La France, zone de non-droit pour les étrangers ?

« Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. » Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948

Un projet de loi relatif au droit des étrangers doit être discuté à l’Assemblée nationale en mai prochain. Ce projet ne représente aucune rupture avec l’ère Sarkozy, au contraire il renforce le pouvoir administratif et les contraintes sur les étrangers, accentue la précarité de leur situation, met en cause leurs possibilités réelles d’intégration. Plus grave, certaines de ses dispositions pourraient valoir à la France (à nouveau) des condamnations devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Accompagner pour intégrer : oui, mais sur quelles bases peut-on s’intégrer ?

Le projet de loi reprend l’idée d’un « contrat d’accueil et d’intégration » (CAI). En soi l’idée d’accompagner les nouveaux arrivants pour faciliter leur intégration n’est pas mauvaise. Nous dénonçons le fait qu’il manque la base de l’intégration, c’est-à-dire une situation stable. Actuellement, les étrangers qui arrivent en France restent (longtemps) dans une situation précaire. Ils peuvent rester des années, transitant entre différentes situations légales, avec d’autres phases où ils seront considérés comme immigrés illégaux. Sans sérénité quant à leur avenir, il leur devient difficile de se reconstruire. Or le contrat demande d’abord les preuves de l’intégration avant de leur permettre (éventuellement) d’avoir une situation stable. C’est faire les choses à l’envers.

Précaire à vie

Dans ses objectifs, le projet de loi est censé simplifier les situations administratives et désengorger les préfectures. Nous déplorons la complexité de la situation actuelle et la multiplicité des cartes de séjour, mais le projet de loi multiplie encore les différents statuts.

En outre, à aucun moment le législateur n’envisage que certaines catégories d’étrangers au moins pourraient avoir vocation à vivre en France, et donc obtenir une carte de résident. On reste dans la gestion au cas par cas. Des étrangers, qui pour certains ne sont pas en mesure de retourner dans leur pays (vous retourneriez, vous, en Afghanistan ? Ou même en Tchétchénie?), seront astreints, toute leur vie, à refaire régulièrement les mêmes dossiers, à reprendre les mêmes démarches… sans certitude quant au résultat ! Du jour au lendemain, leur nouvelle vie pourra être balayée. Cela n’est pas une politique d’intégration.

« Et s’ils se faisaient naturaliser ? » Les naturalisations se font elles aussi de plus en plus difficilement : 168 000 personnes avaient acquis la nationalité en 2004, moins de 100 000 pour les années 2012 /2013.

Pas le droit de contester les décisions !

La France est loin d’accueillir toute la misère du monde, et même d’en prendre fidèlement sa part. De plus en plus de demandeurs d’asile sont déboutés (refus dans 80 % des  cas). Au final la France n’accorde que 17 000 titres de séjour par an pour des motifs d’ordre humanitaire.

Lorsqu’un demandeur d’asile est débouté, le projet de loi prévoit d’accélérer le traitement de leur situation par une obligation de quitter le territoire (OQTF). Il ne leur restera que 7 jours pour contester la décision ! Ainsi non seulement, ils seront peut-être privés de la possibilité effective de recours, mais ils n’auront pas le temps de demander une carte de séjour « classique ».

Un certain nombre de procédures sont accélérées, le but étant d’éviter le recours à un juge. Par exemple dans les départements d’outre-mer, il sera possible de brûler les embarcations qui auraient servi au transport de clandestins. Les propriétaires n’auront que 48h pour contester la décision. Déjà à l’heure actuelle, le préfet qui place en centre de rétention une personne a un délai de 5 jours pour avertir le juge des libertés et de la détention. Ce qui permet bien souvent d’évacuer la personne hors du pays avant qu’un juge ait eu la possibilité de voir son dossier.

D’autres sont volontiers automatisées : on évite de penser aux exceptions ou cas particuliers : personnes malades ; ou travailleurs victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles : malades, ils ne peuvent plus travailler ; n’étant plus en poste, ils peuvent alors perdre le droit au renouvellement de leur carte de séjour ; et se retrouvent donc dans l’illégalité… tant mieux pour l’entreprise responsable de l’accident ou de la maladie ?

Rappelons-le : dans un Etat de droit, toute décision de la justice ou de l’administration doit pouvoir faire l’objet d’une contestation, d’un recours légal, et ce recours doit être effectivement possible. C’est un point qui est susceptible de faire condamner la France devant les instances européennes.

Le projet prévoit également dans un certain nombre de cas une interdiction automatique  de retour : autre manière d’empêcher les personnes de faire une nouvelle demande qui aurait pu être acceptée sur la base sur d’autres critères.

