Asile et immigration: les orientations de la réforme Cazeneuve

Mediapart.fr

20 mai 2014 | Par Carine Fouteau

 Mediapart a consulté les avant-projets de loi sur l’accueil des réfugiés et le séjour des étrangers. Bernard Cazeneuve en présentera la version définitive fin juin. La procédure d’asile sera accélérée, les déboutés seront plus facilement expulsés, une carte de séjour pluriannuelle sera créée, ainsi qu’un « passeport talent ».

Manuel Valls les a initiés, Bernard Cazeneuve, qui a pris la suite de l’actuel premier ministre au ministère de l’intérieur, les défendra devant le Parlement. Réformant l’accueil des réfugiés et le droit au séjour des étrangers en France, les deux projets de loi attendus sur l’asile et l’immigration, les premiers d’envergure de la gauche au pouvoir, commencent à circuler, dans leur version temporaire, dans le milieu associatif. Plusieurs fois reportés dans la perspective des échéances électorales de 2014, ils doivent être présentés fin juin en conseil des ministres, après avoir été sousmis au Conseil d’État.

L’avant-projet de loi sur l’asile, daté du 6 mai 2014, comprend 27 articles en l’état. Il prévoit des changements importants dans l’examen de la demande, avec notamment l’accès des personnes à un avocat lors de l’entretien, et la possibilité pour l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) d’accélérer les procédures. En vue de leur expulsion, les déboutés du droit d’asile pourraient être assignés à résidence dans des centres d’accueil spécifiques « de préparation au retour ». Des délais abrégés de recours leur seraient appliqués.

 

S’inscrivant dans le droit européen, ce texte retranscrit trois directives (« qualification » du 13 décembre 2011, « procédures » du 26 juin 2013 et « accueil » du 26 juin 2013). Il se veut l’aboutissement d’une concertation, organisée en juillet 2013 par le ministère de l’intérieur avec les acteurs du secteur parmi lesquels des associations et des élus locaux. Il fait le constat d’un dispositif de l’asile à bout de souffle : l’allongement des délais d’examen (deux ans en moyenne au total), en partie dû à la hausse de la demande depuis 2007 (pour atteindre 66 251 en 2013), a pour effet d’engorger les centres d’hébergement (21.400 places) prévus pour les demandeurs d’asile et d’accroître les coûts liés aux allocations qui leur reviennent de droit.

À la sortie, l’enrayement est lié à la difficulté pour les personnes déboutées (76% en 2013) de quitter leur lieu de vie, où elles ont eu le temps de tisser des liens, et le territoire. Beaucoup restent en France, tombant dans l’illégalité. Après avoir rappelé que le droit d’asile est une « valeur fondamentale de notre pays », le ministre se fixe comme double objectif d’accélérer les procédures, tout en améliorant quelques-uns des droits individuels, et de garantir le « départ effectif » des étrangers dont la demande a été définitivement rejetée.

Le texte accroît les marges de manœuvre de l’Ofpra, dont l’indépendance est consacrée officiellement dans la loi, pour « dissuader » les demandes « manifestement » infondées. Les possibilités d’examiner rapidement tel ou tel dossier pour lui opposer une réponse négative seraient amplifiées. Le « pouvoir d’appréciation » de l’Office est renforcé, à la fois pour exclure (notamment les personnes originaires de pays considérés comme “sûrs”) mais aussi pour statuer prioritairement sur les dossiers remplis par des personnes vulnérables (mineurs, femmes enceintes, etc.). En application de la législation européenne, il est prévu que le demandeur puisse être assisté d’un conseil, au moment de l’entretien avec l’officier, et que la transcription de l’échange lui soit communiquée.

L’Ofpra, de son côté, pourrait exiger des pièces complémentaires, parmi lesquelles un certificat médical. Les demandes de réexamen risquent d’être écartées si elles sont estimées « manifestement dilatoires et formées dans le seul but de prolonger le maintien en France ». Le règlement de Dublin est réaffirmé : la demande d’asile ne peut être examinée que par un seul État membre de l’UE (en principe le premier que la personne a traversé physiquement). Si une démarche est engagée ailleurs, l’Ofpra peut refuser de se prononcer – le but initial étant d’éviter l’asylum shopping –, mais un recours en annulation doit néanmoins pouvoir être déposé. À la suite de condamnations de la Cour de justice de l’UE et de la Cour européenne des droits de l’Homme, les étrangers demandant l’asile en rétention ne seraient plus systématiquement placés en procédure dite accélérée, synonyme, le plus souvent, de rejet.

La Cour nationale du droit d’asile (CNDA), un temps menacée, conserve sa place d’autorité de recours. Il lui est fixé comme objectif de statuer dans un délai de quatre mois et, dans un certain nombre de cas (procédure accélérée, décision d’irrecevabilité et réexamen), de statuer « à juge unique » dans un délai d’un mois. Pour plus d’efficacité, l’aide juridictionnelle est affirmée comme étant de « plein droit ».

En matière d’hébergement, un schéma national, décliné par région, géré via un fichier informatique, serait mis en place sous la direction de l’Office français de l’immigration et l’intégration (Ofii) afin de répartir les demandeurs sur le territoire en fonction des places disponibles. En cas de refus des personnes, les conditions d’accueil seraient retirées. En cas de rejet définitif de la demande d’asile (recours compris), elles pourraient être expulsées de leur logement. La gestion de l’allocation financière forfaitaire couvrant les frais de nourriture et d’habillement de base est également confiée à l’Ofii.

Les déboutés ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) pourraient être assignés à résidence dans un « lieu d’aide et de préparation au retour » où leur serait délivré un « accompagnement spécifique », ce transfert permettant de facto de libérer des places dans les centres d’hébergement pour demandeurs d’asile. Ils se verraient appliqués des délais abrégés de recours contre la mesure d’éloignement les concernant, afin de faciliter leur départ de France.

La réforme du droit au séjour des étrangers sur les rails

Également promis de longue date par l’exécutif socialiste, l’avant-projet de loi relatif au droit au séjour des étrangers en France, dans une mouture susceptible d’être amendée, est pour l’instant constitué de 29 articles. Comme prévu par Manuel Valls, son objectif est de « sécuriser le parcours d’intégration » en créant une carte de séjour pluriannuelle et de contribuer à l’attractivité du pays en créant une carte destinée aux « talents internationaux ».

En matière d’accueil des immigrés au cours de leurs premières années en France, ce texte entend, dans le cadre du contrat prévu à cet effet, renforcer l’exigence de connaissance de la langue française, offrir une approche « plus concrète » des droits et devoirs de la République centrée sur l’organisation et le fonctionnement de la société et garantir l’accompagnement vers les services de droit commun.

Annoncé par François Hollande, étudié dans le rapport du député PS Matthias Fekl, un titre de séjour pluriannuel se substituerait à l’enchaînement des titres de séjour de quelques mois à un an. Il serait délivré au bout d’un an de résidence légale pour une durée maximale de quatre ans. Il devrait, selon l’exposé des motifs, permettre d’éviter les multiples passages en préfecture « vécus comme une contrainte et préjudiciables à la qualité de l’accueil et même à la lutte contre la fraude ». L’attribution de cette carte serait conditionnée à une exigence d’assiduité aux formations linguistiques et civiques prescrites par l’État. Elle ne serait pas considérée comme un « blanc-seing » : elle pourrait être reprise en cas de manquements à diverses obligations.

Les « talents » pourraient obtenir une carte spécifique – appelée « passeport talent » – d’une durée de quatre ans, en remplacement des divers titres existants, qui faciliterait l’arrivée de leur famille. Parmi les 10 000 étrangers potentiellement concernés, selon l’évaluation du ministère, sont listés les jeunes diplômés qualifiés, les investisseurs, les mandataires sociaux, les chercheurs, les travailleurs hautement qualifiés, les salariés en mission, les artistes et les étrangers « ayant une renommée internationale » dans les domaines scientifiques, littéraires, éducatifs ou sportifs.

Pour les étudiants, la réforme améliorerait l’adéquation entre la durée de la carte de séjour et le cursus d’enseignement suivi et simplifierait les changements de statut des titulaires d’un master qui voudraient accéder à un emploi correspondant à leurs compétences ou créer une entreprise.

En matière de reconduite à la frontière, le texte privilégie le recours à l’assignation à résidence, mesure moins coercitive que le placement en rétention. Mais les outils répressifs restent à disposition : l’autorité administrative pourrait ainsi recourir à la force publique, « si l’exécution de la mesure d’éloignement l’exige », pour assurer les missions d’escorte ou d’interpellation « directement liées à l’exécution d’office d’une procédure de retour ».

En cas d’enfermement, l’antériorité du juge des libertés n’est pas rétablie, mais, à la différence de ce qui a été mis en place lors du quinquennat précédent, le juge administratif saisi de la légalité de la décision de placement en rétention pourrait examiner la régularité des procédures d’interpellation et, le cas échéant, de retenue ou de garde à vue qui l’ont précédé. Une forme de recours « immédiatement disponible et effectif » serait de la sorte instituée. Pour lutter contre l’immigration irrégulière, le texte doublerait les amendes dues par les transporteurs, tandis que pour prévenir les fraudes, des échanges d’information pourraient être effectués. Quant aux ressortissants européens, ils pourraient être visés par une interdiction temporaire de circulation sur le territoire en cas d’« abus de (leur) droit de libre circulation » ou en cas de menace à l’ordre public.

 

 

« Le Monde diplomatique » disparaît…

Le monde diplo

vendredi 9 mai 2014

A l’évidence, il s’agissait d’une anomalie. Comme nous l’avions rapporté l’année dernière, Le Monde diplomatique figurait à la 178e place des 200 titres de presse les plus aidés par les pouvoirs publics en 2012, très loin derrière Le Monde (1er), Le Figaro (2e), mais aussi Le Nouvel Observateur (8e), L’Express (9e), Télé 7 jours (10e), Paris Match(12e), Valeurs Actuelles (66e), Télécâble Satellite Hebdo (27e), Point de Vue (86e), Closer (91e), Le Journal de Mickey (93e), Gala (95e), Voici (113e), Prions en église (121e), Auto Moto (124e), Mieux vivre votre argent (131e), Détente Jardin (167e), Spirou (172e)…

Entre les deux premiers titres, dotés de plus de 18 millions d’euros chacun, et Le Monde diplomatique avec 188 339 euros, l’écart allait de 1 à 100. De 1 à 36 entre Le Monde diplomatique et Télé 7 jours. Dès lors que l’argent des contribuables doit servir, selon la volonté du législateur, à aider les publications qui concourent au débat public, une telle discordance entre les sommes rondelettes offertes à un titre du groupe Lagardère lardé de publicité et destiné à annoncer les programmes de télévision, et celles, fluettes, dévolues à un journal comme le nôtre, ne pouvaient que résulter d’une erreur…

Il n’en est rien. En 2013, Le Monde diplomatique a purement et simplement disparu de la liste des deux cents titres les plus aidés, rendue publique le 5 mai par le ministère de la culture et de la communication.

L’an dernier, Le Figaro a battu Le Monde d’une courte tête pour devenir médaille d’or des publications aidées par l’Etat (un peu plus de 16 millions d’euros chacun). Et Télé 7 jours… a gagné une place (9e en 2013, avec 6 947 000 euros, soit 27 000 euros de plus qu’en 2012).

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Quelques « unes » de journaux subventionnés

Il faut féliciter l’Etat pour sa scrupuleuse impartialité : les publications les plus scandalisées par le montant des dépenses publiques, celles qui matraquent le thème du « ras-le-bol fiscal » et se montrent les plus enthousiastes quand les retraites sont gelées, n’ont pas pour autant été négligées par la « mama étatique » — une formule de l’hebdomadaire Le Point — lorsqu’elles ont tendu leurs sébiles en direction des ministères.

