Catégorie : Travail et Entreprises

Attention! Ne pas confondre cireurs de chaussures avec cireur de pompes des médias!

Boulots de merde : « On revient à une économie de type féodale, une économie de la domesticité »

PAR NOLWENN WEILER 30 NOVEMBRE 2016 / Bastamag

Produire ou servir plus, avec moins : c’est l’injonction faite à tous les travailleurs, des chaînes de montage automobiles aux couloirs des hôpitaux, en passant par les salles de classe ou les bureaux de poste. A la souffrance de ces boulots dégradés, s’ajoute la précarité grandissante de travailleurs qui quittent le salariat pour la « liberté » de l’auto-entrepreunariat. Une violence sociale féroce dans laquelle les journalistes Julien Brygo et Olivier Cyran ont plongé pour écrire leur ouvrage Boulots de merde. Ils y décrivent l’âpre quotidien de celles et ceux qui exercent des métiers difficiles et souvent utiles, à comparer avec certains boulots très bien payés et plutôt confortables, mais qu’ils jugent socialement nuisibles. Entretien.

Basta ! : Le titre de votre livre, Boulots de merde, se réfère au texte de l’anthropologue David Graeber sur les « bullshit jobs » [1]. Il y décrit les métiers absurdes qu’induit le capitalisme financier, tels que ceux exercés par les avocats d’affaire, lesquels s’ennuient prodigieusement au travail. Mais pour vous, les bullshit jobs ne concernent pas que les cols blancs, loin s’en faut. Pourquoi ?

Julien Brygo et Olivier Cyran [2] : Nous avons été séduits par cette idée de David Graeber selon laquelle, dans le capitalisme financier, des millions d’individus sont employés à ne rien faire d’utile, comme effectivement les avocats d’affaire : ils sont bien payés et très reconnus socialement, mais ils s’ennuient tellement au travail qu’ils passent leur temps à télécharger des séries ou à réactualiser leur page Facebook. Ceci dit, il nous semble que les « vrais » boulots de merde, ce sont quand même plutôt ceux qui sont exercés en bas de l’échelle sociale dans les secteurs du nettoyage, de la restauration, de la livraison à domicile, de la distribution de prospectus publicitaires, etc. Bref : des métiers pénibles où l’on paie de sa personne, qui participent à la croissance du PIB et à la baisse des chiffres du chômage.

Nous pouvons y ajouter les boulots « utiles » comme les infirmières, les professeurs ou les facteurs, dont les conditions se sont tellement dégradées qu’ils deviennent vraiment « merdiques » eux aussi. Nous avons voulu incarner ces vies et tracer un lien avec les gestionnaires de patrimoine et autres héros financiers tels que les journalistes boursiers, qui exercent des métiers nuisibles socialement : les gestionnaires de patrimoine font partie des organisateurs de ce qui est appelé béatement « l’optimisation fiscale » et qui prive la collectivité des recettes de l’impôt.

« À la faveur de l’entassement des richesses dans les mains d’une élite de plus en plus dodue et capricieuse, le secteur des tâches domestiques où l’on s’abaisse devant son maître se répand », dites-vous. Pouvez-vous détailler ?

Entre 1995 et 2010, dans le monde, le nombre de travailleuses domestiques a grimpé de plus de 60 %. 52 millions de femmes exercent ces « métiers ». Cette hausse correspond à la montée des inégalités. On revient à une économie de type féodale, une économie de la domesticité dans laquelle les plus riches sous-traitent leur confort en employant une nounou, ou bien une, deux ou trois bonnes. Le tout avec le soutien de l’État puisque, par exemple, la gauche plurielle de Lionel Jospin a instauré en France le subventionnement de tous ces métiers via les crédits d’impôts.

Des métiers que l’on croyait disparus, parce que réservés à une époque de semi-esclavagisme, refont leur apparition, comme les cireurs de chaussures, parfois avec l’étiquette « économie sociale et solidaire ». Suite à un appel à projets lancé en 2012 dans le département des Hauts-de-Seine, sous l’égide de Jean Sarkozy, le réseau « les Cireurs » a ainsi obtenu 50 000 euros de subvention au titre de « l’aide à l’économie sociale et solidaire ». Fondé par une diplômée d’école de commerce, ce réseau réunit des individus qui, en contrepartie du droit d’usage de l’enseigne (censée appâter le chaland), acceptent d’être auto-entrepreneurs. Pas d’indemnités en cas d’arrêt maladie, aucun droit aux allocations chômage.

Au lieu d’un salaire, le cireur touche un cachet horaire sur lequel il doit payer lui même une taxe de 23 %. De son côté, la structure démarche des centres commerciaux pour leur vendre l’implantation de ses « artisans cireurs ». Les cireurs paient de leur poche le matériel et l’habillement. S’ils n’ont pas les moyens d’investir, ils peuvent obtenir un prêt accordé par l’association pour le droit à l’initiative économique à un taux d’intérêt compris entre 6 et 8 % ! Au final, la rémunération du cireur est maigre, sa précarité totale. Mais on nous vend un métier « renouvelé », avec des gens qui travaillent « pour eux », sous prétexte qu’ils ne sont pas salariés.

« Je ne gagne pas un Smic, ça c’est clair », dit un cireur de chaussures que vous citez. Mais les auto-entrepreneurs ne sont pas les seuls à travailler à bas coût. Vous expliquez que des millions de salariés travaillent bien en-deçà du Smic.

