Mobilisation du 19 octobre devant la préfecture des Yvelines
– article de la Gazette en Yvelines
– droit de réponse du Directeur Général d’ACR
Hébergement d’urgence : le 115 est à la rue
Travailleurs sociaux au bout du rouleau, familles et enfants dormant dehors malgré leurs appels au 115, forte pression des maires pour les expulsions : la situation de l’hébergement d’urgence est critique. Et les associations ne croient pas que les 240 places supplémentaires annoncées suffiront.
« Plus personne dans la rue ! » Ce mot d’ordre, scandé jeudi dernier à intervalles réguliers devant la préfecture des Yvelines, ne semble pas près de devenir réalité. Réunies pour manifester à Versailles à l’initiative du collectif Rom-Yvelines, une trentaine d’associations liées à l’hébergement d’urgence tirent une nouvelle fois la sonnette d’alarme. Si joindre le 115 a toujours été difficile, il arrive désormais même aux jeunes enfants de dormir dehors.
Lors du rassemblement versaillais, les associations ont été reçues par le préfet, Serge Morvan. Se défendant des accusations d’inaction de l’Etat, évoquant le budget du 115 passé de 16 millions d’euros à 24 millions d’euros en quatre ans, il a annoncé 240 places supplémentaires au 1er novembre.
Elles s’ajouteront aux 2 381 places, dont 716 en chambres d’hôtel, que compte le département en 2017 (il en comptait 1 510 en 2013, Ndlr). En attendant, depuis la rentrée de septembre, des familles représentant 70 personnes environ sont refusées par le 115 chaque soir.
« Je pense que la situation du 115 est pire qu’avant, témoigne avec un peu de lassitude Geneviève Bercovici, membre du Secours catholique. D’abord, ça peut être des heures au téléphone avant de les avoir. Un homme seul, ce n’est même pas la peine, ils n’ont aucune chance. Et pour les familles avec enfants, ils disent de rappeler mais qu’ils n’ont pas suffisamment de place. Le 115 est complètement dépassé. Ça fait dix ans qu’on répète les mêmes choses… »
Odile Jouanne (photo), du Réseau éducation sans frontières 78, citant le préfet : « Mes prédécesseurs et les maires ne veulent pas des pauvres dans leurs villes, et ont délaissé le 115. »
La petite dizaine de travailleurs sociaux chargés de répondre au téléphone seraient eux aussi en souffrance. « Les salariés du 115 vivent très mal leur travail, il y a toujours un manque de moyens considérable, remarque ainsi Mustapha Bouarouk, délégué CGT et éducateur de l’association Agir combattre réunir (ACR), chargée du 115 par l’Etat. Il y a parfois des burnout car le travail n’a plus de sens quand ton boulot consiste à dire non aux familles, parfois avec des enfants en bas âge. La situation est invivable, ça dure depuis des années. »
Les chiffres, que nous nous sommes procuré, n’incitent pas à l’optimisme. Du 1er novembre au 31 mars, ils ont eu à répondre à 7 500 appels en moyenne chaque mois. Parmi ces SDF, 2 480 ont pu être logés, dont 1 366 en hôtel. Mais près de 2 000 demandes n’ont pu être pourvues pour « absence de place disponible ». Si la majorité était composée d’hommes seuls (1 247, Ndlr), plus de 600 demandes refusées concernaient soit des femmes seules, soit un ou des parents avec enfant.
Le préfet a indiqué aux associations réunies à Versailles qu’il ne procéderait pas à de nouvelles expulsions cette année, la trêve hivernale entrant en vigueur au 1er novembre (jusqu’au 31 mars, Ndlr). Il a annoncé plein de bonnes nouvelles en disant « Mes prédécesseurs et les maires ne veulent pas des pauvres dans leurs villes, et ont délaissé le 115 », a cité Odile Jouanne, du Réseau éducation sans frontières (RESF) 78, à la sortie de la réunion.
Depuis 2016, le Département doit assumer les moins de trois ans
La décision a été rendue par le Conseil d’Etat en août 2016 : si l’Etat est chargé de l’hébergement d’urgence, les conseils départementaux le sont désormais pour les enfants de moins de trois ans. Selon nos informations, cette responsabilité n’est pour l’instant assumée que financièrement, faute de places et d’une organisation adaptée.
« Des foyers existent mais pas suffisamment, les Départements n’ont pu trouver les places en foyer, ils paient la chambre d’hôtel réservée par le 115 », détaille sa vice-présidente à l’insertion, Catherine Arenou (DVD).
« On menace de placer les gamins pour les loger, nous ont dit beaucoup de familles, du coup, elles n’y vont pas, et ils disent en permanence d’appeler le 115 qu’ils engorgent encore plus », rapporte pour sa part Mustapha Bouarouk, délégué CGT de l’association qui gère le 115, des réponses faites par certains travailleurs sociaux du Département.
Serge Morvan, qui recevrait d’ailleurs des menaces de mort lorsqu’il n’expulse pas rapidement, leur a également assuré avoir donné des instructions pour donner la priorité aux « familles avec enfant et mères seules avec enfants ». Il aurait enfin exigé que cesse la séparation des parents par le 115 (seule la mère et le ou les enfants sont alors hébergés, Ndlr). « Il l’a dit et répété : c’est scandaleux », a rapporté Odile Jouanne.