Le Point, justement, a continué à toucher plus de 4,5 millions d’euros, soit 22 centimes d’aide du contribuable pour chaque hebdomadaire diffusé, bien que le titre appartienne à la famille Pinault, sixième fortune de France (11 milliards d’euros). M. Serge Dassault, cinquième fortune de France (12,8 milliards d’euros), sénateur UMP et propriétaire du Figaro, a reçu, lui, 16 centimes de l’Etat pour chaque exemplaire vendu d’un journal qui exalte les vertus de l’austérité budgétaire. Et c’est sans doute parce que le quotidien Les Echos appartient à M. Bernard Arnault, première fortune de France (24,3 milliards d’euros), que ce quotidien économique qui, lui aussi, peste sans relâche contre les dépenses publiques, n’a reçu en 2013 que 4 millions d’euros du contribuable…

Lorsqu’une publication quitte un tableau, un palmarès, une autre s’y substitue. Coïncidence saisissante (c’en est une) : presque à la place qu’occupait Le Monde diplomatique en 2012, et pour un montant à peu près identique, L’Opinion a surgi en 2013 (177e avec 184 000 euros d’aides de l’Etat).

L’Opinion est ce quotidien lancé par M. Nicolas Beytout, avec des concours financiers dont la transparence n’est pas absolue, mais au service d’une ligne rédactionnelle qui, elle, ne laisse planer aucun mystère puisque c’est celle du Medef. La diffusion payée du journal de M. Beytout est confidentielle (de mille à trois mille exemplaires par jour en kiosques), mais sa seule survie permet à son créateur de naviguer d’une antenne à l’autre et d’être très généreusement cité dans la plupart des revues de presse. Ce qui, là encore, n’est pas donné à tout le monde.

Le ministère de la culture et de la communication, à qui il faut savoir gré de la publication, très pédagogique, du montant annuel des aides publiques à la presse, prétend que celles-ci « concourent à la modernisation et la diffusion partout dans le pays d’une presse pluraliste et diverse. »

En nous versant un don, que vous pourrez partiellement déduire de vos impôts, vous disposez d’un moyen infiniment plus efficace de concourir à l’objectif que s’est assigné l’Etat — avec un humour qu’on ne lui soupçonnait pas…

Grand marché transatlantique : les tergiversations du Parti socialiste

Le monde diplomatique

Le 19 mai 2014 débutait le cinquième round de négociations entre Washington et Bruxelles autour du Grand marché transatlantique (GMT). A la veille des élections européennes du 25 mai, ce projet d’accord de libre-échange cristallise le rejet d’une Union européenne toujours plus éloignée des populations. Dans son édition de juin, « Le Monde diplomatique » consacrera tout un dossier au GMT : sa genèse (des racines idéologiques aux ambitions géopolitiques), les menaces qu’il représente sur la vie quotidienne (affaiblissements des normes sanitaires et sociales), les conséquences possibles de l’instauration d’un dispositif permettant aux entreprises de poursuivre les Etats en justice, les moyens à mobiliser pour faire échouer cet accord… Car la contestation gronde depuis quelques mois, et place le Parti socialiste (PS) dans une position de plus en plus inconfortable.

par Laura Raim,
mardi 20 mai 2014

« Nous avons tout à gagner à aller vite, lâchait le président François Hollande lors d’une conférence de presse à Washington, le 11 février 2014. Sinon, nous savons bien qu’il y aura une accumulation de peurs, de menaces, de crispations. »

La volonté d’accélérer les négociations en vue de créer la plus vaste zone de libre-échange du monde peut surprendre, a fortiori quelques mois après le scandale provoqué par les révélations sur l’espionnage des locaux de l’Union européenne par la National Security Agency (NSA) américaine. La sortie du chef de l’Etat français a en tout cas laissé perplexe l’Union pour un mouvement populaire (UMP) au Parlement européen. « Est-ce la chaleur du banquet officiel qui a inspiré à François Hollande cette stratégie de la précipitation ? Elle nous semble à tout le moins prématurée et peu judicieuse », commente l’eurodéputée Constance Le Grip dans un communiqué. L’emballement de M. Hollande va même à contre-courant de l’évolution du commissaire européen au commerce, pourtant très libéral. Face aux inquiétudes soulevées par le projet d’accord et notamment la procédure de règlement des différends entre Etats et investisseurs, M. Karel De Gucht a lancé une consultation publique en mars.

Sans doute est-il temps de cesser de s’étonner chaque fois que M. Hollande double l’UMP et la Commission sur leur droite. Le président n’est-il pas le fils spirituel de M. Jacques Delors, le ministre de l’économie qui a convaincu François Mitterrand de prendre le tournant de la rigueur en 1983 ? Après avoir défendu en France l’orthodoxie budgétaire, la désinflation salariale et la dérégulation financière, M. Delors a consacré son énergie, en tant que président de la Commission européenne (1985-1995), à éradiquer les obstacles limitant la libre circulation des biens, des services et des capitaux pour faire advenir un grand « marché intérieur » européen, en 1986. Ce processus de libéralisation a véritablement déployé tous ses effets de mise en concurrence des travailleurs, des fiscalités et des protections sociales au cours des décennies suivantes. D’une part, en 1994, l’Accord général sur le commerce et les tarifs (GATT) a été transformé en Organisation mondiale du commerce (OMC) afin d’accélérer la mondialisation ; de l’autre, en 2004, l’Union européenne s’est élargie pour inclure les anciens pays communistes.

Les socialistes ont longtemps eu foi dans la déréglementation du commerce comme un jeu à somme positive. M. Pascal Lamy, bras droit de M. Delors au ministère de l’économie au moment du tournant de la rigueur, a inauguré en 1999 son mandat de commissaire européen au commerce en réclamant qu’on lève l’interdiction d’importer des Etats-Unis des semences génétiquement modifiées. Peu après son entrée en fonction, ce proche de M. Hollande déclarait devant l’assemblée du Transatlantic Business Dialogue (TABD), le puissant lobby d’affaires qui porte depuis de longues années le projet de grand marché transatlantique (GMT) : « La nouvelle Commission soutiendra [les propositions du TABD] de la même manière que la précédente. Nous ferons ce que nous avons à faire d’autant plus facilement que, de votre côté, vous nous indiquerez vos priorités (1). »

Mais si, en 2003, M. Lamy pouvait encore déclarer sérieusement que l’« ouverture des échanges » allait « dans le sens du progrès de l’humanité (2)  », l’intensification de la désindustrialisation et la montée du chômage depuis la crise de 2008 ont considérablement décrédibilisé les célébrations de la mondialisation heureuse. Il n’est plus si facile pour les socialistes que nous avons rencontrés en avril 2014 (3) de défendre le principe d’un nouveau partenariat commercial.

Si une bonne partie d’entre eux assument un certain goût pour « l’entreprise » (terme dont le blog Tout va bien s’amuse à relever l’avalanche d’occurrences dans les discours socialistes), ils semblent moins sûrs d’eux quand il s’agit de vanter les mérites du GMT. Lorsqu’il a fallu se prononcer, le 23 mai 2013, sur le mandat de négociation confié à la Commission européenne, huit des onze eurodéputés socialistes français présents ont finalement opté pour l’abstention. Trois ont voté contre.

Même le député Thierry Mandon, pourtant à l’aise avec le discours pro-entreprises du gouvernement, se dit « a priori méfiant » : « Le discours sur la libéralisation des échanges facteur de croissance et d’emploi appartient plus aux années 1990 que 2000 », estime-t-il. M. Mandon défendait pourtant récemment un retour partiel à la défiscalisation des heures supplémentaires. L’aile gauche du Parti socialiste (PS) reste quant à elle ouvertement hostile à la poursuite des négociations. En juin 2013, la motion « Un monde d’avance » a déposé avec « Maintenant la gauche » un amendement au texte de la convention nationale exigeant leur suspension.

Rue de Solférino, au siège du PS, la direction du parti semble elle aussi avoir pris conscience des limites du mantra libre-échangiste. Depuis 2010, elle a commencé à rectifier le tir, au moins formellement. L’opération consiste à reconnaître que le libre-échange n’est pas la panacée, et qu’il faut lui substituer un autre idéal : le « juste échange ». La formule empruntée au souverainiste Philippe de Villiers et défendu par le député européen Henri Weber, trouve sa définition dans le texte de la Convention du PS de 2010 comme une voie intermédiaire entre le « libre-échange intégral » et le « protectionnisme autarcique » (4). Il s’agirait d’intégrer dans les traités commerciaux internationaux des normes sanitaires, environnementales, sociales et culturelles. Et, pour les marchandises qui ne respectent pas ces normes, des droits de douane — baptisés « écluses tarifaires » — devraient s’appliquer.

L’idée du juste échange figure dans le programme du candidat Hollande à partir de décembre 2011. Désormais, le GMT est supposé l’incarner. Le ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, M. Arnaud Montebourg, qui avait bâti sa campagne pour les primaires du PS, en 2011, autour du thème de la « démondialisation », prétend ainsi que le traité transatlantique représente un « rétrécissement de la mondialisation (5». L’argument : « Qu’est-ce que la mondialisation ? C’est tout le monde en concurrence avec tout le monde. En revanche, quand vous négociez un accord bilatéral, vous pouvez défendre vos intérêts. »

Au cas où, contre toute attente, l’accord final ne correspondait pas à leurs critères vertueux, les défenseurs du juste échange se montreraient intransigeants. « Si l’harmonisation des normes se fait par le bas, si on nous demande de nous aligner sur les Etats-Unis pour les préférences collectives, alors les socialistes du Parlement européen le rejetteront, comme ils l’ont fait pour l’ACTA (6) en 2012, ainsi que leurs chefs d’Etat, au Conseil », assure M. Weber.

C’est peut-être sans compter la pression à laquelle le gouvernement soumet les députés lorsqu’il tient à faire passer une loi. « Lors de la résolution sur le budget pluriannuel de l’Union, par exemple, Harlem Désir [alors premier secrétaire du parti] a appelé chaque député PS et lui a dit : “Le président te demande de voter pour ce budget” », se souvient l’eurodéputé socialiste Liêm Hoang Gnoc.

Sans vouloir casser le suspense, on peut se permettre de douter que la Commission, institution dont la mission première est de veiller à la « concurrence libre et non faussée », accepte de mettre en place des « écluses tarifaires ». Pour mesurer son souci du juste échange, il suffit de voir sa réaction lorsque la France a obtenu que l’audiovisuel soit exclu du mandat de négociation. Son président, M. José Manuel Barroso, a qualifié la position française de « réactionnaire (7)  », tandis que M. De Gucht a fait savoir que cette exclusion était « provisoire (8»

Laura Raim est l’auteure, avec Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger et Béatrice Mathieu, de Casser l’euro… pour sauver l’Europe, Les liens qui libèrent, Paris, 2014.

(1) Cité par Raoul Marc Jennar, Europe, la trahison des élites, Fayard, Paris, 2004.

(2) Débat avec José Bové, Le Nouvel Observateur, 4 septembre 2003.

(3) Thierry Mandon, Valérie Rabault, Seybah Dagoma, Pervenche Berès, Liêm Hoang Ngoc, Daniel Raoul et Henri Weber.

(4) Texte de la Convention nationale « Pour une nouvelle donne internationale et européenne » (PDF), adopté à l’unanimité le 9 octobre 2010.

(5) France Inter, 18 février 2014.

(6) Lire Florent Latrive, « Traité secret sur l’immatériel », Le Monde diplomatique, mars 2010.

(7) Entretien recueilli par l’International New York Times, Neuilly-sur-Seine, 17 juin 2013.

(8) Interview dans l’émission« Internationales » de RFI, TV5 et Le Monde, 16 juin 2013.

L’homme poursuivi pour avoir projeté un produit nocif sur des Roms relaxé

Davantage que par sa portée pénale, le geste avait choqué par sa dimension symbolique. Le 16 janvier, peu avant 22 heures, Laurent P., un riverain de la place de la République, avait répandu un mélange de savon noir et de javel sur le matelas d’un couple de Roms afin de les inciter à quitter le trottoir situé en-dessous des fenêtres de son appartement. L’enquête n’a pas permis de démontrer la dangerosité du produit déversé, mais les victimes ont affirmé à l’audience le 7 avril que leurs biens laissaient apparaître des traces de corrosion laissant à penser que le liquide projeté par Laurent P. contenait un acide. C’est aussi la version portée par des maraudeurs d’une association d’aide aux Roms qui ont révélé l’affaire.

Ce lundi, l’homme a été relaxé. «En l’état des investigations», il n’est pas établi que le prévenu a jeté «un liquide corrosif», et le tribunal correctionnel de Paris a estimé que l’infraction de violences volontaires sans ITT (incapacité totale de travail) avec préméditation n’est pas constituée, a expliqué la présidente de la 29e chambre. Le parquet avait requis une peine de trois mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende.