On entend partout que le Smic c’est « l’ennemi de l’emploi ». Mais le Smic n’existe plus depuis longtemps. Il existe de nombreuses manières de passer outre le salaire minimum. Par exemple, le CDI à temps partiel, avec la pré-quantification du temps de travail. C’est ce qui a été négocié par les géants de la distribution de prospectus publicitaires, Adrexo et Médiapost. Les salariés que nous avons rencontrés travaillent 30% de plus en moyenne que ce qui est indiqué sur leur contrat, et que ce qui leur est payé. Un couple de retraités touchait à peine trois euros de l’heure, soit deux fois et demi moins que le Smic ! La convention collective de la restauration est un autre moyen de faire travailler les gens gratuitement : les heures supplémentaires ne sont pas payées. Résultat ? Les salariés sont payés 24 heures, et en font 60. Le reste étant – parfois – payé au black. Dans les secteurs où la France est championne – le tourisme, la grande distribution, l’hôtellerie-restauration… –, il y a au moins deux millions d’emplois payés entre 25 et 80 % du Smic !

Il y a en fait une vraie fascination du patronat pour le travail gratuit, et les dirigeants politiques s’empressent de leur donner des outils juridiques qui légalisent cette gratuité : prenons le service civique payé deux fois moins qu’un Smic – et même seulement 1/10ème du Smic pour l’employeur – ; ou encore le contrat de professionnalisation auquel recourt beaucoup la grande distribution : pour 150 heures de formation théorique – qui consiste en fait à remplir des rayons ou à faire du nettoyage – l’entreprise touche 2 250 euros par contrat. Le dispositif coûte des millions d’euros aux contribuables chaque année.

Y a-t-il là une spécificité française ?

La grande distribution, c’est une spécialité française. Et le secteur est friand de boulots dégradés. Le projet Europacity (immense centre commercial à proximité de Paris, ndlr), du groupe Mulliez et de sa filiale Immochan, c’est la promesse de 10 000 boulots de merde. Autre secteur passionné par cette économie du « larbinat » : le tourisme. Dans les Alpes, des vallées entières sont de véritables réservoirs à larbinat : tout le monde travaille pour les quelques privilégiés qui peuvent se payer des sports d’hiver. Il y a des contrats prévus pour les CDI à temps partiels, les intermittents, les apprentis, les stagiaires, etc. Précisons que la France est aussi championne du monde des anti-dépresseurs et des médicaments, notamment pour supporter tous ces travaux infernaux.

Le secteur privé n’est pas le seul à malmener les travailleurs. Les fonctionnaires sont eux aussi essorés par les « restructurations » de services et les suppressions de postes en pagaille. Que vous-ont raconté les fonctionnaires que vous avez rencontrés ?

L’obsession pour la réduction des effectifs est un drame. Tout le monde semble s’accorder pour dire qu’il est important de réduire le chômage. C’est constamment dans la bouche des responsables politiques. Mais la phrase d’après, c’est : « Je m’engage à virer 500 000 fonctionnaires ». Parce qu’ils n’arrivent pas à se figurer que des métiers qui ne dégagent pas de marge financière puissent néanmoins être utiles. Tout doit être « rentable ». Nous payons des années de convergence idéologique entre les élites politiques et les détenteurs du capital. Les gens chargés de « réorganiser » drastiquement le CHU de Toulouse, où nous avons fait un reportage, sortent d’écoles de commerce. Ils ont officié chez Carrefour, Pimkie et Danone. Ils se retrouvent à gérer sur ordinateur de l’humain, alors qu’ils ne connaissent que les chiffres.

Les aides soignantes et les infirmières sont censées remplir des chiffres bêtement sans se poser de questions. Elles doivent soigner tant de malades en une journée, peu importent les spécificités des personnes malades ou les imprévus. Elles ont tant à faire en si peu de temps que leur travail est devenu impossible (Ndlr : lire notre article sur le sujet : Sauver des vies en temps de crise : le difficile quotidien des infirmiers). En fin de journée, elles sont épuisées et complètement stressées parce qu’elles ne savent plus si elles ont posé correctement telle perfusion, donné tel médicament à la bonne personne au bon moment…

Tous les services publics sont touchés par cette recherche de rentabilité. Les facteurs se sont ainsi transformés en vendeurs de systèmes de télésurveillance, ou en promeneurs de chiens. L’objectif est de soutirer de l’argent à cette importante manne financière que sont les vieux en France. Cela porte évidemment atteinte à la dignité des facteurs, qui ont toujours aidé les plus anciens au cours de leurs tournées, mais gratuitement ! Les policiers de leur côté sont devenus des machines à gazer des manifestants ou des réfugiés. Certains en ressentent un certain malaise. Être obligé de reconduire tant de migrants à la frontière chaque année, cela n’est pas sans conséquences mentales sur les personnes.

Vous expliquez que tous ces « remaniements » de services publics sont inspirés du « lean management », une méthode élaborée dans les années 1950 au Japon par les ingénieurs de Toyota, et revue par le très libéral Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis au début des années 1990. Comment cela se traduit-il dans le monde du travail ?

Le « lean management » est devenu la marotte des directions de ressources humaines, et s’immisce et se propage dans tous les secteurs du monde du travail : dans les multinationales ou les services publics, chez les gros industriels et les sous-traitants. Il consiste à imposer aux salariés de faire plus avec moins, en s’attaquant notamment à tous les temps morts : les pauses jugées superflues, les respirations qualifiées d’improductives, toutes les minutes qui ne sont pas « rentables ». Dans nos reportages, tout montre que les travailleurs n’arrivent pas à faire face à cette intensification du travail. Ce qu’on leur impose en terme de rythme et d’objectifs n’a plus de sens. Nous nous dirigeons vers un état de souffrance au travail généralisée. Il y a des vagues de suicides partout. Et on parle là des secteurs de la santé ou de l’éducation : ce sont des secteurs fondamentaux de notre vie sociale.

Tout cela ne se fait-il pas avec le prétendu assentiment des salariés, que l’on somme de participer au changement organisationnel ?

