Anthony Favier, « Sacré Paray », Témoignage chrétien, 20.11.2017
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Sacré Paray
C’est une petite bourgade de Saône-et-Loire de 10 000 habitants, surplombée par une basilique. Mais, derrière la carte postale, la Communauté de l’Emmanuel étend son influence sur les bâtis, les corps et les âmes. Et si la contestation existe, elle a souvent du mal à se faire entendre.
Le 25 octobre dernier, j’ai participé, aux côtés de différents acteurs associatifs, à une conférence à Paray-le-Monial. Organisée par la Ligue des droits de l’homme, elle portait sur les discriminations de genre et à l’orientation sexuelle. Il s’agissait de réfléchir sur ce que la théologie, les sciences humaines et sociales, ainsi que le droit peuvent dire sur les « camps » (ou sessions) au contenu plus que douteux organisés dans la ville par la Communauté de l’Emmanuel. Ainsi, le stage « Optimum » cherche-t-il à reviriliser les hommes « victimes » du féminisme contemporain, tandis que la session « Courage » vise à imposer l’absence de vie affective et sexuelle aux personnes LGBT.
Il est rare que je fasse des conférences dans de petites villes, et c’est avec joie que j’ai accepté cette invitation. Quoi de plus enthousiasmant qu’une société qui cherche à comprendre les racines croisées du sexisme et de l’homophobie afin de se donner les moyens de lutter contre ?
Pourtant, à Paray-le-Monial, c’est une réalité tout autre qui se révèle. Ce soir-là, la petite salle municipale n’a guère besoin d’être convaincue de l’importance de la lutte contre l’homophobie et le sexisme. Même s’il est impossible de sonder le coeur de chacun, je découvre une société ouverte. L’assistance n’en fait pas le motif de guerres culturelles. Plusieurs personnes viennent me voir à la fin de la conférence pour me confier un témoignage sur une connaissance vivant positivement son homosexualité à Paray. La loi Taubira sur l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe a été révélatrice localement d’une homophobie fortement politisée. La situation est désormais plus apaisée. « Les gens se marient et sont heureux. Ici, sur ce point, on n’est pas différents des grandes villes. »
Mais cette soirée, soudain, prend un tour déroutant. Alors que, nous, conférenciers, sommes venus nous exprimer sur les discriminations, on nous questionne sur tout autre chose : « Dites-nous ce qu’on peut faire concrètement contre l’emprise de ces catholiques sur la ville ? Leurs idées ne nous représentent pas ! » Nous sommes interrogés sur la coupure qu’un mouvement majeur du catholicisme d’identité français est en train de créer entre une ville et sa population. Les citoyens – ceux et celles qui sont présents ce soir-là – ont le sentiment que leur ville se fait comme déposséder par les catholiques d’identité.
Dans cette cité bourguignonne, on reconnaît bien des maux de la société française contemporaine, au sein de laquelle le pacte social se délite. Les habitants ne parviennent plus à vivre un projet commun au-delà de leurs différences de convictions et de positions sociales. « Regardez d’où ils viennent : ils sont tous immatriculés ailleurs. On ne peut pas suivre pour les prix. Ils possèdent 35 % de la ville et on ne peut plus acheter ! » Mais, plus surprenant à Paray-le-Monial, un phénomène socio-économique connu se mêle à la problématique spécifique des catholiques d’identité.
Depuis son installation au milieu des années 1970, le groupe charismatique de la Communauté de l’Emmanuel a fait son trou dans cette ville située à mi-chemin entre Moulins et Mâcon. Loin des centres d’opinion, de la « grande presse », les forces progressistes et les lanceurs d’alerte sont peu nombreux. Cela d’autant plus qu’ici aussi on enregistre un fort déclin de l’industrie. La Ligue des droits de l’homme et une poignée de citoyens engagés tiennent courageusement les positions du camp républicain, laïc et humaniste. Mais ils ont peu de relais. La presse régionale a peut-être peur de perdre les annonces locales… Le tissu citoyen, excepté quelques militants syndicaux, est ténu. Et les politiques ? Ils semblent comme anesthésiés par l’argent qui afflue dans cette ville spécialisée dans le tourisme religieux. Dans l’assemblée, on relativise toutefois l’apport économique des charismatiques à la communauté locale. Peu de circuit court reposant sur l’agriculture paysanne locale et pas vraiment de retombées pour les petits commerces. Les contrats d’approvisionnement alimentaire sont signés avec de grands groupes. Économiquement, la Communauté vit en monde clos.
Mais le quotidien des habitants est touché. L’été, l’espace public est occupé par des personnes qui ne représentent plus le tissu social local dans sa diversité. Des traits communautaristes évidents sont visibles. Une auditrice s’emporte : « Je ne vais plus dans le centre-ville : marre qu’on me tracte sur la Vierge Marie et mes péchés ! » La ville du Sacré-Coeur serait-elle celle d’une laïcité non apaisée ? Tout porte à le croire, malgré les discours iréniques sur la bonne entente offerts par les édiles. Que des personnes, au nom de la liberté de conscience et d’opinion, aient des pratiques liturgiques émotionnelles et des dévotions aux accents encore doloristes, peu m’importe, c’est leur liberté absolue. Mais qu’elles instrumentalisent les fractures du territoire national, qu’elles participent au détricotage du pacte laïque et républicain dans les territoires est insupportable. Cela demande une réaction forte, sereine et collective.
ANTHONY FAVIER
Photo : Brian Burger (CC BY 2.0)
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