Schizophrénie politique

Quelques semaines avant ce procès, Laurent P. avait raconté son parcours à Libération: il n’avait que 10 ans lorsqu’il participait en 1983 avec ses parents, un couple de militants syndicaux, à sa première manifestation : la Marche des Beurs, qui donna naissance à SOS Racisme. Diplômé de Sciences-Po en 1994, encarté au PS trois ans plus tard, Laurent P. a ensuite passé dix ans dans la fonction publique, dont une période comme chargé de mission au ministère des Finances.

Devant les juges Laurent P., mesurant la forme de schizophrénie politique qui entoure son geste, a expliqué avoir compris qu’il avait «touché un symbole très fort dont je n’ai pas mesuré l’importance, et j’en suis désolé. Vouloir blesser ces personnes aurait été en totale contradiction avec mon éducation. Mais est-ce parce qu’on défend des valeurs humanistes, qu’on est sensible aux questions d’accueil et d’intégration, qu’on doit tout accepter, notamment de tels problèmes d’environnement ?» Allusion à la présence régulière, dit-il, d’excréments et d’urine «au bas de chez lui».

L’ancien militant socialiste est devenu très soucieux de la propreté et de la sécurité de sa rue. Ces deux dernières années, il a appelé quatre fois le commissariat du IIIe arrondissement au sujet des sans-abri ou d’un coursier roulant en sens interdit. Laurent P. n’est pas tranquille : «Il y a trois jours, des personnes m’ont poursuivi en criant « savon, savon! » et en montrant le sol. J’ai appelé la police, mais faute d’interruption temporaire de travail, je n’ai pas pu porter de plainte.»

Fabrice TASSEL

FRANCE / Report des élections départementales et régionales : une très mauvaise idée

Mediapart

Le 6 mai 2014, le Président de la République a annoncé son intention de reporter les élections départementales et régionales (prévues en mars 2014) d’un an afin de pouvoir mettre en œuvre son projet de réforme territoriale : « Si c’est 2016, ça permettrait d’avoir le temps. Je pense que ce serait intelligent de faire des élections régionales et départementales avec le nouveau découpage », a ainsi déclaré François Hollande.

À mon sens, cette option est risquée.

En effet, une partie des conseillers généraux a été élue, en 2008, pour six ans, les conseillers régionaux ont été élus, en 2010, pour quatre ans et l’autre partie des conseillers généraux a été élue, en 2011, pour trois ans. Or, la loi organique du 17 mai 2013 a déjà prolongé leur mandat d’un an pour éviter un embouteillage électoral, en mars 2014. Par conséquent, si le calendrier électoral était à nouveau chamboulé, les conseillers généraux élus en 2008 exerceraient leurs fonctions pendant huit ans au lieu de six ! Un nouveau report poserait donc un problème démocratique.

En outre, il n’est pas du tout certain qu’une nouvelle modification de la durée soit tolérée par le Conseil constitutionnel. En effet, le juge constitutionnel veille au principe « selon lequel les citoyens doivent exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable » [1]. Certes, il a déjà toléré une prolongation d’un an si l’intérêt général le justifie, mais seulement à la condition que les modalités envisagées « revêtent un caractère exceptionnel » [2]. Dans ce contexte, une nouvelle loi prolongeant d’une année supplémentaire les mandats des conseillers départementaux et régionaux pourrait être déclarée inconstitutionnelle. Un nouveau report comporte donc un risque juridique.

Enfin, rien ne dit que l’ambitieuse réforme territoriale voulue par le Chef de l’État aboutisse. Si les conseillers départementaux et régionaux sont d’accord pour rester élus un an de plus, ils sont beaucoup moins enthousiasmes à l’idée de se faire hara kiri ! Le texte proposé par le Gouvernement pourrait ne jamais passer. Or, que penseraient les électeurs de leurs élus si ces derniers se maintenaient un an de plus tout en refusant la réforme ? Il y a fort à parier qu’une telle situation augmenterait le poids du vote protestataire. Un nouveau report pourrait donc avoir des conséquences électorales néfaste sur le vote républicain.

Pour toutes ces raisons, le report des élections départementales et régionales à 2016 est une très mauvaise idée.

Notes :

[1] Décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 2001.

[2] Décision du Conseil constitutionnel du 6 décembre 1990.

David Guéranger: « La gauche a échoué à démocratiser la décentralisation »

Mediapart.fr

14 mai 2014 | Par Mathieu Magnaudeix

 

Et si la défaite des municipales était aussi due à la déception des électeurs de gauche vis-à-vis de leurs élus locaux ? C’est ce que suggère le politiste David Guéranger. Spécialiste des réformes de décentralisation, il reste sceptique sur la réforme annoncée, alors que le chef de l’État entreprend ce mercredi des consultations.

Le chef de l’État lance ce mercredi 14 mai des consultations avec les partis poliitiques pour lancer la réforme territoriale. Mais David Guéranger, sociologue et politiste, chercheur et maître de conférences à l’école des Ponts et Chaussées, doute de son avenir. « Au début de son quinquennat, François Hollande disait exactement le contraire. » Coauteur de La Politique confisquée, un ouvrage très critique sur l’organisation des intercommunalités (références sous l’onglet Prolonger), Guéranger plaide pour une « critique de gauche » de la décentralisation, pour l’instant quasi inexistante.

Alors que la débâcle socialiste aux municipales a été lue comme une sanction nationale à l’égard de François Hollande, il suggère d’ailleurs une autre hypothèse : la responsabilité des élus locaux eux-mêmes, dont la gestion très présidentialiste au niveau local et l’« apolitisme » revendiqué de l’action publique locale nourrissent aussi « désenchantement et défiance » à l’égard des politiques. Surtout ceux de gauche qui, en adoptant des recettes standard de gestion publique dans les « territoires », se sont « éloignés de leur électorat (…) et de leur philosophie politique d’origine ». Explications.

La défaite du PS aux municipales a été lourde. Au-delà de la contestation du pouvoir, faut-il y voir une protestation contre la décentralisation ? De nombreuses baronnies socialistes ont basculé en une soirée…

Il y a sans aucun doute un effet de sanction des politiques gouvernementales, un rejet de la politique de François Hollande. On peut aussi dire que l’abstention ou la montée du Front national sont le fruit de la défiance à l’égard de la politique, d’une crise de régime. Le problème de ces explications générales, nationales, c’est qu’elles ne désignent finalement aucun responsable, ou seulement un unique responsable. En particulier, elles évitent aux élus locaux une autocritique douloureuse, alors qu’ils sont aussi responsables du désintérêt, de la défiance, de la sanction.

La façon dont la politique est exercée localement est un facteur explicatif important. Par exemple, les élus locaux aiment afficher le soi-disant apolitisme de leur action ; cela leur permet évidemment d’élargir leurs réserves de voix et, pour ceux de la majorité gouvernementale, de ne pas écoper de l’impopularité présidentielle. Ce faisant, ils accréditent l’idée que gauche et droite font la même chose, qu’il n’y a pas vraiment d’alternative ; ce qu’ils font contribue à produire désenchantement, défiance. On a longtemps préservé les maires de la crise démocratique, alors que l’abstention aux municipales est en progression constante depuis 1977. Avec son nouveau record aux dernières élections, difficile de continuer à se voiler la face… Il y a de toute évidence un épuisement de la démocratie locale, au fondement des lois de décentralisation de 1982. Il est temps de mettre les élus locaux face à leurs responsabilités.

En quoi les élus locaux sont-ils à blâmer ?

D’abord parce qu’ils ont concentré le pouvoir autour de leur personne. Je ne parle pas ici de tous les élus, évidemment, mais surtout des principaux membres des exécutifs locaux. Le présidentialisme de la Cinquième République est souvent critiqué, mais ce n’est rien comparé au présidentialisme de nos gouvernements locaux ! Qui contestera que les maires sont les seuls patrons dans leur commune ? La multiplication des structures satellites des collectivités n’a fait que renforcer cet exercice du pouvoir par quelques-uns. Je pense aux sociétés d’économie mixte (d’aménagement urbain par exemple), aux sociétés publiques locales, aux syndicats mixtes de transports, aux structures intercommunales… Ces satellites fonctionnent avec des règles de gestion confortables pour leurs membres, puisqu’ils n’ont aucun compte à rendre, ni aux électeurs, ni aux conseils qui les ont élus. Elles offrent à quelques-uns des ressources (jetons de présence, indemnités, etc.) pour se professionnaliser. Le cumul des mandats tel qu’il est envisagé aujourd’hui, notamment dans la loi anticumul, n’est que la face émergée de l’iceberg. La loi fait l’impasse sur le cumul des mandats locaux, auquel la majorité n’a pas voulu mettre un terme, et le cumul dans le temps. Son report à 2017 a des airs d’enterrement, ce que semblent d’ailleurs anticiper les nombreux parlementaires qui se sont représentés aux dernières municipales…

On peut vous rétorquer que cette concentration du pouvoir ne leur laisse justement pas les coudées franches pour, précisément, faire de la politique.

C’est l’argument des pro-cumuls, mais ce n’est pas le cas. C’est un des paradoxes – un apparent paradoxe – de cette décentralisation : d’un côté, elle concentre le pouvoir, mais de l’autre elle dépolitise son exercice. Il suffit de constater l’uniformisation très forte des programmes d’action, au-delà de l’arrimage partisan. Dans toutes les grandes villes, c’est la même fascination des élites pour les métropoles, la même volonté d’attirer les classes moyennes supérieures, la même volonté d’avoir son écoquartier, son tramway, son grand stade, la même frénésie des « smart grids » (les “villes intelligentes”, ndlr).

Quelles sont les conséquences politiques de ces choix ? Par exemple, à qui doivent profiter les grands investissements ? Comment la « ville intelligente » installe-t-elle un système de surveillance généralisé ? Ces questions de fond, politiques, sont rarement débattues. Quant à la vidéosurveillance, elle est une recette prisée aussi bien par des élus de gauche que de droite… Il n’y a donc plus de lien entre les politiques menées et certaines des valeurs attachées aux appareils partisans. On est même parfois dans la contradiction la plus complète, comme à Lille où le projet de Grand Stade construit sous partenariat public-privé avec une grande entreprise du BTP est porté par une sénatrice communiste. En faisant circuler ainsi les recettes d’une prétendue bonne gestion, les élus locaux alimentent l’idée selon laquelle il n’y a, au bout du compte, pas de différence notable entre gauche et droite. Cette similitude, difficile à justifier au niveau national, ne semble pourtant pas leur poser problème localement.

Cela concerne donc tous les élus ?

Le phénomène de notabilisation des partis touche autant la gauche que la droite, mais pas toutes les formations politiques. À gauche par exemple, le parti socialiste est depuis fort longtemps un parti d’élus locaux, du fait de son lien historique avec le socialisme municipal ; au contraire, le parti communiste a toujours été méfiant à l’égard des élus et de leur autonomisation, et il devient un parti d’élus dans le sillage des lois de décentralisation de la décennie 1980. Aujourd’hui, c’est au tour des écologistes de “subir” les conséquences des accords électoraux avec le PS, amorcés avec les municipales de 2001. Cela crée des tensions fortes au sein des appareils avec les bases militantes.

Mais il y a une responsabilité singulière de la gauche. Ces “bonnes recettes” du local font le lit d’une action publique gestionnaire, consensuelle, mais elles s’accommodent beaucoup moins bien des enjeux plus clivants, des objectifs de lutte contre la pauvreté, contre les discriminations, contre l’exclusion, par exemple. Les politiques locales redistributives (logement social, aménagement), les mesures qui visent les populations les plus pauvres (aires d’accueil des gens du voyage, gratuité des transports pour certaines catégories) sont celles qui souffrent le plus de cette dépolitisation.

C’est pour cela que la gauche est doublement responsable. D’une part, les élus de gauche (comme ceux de droite) se sont éloignés de leur électorat. D’autre part, leurs pratiques sont en contradiction complète avec ce qui fait le cœur de leur philosophie politique d’origine. On a coutume de dire que la décentralisation a bénéficié à la gauche, en raisonnant en termes de postes ; c’est sûrement beaucoup moins vrai si l’on examine cette question à l’aune des liens entre les catégories populaires et d’autres dimensions de la politique : la représentation par les élus, les objectifs des politiques publiques, le sens de l’action politique.