Si. C’est toute la perfidie du « lean management ». On donne aux salariés l’illusion qu’ils peuvent changer le système ; en fait on les oblige à accepter de se faire humilier. C’est le principe de la bonne idée rémunérée chez PSA : 300 euros pour l’idée simple, 500 euros pour la super idée, 1 000 euros pour l’excellente idée. On fait croire aux salariés qu’ils sont d’accord et qu’ils valident le système. Alors que c’est faux, bien entendu. Neuf salariés sur dix pensent qu’ils ont besoin de plus de collègues, et de plus de temps pour pouvoir bien faire les choses. Un infirmer de Toulouse nous a expliqué qu’il a besoin de moins de produits anesthésiants lorsqu’il prend le temps de parler avec ses patients avant de les endormir. Mais ce n’est pas du tout intégré par la nouvelle organisation. Il doit faire vite, endormir tant de patients en une journée, peu importe si pour cela il doit consommer plus de produits. Toute cette organisation du travail a des effets criminels : il y a eu quatre suicides cet été à l’hôpital de Toulouse.

En France, la « loi travail », qui a fait l’objet d’une intense mobilisation durant l’année 2016, a-t-elle pour conséquence d’entériner ces méthodes ?

Avec cette loi, qui vise à faire passer le code du travail au second plan, on s’éloigne encore davantage du principe « une heure travaillée = une heure payée ». Elle est taillée sur mesure pour les entreprises qui veulent en finir avec le salariat. L’article 27 bis précise par exemple qu’il n’y a pas de lien de subordination entre les plate-formes de mise en relation par voie électronique comme Uber et les auto-entrepreneurs qui travaillent pour elles. C’est ce lien qui définit le salariat et permet entre autres aux travailleurs d’aller aux Prud’hommes faire valoir leurs droits. On désarme complètement les travailleurs, alors qu’ils subissent un vrai lien de subordination – ce sont les plate-formes qui leur donnent du travail, évaluent les travailleurs et les sanctionnent – sans les compensations garanties par le statut salarié.

Un livreur à vélo pour une « appli » de repas à domicile le souligne dans notre livre :« Pour arriver à un salaire intéressant, il faut travailler une soixantaine d’heures par semaine. Sur ce revenu, il faut payer environ 23% d’impôts au titre de l’auto-entrepreneuriat. L’arnaque totale. T’es taxé alors que eux, tes patrons, ils ne paient aucune cotisation sociale. » Les livreurs sont incités à aller très vite, quitte à frôler les accidents, étant donné qu’ils sont payés à la course. Et celui qui tombe de son vélo, il se fait non pas virer, mais « éliminer ». Il « quitte le jeu », en quelque sorte. Il ne touche plus aucun salaire, ni aucune indemnité. C’est un système d’une violence incroyable, qui se fait passer pour cool, jeune et dynamique. Les livreurs n’ont pas le droit au scooter, ils ne doivent rouler qu’à vélo – qu’ils doivent se procurer eux-mêmes – parce que cela donne une image écolo à l’entreprise…

Vous reprochez aux médias leur complicité avec ces conceptions très libérales du travail…

Les médias jouent un rôle central dans la diffusion de cette idée sous-jacente que la précarisation est nécessaire. Il faut travailler pour avoir une existence sociale quels que soient l’emploi et les conditions de travail. Le fait de donner chaque mois les chiffres du chômage nous plonge dans une vision statisticienne du monde, avec cet objectif de faire baisser le chômage quoi qu’il en coûte. Les journalistes relaient avec beaucoup de zèle cette idée selon laquelle « mieux vaut un mauvais travail que pas de travail du tout ». Cela devient légitime d’accepter un boulot de merde simplement parce qu’il est proposé. Évidemment, pour rien au monde les journalistes ne feraient ces boulots de merde. Nous avons là une vision de classe.

Les médias jouent aussi beaucoup avec la culpabilisation du chômage, en répétant sans cesse à quel point c’est honteux de ne pas travailler, et en enchaînant les « Une » sur les avantages de l’auto-entreprenariat. Nous sommes étonnés de constater, même autour de nous, à quel point les gens ont honte de dire qu’ils touchent des prestations sociales. Alors que cet argent, les gens l’ont cotisé, via leurs boulots antérieurs. Ce sont des garde-fous qui ont été mis en place pour éviter que des gens ne tombent dans la misère totale.

Les médias sont par ailleurs très sévères quand ils décrivent les luttes sociales, comparant volontiers les grévistes avec des preneurs d’otages, ou les manifestants avec des casseurs. Entre ces jugements très négatifs et la répression qui va grandissante, les luttes collectives peuvent-elles se faire une place, et redonner du sens au travail ?

Il nous semble que le patronat va tout faire pour imposer l’idée selon laquelle il faut qu’on accepte cette société de mini-jobs, sans salaire minimum, avec des contrats « modernes », c’est-à-dire au rabais, davantage proche de l’auto-entrepreunariat que du salariat avec ses « acquis » sociaux qu’ils jugent « insupportables ». Au niveau juridique et législatif, tout est bouché. L’inspection du travail est attaquée de front. Les procédures prud’hommales engendrent parfois plus de cinq ans d’attente – et de paperasse – pour obtenir réparation et se faire rembourser l’argent volé. C’est un combat très inégal.

La criminalisation des mouvement sociaux et la répression des luttes collectives répondent à l’obsession politique clairement formulée qui vise à désarmer la CGT : ils veulent empêcher les travailleurs de reprendre le contrôle de leur travail et d’exercer leur capacité de nuisance sociale afin d’inverser un rapport de force. Cela indique que le patronat et ses relais politiques sont prêts à un affrontement, qu’ils exigent même la violence de cet affrontement.

Ils veulent faire sauter les derniers verrous, ils veulent une société sans filets, où quelques privilégiés auront accès à des métiers survalorisés socialement et correspondant même à des compétences, tandis qu’en bas, ils poseront les jalons d’une société de logisticiens du dernier mètre payés à la tâche, esclaves des machines et de l’auto-exploitation auquel le capitalisme les auront assignés presque naturellement. Et lorsque le logisticien sera remplacé, il pourra toujours louer sa maison, sa guitare, sa voiture, pourquoi pas vendre père et mère, pour ne pas sombrer dans la misère ni « vivre avec la honte » d’être un « assisté ». On va sans doute aller vers une radicalisation des mouvements sociaux. Avec une grande répression derrière. C’est la seule possibilité pour le libéralisme économique de continuer à structurer nos vies : par la force.