La pratique serait en effet courante, d’après les témoignages recueillis par La Gazette. « La mère est à l’hôtel et le père dort sur le trottoir ou dans une voiture épave. Le 115 déstabilise des familles, regrette ainsi Mustapha Bouarouk, le délégué CGT d’ACR. Les gens préfèrent rester ensemble, même à la rue, plutôt que de se séparer. »
Quand il y a une place, c’est souvent en hôtel. L’hébergement est alors précaire, et ne tient pas compte de la scolarisation des enfants, déplorent les associations. « Ils peuvent être logés à Poissy avec des gamins allant à l’école à Magnanville, donne en exemple Michel Lemoine, trésorier du Droit au logement dans le Mantois, aujourd’hui en sommeil (voir ci-dessous). Et tous les lundis matin, il faut appeler le 115 pendant des heures pour savoir si elle est relogée dans le même hôtel ou un autre. »
L’hébergement hôtelier, coûteux pour l’Etat, ne serait par ailleurs pas du tout adapté, selon les intervenants associatifs et politiques interrogés. « Ca fait des années que des hôtels ne vivent que de l’argent de la préfecture avec le 115. Certains sont insalubres ou pas aux normes de sécurité, assure Mustapha Bouarouk. L’Etat s’appuie sur les hôteliers, mais ils ne sont ni formés ni associés, et ce n’est pas leur métier. »
Depuis la rentrée de septembre, des familles représentant 70 personnes environ sont refusées par le 115 chaque soir.
Les discriminations seraient communes, les hôteliers pouvant refuser les clients du 115 s’ils ne leur conviennent pas, tandis que les conditions de vie seraient difficiles. Ainsi, à Chanteloup-les-Vignes, un hôtel est aujourd’hui entièrement occupé par plus de 110 personnes hébergées via le 115. Il est interdit de cuisiner dans les chambres, alors, tous se partagent deux micro-ondes situées au rez-de-chaussée.
Dans cet établissement chantelouvais, ils sont 57 enfants d’après un récent recensement de la mairie. « Sur 57, ils sont peut-être deux ou trois à être scolarisés, c’est quoi leur avenir ? s’indigne son premier magistrat, Catherine Arenou (DVD). On crée de facto une misère sociale qu’on fait perdurer, qui va entraîner obligatoirement des comportements anormaux, et on les met dans des conditions de scolarité extrêmement précaires. On ne leur donne aucune capacité de réussir. »
L’élue, « volontaire pour scolariser les gens », assure n’avoir jamais été prévenue de l’hébergement de ces 57 enfants. « Depuis des années, notre politique d’hébergement est insupportable, elle n’est ni solidaire, ni efficace, ni visionnaire, on trouve des solutions d’urgence, dans des endroits déjà en grande difficulté », poursuit celle qui est aussi vice-présidente chargée de l’insertion et de la cohésion sociale au conseil départemental.
Dans les Yvelines, la plupart des places d’hébergement d’urgence sont en vallée de Seine, territoire le plus pauvre du département où de nombreux hôtels sont d’ailleurs déjà occupés par le 115. La politique d’hébergement « ne prévoit rien, n’anticipe rien, met les professionnels dans une situation extrêmement compliquée et crée le conflit avec les collectivités », poursuit Catherine Arenou : « Rien n’est pire que ce qu’on vous impose en urgence. »
Jeudi après-midi, lors de la manifestation à Versailles, plusieurs militants associatifs n’ont pas hésité à citer Emmanuel Macron. Sa « première bataille » de président de la République serait de « loger tout le monde dignement », a-t-il en effet annoncé fin juillet. « Le 115 est le démarrage de la dignité, qui est un toit sur la tête », estime Geneviève Bercovici, du Secours catholique, qui espère sans trop d’illusions que cette promesse sera tenue.
Tibétains ou Roms, hommes seuls ou familles, tous dorment dehors
Des Tibétains continuent d’arriver de manière ininterrompue à Conflans-Sainte-Honorine.
Parmi les manifestants versaillais de jeudi dernier figuraient des familles Roms habitant dans des campements ou des squats de la boucle de Chanteloup. Expulsées en septembre, elles sont pour la plupart revenues, une fois terminées les deux semaines d’hébergement promises par le 115.
Des Tibétains continuent également d’arriver de manière ininterrompue à Conflans-Sainte-Honorine. Ces derniers sont aujourd’hui plusieurs centaines, et n’ont d’autre choix que le 115 tant qu’ils ne sont pas dans le circuit administratif des demandeurs d’asile.
« Nous n’avons pas de maison, nous dormons dehors où nous avons très froid, nous tombons malades, nous avons besoin que le gouvernement français nous aide, témoigne ainsi dans un anglais hésitant Tsering, 25 ans, arrivé voilà un mois. Nous avons appelé de nombreuses fois [le 115], c’est très difficile. »
Mantois : l’asso des mal-logés en sommeil faute de bénévoles
Dans le Mantois, Droit au logement (Dal) a longtemps été le dernier recours de ceux qui étaient en voie d’expulsion ou dans des logements insalubres, avec une permanence hebdomadaire souvent bondée. Mais l’association, fondée puis tenue par quelques bénévoles très engagés, est en sommeil depuis un an et demi.
« Au départ, quand on l’a montée, on pensait que les gens en difficulté, une fois relogés, auraient pu en prendre la direction, mais ça ne s’est pas produit », regrette son ex-présidente, Monique Bouillaud. Les bénévoles motivés souhaitant aider à faire revivre la branche mantaise du Dal peuvent lui laisser un message au 06 12 92 19 40.
Droit de réponse du Directeur Général d’ACR
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