Le culte du « territoire »

Déjà en 2009: les propositions du comité Balladur pour fusionner des régionsDéjà en 2009: les propositions du comité Balladur pour fusionner des régions © Articque

 

Cela dit, les élus communautaires sont désormais élus au suffrage universel. Et ce sera aussi le cas de certains représentants des futures métropoles. N’y a-t-il pas quand même une certaine démocratisation ?

Attention, le fléchage des élus communautaires, ce n’est pas le suffrage universel : il n’y a pas de circonscription électorale intercommunale, pas de bulletin propre… Et puis la dépolitisation n’est pas qu’une simple affaire d’élection : on la retrouve aussi dans des structures démocratiquement élues comme les conseils généraux et régionaux. Il faut donc lui trouver d’autres explications.

L’une d’entre elles, parmi bien d’autres, c’est l’évolution du recrutement social des présidents d’exécutifs. Les travaux de sociologie politique montrent bien la sélectivité encore plus forte des critères d’âge, de genre, de profession : les maires sont plutôt des hommes, quinquagénaires, (anciens) cadres ou issus de professions intellectuelles supérieures.

La décentralisation a eu pour effet de renforcer cette figure de l’expert, celui qui maîtrise techniquement les dossiers, qui valorise son savoir professionnel. C’est une premiè­­re manière de dépolitiser. Aujourd’hui, cela prend des formes nouvelles : aux dernières municipales, des maires sortants de grandes villes socialistes (à Rennes, à Grenoble, à Nantes, etc.) ont placé pour leur succéder d’anciens collaborateurs ou directeurs de cabinet, formés dans les IEP, biberonnés au management public, aux finances publiques. Pour ces gestionnaires, les ressources partisanes sont moins structurantes que pour leurs aînés. Ils sont ainsi plus enclins à épouser une gestion publique en apparence indifférente à l’idéologie ou aux valeurs politiques.

Votre discours ne donne-t-il pas des arguments au Front national qui critique l’« UMPS » ? Ne renforce-t-il pas l’idée selon laquelle la gauche et la droite, c’est pareil ?

C’est une difficulté en effet, et c’est aussi tout l’enjeu à mes yeux : outiller à gauche la critique de la décentralisation. Je ne prétends évidemment pas que droite et gauche, c’est pareil : je pense au contraire que ces différences existent, mais que la gestion locale les occulte. Je ne prétends pas non plus que les dérives de la décentralisation sont affaire de vertu, de moralité ou de convictions personnelles, et qu’il suffirait de dégager les notables actuels pour régler le problème : je pense au contraire qu’il faut changer les institutions. Ce sont les institutions vertueuses qui font les comportements vertueux, et pas le contraire… Et puis le Front national, qui a peu d’élus locaux, a beau jeu de critiquer la décentralisation. Laissons passer les coups de sang de la période électorale et voyons comment il va gérer les onze villes qu’il gouverne désormais, et ses relations avec les élus UMP ou PS au sein des exécutifs intercommunaux…

Quelles pourraient être les bases d’une critique de gauche de la décentralisation ?

Une voie parmi d’autres consisterait à réintroduire la référence aux questions et catégories sociales politiquement prioritaires : les précaires, les chômeurs, les classes populaires, d’autres peut-être. La décentralisation leur a au contraire substitué le « territoire ». Le « territoire », sous toutes ses formes, est devenu l’alpha et l’oméga de l’action publique locale : la défense de « l’identité communale », la concurrence entre « régions », le rayonnement des « métropoles », le développement des « quartiers ». La lutte contre les inégalités ou la mise en œuvre des solidarités, elles-mêmes, sont « territoriales »… Les populations fragiles se retrouvent noyées, diluées. Et que dire de ceux qui n’ont pas leur « territoire » ? J’ajoute que ce phénomène aggrave la personnalisation du pouvoir : qui d’autre que le président de l’exécutif est à même de représenter son « territoire » ?

Vainqueurs à Grenoble, les écologistes et le parti de gauche associés à des collectifs citoyens promettent une nouvelle gestion locale, plus soucieuse des citoyens, loin des schémas gestionnaires classiques que pouvait incarner la municipalité PS sortante. Faut-il y voir une alternative ?

C’est un laboratoire intéressant. Pendant la campagne, les écologistes et le parti de gauche (PG) grenoblois ont tenté d’élaborer un contre-modèle en liant les sujets locaux à des questions politiques. Par exemple, lorsqu’ils prônent le retour en régie d’un certain nombre de services publics municipaux. Dans d’autres villes, comme à Bordeaux ou Paris, le retour en régie de l’eau avait été justifié par des considérations largement financières, des arguments plutôt gestionnaires et dépolitisés. À Grenoble, ce discours est assez secondaire par rapport à la critique de la mondialisation, de la prédation des actionnaires privés, etc. Sur le papier, c’est une manière intéressante de politiser des enjeux locaux, c’est-à-dire de les connecter à des débats plus généraux et plus évidemment politiques. En pratique, il va falloir suivre de près ce qui se passe : cette municipalité a une responsabilité politique forte.

Le nouveau premier ministre, Manuel Valls, a annoncé après les municipales un véritable big-bang territorial : fusion des régions, disparition des départements, tout cela mené en quelques années, avec un report possible des régionales et des cantonales qui étaient prévues en 2015. Faire disparaître des doublons, réduire le millefeuille territorial, n’est-ce pas justement une opportunité de démocratiser la décentralisation ?

La belle affaire… Au risque de passer pour un incorrigible pessimiste, je voudrais juste faire un peu d’histoire. Nicolas Sarkozy prononçait à Toulon en 2008 un discours va-t-en-guerre sur le « big bang » territorial, le coût du « millefeuille territorial », le trop grand nombre de collectivités et d’élus. Ce discours débouche sur l’installation du comité Balladur qui préconise (outre le renforcement de l’intercommunalité) la réduction du nombre de régions et de départements, sur le mode du volontariat.

 

À l’issue du débat parlementaire, il n’est resté qu’une seule mesure de ce projet : le conseiller territorial, que les socialistes arrivés au pouvoir en 2002 se sont empressés d’abroger. Alors comment comprendre aujourd’hui les déclarations présidentielles sur cet objectif, qui ne figurait même pas dans son programme de campagne ? Au début de son quinquennat, François Hollande disait d’ailleurs exactement le contraire pour ne pas froisser les élus. J’y vois pour l’essentiel une déclaration symbolique, une manière de mettre en scène le volontarisme et le changement, à un moment où l’impopularité présidentielle est au plus haut.

Quant aux chances de succès de cette énième réforme, elles me semblent bien minces si l’on en juge par l’échec des précédentes tentatives, ou par le profil politique de celui qui est chargé de l’écrire : André Vallini, secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, est par ailleurs un pur notable local, archétype du cumulard, entre autres président du conseil général de l’Isère depuis 2001, ancien membre du comité Balladur ! Alors certes, il aime être présenté comme un régionaliste convaincu, mais il va devoir défendre au Parlement un texte qu’il n’a pas écrit, dans un contexte compliqué : les relations avec les parlementaires ne sont pas très simples et les élections régionales, même repoussées d’un an, pas très loin.

Pour aller plus loin, des références et des liens sous l’onglet “Prolonger”.

 

La boîte noire :L’entretien, dont l’idée a germé à l’approche des municipales, est le fruit de plusieurs entretiens téléphoniques et de plusieurs échanges avec David Guéranger.

Européennes: l’exécutif entre dans la campagne à reculons

Mediapart.fr

12 mai 2014 | Par Lénaïg Bredoux

 Longtemps, la majorité et les proches de François Hollande ont espéré un score honorable pour le parti socialiste le 25 mai. Après la débâcle des municipales, le doute les étreint. Mais ils minorent par avance l’importance politique d’un scrutin où l’abstention risque d’être très forte.  

Ces derniers mois, la majorité socialiste s’est délectée d’une expression jargonneuse à souhait : elle allait, disait-elle, « enjamber » les scrutins à venir. Les municipales d’abord, en contenant l’impopularité de l’exécutif par la solidité de ses baronnies, puis les européennes où elle pariait sur un score égal voire supérieur à la claque déjà subie en 2009. La débâcle de mars a semé le doute. Mais l’exécutif espère encore que, quel que soit le résultat, le scrutin sera aussi vite oublié que la campagne est atone.

Officiellement, elle est ouverte ce lundi 12 mai, pour deux semaines. Peu d’électeurs savent pour l’instant qu’ils auront à se prononcer le 25 mai pour leurs députés européens. Les grands médias télévisés en parlent peu – France Télévisions a même refusé de retransmettre le débat entre les candidats à la Commission européenne. « Mais pourquoi on n’oblige pas le service public à le faire ? C’est une décision scandaleuse », s’insurge l’ancien ministre délégué aux affaires européennes Thierry Repentin, remplacé le mois dernier lors du remaniement par Harlem Désir.

 

Les partis politiques se sont aussi lancés tardivement en campagne, obnubilés jusqu’à fin mars par les municipales et, pour certains, englués dans leurs divisions internes sur l’Europe – c’est par exemple le cas de l’UMP (lire nos articles ici, et ). Le PS commence tout juste sa tournée de grands meetings, avec des ministres en guest stars – comme Marylise Lebranchu à Rezé, près de Nantes lundi – et le premier ministre Manuel Valls sera jeudi à Lille aux côtés de Martine Aubry et Jacques Delors. Il était déjà dimanche soir au 20 h de TF1.

Jusque-là, l’exécutif a plutôt donné l’impression de faire comme si les européennes n’existaient pas. La semaine dernière, le président de la République a même passé une heure sur RMC et BFM-TV sans les évoquer. Aucune question ne lui a été posée sur le sujet, rétorquent ses proches. Mais François Hollande aurait pu prendre l’initiative – il est suffisamment aguerri à l’exercice pour le savoir. Ce n’est que parce que la presse s’en est étonnée que le chef de l’État s’est finalement décidé à publier une tribune jeudi 8 mai dans le Monde. Un choix d’un classicisme déprimant, et sur la forme et sur le fond – Hollande a commencé sa tribune par un long hommage à l’Europe de la paix en ce jour de commémoration de l’armistice.

À l’Élysée, on explique que ce n’est pas le rôle du président de la République de se mêler directement de la campagne et que c’est au parti et au premier ministre de s’exposer. Soit. Sauf que l’Europe fait partie des domaines où le chef de l’État est précisément en pointe – c’est lui qui se rend au conseil européen tous les mois et qui décide de fait de la politique de la France à Bruxelles. La récente modification de l’organigramme de l’Élysée, qui a vu le conseiller Europe de Hollande devenir également secrétaire général aux affaires européennes, en est une nouvelle preuve. En Allemagne d’ailleurs, c’est la chancelière Angela Merkel qui figure sur une partie des affiches de campagne de son parti, la CDU.

Affiche de campagne de la CDU pour les européennes
Affiche de campagne de la CDU pour les européennes

« Jusque-là, le président de la République a eu une façon de nier les européennes. C’est ce qu’entre nous on appelait la “tentation du silence”. Pendant longtemps, l’Élysée a cru que le PS allait bien s’en tirer, en faisant un meilleur score que la dernière fois », explique un diplomate spécialiste des questions européennes. « Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait parlé de réorienter l’Europe. Cette réorientation existe, mais elle n’est peut-être pas à la hauteur des attentes. Et puis François Hollande se dit qu’il doit d’abord se mobiliser sur la scène nationale – c’est d’ailleurs la demande politique de nos concitoyens », dit aussi un cadre socialiste.

Il y a encore quelques semaines, le discours des scialistes était bien rodé : sur le plan intérieur, les européennes n’ont que peu d’importance ; l’abstention, très élevée, en fait un scrutin mineur ; l’exécutif pourra donc « enjamber » le 25 mai sans dégâts. Certains prédisaient même qu’un FN en tête dans les sondages permettrait de remobiliser l’électorat de gauche et les troupes socialistes.