Propos recueillis par Nolwenn Weiler

Julien Brygo et Olivier Cyran, Boulots de merde, du cireur au trader. Enquête sur l’utilité et la nuisance sociale des métiers, éditions La Découverte, septembre 2016, 240 pages.

Ldh91-R.André

Des tas d’urgence quant à l’espace de résistance, de solidarité, et la possibilité d’aller au bout des projets humanistes

Des tas d’urgence quant à l’espace de résistance, de solidarité, 

 « Le Pouvoir d’Agir » constitue de nouvelles utopies pour une action sociale, solidaire, éducative en perte de sens. La thématique est en effet attrayante ; est ce qu’il ne s’agit pas de donner, redonner, rendre de l’autonomie ou du pouvoir à ceux qui semblent en être dépourvus, car trop dépendants des structures, des circonstances, trop ballottés par une vie qu’ils ne contrôlent plus ?

Nous renvoyons ainsi sans arrêt ceux que nous jugeons trop peu autonomes au pouvoir ou la mobilité qui leur feraient défaut. On finirait même encore par leur reprocher le peu de confiance qu’ils gardent encore vis à vis des travailleurs sociaux, des enseignants, des structures sociales. Ne feraient-ils pas mieux de se prendre en main ?

On ne se rend pas compte, chemin faisant que ce modèle « d’Empowerment », de « Capacitation », ressemble comme une goutte d’eau à ce que l’on reproche par ailleurs à ces mêmes groupes dès qu’ils acquièrent un peu d’indépendance ; d’un seul coup la solidarité rêvée sera décrite comme du communautarisme ; la conscience sociale, culturelle et politique sera dénoncée comme de la radicalisation ; la lutte pour plus de démocratie sera traitée comme une menace pour la République.

En fait, on se donne d’autant plus facilement d’objectifs de développer le pouvoir d’agir des usagers qu’on se félicite qu’ils n’en acquerront guère.

A la place du pouvoir, voici à quoi on assigne les individus et groupes marginalisés : à faire des choix, des séries et des listes interminables de choix. L’Empowerment qu’on propose, le pouvoir d’agir qu’on favorise, se limiteront toujours à ceci : faire des choix, et surtout les plus petits qui soient. Ceux qui n’engagent à rien sur le fond et qui occupent tout le temps qu’on a.

La véritable précarité, c’est cela finalement : être perpétuellement en obligation de choisir pour chaque moment, chaque chose … et rester en même temps dans l’impossibilité à changer quoi que ce soit.

Extrait de texte :

Posté le 19 janvier 2017 par ÉricZLaurent Ott

http://www.questionsdeclasses.org/?Le-pauvre-ne-manque-pas-de-pouvoir-mais-d-organisation

Ldh91-R.André

LE STRESS DE LA COMPÉTITION NOUS REND BÊTES, AU SENS LITTÉRAL DU TERME

Le choix orchestré quant aux mises en états d’urgences, de stress, de compétitions, de phobies, de racismes, d’insécurités allant à l’encontre de l’humanité, des règles de vie, d’existence de notre planète Terre.
L’état de guerre économique est un choix politique délibéré, pas une catastrophe naturelle. Jacques Généreux nous montre que la modification de quelques réglages financiers, sociaux et fiscaux suffit déjà à transformer radicalement notre système économique. Le plus stupéfiant, c’est que seule une petite minorité profite de ce système et des politiques imbéciles de nos gouvernements. Même la plupart des entrepreneurs auraient intérêt à un autre système, où la compétition serait mieux régulée et où l’économie ne serait pas menacée régulièrement par des crises financières !
«LE STRESS DE LA COMPÉTITION NOUS REND BÊTES, AU SENS LITTÉRAL DU TERME»
Donc l’alternative progressiste n’est pas bloquée par la prétendue absence des marges de manœuvre ni par les intérêts bien compris de la majorité. Il faut reconsidérer deux blocages trop souvent oubliés : celui de l’intelligence et celui du système politique. L’éducation doit donc être repensée pour former un peuple de citoyens animés par le goût de la réflexion critique, entraînés à la délibération et à la reconnaissance de leurs propres biais cognitifs. Quant au système politique, on voit bien que, dans une société de communication instantanée, la démocratie représentative n’est plus qu’un marché des bulletins de vote régi par le buzz médiatique, les émotions fortes et les images chocs, bref, un terrain de jeu idéal pour la pensée réflexe la plus bête. Les citoyens sont dépossédés du pouvoir réel, au profit de prétendus «représentants» qui font carrière sur un marché qui sélectionne les plus doués pour la lutte des places, et non pas les plus compétents ni les plus engagés dans la quête du bien commun. Il est urgent de restaurer les conditions d’une souveraineté citoyenne réelle et de l’intelligence collective.
Extrait d’article Marianne, avec J. Généreux / essai « la déconnomie » R.André fede91ldh

Le capitalisme mondialisé est à l’opposé des droits humains et de l’équilibre de la planète Terre

La mondialisation capitaliste a abouti à une crise aigüe du système à plusieurs facettes : crise climatique, écologique, alimentaire, culturelle, des réfugiés, de dette, ainsi que la multiplication des guerres et l’extension de la militarisation, jetant sur les routes de la migration les paysans dépossédés de leurs terres et les personnes dépossédées de leurs moyens de subsistance, fuyant les guerres et les violences. Cette crise sert à son tour de prétexte pour approfondir l’offensive contre les droits économiques et sociaux, contre les droits civils et politiques et contre la Nature et l’Humanité. La violence universelle des diktats néolibéraux a débouché sur la décomposition du tissu social et l’asservissement des peuples.

Les grandes puissances à travers les institutions internationales comme la BM, le FMI et l’OMC imposent des politiques néolibérales au profit des multinationales en bafouant la démocratie et  la souveraineté des peuples.

