qui soit, la TVA, qui pèse relativement plus sur les ménages modestes que sur les riches.
De ce manquement grave à la parole donnée, et de cette politique fiscale stupéfiante qui aggrave les inégalités au lieu de les résorber, François Hollande récolte donc aujourd’hui les fruits amers, avec des frondes fiscales qui ont une funeste résonance.
Il faut, certes, être honnête : il n’est jamais aisé de réformer la fiscalité. Le sujet est si sensible qu’il peut susciter de violentes indignations. Si François Hollande avait tenu parole et avait engagé une réforme pour redonner de la progressivité à notre système fiscal, il aurait sûrement affronté des tempêtes, celles qu’auraient immanquablement déclenché les milieux les plus fortunés, ceux qui auraient été appelés à un effort contributif un peu plus important. Mais dans le même temps, la réforme aurait permis de redonner du pouvoir d’achat aux catégories sociales les plus modestes. Dans sa confrontation avec le « Mur de l’argent », François Hollande aurait donc pu compter sur le soutien des milieux les plus modestes.
Or, au lieu de cela, François Hollande a pris le risque fiscal d’agresser toutes les catégories sociales à la fois. Les plus modestes, comme on vient de le voir. Mais aussi les couches moyennes ou supérieures qui sont vent debout contre la réforme biscornue de la fiscalité de l’épargne dont le gouvernement a accouché, avant tout aussitôt de l’amender de manière tout aussi incohérente. Ou encore les plus riches, les ingrats, qui ne seront jamais satisfaits des exonérations que François Hollande leur a maintenues, et qui font mine d’être saignés à blanc par la minuscule taxe à 75% pour rejoindre l’exaspération générale.
Au total, qui est donc satisfait par les réformes fiscales engagées depuis la mi-21012 ? C’est le tour de force de François Hollande : personne ! Le chef de l’Etat est parvenu – fait rarissime dans la vie de la République – a fédérer toutes les colères contre lui, les plus justifiées – celles des contribuables modestes –, comme les plus égoïstes ou les plus incongrues – qui s’inquiètera que le richissime Qatar, propriétaire du PSG, soit un peu plus mis à contribution ?
DEux nouveaux chocs fiscaux en perspective
L’extrême faiblesse de Bercy et la nullité du ministre principal qui en assume les commandes a fait le reste : avec des réformes sans cesse bricolées puis tout aussitôt corrigées ; avec un Etat qui semble ne plus disposer de la moindre autorité, prêt à céder du terrain à la moindre protestation d’une association patronale de second rang ; avec des dirigeants socialistes qui se disent aujourd’hui indignés par le scandale Ecomouv, mais qui ont voté des deux mains l’écotaxe sous le précédent quinquennat sans avoir la curiosité d’aller vérifier les secrets sulfureux qu’elle pouvait recéler, les réformes récentes ont fini par alimenter une gronde fiscale multiforme.
Dans tout cela, il y a un petit côté « pieds nickelés » : par maladresse, par inexpérience, les socialistes au pouvoir au multiplié toutes les erreurs possibles et imaginables. Mais il y beaucoup plus grave que cela encore. Non seulement ils ont renié leurs promesses initiales mais en plus, ils ont eux-mêmes, Pierre Moscovici le premier, soufflé sur les braises de l’antifiscalisme. De la manifestation de Quimper jusqu’à la grève des joueurs de football, ils sont les seuls responsables d’une situation de confusion généralisée.
Et le plus inquiétant, c’est que ce n’est vraiment pas près de s’arrêter. Car même si François Hollande a promis qu’il avait compris l’exaspération du pays et qu’il n’y aurait plus de hausses d’impôt, c’est là encore une contrevérité. Car, en fait, le pays va connaître au cours des prochains mois de nouveaux « chocs » fiscaux. Et à chaque fois, l’exaspération risque de monter d’un nouveau cran.
