Intervention Collectif#JusticeDesEnfants
Nous sommes réuni.e.s ce jour à l’initiative du Collectif #JusticeDesEnfants à l’occasion du 75ème anniversaire de l’Ordonnance du 2 février 1945. Ce collectif est composé de syndicats, tel comme le Syndicat de la Magistrature, le Syndicat des Avocats de France, le Syndicat National des Personnels de l’Éducation et du Social à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, la CGT, Solidaires, la FSU et comme d’organismes tel la Ligue Des Droits de l’Homme, l’Observatoire International des Prison et le Génépi. Cette liste n’est pas exhaustive et la diversité de ses composantes est aussi la force de notre Collectif.
D’une façon générale, ce collectif lutte contre les politiques répressives à l’égard de notre jeunesse, dénonce le nombre important d’enfants actuellement privés de liberté et défend une vision éducative, protectrice et humaniste de la Justice des Enfants.
Aujourd’hui, nous avons tenu à célébrer le 75ème anniversaire de l’Ordonnance du 2 février 1945, sachant que ce texte n’a jamais autant été menacé qu’aujourd’hui, puisque le gouvernement entend l’abroger au profit d’un code de la justice des mineurs particulièrement coercitif.
Rappelons que l’ordonnance de 1945 relative à la délinquance des mineurs est née dans le grand chantier du programme du Conseil national de la résistance.
L’exposé des motifs à la sortie du conflit mondial était clair :
« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. (…) Le projet d’ordonnance ci-joint atteste que le Gouvernement provisoire de la République française entend protéger efficacement les mineurs, et plus particulièrement les mineurs délinquants. »
Depuis l’ordonnance a été modifiée près de 40 fois.
En décidant d’abroger cette Ordonnance, en dernière minute et sans préavis, la Ministre, garde des Sceaux a décidé de participer, elle aussi, au démantèlement programmé du programme du CNR.
Sous couvert d’efficacité et de simplification, cette réforme prévoit notamment l’accélération des procédures de jugement et le renforcement de la prise en charge des mineurs par des mesures probatoires adaptées et efficaces et un prononcé des peines sans angélisme ni démagogie. Evoquer l’angélisme et la démagogie, c’est reprendre les critiques les plus éculées envers la justice des mineurs et c’est oublier que depuis plusieurs années cette même justice des mineurs est aussi sévère – si ce n’est plus sévère – que la justice des majeurs.
Ce changement d’état d’esprit entre 2002 et 2012 rapproche la justice des enfants de celle des adultes. Comme le note la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans son avis de mars 2018 sur la privation de liberté des mineurs, il s’est produit une « surpénalisation » en ce qui les concerne. En 2017, la réponse pénale pour les mineurs est de 94 %, alors qu’elle est de 70 % pour les majeurs.
Depuis de plusieurs années, le collectif #JusticeDesEnfants dénonce les transformations de l’esprit de l’ordonnance qui fait d’elle aujourd’hui la plus répressive d’Europe ;
Les dernières évolutions ont eu pour effet d’afficher une plus grande sévérité. Le principe de responsabilisation à outrance de l’enfant a suppléé celui de la protection et de l’éducation.
Le recentrage au pénal des missions de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), le postulat de la réponse pénale à chaque acte et la pratique très répandue du déferrement participent au développement de cette tendance et au recours de plus en plus fréquent au contrôle judiciaire, plutôt qu’à des mesures éducatives. Au 1er juillet 2019, 894 adolescents étaient emprisonnés, auxquels il faut ajouter les jeunes condamnés majeurs pour des faits commis lors de leur minorité, ainsi que les mineurs placés dans les 52 centres fermés.
Doit-on imaginer que cette réforme est proposée à la suite du fait divers de l’élève menaçant son professeur à Créteil avec une arme qui s’est révélée factice ? Dans ce cas, nous sommes toujours dans la même logique : un fait divers, une loi.
Il y a urgence à privilégier l’éducatif sur le répressif. Cela passe par l’instauration d’une justice protectrice et émancipatrice, la réintroduction significative des mesures civiles à la Protection judiciaire de la jeunesse, le redéploiement des moyens conséquents actuellement dévolus à l’enfermement vers les tribunaux pour enfants, la protection de l’enfance et les services éducatifs en milieu ouvert, d’hébergement et d’insertion de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Il faut marginaliser les procédures rapides, la détention provisoire, le contrôle judiciaire. Le recrutement et la diminution de la charge de travail des équipes éducatives pluridisciplinaires, des fonctionnaires de greffe et des magistrats doivent être priorisés.
Cela nécessite de mettre des moyens pour que cette justice des mineurs puisse fonctionner correctement.
Il faut stopper cette fuite en avant qui sous couvert d’efficacité et de rentabilité supprime les moyens et ne voit de solution que par la répression en perdant de vue que les enfants en voie ou en situation de délinquance sont et restent avant tout des enfants en danger et qu’il convient de consacrer davantage de moyens humains et financiers à la prévention de cette délinquance.
Or, dans un contexte d’austérité budgétaire, les moyens continuent d’être consacrés à l’enfermement avec l’ouverture d’une prison pour enfants (EPM) et de 20 nouveaux centres fermés alors que, par ailleurs, des foyers éducatifs ferment ou se retrouvent sur la sellette augmentant ainsi la disparition et la pénurie de places en hébergement éducatif.
À ce constat se rajoutent toutes les autres structures éducatives laissées à l’abandon au mépris des conditions d’accueil des jeunes et des conditions de travail des professionnels.
Enfin l’idée de créer un code pénal dédié à une fraction particulière de la population, c’est désigner cette population comme potentiellement plus délinquante, c’est en faire une classe dangereuse. Alors, quand c’est la jeunesse qui est ainsi disqualifiée, la société tout entière doit s’interroger sur son avenir.
La justice des mineurs mérite mieux. Le sujet est trop sérieux pour être traité de cette manière. L’absence de concertation et de consultation des personnels concernés ne fait que confirmer une vision totalement sécuritaire de la justice qui met en danger non seulement la démocratie mais aussi la sécurité elle-même des citoyens, qu’ils soient mineurs ou majeurs. Désormais, la GDS entend spolier le débat parlementaire en engageant une procédure accélérée pour l’adoption de ce projet ! C’est inadmissible !
L’Ordonnance de 45 ne doit pas être abrogée sans un projet ambitieux qui permette de revenir à ses principes fondamentaux au profit d’une justice des enfants et des adolescent.e.s protectrice, éducative, émancipatrice qui tienne compte de la spécificité de l’enfance et des problématiques inhérentes à l’adolescence.
A la fin de son film « les Misérables », Ladj Ly reprend cette admirable phrase de Victor Hugo « il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes, il n’y a que de mauvais agriculteurs ». Parce que nous sommes toutes et tous concernés, il nous appartient de faire vivre une société conforme à cette intime conviction de Victor Hugo. C’est le sens de notre initiative d’aujourd’hui pour fêter dignement l’anniversaire de l’ordonnance de 1945.
Nous devons toutes et tous nous sentir toutes et tous concernés !
Françoise DUMONT
Présidente d’honneur de la LDH
Au nom du Collectif #JusticeDesEnfants.