Les accords de libre-échange (ALE), soient bilatéraux ou multilatéraux sont tous conçus pour assurer les profits des grandes entreprises. Celles-ci accaparent les ressources, les services publics, les terres agricoles des paysans et détruisent l’environnement. Elles détruisent les emplois, réduisent les salaires par la mise à concurrence des salariés et augmentent le chômage. Elles augmentent leur mainmise surtout sur les pays du Sud en accentuant leur dépendance structurelle alimentaire, financière et technologique. Elles inondent les marchés de ces derniers par des produits subventionnés du Nord qui détruisent leur tissu productif déjà fragilisé et dont la qualité suscite bien des méfiances. Elles sont fortifiées par les mécanismes de résolution de différents entre investisseurs et États qui leur confèrent plus de pouvoir exorbitant sur les Etats et sur les peuples. Ces derniers sont exsangues du fait du paiement du service de la dette et des politiques de destructions massives des droits sociaux qui en découlent. Le fardeau supporté par les femmes est particulièrement oppressif et inhumain.

ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE, DES ACCORDS COLONIAUX CONTRE LES PEUPLES

Le système de la dette et les accords de libre-échange constituent les leviers les plus puissants d’intégration à marche forcée des pays dans la mondialisation néolibérale, avec tout ce que cela comportent : mesures d’austérité, dérégulations, privatisations, développement du commerce extérieur et déconnexion de la production de la satisfaction des besoins locaux, pénétration des multinationales et dépendance des grands pôles de décision (États-Unis, UE, IFI…), au détriment de la démocratie et de la souveraineté des peuples. Les négociations de deux accords gigantesques, Transpacifique, TPP (déjà signé) et transatlantique CETA (en cours de signature), TAFTA (encore en cours de négociation) vont accélérer et approfondir ce processus qui va encore accroître le poids et le pouvoir des multinationales, – et notamment d’origine des États-Unis- pivot des deux accords.

Par le biais de leur vaste lobbying clandestin, les multinationales ont mis en place des cadres politiques, légaux, économiques et commerciaux en vue de légitimer leur avidité de profits et la destruction de la nature:

-le Système juridictionnel des investissements (ICS en anglais) ou le Règlement des différends entre investisseurs et Etats (ISDS en anglais) ainsi que les accords de libre-échange (comme le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement [TTIP], l’Accord économique et commercial global [CETA], l’accord de libre-échange Nord-américain [NAFTA], le Partenariat Transpacifique [TPP], les accords globaux de partenariat économique régional [RCEP]) sont tous biaisés en leur faveur.

Un vaste lobbying clandestin sous l’emprise des transnationales et institutions des Etats-Unis! le loup serait-il dans la bergerie?

Selon un article du « Monde » du 7 novembre, les entreprises européennes n’ont jamais eu aussi peur de l’Amérique. Peur de violer ses législations en matière de corruption internationale, d’embargos, de blanchiment d’argent, et d’encourir des sanctions qui se chiffrent en milliards de dollars.

Peur de se voir soumises à son invincible procédure pénale. Peur de se faire sortir manu militari du plus riche marché mondial. Peur de se faire espionner par ses grandes oreilles (la NSA et la CIA), et de voir leurs clients et leurs secrets de fabrique prestement siphonnés.

Après ses soldats et ses tanks, son Coca, ses Levi’s et ses films, ses normes comptables et ses exigences de retour sur fonds propres, ses systèmes d’exploitation et son Internet Protocol, sans oublier, bien sûr, Google, Apple, Facebook, Twitter et les autres – ces outils qui ont viralisé le monde –, voilà que l’Amérique nous impose son droit.

Un droit qui se réclame de la morale protestante et qui s’impose dans le droit international sans quasiment susciter de résistance. Au point que grands patrons et responsables politiques évoquent aujourd’hui un « abus de pouvoir »!

Alors pour quels raisons   continuer ces processus de ratification en notre défaveur! C’est à se demander s’il y a  addiction,  hypnose ou  maléfice en prise dans la tête de nos éminents dirigeants et fonctionnaires européens!

sources =  Accords de libre échange, accords coloniaux contre les peuples-7 octobre par ATTAC/CADTM Maroc/ le Monde

R.André/LDH91

Dé-construction sociale orchestrée par les apôtres Picsous

Déraillages et Exit en tout genre

Une société qui déraille est une société qui perd la capacité d’anticiper ses propres soubresauts et la possibilité d’imaginer ses scénarios d’avenir. C’est une société qui, à l’image des précaires qu’elle a engendrés, ne peut plus se projeter.

Ce démaillage social, qui prend des allures mondiales, se met en place à partir de trois étapes observables et qu’on peut repérer et analyser chacune pour elle même. Il s’agit des effets sociaux des politiques économiques et sociales, dont les effets sont comme là, devant nous.

Déliaisons

Ce que nous vivons sur l’échelle locale comme globale, c’est d’abord l’effet des mille déliaisons qui façonnent dorénavant la vie des gens. Ruptures précoces, ballotages, déracinements de toutes sortes. Privation de l’environnement familial , comme local. Impossibilité de s’installer nulle part , de prendre ses aises, de poser ses bagages, d’entreprendre et de suivre ce que l’on a commencé.
Serge Paugam étudie depuis des années les liens qu’il y a entre les ruptures individuelles, personnelles et les phénomènes sociaux de déliaison, de sécession et d’absence de relation de loyauté ou d’identité collective avec les institutions et la collectivité.
Ce phénomène n’est donc pas si récent. Il trouve ses origines à l’aube des années 80 au moment de la faillite du monde ouvrier. Ce qui est plus récent, aujourd’hui, c’est que ce phénomène de déiliaison ne s’exprime quasiment plus dans la vie publique. Il est devenu souterrain, invisible, et constant.