D’abord, sur les 12 milliards d’euros d’impôts nouveaux que les ménages vont devoir payer en plus en 2014, il y a 6,4 milliards d’euros qui proviendront de la hausse de la TVA que le gouvernement a décidé, avec à la clef notamment un relèvement de 19,6% à 20% du taux supérieur et de 7 à 10% du taux intermédiaire. Et cette hausse-là est pour très bientôt : elle entrera en vigueur le 1er janvier.
Pour l’heure, les Français n’ont donc pas encore pris l’exacte mesure des conséquences concrètes de cette réforme. Et les « technos » de Bercy se gargarisent en faisant valoir que la TVA est un impôt indolore et que tout devrait se passer au mieux. Mais c’est évidemment une stupidité : les ménages auront tôt fait de mesurer les conséquences concrètes pour leur pouvoir d’achat des rafales de hausses de prix qui découleront mécaniquement des relèvements de la TVA. Pour l’heure, il n’y a guère que le président de la SNCF, Guillaume Pépy, qui a annoncé récemment la couleur : il a fait valoir que le relèvement de 7% à 10% du taux de la TVA applicable aux billets de train conduirait au 1er janvier à une hausse de 3% de ces mêmes billets… « au bénéfice de l’Etat ».
Mais à cet « impôt sur les billets de trains » – la formule est du même patron de la SNCF – viendront s’en ajouter de nombreux autres. Dans tous les domaines de la vie des Français. Des impôts en veux-tu, des impôts en voilà… et surtout des impôts radicalement injustes, puisque la TVA est un impôt proportionnel qui frappe tous les consommateurs, quelque soit leur niveau de revenus.
Et après ce « choc » fiscal, un autre encore est prévisible, qui interviendra à la fin de l’été 2014 : dans le projet de loi de finances pour l’an prochain figurent plusieurs dispositions qui auront un impact fort sur certains contribuables. C’est le cas de la majoration des pensions de retraites pour ceux qui ont eu trois enfants et plus, qui sera désormais fiscalisée – la mesure est très lourde puisqu’elle doit rapporter 1,2 milliard d’euros. C’est le cas également de la participation de l’employeur aux contrats complémentaires santé qui sera soumise à l’impôt sur le revenu. En clair, cette participation de l’employeur sera fiscalement considérée comme un avantage en nature et viendra donc majorer d’autant le revenu imposable des contribuables concernés – et là encore, la mesure est lourde puisqu’elle devrait rapporter 960 millions d’euros. Et il faut enfin ajouter le quotient familial dont le plafond va baisser de 2.000 à 1.500 euros par demi-part, soit un gain budgétaire d’un milliard d’euros.
Il n’est donc pas besoin d’être grand clerc pour le deviner : en l’absence d’une réforme fiscale qui remette de la justice dans ce système inégalitaire, ce nouveau choc qui se profile, quand arriveront les avis d’imposition, attisera encore un peu plus l’exaspération. Car ce sont des rafales de hausses d’impôt qui alors tomberont sur le dos des contribuables. Et des foyers modestes qui, jusque-là, n’étaient pas assujettis, rentreront dans le champ de l’impôt.
Voilà donc le bilan calamiteux du pouvoir socialiste : c’est lui-même qui a attisé ces vents mauvais, qui ne sont pas prêts de faiblir. Ces vents mauvais qui sont en train de fragiliser dangereusement le consentement à l’impôt. Et quand ce consentement est ruiné, c’est la République elle-même qui est ébranlée.
A grand renfort de chiffres, François Gemenne, spécialiste des flux migratoires, considère l’immigration indispensable et vertueuse.
On a soumis les idées reçues sur l’immigration à celui qui a mouché le FN
Entretien.
A Menton, près de la frontière italienne, en 2011, sur l’affiche Front national d’un manifestant : « Régularisation des clandestins = immigration sans fin » (Antonio Calanni/AP/SIPA)
On l’a découvert sur un plateau télé, assis pas loin d’un vainqueur de « La Nouvelle Star » et d’un journaliste à moustache, en face d’un dirigeant du Front national et d’une animatrice tendance.