« Les européennes n’ont jamais été un traumatisme dans la vie politique française »

« Je ne suis pas sûr que notre score soit plus mauvais que la dernière fois. On était au plancher. Après, ce n’est pas impossible qu’on soit derrière le FN. Mais les européennes, ça a un impact pendant 15 jours », expliquait cet hiver François Rebsamen, qui n’était pas encore ministre du travail mais président du groupe socialiste au Sénat. « Les européennes n’ont jamais été un traumatisme dans la vie politique française », jugeait aussi Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée nationale.

Début mars, une ministre du gouvernement Ayrault rappelait également la stratégie du calendrier du remaniement : « Remanier son gouvernement avant les européennes permet au président de se ressaisir de l’agenda et de ne pas voir son tempo déterminé par les élections. Cela permet de relativiser le résultat des européennes. »

 

François Hollande à Bruxelles
François Hollande à Bruxelles © Reuters

 

L’an dernier, l’exécutif avait aussi pris deux décisions, passées relativement inaperçues mais révélatrices de son envie de réduire au minimum l’enjeu de ce scrutin. Fin mars 2013, après de longues hésitations, le PS s’était opposé à la mise en place d’une circonscription unique, proposée par les radicaux de gauche, et qui avait l’avantage de politiser davantage une élection régionalisée sur huit zones qui ne correspondent à rien. La décision avait été prise par François Hollande. En cause : la peur de voir Marine Le Pen en profiter. « On disait à l’époque que ça allait promouvoir le FN », explique un conseiller du gouvernement, alors en poste.

Quelques mois plus tard, Manuel Valls, ministre de l’intérieur, a quant à lui défendu la dématérialisation des professions de foi. En clair, plus de courrier mais une version numérique adressée aux électeurs. Le gouvernement l’avait inscrit dans le projet de loi de finances pour 2014 présenté à l’automne, histoire de faire quelques menues économies (27,6 millions d’euros). Mais le ministre délégué aux affaires européennes Thierry Repentin s’y était vertement opposé. Il a fini par avoir gain de cause auprès de François Hollande, mais la tentative avait renforcé le sentiment d’un désintérêt profond de l’exécutif français pour le scrutin du 25 mai.

« J’ai l’impression que le PS se protège, et protège peut-être aussi l’UMP, en faisant de telle sorte qu’il n’y ait pas de forte mobilisation pour les européennes », s’était à l’époque emporté l’eurodéputé écologiste Daniel Cohn-Bendit. Même soupçon alors exprimé par le Parti de gauche : « Après avoir renié ses engagements sur une liste unique nationale, le gouvernement parie clairement sur l’abstention et cherche à museler les voix qui pourraient porter plus haut que la sienne. »

Plus récemment, l’exclusion de plusieurs parlementaires PS actifs à Bruxelles – comme Liêm Hoang Ngoc, Françoise Castex ou Bernadette Vergnaux – a fait grincer les dents au PS (le même phénomène s’est produit à l’UMP). Tout comme le choix de l’ancienne directrice de cabinet de Sylvia Pinel, la PRG Virginie Rozière, pour conduire la liste dans le Sud-Ouest dans le cadre d’un accord avec les radicaux de Jean-Michel Baylet.

« On s’est souvent répété que ça aurait été plus simple avec une liste nationale », se désolait un dirigeant du PS en novembre dernier, à l’issue de la douloureuse constitution des listes socialistes (lire ici). « On fait l’inverse de l’Allemagne, qui a une vraie stratégie d’influence au sein des institutions européennes. La France néglige le parlement européen. Même au gouvernement, il n’y a pas assez de ministres à s’y rendre », souligne un spécialiste socialiste des dossiers européens.

La stratégie choisie par le PS a aussi de quoi surprendre : il fait surtout campagne pour Martin Schulz, actuel président du parlement et candidat des sociaux-démocrates pour la présidence de la Commission. « Cela prouve que les européennes ne sont pas là pour faire élire des députés européens inconnus, mais qu’il y a un vrai enjeu politique à court terme. Schulz, c’est une réorientation de l’Europe possible », décrypte un “hollandais”. « On a vraiment un coup à jouer, estimait aussi récemment Christophe Borgel, secrétaire national aux élections du PS. Les écolos et la gauche radicale, une fois qu’ils auront dit qu’il “faut une autre Europe”, ils n’auront plus grand-chose à dire. Avec Martin (Schulz), on a l’incarnation d’un changement de majorité, un mec qui crédibilise la nécessité de voter PSE pour battre la droite. »

Mais l’eurodéputé allemand reste largement inconnu en France. Surtout, il est contesté à gauche : son parti, le SPD, est membre de la grande coalition avec la CDU au pouvoir en Allemagne, et Schulz est lui-même accusé d’incarner la politique d’austérité européenne qu’il est pourtant censé combattre. « Schulz, c’est pas Jules Guesde mais c’est quelqu’un qui dit que le budget européen pour la jeunesse doit être augmenté et qu’il faut relancer la croissance », défend un conseiller ministériel. L’exécutif et le PS redoutent désormais une correction le 25 mai. « Le FN en tête serait un échec de notre politique », prévient un ami de François Hollande.

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/international/120514/europeennes-lexecutif-entre-dans-la-campagne-reculons

Paroles de députés socialistes: «C’est un immense gâchis, tout est anéanti»

Mediapart.fr

13 mai 2014 | Par Mathieu Magnaudeix

 

Geneviève Gaillard
Geneviève Gaillard © DR

Ce sont des députés socialistes discrets, ceux qu’on ne voit pas à la télé. Ça ne les empêche pas d’avoir leur avis sur la politique du gouvernement et de François Hollande. Certains se sont abstenus lors du vote du 29 avril sur le plan Valls de 50 milliards d’économies. Paroles de députés que l’on n’entend jamais.

 

 

Parmi les 41 députés socialistes qui se sont abstenus mardi 29 avril sur les 50 milliards d’économie du gouvernement, il y a des élus de l’aile gauche du PS et des députés d’autres tendances qui s’abstenaient pour la première fois. Il y a aussi ceux qui, tout en ayant voté ce plan, se posent beaucoup de questions.

Ce lundi 12 mai, Manuel Valls a promis que les nouveaux foyers imposables allaient sortir de l’impôt sur le revenu, une revendication de nombreux députés très souvent interpellés à ce sujet par leurs électeurs. Et pour retisser les liens avec une majorité en colère, François Hollande pourrait bientôt recevoir les parlementaires pour une « opération papouilles », selon le porte-parole des députés PS, Thierry Mandon.

Chaque mardi matin, la centaine de parlementaires qui avaient signé l’appel des 100 pour un « nouveau contrat de majorité » au soir de la défaite des municipales vont se réunir afin d’infléchir la ligne du gouvernement. L’un d’eux, Christian Assaf, se dit même « prêt à discuter avec Mélenchon, mais sur un programme d’union ».

Mediapart a tendu le micro à des socialistes que les Français ne connaissent pas beaucoup. Ils ne courent pas les plateaux télé, ne sont d’ailleurs pas toujours à l’aise avec les caméras. Mais ça ne les empêche pas de dire leurs doutes.

Chantal Guittet (PS. Finistère). Sa circonscription est celle de l’ex-abattoir Gad (Lampaul-Guimiliau). 

Votes précédents :

  • TSCG (9 octobre 2012) : oui
  • Accord emploi (9 avril 2013) : abstention
  • Réforme des retraites (15 octobre 2013) : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls (8 avril 2014) : oui
  • Plan de 50 milliards (29 avril) : oui
Chantal Guittet
Chantal Guittet © Capture d’écran Voeux 2014/Vimeo

« La trajectoire n’est pas la bonne. Une politique de l’offre seule est profondément récessive. Je ne crois pas à la phrase de François Hollande, empruntée à l’économiste Jean-Baptiste Say, selon laquelle l’offre crée la demande. C’est faux. Devant les ministres il y a deux semaines, après l’annonce des mesures de Manuel Valls, j’ai parlé “brut de décoffrage” : j’ai ma liberté de parole, je ne suis pas du sérail. J’ai dit que reculer le plan pauvreté était inadmissible, que le projet de François Hollande, le discours du Bourget, ce n’était pas la politique de l’offre à tout prix. Il y a eu un virement, il faut bien l’admettre. Ont-ils raison ? Fondamentalement, je pense que non, même si l’économie n’est pas une science exacte.

« Avant le vote, j’étais le cul entre deux chaises, angoissée, ce n’est pas la première fois d’ailleurs. Je n’ai pas forcément passé une semaine tranquille. Ça m’a travaillé, ça me travaille encore. Je n’arrête pas de voir des gens qui ne mangent pas à leur faim, c’est insupportable, je me pose plein de questions sur les décisions que nous prenons. Mais j’ai voté pour. Je ne me voyais pas mettre le gouvernement en minorité, il y avait un risque. Et même s’il se trompe sur la trajectoire, celle des autres en face est pire encore.

« On me dit “vous êtes rentrés dans le rang pour sauver votre siège”. Mais je ne suis pas entrée en politique pour avoir un siège. Je suis venue à la politique par hasard, j’étais professeur de gestion à l’université, on m’a dit pourquoi “tu ne vas pas aux législatives” ? J’ai trouvé ça loufoque, et puis dans cette circonscription de droite, j’ai mis en 2007 le candidat UMP en difficulté au second tour, ça n’était jamais arrivé. Et en 2012, j’ai gagné. Mais si je ne suis pas réélue en 2017, c’est la démocratie. De toutes façons, je suis contre le cumul des mandats dans le temps et dans l’espace.

 

« Il y a beaucoup de choses que je trouve étranges dans le débat politique. Par exemple qu’on ne parle que de 2017 et du retour de Sarkozy, jamais de la pauvreté et pas beaucoup de sujets importants comme les travailleurs détachés. Quand on parle de milliards, ça ne dit rien à nos électeurs. J’aimerais qu’on mesure les conséquences concrètes de ces économies pour les ménages, et ça s’adresse aussi aux journalistes.

« Maintenant, il faut Bac +5 pour comprendre un discours politique, c’est devenu trop compliqué. Il faudrait davantage former nos concitoyens au droit et à l’économie. Les lois sont devenues incompréhensibles. Notre travail à l’Assemblée nationale lui-même est d’un autre siècle. On n’arrive pas à mobiliser les médias sur les sujets de fond que nous suivons au Parlement.

« Nos concitoyens, eux, c’est sur des choses très concrètes qu’ils fondent leur jugement. La fiscalisation rétroactive des retraités ayant eu une famille nombreuse, par exemple (elle a été votée dans le budget 2014, ndlr), c’est choquant surtout que nous avons reculé l’âge de la retraite. La demi-part des veuves supprimée, je suis d’accord mais alors il fallait augmenter les petites retraites. Quand je rencontre des veuves, seules quinze dans la salle sont imposables mais toutes pensent que ce gouvernement leur a volé quelque chose ! Tant qu’on ne remettra pas la fiscalité à plat, on aura toujours ce genre de problèmes.

« Dès maintenant, on pourrait être plus radical sur certains sujets. On ne devrait plus tolérer par exemple les dépassements d’honoraires des médecins. On devrait revaloriser le salaire des enseignants, des greffiers, des infirmiers, etc. J’espère qu’une fois qu’on aura apuré les comptes du pays, il y aura une nouvelle répartition des richesses. »

Philippe Noguès (PS. Morbihan). Réclame une loi contre la sous-traitance anarchique des multinationales.

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : oui
  • Réforme retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : abstention
  • Plan de 50 milliards : abstention
Philippe Noguès
Philippe Noguès © DR

« Avant le vote du plan Valls, il y a eu des pressions assez phénoménales. Des collègues nous en voulaient. On nous menaçait d’une dissolution. Depuis mon élection en 2012, je n’avais jamais vécu ça.

« Si je me suis abstenu, comme sur le discours de politique générale, c’est parce que la politique de François Hollande ne correspond pas à celle pour laquelle il a été élu. Mes votes ont eu des impacts en Bretagne, où les “hollandais” sont très implantés. La fête de la rose de la fédération socialiste du Morbihan qui devait se tenir chez moi a été annulée dix jours avant. J’ai organisé à la place un repas républicain, il y avait plus de monde ! Nous avons créé un vrai espoir à gauche, chez les gens qui ne se sont pas déplacés aux municipales.