Désynchronisation

Ce qui fait que nous en sommes plus « en phase » avec ce qui se jour dans de nombreux milieux, avec le vécu des enfants, des adolescents et même des familles précaires, c’est que nous avions connu une véritable désynchronisation sociale. Les institutions, les collectivités locales , comme nationales se sont tout simplement mises à l’écart de ce qui agite la société. D’un coup, ce n’était plus leur affaire.Des filtres ont été installés, comme autant de modalités d’éloignement du peuple précaire. Blocage des publics par des procédures internet, téléphoniques administratives et techniques impossibles ; rendez vous obligatoires, procédures qui norment les rares occasions de rencontre ; éloignement des structures de décisions par rapport au terrain. Tout été fait pour découpler , et rendre quasiment indépendants deux mondes qui dorénavant ne sont plus en contact : celui pour lequel tout ne va pas si mal et où il y a des choses et des structure « qui fonctionnent encore ». Et celui qui a fait faillite depuis longtemps et qui ne pourra pas s’en remettre.

Désolidarisation

La troisième étape s’inscrit inévitablement dans la logique des deux précédentes.Suite aux déliaisons et à la désynchronisation, c’est la notion d’intérêt commun, la notion de bien commun, comme de vie en commun qui paraît dorénavant fictive.
Les institutions, les collectivités , les pouvoirs politiques n’ont plus en face d’eux de véritable opposition construite car ce qui se perd c’est justement la capacité de construire quoi que ce soit en commun, fût ce une simple opposition.
par contre le sentiment de loyauté , d’appartenance , ou de fidélité vis à vis des institutions, l’adhésion à la nécessité d’accepter des règles du jeu social, tout cela bien entendu disparaît.
Ce phénomène est particulièrement visible en ce qui concerne la notion de travail. Le travail dénaturé, précarisé a perdu tellement de sens pour les travailleurs pauvres et précaires que ceux ci en retour ont développé en retour une relation de désamour , de mise à distance et d’utilitarisme vis à vis de tout travail . C’est la relation à tout travail qui s retrouve abîmée , détruite et qui perd petit à petit tout son sens.
La désolidarisation est faite d’enfermement dans son individualité et dans sa précarité. La capacité de se mobiliser pour du bien commun se perd das tous les domaines en interne des groupes sociaux, comme en externe vis à vis des institutions.
Cette désolidarisation passe bien entendu par l’indifférence progressive au sort des autres, c’est à dire aussi à soi même. C’est un peu comme si nous assistions peu à peu à la perte progressive d’un sens social, de la même manière qu’on peut perdre la vue ou l’audition.
Les conséquences à l’échelle d’une société ne se limitent pas à l’immobilité et à l’indifférence ; cela va forcément plus loin encore comme le développement progressif de l’intérêt de mettre en échec le fonctionnement de la société elle même , dès lors qu’il me paraît évident qu’elle ne put jouer que contre moi.
C’est une »société négative », une « société noire » (au sens de « l’individu noir » de R. Castel) qui s’insinue progressivement dans tous les rouages et à tous les étages de la vie publique.
Ce que nous tentons de faire à travers nos actions éducatives et sociales, par la mise en place d’une pédagogie sociale, par la relocalisation des innovations sociales, par le développement d’une démarche communautaire, c’est justement ceci: redonner une nouvelle chance au « Commun » ; retrouver du sens au vivre ensemble ; construire une société vivable et possible en éduquant des individus capables d’en comprendre les enjeux.
Ce sont des initiatives d’un intérêt commun et public qu’il faudrait soutenir de manière urgente, plutôt que de les décourager encore et encore

Réforme du Code du travail – Note de la Ligue des droits de l’Homme

La LDH défend les droits de l’Homme, les droits civils et politiques et également les droits sociaux, économiques et culturels, tels qu’énoncés dans les Pactes de l’ONU, les Conventions de l’OIT et la Charte sociale européenne révisée du Conseil de l’Europe.

 

Le prétexte de l’emploi

Depuis trente ans (suppression du contrôle administratif des licenciements économiques), le CNPF/Medef réclame et obtient des pouvoirs publics des réformes du droit du licenciement. Son argument est simple et faux mais il fonctionne : s’il est plus facile de licencier, il sera plus facile d’embaucher et la situation de l’emploi va s’améliorer.

Les faits démontrent le contraire : depuis trente ans, les réformes se suivent et se ressemblent pour faciliter le licenciement et le chômage augmente et la vulnérabilité des salariés s’accroit.

Si l’objectif est l’amélioration de la situation de l’emploi, il s’agit alors de réformer tous les droits qui s’appliquent à l’entreprise, tous les droits relevant de la politique économique, notamment le droit fiscal, le droit commercial et le droit de la concurrence, le droit monétaire, le droit des sociétés, le droit comptable, en France et bien entendu au niveau de l’Union européenne. Les règles actuelles ont des incidences négatives sur l’emploi (financiarisation de l’économie par la recherche du profit à court terme, le pouvoir étant donné aux actionnaires). La réforme du Code du travail vise à réduire le coût du travail alors qu’il conviendrait de réduire le coût de la finance.

Le « droit à l’emploi » ne deviendra pas plus effectif avec cette nouvelle réforme.

  

Une nouvelle architecture du Code du travail ?

Les dispositions du droit du travail devraient être réparties en trois catégories :

  • – dispositions d’ordre public (fixées par la loi) ;
  • – dispositions relevant du champ de la négociation collective (en priorité d’entreprise ou à défaut de branche) ;
  • – dispositions supplétives (à défaut de dispositions conventionnelles, ces dispositions seraient fixées par la loi ou par l’employeur).

 

Le projet de loi met en œuvre cette nouvelle architecture en matière de temps de travail. Ce projet de loi devrait être suivi d’un autre dans deux ans sur les autres parties du Code du travail.

