Urgence pour une politique d’hospitalité
(Tribune publiée dans « Libération » du 24 janvier 2012, à l’initiative de la CIMADE, Paris)
Depuis près de 40 ans, le dogme de la fermeture des frontières structure les politiques publiques en matière d’immigration. L’Europe s’est cadenassée face aux migrants, tout en délégitimant toute alternative fondée sur la solidarité et les droits, jugée coupable d’irréalisme et de naïveté.
Pour nous, l’état des lieux est sans appel : incapable de répondre aux objectifs qu’elle s’est donnée, cette politique inefficace provoque de surcroit des dégâts humains considérables et met en péril nos libertés.
En plaçant les migrants et leurs familles dans un dédale administratif et des conditions de plus en plus inatteignables pour l’obtention d’un titre de séjour stable, ce sont des dizaines de milliers de sans droits que la législation a créés, pour le plus grand profit de secteurs entiers de l’économie française qui peuvent ainsi utiliser une main d’œuvre docile et bon marché. Peu à peu, en matière de santé, de protection sociale, de logement ou de formation, l’exclusion est devenue la règle, le droit l’exception.
Et pour ceux qui espéraient encore des conditions de vie différentes de celles qu’ils avaient fuies de leur pays d’origine, les objectifs chiffrés d’expulsion ont signifié un message clair : vivez cachés ou l’expulsion vous attend.
Les étrangers auront ainsi, depuis près de 40 ans, subi le sort souhaité à tous par les tenants du dogme libéral : déconstruire les droits pour en revenir au « tous contre tous », baser les rapports humains sur la valeur marchande et la prédation, en finir avec les principes de solidarité, d’égalité, de justice. Construire une société de « sans droits ».
Dans le même temps, le poison des vieux démons xénophobes et racistes n’en finit pas de prospérer sur le terreau de la désespérance sociale. La haine de l’étranger ou de l’autre continue plus que jamais à scander le rythme des discours politiques, détournant le regard des citoyens des enjeux autrement plus graves de sous-emploi, d’inégalités sociales et d’injustice fiscale. Dans ce contexte, l’intégration des immigrés est devenue une injonction généralisée, visant à discriminer les étrangers en s’appuyant sur l’argument de « l’assimilation » à de supposées « valeurs communes », qui ne sont que le masque d’un nationalisme d’exclusion.
Nous affirmons que notre conception du « vivre ensemble » n’est pas construite sur ces valeurs et qu’elle en est même aux antipodes. À la désespérance et la haine, nous opposons l’urgence d’un nouveau pacte citoyen qui nous rassemble en termes de droits comme d’obligations, quel que soit l’endroit où nous sommes nés.
C’est à la réalisation d’une politique d’hospitalité que nous appelons, en France comme en Europe. S’appuyant sur l’égalité des droits, la solidarité et l’ouverture au monde, cette politique doit promouvoir une véritable citoyenneté de résidence, afin d’en finir avec les discriminations légales et d’inventer un droit à la mobilité qui place, au même rang, l’intérêt des migrants et l’impératif des États de garantir la paix et la sécurité.
Réalisable, s’appuyant sur des propositions concrètes, cette politique d’hospitalité posera en acte une vision ouverte de l’avenir, considérant les migrants, à l’égal de nous-mêmes, comme des êtres au parcours intelligible, acteurs du monde et parties prenantes de la solution aux défis de notre temps.
Signataires :
Michel Agier, ethnologue et anthropologue, Étienne Balibar, philosophe, Pascal Blanchard, historien, Claude Calame, anthropologue et historien, Pierre Encrevé, linguiste, Didier Fassin, anthropologue et président du Comede, Nancy Green, historienne, Rose-Marie Lagrave, sociologue, Olivier Mongin essayiste, directeur de la revue Esprit, Gérard Noiriel, historien, Jean Pierre Olivier de Sardan, ethnologue, Patrick Peugeot, président de La Cimade, Jacques Rancière, philosophe, Michel Wierviorka, sociologue, historien, Pierre Zaoui, philosophe.
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