ECOLE DE PRESTIGE ET OBSCURANTISME RELIGIEUX, Anne Soupa, 30/10/2016
École de prestige et obscurantisme religieux
Il y a des jours où on se dit que le talent de certaines écoles à former des élites devrait aller de pair avec un discernement plus solide en matière religieuse.
Une récente interview (http://www.paris.catholique.fr/on-ne-nait-pas-homme-on-le-devient.html) du père Philippe de Maistre, aumônier au Collège Stanislas, soutenant les camps Optimum de l’Emmanuel, interrogé sur « la crise de la masculinité », laisse entrevoir une inquiétante conception de Dieu.
La citation qui me fait prendre la plume est celle-ci : « Nous connaissons tous la maxime de Simone de Beauvoir : On ne naît pas femme, on le devient. Elle avait raison… mais pour les hommes ! Pour devenir homme, le garçon a besoin d’accueillir et d’apprivoiser sa force. Ce travail ne peut se faire que par une transmission verticale face au Père. Au début de la Genèse, Adam est seul dans le jardin. Il ne devient homme que sous le regard du Père qui l’investit de son identité masculine dont il pourra ensuite faire le don à sa compagne. »
Pour Ph. de Maistre, dans le jardin, il y a un « père ». Faux, il y a « Yahvé Dieu ». Le terme de « père » n’est présent qu’en de rares occurrences dans l’Ancien Testament, et en tout cas, pas en ce lieu. C’est un contresens grave de considérer l’épisode de la création du couple en Genèse 2 comme un acte de paternité calqué sur la parentalité humaine. Ce n’est rien moins que ramener Dieu à un géniteur, c’est oublier l’abîme qui existe entre Dieu et l’être humain.
Comment se fait-il que Ph. de Maistre ne le sache pas ?
Certes, il aurait pu avoir en tête l’autre récit de création du couple, en Genèse 1, où Dieu crée l’homme et la femme « à l’image et à la ressemblance ». Mais là encore, rien à voir avec une paternité humaine. Personne, ni les Pères de l’Église, grands commentateurs de cette parole, ni les exégètes n’y ont jamais vu une filiation charnelle. Parfois, ils ont suggéré que c’était l’âme (souvent considérée comme féminine…) qui était appelée à l’image et à la ressemblance. En tout cas rien à voir avec l’identité masculine.
Cette erreur grossière est suivie d’autres. N’en déplaise à Ph. de Maistre, ce n’est pas Dieu (oublions ce « père ») qui « investit l’homme de son identité masculine », c’est… la femme. En effet, l’adam du début du récit n’est pas de sexe masculin, comme cela a été longtemps dit, mais c’est un être humain encore indifférencié. Comment en être sûr ? Parce que c’est le même mot adam qui est utilisé dans le verset « Dieu créa l’homme à son image ». Comme la suite précise « homme et femme il les créa » et le dit à l’aide d’un autre mot, on peut déduire avec certitude que le mot adam désigne l’humanité en général. L’adam ne découvre qu’à son réveil de la fameuse torpeur que Dieu avait fait tomber sur lui qu’il est devenu « homme et femme », séparé en deux êtres égaux et simultanément créés. L’identité de l’homme n’est donc « masculine » que quand il voit la femme auprès de lui. Si Dieu est le créateur des deux identités, leur révélation n’advient que devant « l’autre ».
Comment se fait-il que Ph. de Maistre ne le sache pas ?
Quant à faire « le don de son identité masculine à sa compagne », qu’en dire sinon que l’on nage dans le plus parfait fantasme ? Où ? Quel verset ?
Certains rétorqueront que ce n’est tout de même pas méchant de ne pas savoir, que les enfants seront sans doute très bien catéchisés si la pensée de Ph. de Maistre est correcte par ailleurs.
Eh bien non, le dommage est bien plus grave. Derrière cette conviction affichée que « le Père investirait l’homme de son identité masculine » par « transmission verticale » venue du Père céleste (je me demande comment Ph. de Maistre explique la chose aux petites filles…), il y a cette idée que Dieu est masculin, puisque, par un effet de miroir et de… verticalité, l’homme tirerait sa masculinité de lui. Fantasme, mon doux fantasme… Mais les conséquences sont graves. Comment ne pas se souvenir de la mise en garde de Mary Daly, cette théologienne américaine : «Si Dieu est mâle, alors l’homme est Dieu.» Le projet de Ph. de Maistre n’est rien moins que la divinisation de la masculinité. Contrefaçon évidente du dessein du Créateur. Projet idolâtrique car il se sert du christianisme en le faisant mentir, pour adorer l’homme, un masculin que l’on aura pris soin de victimiser au préalable.
Comment se fait-il que Ph. de Maistre n’ait pas été mis en garde dès le séminaire contre une telle dérive, la plus fondamentale contre laquelle un chrétien doive être armé ?
Enfin, recevoir son identité masculine de Dieu et non de la femme aboutit au refus manifeste de toute altérité. Cela consiste à dire : Je suis, moi, en prise directe avec le Seigneur, la femme est celle à qui j’offre ma masculinité. Mais elle n’existe pas pour elle-même.
Ph. de Maistre sait-il que le différentialisme dont se pare son discours masculiniste est structurellement un discours inégalitaire ?
Parents, peut-on construire des cervelles intelligentes quand on laisse l’obscurantisme religieux dans la place ?
Anne Soupa