Dans « Salut les Terriens », l’émission mélange des genres de Canal+, son discours a visé juste. En opposant à Florian Philippot, vice-président du FN, des chiffres et des affirmations pro-immigration, François Gemenne l’a rendu silencieux.
Nous avons voulu entendre ce chercheur en sciences politiques plus en profondeur. Un Belge qui enseigne à l’Université Libre de Bruxelles et Sciences-Po Paris, spécialiste de la gouvernance globale des migrations environnementales, ces réfugiés climatiques qu’il voit comme un enjeu majeur d’ici le milieu du siècle.
Nous l’avons notamment confronté aux idées reçues sur l’immigration, à ces phrases que l’on entend prononcées avec plus ou moins de précaution dans la vie de tous les jours. « Il y a trop d’immigrés en France », « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde »…
A partir des statistiques, surtout celles de l’Insee et de l’OCDE, François Gemenne donne sa vision positive de l’immigration. Il la juge indispensable, vertueuse pour l’économie et inscrite dans le sens de l’Histoire.
Le débat politique français sur l’immigration ? « Il repose quasiment entièrement sur de l’émotionnel, de l’idéologique, du fantasme et de la peur. »
Avant de démarrer sa carrière universitaire, il a travaillé dans le cabinet du ministre belge de l’Ecologie entre 2002 et 2004, en charge de l’énergie des transports.
Le chercheur se dit « plutôt proche des milieux écologistes et de la gauche, quoique assez libéral sur les questions économiques », et ne cache pas ses convictions sur l’immigration :
« Je suis très favorable à l’ouverture des frontières. Je trouve qu’il y a une injustice fondamentale dans le fait que votre vie soit uniquement déterminée par l’endroit où vous êtes né.
Si on accepte que la politique, c’est l’idée d’essayer d’améliorer la vie des gens, je trouve que c’est une faillite politique complète que de raisonner dans le paradigme de l’immobilité. »
- « L’immigration fait augmenter les salaires »
- « On empêche les immigrés de travailler »
- « Dire “la France ne peut accueillir toute la misère du monde” est une insulte »
- « Notre politique migratoire, c’est la négation de la Révolution française »
- « Je ne suis pas très optimiste sur l’avenir des politiques migratoires »
Quel regard portez-vous sur une première phrase souvent répétée : « Il y a trop d’immigrés en France » ?
L’idée de placer un seuil, de dire « trop » ou « pas assez » est une question idéologique. Mon rôle de chercheur, c’est de dire combien il y en a et après, les acteurs politiques peuvent se positionner.
Ce que je n’accepte pas en tant que chercheur, c’est que l’on donne de faux chiffres et, comme on le fait souvent, que l’on mélange le stock et les flux, le nombre total d’immigrés et ceux qui arrivent chaque année.
En terme de stock d’immigrés, la France se situe dans la moyenne, comparée aux autres pays européens. A peu près 6% ou 7% de la population.
Si on prend les flux ces dernières années, la France accueille plutôt moins d’immigrés que d’autres pays européens comparables. En 2011, l’immigration en France, c’est 267 000 entrées, ce qui inclut les immigrés européens. L’Allemagne est à 490 000 entrées, l’Italie 385 000 et le Royaume-Uni 565 000. En 2012, ce sera vraisemblablement pareil.
Le solde migratoire en France est stable depuis plusieurs années, autour de 54 000. Ça représente moins de 1 pour 1 000 de la population française. Chacun tirera ses conclusions : est-ce que c’est ça la limite maximale ?
