Le projet de loi Besson : une atteinte aux droits fondamentaux ?
Compte-rendu de la réunion organisée par la LDH Paris 10/11 le 27 septembre 2010
Avec : Dominique Noguères (vice-présidente de la LDH et avocat, droit des étrangers), Catherine Teule et Michel Zumkir (responsables du groupe de travail Etrangers/Immigrés de la LDH).
Que se cache derrière un texte à l’apparence technique et présenté comme tout simplement la transposition dans le droit français de directives européennes ? Un durcissement considérable des lois concernant l’immigration et les demandes d’asile, nous montrent Dominique Noguères, Catherine Teule et Michel Zumkir, qui banalise l’idée populiste que l’étranger est le fraudeur, le voleur, le violent qu’il convient de contraindre et d’éloigner.
Le droit des étrangers est codifié dans le CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), qui, loin d’être en faveur des étrangers, restreint leur entrée sur le territoire français, leur séjour et leur droits face aux procédures de reconduite à la frontière. Le projet de « loi Besson », projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité, le 5ème texte en 7 ans, a pour ambition de complexifier et de réduire encore les droits des étrangers en France. Peu importe que certaines mesures, telle que celle concernant la déchéance de la nationalité, ne soient quasiment pas applicables : ce texte est avant tout là pour montrer les muscles d’un gouvernement qui non seulement mène une politique xénophobe, mais entretient des réactions primaires de la peur de l’étranger.
Il s’annonce comme la nécessaire transposition des directives « retour » (la fameuse « directive de la honte »), « carte bleue européenne » et « sanctions », en traduisant des « peut » par des « doit ».
A la possibilité d’expulser l’étranger le texte ajoute celle de le bannir du territoire européen. Quelles conséquences pour des familles démembrées, qu’un père ou une mère ne pourrait rejoindre pendant des années ?
Il inverse les procédures en retardant l’intervention du juge des libertés (qui statue sur les conditions de la rétention), ce qui permet de d’abord statuer, avec le juge administratif, sur si l’étranger peut ou non prétendre à un titre de séjour. Ce qui diminue considérablement ses garanties contre les procédures abusives.
Il institue la « carte bleue européenne », réservée aux étrangers à très haute qualification (revenu mensuel minimum de 3890 Euros) : quid du statut de son conjoint, en général une femme ? Devra-t-elle/il subir l’obligation conjugale, y compris dans le cas de violences familiales, conjugales ?
Il institue un droit pour les travailleurs sans papiers d’assigner son employeur et d’obtenir des indemnités de 3 mois de salaire. Mais aujourd’hui, les prud’hommes sont souvent plus généreux.
Il crée des zones d’attente ad-hoc, permettant de considérer que tout lieu ou se tient un groupe de demandeurs d’asile (10 personnes ? 2 ?) est une zone dans laquelle peuvent être mises en œuvre les procédures d’urgence : comme c’est le cas aujourd’hui dans les zones aéroportuaires, les dossiers de demande d’asile seront expédiés sans être traités sur le fond, sans même examiner le pays dont vient le demandeur d’asile. Quid du droit d’asile des exilés afghans, pakistanais, africains de la « jungle » de Calais, du 10ème arrondissement de Paris ? Ils suffira de prétendre qu’ils viennent d’arriver pour les renvoyer dans leur pays avant même que leur dossier soit examiné par la Cour du droit d’asile ! Il s’agit là d’un véritable détournement du droit d’asile.
Il requiert que le demandeur d’asile présente des papiers (passeports, visas…), ce qui est une aberration considérant les conditions dans lesquelles ils ont pu fuir leur pays.
Il aiguise une épée de Damoclès en menaçant des étrangers – en situation régulière ! – d’être expulsés simplement parce qu’ils sont passibles de poursuites pénales, avant même d’avoir été jugés.
L’élargissement de la déchéance de nationalité à des auteurs d’atteinte à l’intégrité physique d’un dépositaire de l’autorité publique est probablement inapplicable. Pour autant, elle introduit l’idée que l’étranger est forcément un délinquant, que le meurtre d’un policier est plus grave lorsque que commis par un étranger. Et la possibilité de déchoir de la nationalité ne risque-t-elle pas d’être étendue encore ?
L’accès à la nationalité pour les enfants nés en France risque d’être durci également, avec l’ajout d’une démarche à effectuer à partir de la majorité, ce qui mettra les jeunes adultes dans des situations d’incertitude.
La carte de séjour pour les étrangers malades est également mal en point : alors que le Conseil d’Etat, cet été, a précisé qu’il faut que le malade ait accès au traitement dans son pays, il suffira que le traitement soit réputé y exister pour expulser la personne malade. C’est envoyer des centaines de personnes à la mort, et multiplier le danger sanitaire ailleurs et en France.
La seule note positive est le rejet d’un amendement visant à ne plus considérer la violence faite aux femmes.
Les associations de défense des étrangers de toute nature manifestent leur opposition à ce projet de loi, mais il est à craindre qu’il ne soit encore durci lors des discussions à l’Assemblée nationale. Dans l’indifférence générale ?
Pour plus d’information
– La lettre ouverte de l’UCIJ : http://www.contreimmigrationjetable.org/spip.php?article943
– Le communiqué de presse ALERTE de l’UNIOPS (Unir les (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) : http://www.uniopss.asso.fr/
– Le site de la Ligue des droits de l’Homme, rubrique Etrangers : http://www.ldh-france.org/
– et les sites de toutes les associations de défense des étrangers.