« Je n’imaginais pas qu’on en serait là au bout de deux ans de pouvoir. Je veux bien perdre en 2017, mais dans ce cas sur mes valeurs, pas sur une politique de droite. Je regrette par exemple d’avoir voté le traité européen à l’automne 2012 : je venais d’être élu, on nous a promis que ce serait “un oui exigeant”, on voit aujourd’hui sa traduction concrète : la rigueur d’Ayrault est devenue sous Valls une politique d’austérité. Dans le plan de 50 milliards, ce sont juste les mesures les plus à droite qui ont finalement été gommées.

« Je suis entré au PS en 2006. Pour les législatives 2012, j’ai été choisi par les militants contre le candidat officiel. Je ne suis pas un apparatchik, j’ai été élu pour la première fois en 2012 après 35 ans de carrière dans le privé.

« Ces abstentions m’ont libéré. Maintenant, j’ai envie de faire comme je l’entends, avec la conscience de ma responsabilité. Je vais travailler sur les textes budgétaires à venir. Je ne songe pas encore à quitter le groupe PS. Mais pour l’avenir, je ne m’interdis rien. Si j’ai un jour le sentiment d’être face à un mur, si on n’arrive pas à infléchir la politique de l’intérieur, il faudra peser d’une autre manière et restera cette solution de sortir du groupe. Cela traverse l’esprit de plusieurs députés, c’est clair. Attend-on du groupe majoritaire qu’il soit un troupeau de moutons bêlants ? Le président doit se préoccuper de sa majorité. On est vraiment au bout de cette Cinquième République où le seul qui détermine la politique est le chef de l’État. »

 

Florent Boudié (Gironde), “hollandais”.

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : oui
  • Réforme des retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : oui
Florent Boudié, à l'Assemblée nationale, décembre 2013
Florent Boudié, à l’Assemblée nationale, décembre 2013 © Capture d’écran Assemblée nationale

« J’étais au “club Témoin” de Jacques Delors et François Hollande pendant mes études à Sciences-Po Bordeaux dans les années 1990 : c’est dire si je suis “hollandais” de longue date. Cette ligne sociale-démocrate me correspond. Mais le discours de politique générale tenu par Manuel Valls aurait dû l’être dès 2012. Nous serions déjà passés à une autre phase du quinquennat. S’il y a un échec, c’est de ne pas avoir mis à profit la campagne présidentielle pour tenir un discours de vérité. Ce quinquennat risque d’être très déséquilibré, avec une seule phase de rigueur ponctuée de mesures de justice sociale.

« Les municipales ont été un électrochoc. Ça nous a porté un coup au moral. Des élus avec un très bon bilan se sont fait bananer. Les ravages sont profonds. Il y a une déception sur le rythme des réformes, sur l’exercice du pouvoir et aussi une demande de justice sociale. Mais nos concitoyens veulent aussi moins de dépenses et plus d’efficacité. Il est paradoxal de dire qu’ils veulent plus de gauche alors que c’est la droite et l’extrême droite qui profitent de nos faiblesses actuelles.

« Nous n’avions pas assez mesuré l’impact de la hausse de la fiscalité. En septembre 2012, Jean-Marc Ayrault a dit que 9 Français sur 10 ne seraient pas touchés par les hausses d’impôt, c’était le contraire ! Puis il y a eu la hausse de la TVA début 2014, qui avait été balayée d’un revers de la main pendant la campagne. C’est là que le système s’est grippé dans l’opinion. Sans compter ces “couacs” qui ont montré un problème profond d’exercice quotidien de la responsabilité publique.

« François Hollande n’avait pas un programme « étincelant » comme il dit, mais il avait donné, au Bourget notamment, le sentiment qu’il ferait ce qu’il avait promis. Nous avons fait le non-cumul, la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé tôt, etc., mais tout ça s’est effacé. Le plan de 50 milliards d’économies, je l’assume pleinement, tout comme la réforme des collectivités territoriales, la plus ambitieuse jamais essayée. Maintenant, il va falloir courber l’échine pendant au moins six mois. Les défaites (européenne, sénatoriale) vont s’ajouter à l’impopularité.

« Dans cette situation, nous ne devons pas paraître divisés. Nous ne sommes pas à la veille d’un congrès du PS. Parmi les 41 abstentionnistes, beaucoup ont voulu sincèrement sonner l’alerte mais d’autres avaient des stratégies plus personnelles, ça m’agace. Nous ne sommes pas là pour être des godillots, il faut des débats, mais dans la Cinquième République, la rébellion parlementaire est inutile. Chacun à notre niveau, nous sommes tous de petits caporaux : nous assumons collectivement la responsabilité. »

Suzanne Tallard (Charente-Maritime). Proche de l’aile gauche du PS tendance Marie-Noëlle Lienemann. 

  • TSCG : abstention
  • Accord emploi : oui
  • Réforme des retraites : abstention
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : abstention
  • Plan de 50 milliards : abstention

 

Suzanne Tallard
Suzanne Tallard © MM/Mediapart

 

« C’est l’injustice sociale qui motive mes votes. La réforme des retraites fait travailler les gens jusqu’à 67 ans : c’est impossible. Toucher les petites retraites, reculer le plan pauvreté, geler le point d’indice des fonctionnaires etc. : ces mesures prévues au départ dans le plan d’économies du gouvernement n’auraient même pas dû être proposées par la gauche. Manuel Valls est revenu dessus, c’est bien le moins.

« Mais sur le fond, le premier ministre n’a pas répondu à l’interpellation des cent députés dont je faisais partie. Le gouvernement mène une politique de droite atténuée. Donner des centaines de millions d’euros à la grande distribution sans contrepartie avec le crédit d’impôt compétitivité (CICE), c’est une injustice sociale flagrante aux yeux, par exemple, des petits retraités, et je crains que nos concitoyens ne s’en souviennent.

« Quand je me suis abstenue sur la déclaration de politique générale de Manuel Valls, avec dix autres socialistes, je m’attendais à ferrailler avec les militants. Ils m’ont dit “ne t’excuse pas”, ils m’ont même remerciée. Certains m’ont dit que notre vote les avait dissuadés de rendre leur carte du PS. Les européennes ? On connaît déjà le résultat. Le PS sera en troisième position, on va reculer, on le sait, comme on a perdu les municipales. Si le gouvernement avait mené une autre politique, on n’en serait peut-être pas là.

« Avec le gouvernement, nous sommes désormais dans un rapport de force. Ça me désole, mais c’est ainsi. La politique menée devrait être en accord avec les promesses de François Hollande : redresser la France dans la justice, le message de la campagne présidentielle, je suis à 200 % pour. Nous continuerons, au sein de la majorité, à travailler pour démontrer qu’une autre politique est possible. La façon dont le gouvernement accueillera nos propositions décidera de nos votes.

« Je suis militante socialiste depuis 2002 et la défaite de Jospin. J’étais élue locale, je me suis dit alors : “faut y aller”. Le PS n’était pas en grande forme… aujourd’hui, je veux croire que ce parti reste ma maison. Je reste car j’ai l’espoir de le faire bouger. Je suis très triste. J’ai reçu une lettre d’une personne que je connais bien, me disant : “Suzanne, je ne voterai plus jamais socialiste.” C’est le genre de courrier qu’on n’oublie pas. Je sais que pour une personne qui m’écrit, il y en a cent qui pensent ça. Je me demande si nous n’avons pas déjà perdu 2017. »

 

 

Geneviève Gaillard (Deux-Sèvres). Maire de Niort battue aux municipales.

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : oui
  • Réforme des retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : oui
Geneviève Gaillard
Geneviève Gaillard © DR

« Les municipales ont été une violence, un choc. Il y a beaucoup de raisons à une telle défaite : le PS local qui a soutenu mes adversaires, les travaux dans le centre-ville, le fait que les écologistes et le PG soient partis seuls, cette fausse rumeur partie de l’extrême droite selon laquelle je faisais venir des hordes de populations noires dans ma ville. J’ai aussi été une victime du genre : quand elle prend des décisions, une femme est forcément autoritaire, alors qu’un homme, lui, est courageux.

« Et puis, bien sûr, il y a la politique nationale. Les électeurs nous ont passé des messages : “gauche et droite c’est pareil”, “Hollande a fait des promesses qu’il n’a pas tenues”, “vous faites la même politique que Sarkozy”. Des gens de gauche nous ont dit que certaines positions, par exemple celle du premier ministre actuel sur les Roms, les ont choqués.

« Je fais partie des députés qui avaient signé la lettre pour une autre politique. Je ne suis pas sûre que cette politique de l’offre qui oublie la demande donne autant de résultats qu’on le dit. C’est vrai, la gauche doit évoluer, le monde a changé, on ne peut plus raser gratis. Mais j’aurais aimé que François Hollande soit plus offensif sur l’Europe, qu’on n’enterre pas la réforme fiscale, qu’on lance la réforme territoriale sans tous ces atermoiements. Dans les mois à venir, la suppression de la majoration retraites pour les parents de familles nombreuses va être calamiteuse, tout comme les effets de la suppression de la demi-part pour les veuves. Je suis pour une Sixième République, on n’en entend plus parler, c’est dommage. J’étais députée sous Jospin, on était mieux traité. Il paraît que ça va changer.

« Fallait-il voter le pacte Valls ? J’ai hésité, jusqu’au dernier moment. Mais je ne voulais pas mettre le gouvernement en difficulté. Je ne suis pas sûre que les électeurs trouveraient leur compte si la droite revenait au pouvoir. J’ai la faiblesse d’être collective et loyale. Je ne quitterai pas le PS, où je suis depuis trente ans. Pour faire quoi ? Le Front de gauche, c’est non. Les écolos ? C’est autant le bordel chez eux que chez nous. Je préfère travailler de l’intérieur. Mais pourquoi le PS n’écoute-t-il pas plus les gens qui ont des choses à dire, les économistes atterrés ou Pierre Larrouturou, le fondateur de Nouvelle Donne ?

« Parfois je me dis que tout ça est un immense gâchis. On avait tout, les régions, les départements, les communes, vous vous rendez compte du tabac qu’on aurait pu faire ? Tout est anéanti. Et on peut même aller encore plus bas. Pour 2017, je pense que tout est possible. Y compris changer de candidat. Mais qui peut dire aujourd’hui quelle sera la situation à ce moment-là ? »

Stéphane Travert (Manche). Député de Flamanville (aile gauche du PS, tendance Hamon)

  • TSCG : abstention
  • Accord emploi : non
  • Réforme des retraites : abstention
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : abstention

 

© Assemblée nationale

 

« C’est parce que les leçons des municipales n’ont pas été suffisamment tirées que certains d’entre nous se sont abstenus sur le plan d’économies. Je suis d’accord pour être pragmatique, parler aux entreprises. Mais ça n’empêche pas d’avoir des convictions de gauche et de parler à notre électorat. Aux municipales, ce sont bien souvent trente ans de travail militant qui ont été mis par terre.

« Nous avions rassemblé notre camp à la présidentielle. Mais aux municipales, la gauche ne s’est pas déplacée et la droite s’est beaucoup mobilisée. Notre électorat est déstructuré, les gens sont déçus et rejettent la classe politique. Nous devons désormais reconstituer notre base électorale en poussant le curseur. La population ouvrière de Flamanville, les petits retraités, c’est à eux que je m’adresse sur le terrain. Nous devons expliquer ce que nous faisons, même si on n’y est pas toujours aidé quand des gens comme Cahuzac, ou récemment un conseiller du président de la République, viennent détruire le travail militant et trahir l’idéal de République irréprochable.

« Pour les européennes, je fais campagne pour que notre camp se déplace. En 2005, j’ai milité pour le “non” au référendum, et dans mon département il l’a emporté largement. C’est difficile d’expliquer ce que fait l’Europe, dont les fonds soutiennent pourtant des secteurs importants dans ma circonscription, comme la pêche.

« Dans le nord-ouest, chez moi, Marine Le Pen est candidate pour le Front national. Elle met en avant des propositions qui ne vont pas dans le sens du rapprochement des peuples, de la cohésion sociale et républicaine. Elle n’a jamais vraiment pris position sur la question des travailleurs détachés, elle ne travaille pas au Parlement. C’est plus facile de dire comme elle le fait que l’Europe est la cause de tous les maux, d’en appeler à de vieilles lunes. Pour nous, la campagne n’est pas facile. »

 

 

Kheira Bouziane-Laroussi (Côte-d’Or)

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : non
  • Réforme des retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : abstention

 

Kheira Bouziane, dans sa circonscription
Kheira Bouziane, dans sa circonscription © DR

 

« Les 41 abstentionnistes, on nous a traités de “djihadistes »… mais si nous nous sommes abstenus, c’est au nom du progrès social promis en 2012. Je suis économiste de formation, je connais l’entreprise. Mais le patronat français est un vrai enfant gâté : ce n’est jamais assez.