Depuis 2006, on délivre à peu près 200 000 titres de séjour par an – « qui sont différents des flux de l’immigration, les Européens n’ont pas besoin de titres de séjour ». En 2012 :
- 16 379 titres de séjour économiques – parmi eux 2 000 ou 3 000 travailleurs qualifiés et 15 000 travailleurs peu qualifiés ;
- 91 000 : le regroupement familial, « dont les critères sont assez restreints en France » ;
- 58 000 étudiants « qui, pour la plupart, rentrent ensuite chez eux » ;
- 18 005 : la catégorie humanitaire ;
- 13 000 : une catégorie résiduelle : « des visiteurs de longue durée (des chercheurs invités pour deux ou trois ans par exemple) et des étrangers qui sont entrés mineurs en France et atteignent leur majorité ».
D’où viennent les immigrés installés en France ?
Si on regarde les stocks, ce sont essentiellement des Européens, à peu près à 45% ; puis 30% de Maghrébins, 10% en provenance de l’Afrique sub-saharienne et ensuite, le reste du monde.
Sur les flux, c’est 20% d’Européens et, année après année, en fonction des crises et des guerres, la nationalité change. Les anciennes colonies, le Maghreb en particulier, restent une source importante des flux migratoires.
Ça donne l’impression qu’il y a de moins en moins d’Européens, c’est surtout que lorsque ceux-ci viennent, c’est pour des raisons professionnelles ou familiales : ils s’installent durablement.
Les gens qui viennent pour des raisons humanitaires rentrent, pour beaucoup, dans leur pays lorsque le conflit est apaisé.
Une autre phrase souvent associée à l’immigration : « Les immigrés viennent faire le travail que personne ne veut faire » ?
Elle est bien intentionnée mais elle n’est que partiellement exacte. Aujourd’hui, les immigrés qui arrivent sont souvent plus qualifiés et plus jeunes que la population française.
Pour une partie d’entre eux, ils viennent occuper des postes très qualifiés. Ce sont des chercheurs, des ingénieurs, des médecins, les footballeurs.
Parmi les immigrés, il y a deux extrêmes [voir le PDF] : ceux-là et, en effet, ceux qui travaillent pour des clopinettes à faire des boulots que personne ne veut.
Les deux sont absolument nécessaires à l’économie parce qu’il faut des gens pour remplir des trous dans le marché du travail, notamment dans la restauration et dans la construction, des secteurs qui s’effondreraient économiquement sans l’immigration. C’est aussi le cas des prêtres et des médecins dans les déserts médicaux.
Ces travailleurs acceptent des faibles revenus et du coup, les salaires baissent…
C’est complètement faux. En particulier, pour les salaires des professions plutôt peu qualifiées. On constate de manière assez nette que les salaires de ces emplois augmentent grâce à l’apport de l’immigration.
Parce que les immigrés prennent les salaires tout en bas de l’échelle et que par conséquent, les Français remontent un peu. C’est comme s’ils gagnaient un échelon. On considère que l’impact moyen est de +0,27%. Aux Etats-Unis, les résultats sont comparables [PDF].
Dans les professions plus qualifiées, l’impact sur les salaires est beaucoup plus faible, quasiment nul.
Le Défenseur des droits fait son bilan sur la prison
20102013
Les demandes d’intervention des détenus représentent près de 5% du nombre total des dossiers adressés au Défenseur des droits (plus de 4000 demandes par an). Ceci signifie qu’une personne incarcérée saisit l’institution 50 fois plus souvent qu’une personne libre.
Cent cinquante délégués tiennent des permanences dans les prisons et maisons d’arrêt en France (collectivités d’outre-mer comprises). Ces derniers reçoivent directement 90% des saisines qui leur sont communiquées verbalement par les détenus, preuve du caractère majeur de leur rôle dans l’accès au droit. Par ailleurs, la présence des délégués prévient l’effet désocialisant de l’emprisonnement et permet de créer pour les prisonniers un temps d’écoute et de parole, qui se révèle souvent être une réponse suffisante à leurs difficultés. Cet accompagnement apporte aussi, dans la réintroduction d’une relation avec les services administratifs (mise à jour de carte vitale, allocations de la CAF…), un premier pas vers la réinsertion sociale.
Outre ce bilan, le rapport présente également une série de recommandations au gouvernement.