Mais comment appliquer ce même découpage aux autres dispositions du Code du travail : sur les règles de santé et de sécurité ? Les règles de contrôle (inspection du travail et conseil de prud’hommes) ? Le Smic ? Le droit de la formation professionnelle ? Les règles de non-discrimination ? L’emploi des travailleurs handicapés ? Le régime du travail temporaire (intérim) ? Les statuts professionnels particuliers (journalistes, VRP,…) ? Etc.

Dans ces domaines l’accord d’entreprise ne doit pouvoir prévoir que des dispositions plus favorables que la loi.

Cette nouvelle architecture n’est pas opérationnelle, sauf à détruire le droit du travail dans sa fonction de préservation des droits des travailleurs, « partie faible au contrat ».

 

Le laboratoire du temps de travail

Le projet de loi qui porte en particulier sur le temps de travail n’a pas été en amont préparé par une négociation collective (il s’agit là pour les pouvoirs publics d’une violation du Code du travail qui prescrit cette négociation préalable avant tout projet de loi portant sur le travail et l’emploi).

Le projet de loi prévoit des normes légales qui sont des « valises sans contenu », le contenu devant être fourni par la négociation collective ou, à défaut, par la décision unilatérale de l’employeur. Le projet de loi prévoit des « contreparties » en cas d’aménagement du temps de travail, mais n’indique ni leur nature, ni leur niveau ; il prévoit l’information des salariés « dans un délai raisonnable » sans indication. Un exemple : les astreintes.

Le projet de loi prévoit la possibilité, avec un accord d’entreprise, d’augmenter les durées du travail et de repousser les durées maximales du travail. Un exemple : 44 heures pendant 16 semaines consécutives, 46 heures pendant 12 semaines consécutives.

De façon globale, le projet « oublie » de mettre en conformité le droit français avec le droit européen.

 

Quelques exemples :

  • le régime du travail à temps partiel maintient un système dérogatoire (le « complément d’heures » par accord de branche étendu et avenant individuel) permettant de faire effectuer à des salarié-e-s des heures complémentaires sans majoration de salaire, en ignorant la jurisprudence européenne ;
  • le régime des congés payés n’intègre pas les avancées de la jurisprudence européenne concernant le maintien du droit à congés pour les salariés ayant connu des arrêts de travail pour maladie.

 

Le projet de loi « ignore » les décisions des instances européennes, y compris celles concernant des condamnations de dispositions de la législation française. Quelques exemples :

* le régime des forfaits jours continue d’ignorer les Décisions du Comité européen des droits sociaux de condamnation de la France en matière de durée hebdomadaire excessive de travail et de non-paiement de majorations pour heures supplémentaires ;

* le régime des équivalences est maintenu en l’état malgré la jurisprudence européenne qui juge contraire au droit européen ce système français dérogatoire permettant notamment des durées du travail excessives dans certains secteurs.

Le projet de loi prévoit des dispositions contraires au droit européen. Un exemple :

  • Le repos quotidien (11 heures entre 2 journées de travail) pourrait être fractionné, notamment « en cas de surcroît exceptionnel d’activité ».

 

Ce constat est préoccupant, tout État membre étant tenu de prendre les dispositions nécessaires pour mettre en œuvre le droit européen (droit de l’Union européenne et droit du Conseil de l’Europe).

 

Le principe de faveur écarté

Cette nouvelle architecture envisagée du Code du travail, mise en œuvre avec ce projet de loi en premier lieu en matière de temps de travail, écarte le principe de faveur.

Selon ce principe, construit en France à partir du Front populaire en juin 1936 et également dans de nombreux autres pays, en cas de concurrence entre plusieurs sources de droit (loi, décret, accord de branche, accord d’entreprise, etc.), c’est la règle la plus favorable qui s’applique au salarié. Ce « principe de faveur » constitue la colonne vertébrale de « l’ordre public social ».

Le projet de loi donne la priorité à l’accord d’entreprise de façon générale. Ce projet intensifie la réforme de 2004, en faisant sauter les verrous posés en 2004, ces verrous permettant aux accords de branche de fixer un minimum conventionnel indérogeable (l’accord d’entreprise ne pouvant prévoir moins que l’accord de branche).

Le projet de loi prolonge la réforme de 2008 qui ouvre la possibilité de cette priorité à l’accord d’entreprise en matière de temps de travail.

 

Le processus de négociation d’entreprise sans garantie

Le projet de loi donne la priorité à l’accord d’entreprise pour édicter les règles de droit du travail applicable à chaque salarié.

Mais ce projet de loi ne fixe pas de cadre juridique permettant une véritable négociation, une négociation authentique, à « égalité des armes » entre délégations syndicales et employeurs.

Pire, dans le prolongement de lois précédentes (en particulier du 17 août 2015, qui a notamment supprimé l’articulation entre négociations syndicales et consultations du comité d’entreprise), ce projet de loi affaiblit encore la situation des délégations syndicales qui vont négocier.

Quelques exemples : il en est ainsi en matière d’accès aux informations pour négocier, de durée limitée des accords, d’espacement allongé des négociations, de dénonciation d’accords par l’employeur et de non maintien des avantages individuels acquis, de calcul de l’audience électorale pour rendre l’accord opposable (l’accord doit être singé par des syndicats qui ont recueillis 30 % des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles, en priorité au comité d’entreprise, ou 50 % des voix mais seulement en faveur des syndicats représentatifs ; précision importante « quel que soit le nombre de votants » – ces audiences peuvent être à un niveau très faible).

Le Comité européen des droits sociaux (Conseil de l’Europe) avait déjà fait savoir que la négociation collective en France ne donne pas de garanties suffisantes pour assurer le respect des droits des travailleurs contenus dans la Charte sociale européenne révisée.

Dans ces conditions, il apparaît que l’objectif du projet de loi est de favoriser la conclusion d’accords d’entreprises qui légitiment et sécurisent juridiquement les décisions prises par l’employeur, y compris en défaveur des salariés (l’accord d’entreprise pouvant prévoir des dispositions moins favorables que la loi, des dispositions moins favorables que l’accord de branche et l’accord d’entreprise pouvant s’imposer de manière défavorable au contrat de travail du salarié).