« Je l’ai dit à François Hollande : si vous voulez rapprocher les deux sensibilités de la majorité, il suffit que le pacte de compétitivité comporte des contreparties. On a déjà fait le CICE sans contreparties. Les grandes surfaces vont en bénéficier alors qu’elles ne sont pas soumises à la concurrence internationale, c’est un scandale. On demande aux Français de faire des efforts mais en face, il y a quoi ? Les 50 milliards d’économie vont se traduire par des réductions dans les collectivités, l’investissement public, la sécurité sociale. J’attends avec inquiétude de savoir où on va couper : les hôpitaux sont déjà en difficulté !

« Lors des municipales, les électeurs de gauche nous ont passé un message clair : “ce qui se passe au niveau national ne nous plaît pas”. Ils vont le redire aux européennes. Les Français sont prêts à faire des efforts, ils sont réalistes, même les plus modestes d’entre nous… mais si c’est juste pour satisfaire les 3 %, ça ne leur parle pas. Il nous faut un peu d’utopie, c’est ça qui manque ! Comment voulez-vous que les gens qui tirent la langue et cherchent du travail ne trouvent pas honteux de voir les salaires que s’octroient les grands patrons ?

« On a voté de belles lois, le mariage pour tous, l’égalité femmes-hommes, les avancées sur les stages… Mais tout ce travail n’est pas visible parce que la croissance n’est pas là et nos concitoyens tirent la langue. Et puis il reste beaucoup à faire pour améliorer le système éducatif, les retraites. On savait que ça allait être difficile, mais à ce point… J’ai parfois des moments de découragement, pourquoi le nier ? Mais je ne suis pas résignée. Les attentes des Français étaient très fortes, c’est difficile de les satisfaire. »

Jean-Patrick Gille (Indre-et-Loire). Spécialiste des questions d’emploi.

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : oui
  • Réforme des retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : abstention

 

© DR

 

« Quand vous êtes parlementaire sous la Cinquième République, vous êtes soit godillot soit trublion. Je ne suis ni l’un ni l’autre. Le vote du 29 avril était l’occasion de faire un vote sur le pacte de responsabilité, et nous avons saisi l’occasion. Nous avons dit que l’exécutif devait avoir un débat avec son Parlement, comme dans toute démocratie normale. Nous avons ce problème dans nos institutions d’un président de la République qui s’occupe de tout, la guerre au Mali, les sommets européens, la crise en Ukraine, le chômage, il répond à Bourdin à la radio et gère l’affaire Leonarda, ce n’est pas possible !

« Notre rôle, c’est aussi de représenter les électeurs. Leur demande est contradictoire ; ils veulent à la fois plus de gauche et qu’on aide les entreprises. C’est notre boulot de gérer les contradictions, sinon ça part en vrille.

« Je ne suis pas au RSA mais je ne vis pas sur l’Olympe non plus, je connais la vie des gens. Et en ce moment, ils ne se sentent pas représentés à gauche, même s’ils l’expriment souvent en nous disant qu’on est coupés de leurs réalités ou qu’on est des salauds. Globalement, les 60 propositions de François Hollande ont été tenues, mais à une exception majeure : la politique sociale et économique. On ne fait pas la grande réforme fiscale, à cause de Bercy comme d’habitude. On avait dit que le coût du travail n’était pas un problème majeur, avec le CICE on change de politique en quelques jours, par amendement. D’ailleurs, je n’avais pas voté “pour” ce jour-là.

« Et maintenant on nous parle d’exonérations massives dans le pacte de compétitivité, des exonérations qui ne sont jamais évaluées. Il y a une soumission à une doxa techno-libérale portée par Bercy. Ceux qui sont au sommet de l’État n’arrivent pas à résister. Est-ce l’effet de caste ? La promotion Voltaire ? En attendant, il y a un renoncement politique.

« Je suis pour la réduction des déficits, pour des comptes sociaux à l’équilibre pour maintenir notre protection sociale, voire des gels temporaires de progression des retraites ou du salaire des fonctionnaires. Mais à la longue, c’est récessif. Et puis quelle efficacité de la politique dans laquelle on s’engage ? Total et Sanofi, qui affichent des profits conséquents, vont recevoir des chèques très importants dans le cadre du CICE.

« Quant à l’exonération totale des charges sur le Smic (annoncée par Manuel Valls dans son discours de politique générale, ndlr), c’est la fausse bonne idée par excellence. On donne 10 milliards d’exonérations supplémentaires sur les entreprises, c’est l’équivalent du budget de la politique de l’emploi en France, hors la formation professionnelle ! Et ça revient à dépenser 45 000 euros par emploi créé. Ça fait cher ! Pour créer 200 000 emplois, autant faire des aides ciblées attribuées aux entreprises qui ont embauché des salariés supplémentaires pour éviter les effets d’aubaine ! L’argent englouti là-dedans ne sera pas mis dans la réduction des déficits ou dans les investissements. Sans compter le risque de créer des pièges à bas salaires. »

 

 

Catherine Beaubatie (Haute-Vienne)

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : oui
  • Réforme retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : oui

 

© capture d’écran LCP

 

« Limoges, ma ville, était à gauche depuis 102 ans. Elle est passée à droite. Nous avons décroché de 26 points au premier tour. Dix points sont sans doute dus au contexte national. En plus des divisions, il y a aussi une certaine usure de la municipalité, une envie d’alternance. Mais au fond, tous les socialistes ont perdu car Limoges est une ville emblématique du socialisme. Nous devons évidemment nous poser des questions.

« Après, on ne gagne jamais contre son camp : nous faisons des choix, nous devons les assumer. On peut débattre, mais à un moment il faut trancher et c’est la décision de la majorité qui s’applique. Comment peut-on accorder la confiance à Manuel Valls le 8 avril et s’abstenir moins d’un mois après ? C’est laver plus blanc que blanc et faire passer les autres pour des godillots. Je ne suis pas béate. Bien sûr, la militante socialiste que je suis a parfois envie de renverser la table.

« On nous dit “vous n’êtes pas allé assez loin sur la réforme bancaire, la fraude fiscale, la finance”. Je l’entends. Mais la France n’est pas seule au monde. Et puis il y a la dette et le déficit. Tant que nous avons ces boulets aux pieds, la confiance ne reviendra pas. Les Français sont inquiets, ils ont peur de l’avenir pour eux, leurs enfants, leurs petits-enfants et veulent du pouvoir d’achat en plus. Nous sommes dans une situation jamais connue de crise économique et nous devons gouverner le pays avec des Français désabusés et qui n’ont plus de repères. Je plaide pour une vraie réforme fiscale. Des gens à petits revenus sont imposés alors qu’ils n’auraient jamais dû l’être.

« Bien sûr, je ne vais pas vous dire que je suis à l’aise dans mes baskets quand je vois et que j’entends ce que nous disent les électeurs. Mais justement Manuel Valls a envie d’aller au bout des réformes économiques, de la réforme territoriale. Il a du courage. Nos concitoyens nous jugeront dans trois ans. »

Richard Ferrand (Finistère)

  • TSCG : oui
  • Accord emploi : abstention
  • Réforme retraites : oui
  • Discours de politique générale de Manuel Valls : oui
  • Plan de 50 milliards : abstention

 

© PS du Finistère

 

« Je ne suis pas un gauchiste exalté. Mais avant de mobiliser 50 milliards d’euros, on peut quand même savoir comment cibler au mieux, surtout quand l’État n’a pas un rond ! Qu’on fasse le CICE, qu’on aide les entreprises, 1000 fois oui. Mais pourquoi en faire bénéficier la grande distribution, des assurances, les banques qui ne sont pas des entreprises de production ? Ça n’a pas de sens et on n’a jamais pu en débattre.

« Je veux bien entendre des arguments mais pas obéir à des ordres. Le contrat de majorité que nous demandions s’est transformé en ordre de mission. Et puis il y a ce fétichisme des 3 % de déficit, alors que même la Banque centrale européenne s’inquiète des risques de déflation ! Je m’inquiète de l’impact asthénique, récessif des mesures que nous prenons. On ne peut pas ajouter de l’injustice à l’inefficacité.

 

« Je me rappelle que j’ai été élu dans la continuité du discours du Bourget. Mais récemment, un électeur m’a dit “Quand Hollande au Bourget parlait de son ennemi, je ne pensais pas que c’était de moi qu’il parlait.” C’est vrai que François Hollande paraît désormais très déterminé dans sa volonté de mener sa politique, c’est assez courageux. Mais je ne n’oublie pas sur quoi nous avons été élus. En Bretagne ces derniers mois, il m’est arrivé de sonner le tocsin (Richard Ferrand s’était inquiété du climat social en Bretagne avant les Bonnets rouges, ndlr), je ne voudrais pas sonner le glas ! L’ADN de la gauche, c’est réduire les inégalités, pas « faire des gestes » de justice sociale. La gauche qui fait des gestes, c’est moi qui ai envie de lui en faire, des gestes. On ne peut pas continuer avec ces mesures qui ont abouti à rendre imposables des gens qui n’ont pourtant pas gagné un centime de plus.

« Pour les européennes, je suis assez inquiet. Parviendrons-nous à faire comprendre l’enjeu de cette élection ? Que desserrer l’étau européen peut nous permettre de travailler différemment ? Ça sent la rebelote après les municipales, même si le pire n’est jamais sûr.

« Je ne désarme pas. Après les municipales, rien ne peut être comme avant. Il faut que l’exécutif nous entende. Si le gouvernement veut que nous devenions les VRP de sa politique, il doit nous convaincre de la qualité de sa politique. Nous ne demandons pas de faire la révolution, nous demandons de discuter.

« Je n’ai pas envie de quitter le groupe PS. Je crois à l’intelligence collective des socialistes. C’est là que nous devons être féconds. Manuel Valls doit écouter et pas rejeter : nous voulons qu’il réussisse, avec nous tous ! François Hollande, mieux que quiconque, nous connaît très bien. Un bon manager utilise toutes les qualités de ses troupes. J’ai encore confiance dans notre exécutif, pourvu qu’il passe plus de temps avec ceux qui “sentent” et proposent qu’avec ceux qui « savent” et disposent… avec le succès que l’on sait.

« Mais je n’accepterai pas qu’on nous dise indéfiniment “vous devez voter ça”, et que face à nos réticences le gouvernement se contente de montrer les dents. Les esprits libres ont toujours nourri la force de la gauche. Les fan-clubs ont toujours fini en clubs fanés. »

 

La boîte noire :Huit entretiens ont été réalisés en face-à-face la semaine dernière à l’Assemblée nationale. Stéphane Travert et Richard Ferrand ont été questionnés au téléphone. Aucun entretien n’a été relu. Richard Ferrand a ajouté quelques précisions par courrier électronique.

A Mantes-la-Ville, le maire FN bloque la vente d’une salle de prière

Le processus est pourtant quasi-bouclé. Les trois acteurs de la vente, la Communauté d’agglomération de Mantes-En-Yvelines (Camy), la ville et l’Asscociation des musulmans de Mantes-sud (AMMS), sont convoqués chez le notaire ce jeudi pour signer la vente définitive. Joint par Libération, Cyril Nauth a prévenu qu’il sécherait ce rendez-vous. Au risque de voir l’affaire portée devant les tribunaux administratif et de grande instance, comme l’envisage l’AMMS. «Confiant», l’élu, mis en contact par le FN avec un avocat, dit «avoir trouvé une solution» pour échapper aux dommages et intérêts et à une éventuelle demande d’exécution forcée. Mais joue le mystère : «Je n’ai pas envie de trop en dire pour l’instant.» Pour Saïd Benmouffok, conseiller municipal (PS), le maire n’a «pas de réponse juridique. Il veut faire un geste politique, quitte à en payer le prix».