L’administration dispose de larges pouvoirs, et les droits déjà restreints des étrangers s’amenuisent encore plus.

Enfermer une personne et la laisser sans ressources, c’est légal ?

Il faut croire que oui. Le projet de loi renforce les le recours aux assignations à résidence, mais l’objectif n’est pas tant d’offrir une alternative plus humaine au centre de rétention administrative, que d’assurer une plus grande productivité. L’assignation à résidence représente non seulement une contrainte sur la personne, avec la possibilité de se saisir d’elle à tout moment, mais en même temps la personne n’aura pas nécessairement le droit de travailler !

Les différentes mesures de contrainte (rétention et assignation à résidence) pourront s’enchaîner durant des mois, voire des années, sans tenir compte du stress et de la précarité e la personne, et ce sans limite dans le temps !

Un étranger, ça rapporte !

Le projet de loi garde le silence sur de nombreuses questions qui ont été soulevées par des associations ou dans le rapport que le parlementaire Matthias Fekl a fait en 2013 au Premier ministre.

Rien sur le sort des travailleurs sans papiers.

Rien sur les taxes exorbitantes qu’il faut payer pour obtenir un titre de séjour.

Comme dit plus haut, rien pour protéger les travailleurs victimes d’accidents du travail ou de maladie professionnelle.

Pas de retour à une régularisation de plein droit pour les personnes ayant passé dix ans en France (traduction : s’ils ont travaillé, ils ont cotisé pour une retraite qu’ils ne toucheront pas si on les expulse ! S’ils sont au chômage, on les expulse indépendamment du fait qu’ils ont cotisé pour l’assurance chômage !)

Et rien sur d’autres points tels que l’enfermement de mineurs, ce qui est irrégulier au regard du droit international en matière de protection de l’enfance.

Surveillance et violation des droits : à qui le tour ?

Un des points les plus inquiétants du projet de loi est le large accès dont bénéficierait l’administration à toutes sortes de données personnelles : les administrations fiscales, les établissements scolaires, les organismes de sécurité sociale, les travailleurs sociaux, Pôle emploi, les fournisseurs d’énergie, de télécommunications, d’accès internet, seraient tenues de fournir les données qu’elles possèdent. Ceci constitue une violation majeure non seulement du respect de la vie privée de ces personnes, mais aussi de la déontologie des agents d’un certain nombre de services concernés, qui ont besoin de la confiance des personnes qu’elles suivent.

Si cette intrusion est considérée comme acceptable au regard du droit, il n’y aura pas de raison pour qu’on refuse, dans d’autres domaines, que l’administration puisse avoir accès à tous les aspects de votre vie privée. Combien de lois commencent par s’attaquer à une catégorie marginale de la population avant d’être étendues à tous ? Protéger aujourd’hui les droits des étrangers, c’est protéger vos droits de demain.

Le droit français n’est pas plus généreux que celui des autres pays européens, loin s’en faut. De nombreuses dispositions qui permettent d’aider les étrangers ne sont que des applications du droit international, notamment en ce qui concerne le droit d’asile ou la protection des enfants. L »Autriche, l’Espagne, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, accueillent bien plus d’étrangers sur leur sol que nous (en proportion par rapport à leur population).

Le droit des étrangers, tel qu’il est appliqué aujourd’hui en France, et encore plus tel qu’il se profile dans le projet de loi, s’apparente à une forme de harcèlement, destiné à décourager les demandeurs, voire hypothétiquement à faire renoncer les candidats au départ. Mais pour beaucoup, le départ signifie renoncer à tous leurs biens et risquer leur vie sur le trajet. Quand on a un tel chemin derrière soi, on ne fait pas volontiers demi-tour. Certains préfèrent tout simplement le suicide.

Nous vous invitons à vous poser la question : comment se fait-il que les capitaux et les marchandises circulent avec de moins en moins de restrictions, mais que les personnes n’en aient pas le droit ?

Lectures complémentaires :

ADDE – Anafé – Fasti – Gisti – La Cimade – LDH – Mom- Saf – Syndicat de la magistrature, Synthèse de l’analyse interassociative du projet de loi relatif au droit des étrangers en France, 04/03/2015

La Cimade, 3 films d’animation contre les idées reçues, 17/03/2014

La Cimade, Petit guide pour lutter contres les préjugés sur les migrants, 2011

LAURENT Samuel, « 7 idées reçues sur l’immigration et les immigrés en France », Le Monde, édition du 06/08/2014, mise à jour le 16/12/2014

Ligue des Droits de l’Homme, tous les articles sur le droit des étrangers

 

Texte composé par l’écrivaine de Niort