 

Le droit au juge bafoué

Cette promotion de l’accord d’entreprise s’accompagne de l’affaiblissement du contrôle du juge.

Le projet de loi vise, dans le prolongement de lois précédentes (notamment de 2012, 2013 et 2015), à réduire la possibilité pour le salarié de saisir le juge et à réduire le contrôle du juge sur les décisions de l’employeur. Il en est ainsi notamment en matière « d’accords pour l’emploi » et de licenciements économiques.

Sur ce dernier point, le contrôle du juge ne pourrait plus porter sur la situation des groupes internationaux, situés à l’étranger, qui licencient dans leurs filiales en France. Et le contrôle du juge serait fortement limité sur la cause du licenciement, il est ainsi prévu que : « Ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique les difficultés économiques créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d’emplois ».

 

L’aggravation de la situation professionnelle des femmes

Ce projet de loi contient des dispositions qui auront des effets défavorables sur la situation professionnelle des femmes et à leur égalité avec les hommes, notamment en matière de temps de travail (les forfaits jours avec des durées du travail excessives ; le temps partiel avec des rémunérations insuffisantes) et en matière de négociation collective dans les PME où le salariat féminin est concentré et où la présence syndicale est réduite.

 

Le travail oublié

Le projet de loi ne parle pas du travail, de son contenu, de ses évolutions et ne fixe aucune règle en la matière. Il ne garantit pas de protection pour un usage citoyen de la révolution numérique, contre les possibilités d’usage déshumanisant le travail au quotidien.

Dans le prolongement de la loi de 2015, ce projet de loi n’offre pas de protection efficace en matière de santé au travail mais en revanche prévoit des dispositions réduisant l’intervention régulière de la médecine du travail et des dispositions favorisant le licenciement des salariés devenus inaptes médicalement.

Dans ce cadre, ce projet de loi focalisé sur l’emploi ignore comme ces prédécesseurs depuis des décennies le travail : le travailleur n’est pas perçu comme une personne ayant des droits dans son travail et sur son travail, mais comme une « ressource humaine » dont il faut assurer « l’employabilité ».

 

La cohésion sociale de la Cité dégradée

Le projet de loi risque d’avoir pour effet un nouvel affaiblissement de la citoyenneté au travail, aux antipodes du projet des « lois Auroux » en 1982. La personne au travail voit son contrat de travail fragilisé face au pouvoir unilatéral de l’employeur et face à des accords d’entreprise défavorables pouvant primer sur son contrat.

La loi viendrait ainsi favoriser le pouvoir juridique du fort au détriment du faible. Pour ce faire, des règles du Code du travail permettent de déroger aux règles du Code civil pour permettre à l’employeur de modifier unilatéralement le contrat et les conditions de travail du salarié. La vassalité supplante la citoyenneté.

Dans le prolongement de lois précédentes, réformant le Code du travail depuis 2008, ce projet de loi est porteur d’un modèle de société. Une société où règnent de façon généralisée la concurrence, l’individualisme et l’autoritarisme, au détriment de l’émancipation, de la coopération et de la solidarité. Ce projet de loi est porteur de relations sociales dégradées, marquées de défiance, entre salariés et employeurs, et de violence sociale, les vecteurs de régulation des conflits d’intérêts étant marginalisés.

Il aurait été nécessaire de faire un bilan des évolutions législatives et conventionnelles avant d’élaborer un nouveau projet de loi, non prévu dans le programme de l’actuel président de la République. Il serait également nécessaire d’examiner les conséquences sociales des réformes du droit du travail opérées ces dernières années en Espagne, en Italie, au Portugal, en Grèce…

 

Un autre paradigme nécessaire

Quel(s) rôle(s) doit jouer le droit du travail, dans la France du début du XXIe siècle ?

Après la seconde guerre mondiale, l’Organisation internationale du travail donnait des orientations fortes : la Nation doit mettre en œuvre un programme propre à réaliser « l’emploi des travailleurs à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun » (Déclaration de Philadelphie, 1944).

Aujourd’hui, le Code du travail et plus généralement le droit du travail doit participer à :

– l’émancipation des travailleurs ; il convient de réinscrire le droit du travail, facteur de justice sociale et de démocratie, dans un projet social et politique pour la Cité, avec l’effectivité des droits de l’Homme à réaliser dans toute situation de travail ;

– la construction d’un nouveau statut attaché à la personne du travailleur (salarié et au-delà), permettant la portabilité de droits ; le projet de compte personnel d’activité est un pas très timide dans cette perspective ; le développement de la « flexisécurité » impliquant les financements de la formation professionnelle et de l’indemnisation en cas de recherche d’emploi ;

– l’élaboration d’une politique publique du travail, appréhendant le travail réel lié aux nouvelles organisations et conditions du travail ; pour que le Code du travail parle du contenu du travail (du travail salarié, indépendant, associatif, domestique…), de son sens ;

– l’association de toutes les parties prenantes, notamment les salariés, partageant les risques et les décisions, au gouvernement des entreprises ;

– une régulation de la concurrence entre les entreprises et entre les travailleurs, pour éviter des dérives de dumping social liées à l’« autoréglementation de l’entreprise » et des exclusions des plus faibles ; le droit du travail doit fournir une langue commune liée à l’égalité ; le développement de négociations et d’accords couvrant les entreprises « en réseaux » (donneurs d’ordre et sous-traitants) et tenant compte de la diversité socio-économiques des entreprises ;

– la diffusion des pratiques de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), y compris au-delà du territoire national ;

– une articulation avec les autres droits applicables à l’entreprise (commercial, fiscal, etc.), à penser ensemble, au regard de finalités communes définies démocratiquement.

 

Source :

Ligue des droits de l’Homme

138 rue Marcadet – 75018 Paris

Tél. 01 56 55 51 07 – Fax : 01 42 55 51 21

ldh@ldh-france.org

Publié le 10 mai 2016

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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