«Pas un centime à la ville»

C’est que Nauth est convaincu de devoir son élection – face à une gauche déchirée – à son opposition à la «salle de prière-mosquée». Pendant la campagne, le frontiste accusait l’ex-maire, Monique Brochot, d’«électoralisme communautariste» : «Elle a voulu manipuler les musulmans en leur proposant des mosquées en échange d’un vote à l’élection, ça a échoué.»

Le projet remonte pourtant à 2008, au début du mandat de Monique Brochot. La socialiste commence alors à travailler avec la communauté musulmane qui demande depuis vingt ans un lieu pour exercer son culte. Depuis 2002, un bâtiment lui est prêté puis loué mais le pavillon de 70m2, trop exigu, n’est pas conforme aux normes de sécurité et d’hygiène. En 2011, ils s’accordent sur un lieu, l’ancienne trésorerie municipale, proche du quartier des Merisiers, qui peut accueillir jusqu’à 690 personnes et que l’AMMS souhaite acheter.

Le bien appartient à la Camy mais l’intercommunalité préfère passer par l’intermédiaire de la municipalité qui détient la compétence «culte». Une opération immobilière classique : il est convenu de vendre la salle à la ville, qui la revend illico à l’association. «C’est une opération blanche pour la ville, qui ne lui coûte pas un centime, ni TVA ni frais de transaction», souligne Abdelaziz El Jaouhari, président de l’AMMS.

«Les adhérents FN n’ont pas de permanence»

Des délibérations sont votées à l’automne 2013 en conseil municipal et au sein de la communauté d’agglomération débouchant sur la promesse de vente, signée en décembre. L’association obtient aussi le permis de construire et le feu vert de la commission départementale de sécurité. Et réunit, via des dons et des prêts aux fidèles, les 650 000 euros qu’elle dépose chez le notaire début mai. Ne manquait qu’une ultime signature. Entre-temps, la commune de 20 000 habitants est passée à l’extrême droite.

Nauth n’en démord pas : le projet de vente masquait la construction d’une mosquée. Il en veut pour preuve le visuel mis en ligne sur le site de l’AMMS, représentant l’actuelle trésorerie surmontée d’une mini-coupole et d’un minaret. Il critique aussi l’emplacement choisi, le «manque de concertation» et maintient que «des mosquées existent déjà dans le Mantois» : «Les adhérents FN aussi sont nombreux et on n’a pas de permanence !»

«Mais nous payons nos impôts ici !», proteste Abdelaziz El Jaouhari, qui rappelle que les autres religions disposent de lieux de culte. Quant à un minaret, il assure que le projet, «loin d’être ostentatoire», n’en comporte pas : «Que le maire consulte le permis de construire, il n’en est pas question.» Depuis leur entretien mi-avril, le président de l’AMMS n’a pas de nouvelles de l’élu FN.

Cyril Nauth contre-attaque en évoquant les querelles entre El Fethe, la première association qui a piloté le projet et l’AMMS, créée en octobre 2013. Dénonçant une «manipulation politique», il accuse El Jaouhari soit de rouler pour le PS soit d’être proche de Pierre Bédier, président du conseil général (UMP) des Yvelines. Peu importe : «De toute façon c’est l’UMPS.» «Il n’est même pas mantevillois», balance encore Nauth… qui réside toujours à Mantes-la-Jolie. «Tout ça c’est pour se défiler et esquiver les vraies questions : les musulmans n’ont-ils pas droit à un lieu de culte ? La ville est-elle engagée par des actes de vente qu’elle doit honorée ?», réplique El Jaouhari. Son association compte manifester devant la mairie vendredi pour être reçue par Cyril Nauth.

Laure EQUY

Libre-échange : qui pense quoi sur le Tafta ?

Le principe du traité, le modus operandi des discussions et l’impact sur notre législation divisent profondément les partis en compétition pour le scrutin du 25 mai. Décryptage des positions prises par les candidats EE-LV, Front de gauche, PS, UMP, Alternative et FN.

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Un débat crucial pour EE-LV et le Front de gauche

Ateliers de lecture, clips sur le Web, débats centrés sur le Tafta, agit-prop, etc. Le Front de gauche et Europe Ecologie-les Verts veulent profiter de l’élection pour mobiliser contre le partenariat transatlantique, dossier le plus important, selon eux, sur le bureau des prochains eurodéputés et de la future Commission. «Ce traité c’est la fin du projet européen, la fin de notre capacité à décider de nos choix, la remise en cause de notre souveraineté, une faute politique considérable», attaque l’écologiste Yannick Jadot. Le Front de gauche s’empare de la campagne comme d’un référendum pour ou contre le Tafta, et s’assigne une mission d’«éducation populaire» sur l’accord UE-Etats-Unis. «Comme pour le Traité constitutionnel européen en 2005, on va chercher l’info, on fait de la pédagogie, compare Raquel Garrido, candidate en Ile-de-France. Le fait que l’on en sache aussi peu est en soi un signal d’alerte.»

Car les «anti» dénoncent d’abord l’opacité dans lesquelles sont menées les discussions entre le commissaire européen au commerce Karel de Gucht et son homologue américain. Les Etats-membres et le Parlement européen ont donné mandat à la Commission pour négocier en leur nom. Si le texte a été connu, c’est accidentellement, au détour de fuites dans la presse. Et quatre cycles de négociations ont déjà eu lieu sans que les citoyens en sachent les détails, pointent les opposants. Pour Jadot, «cela renforce le sentiment que l’Europe travaille sans les citoyens ou contre eux».

Si «l’oligarchie avance dans le dos des peuples», c’est qu’elle ne négocie pas franchement dans leur intérêt, reprend Raquel Garrido. Front de gauche et EE-LV redoutent que l’harmonisation des normes européennes et américaines, condition à l’ouverture d’un grand marché commun, ne se fasse au détriment de l’UE, plus avancée dans ce domaine, et à l’avantage des grands groupes. «Ils préparent une harmonisation par le bas de nos législations au profit de l’extension de nos multinationales», accuse Jadot, qui cite l’exemple des exploitations agricoles et prédit la «fin des petits paysans en Europe» : «Une ferme américaine, c’est en moyenne 180 hectares contre 13 hectares en Europe, 1 000 vaches aux Etats-Unis, 50 en Europe. Comment lutter ? L’accord risque de les saborder.»

Le point le plus dur pour les opposants au texte : un différend opposant un investisseur à un Etat pourrait, selon ce que prévoit le Traité, être arbitré par un tribunal privé. Garrido y voit un signe de «défiance à l’égard de notre système juridique» : «nos tribunaux sont assez indépendants et justes pour traiter également les investisseurs européens et étrangers.» Négociateurs «illégitimes», «logique néolibérale» et risque de «régression de notre protection sociale, sanitaire, environnementale» : les députés du Front de gauche ont déposé une proposition de résolution pour suspendre le processus, qui sera débattue le 22 mai à l’Assemblée nationale… Trois jours avant les européennes.

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Le PS «vigilant» mais discret

«L’accord transatlantique est propice au déchaînement des fantasmes et des bobards, certains en font une exploitation», balance l’eurodéputé socialiste Henri Weber. Front de gauche et écolos «ont besoin d’agiter cela pour exister», renchérit Guillaume Balas, numéro deux de la liste PS en Ile-de-France. S’ils s’agacent de la campagne des «anti» et alors que François Hollande a prôné l’accélération des discussions, les socialistes ne sont pas pour autant enthousiasmés par le Tafta. Dans le texte de sa convention «Europe», le PS, «extrêmement réservé», freine même des quatre fers, appelant à «ne pas se précipiter». Sans aller jusqu’à réclamer l’arrêt des discussions avec les Etats-Unis. Pour Henri Weber, le traité, s’il est bien ficelé, comporterait deux avantages clés: l’accès plus large des entreprises européennes aux marchés publics américains – ouverts seulement à 35% aux étrangers contre 85% pour les marchés publics européens – et la «bataille mondiale pour le pouvoir normatif». «Si Européens et Américains s’entendent, leurs normes s’imposeront comme les normes mondiales. Sinon ce sera Pékin et les émergents qui fixeront les leurs», prévient l’eurodéputé qui ne brigue pas de nouveau mandat.

Surtout, le PS veut rassurer, «dédramatiser» dixit la secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Fleur Pellerin. Dans son mandat de négociation, le Parlement européen a posé des «lignes rouges» : interdiction de toucher à l’audiovisuel, la culture, la défense, protection des données personnelles et des ambitions environnementales de l’UE. Et le groupe d’eurodéputés socialistes a rajouté une série de conditions dont l’exclusion du Traité des fameux tribunaux privés. Ce qu’a répété Martin Schulz à Mediapart : «Il faudra un accord juste, transparent, symétrique et sûr, pour le bénéfice de l’ensemble des citoyens.» Si les normes européennes sont abaissées, les socialistes promettent que le traité «ne verra pas le jour» et invoquent un triple verrou : l’accord devra être voté par le Parlement européen à la majorité absolue, ratifié à l’unanimité par les Etats-membres et adopté par les parlements nationaux des 28. Or les députés européens ont déjà rejeté des traités internationaux, comme Acta (accord commercial anti-contrefaçon) en juillet 2012. Le Tafta devra être ultra-consensuel ou ne sera pas, assure Guillaume Balas : «Si le texte contient ce qu’on entend aujourd’hui, j’y serais opposé. Qui peut penser que le Parlement acceptera la création de tribunaux arbitraux, l’imposition des normes américaines et la fin des contrôles pour la finance ? Je ne vois même pas comment la droite voterait ça !»

A l’UMP, un «a priori favorable»

Les accords de libre-échange, Alain Lamassoure connaît bien, pour en avoir négociés il y a vingt ans lorsqu’il était ministre du gouvernement Balladur. Il justifie donc sans complexe le déroulement des discussions dans le plus grand secret : «Comme au poker, on garde ses cartes en main. On n’annonce pas à l’avance les concessions que l’on acceptera.» Loin de craindre un nivellement des normes par le bas, l’eurodéputé qui mène la campagne UMP en Ile-de-France estime que l’UE, ayant engagé une harmonisation de ses normes depuis trente ans, a une longueur d’avance et se trouverait «en position de force» face aux Américains. Par contre, comme le PS, il s’oppose à l’idée de l’arbitrage privé investisseurs-Etats : «Il suffit de l’interdire, on ne va pas juger à l’avance que c’est un problème insoluble», balaie Lamassoure. Et si le bras de fer n’avantage pas l’UE, «on arrêtera les frais et on ne votera pas». L’UMP évoque d’une ligne le Tafta dans son programme – prônant seulement «le principe de réciprocité» –, le sujet est de nature à diviser la droite. «Beaucoup plus réservé», un député du courant Droite populaire, souverainiste, voit dans le traité l’illustration des deux visions de l’UE qui cohabitent à droite.

Les centristes fermes sur les standards européens

Pas sûr que cet argument séduise les centristes. Plus fédéralistes que l’UMP, ils semblent toutefois extrêmement méfiants à l’égard du Tafta. Refusant de «laisser Washington piétiner les intérêts européens sans avoir le courage de les défendre avec fermeté», Jean Arthuis a livré une virulente tribune anti-marché transatlantique,dans le Figaro. Et l’Alternative, l’alliance UDI-Modem, a appelé à «refuser la dégradation des standards de qualité» et défend le modèle européen, «pas négociable». «Dans l’état actuel, la France doit manifester fermement ses désaccords», exigent les centristes également opposés à la mise en place d’une «justice arbitrale aléatoire».

Le FN opposé à un «jeu de massacre ultralibéral»

En avril, Marine Le Pen lançait, dans une vidéo, «un appel solennel» pour «faire éclater la vérité sur les dangers» du Traité qui «menace la santé des consommateurs» et favorise «la rapacité des spéculateurs et des banques». Sa formation dénonce aussi un «jeu de massacre ultralibéral» et «l’assujettissement définitif au droit des multinationales». Et promet que ses eurodéputés «voteront contre la ratification». Ce qui n’a pas empêché certains élus régionaux du FN de s’abstenir ou de voter contre des propositions de résolution déposées par la gauche déclarant symboliquement leur collectivité (Picardie, Paca) «zones hors-Tafta».

(1) Tafta (Transatlantic Free Trade Area), TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), PTCI (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), GMT (grand marché transatlantique).

Laure EQUY