Article du Monde : « Pour mettre fin à la ‘question rom’, il faut leur ouvrir l’accès au marché du travail »
« Pour mettre fin à la ‘question rom’, il faut leur ouvrir l’accès au marché du travail »
Le Monde.fr | 29.07.2011
Eric : Quelles sont les différences entre gens du voyage et Roms ?
Laurent El-Ghozi : On entend sous le nom de Roms, qui veut dire « homme adulte » en langue romani, une population de 10 à 12 millions d’habitants présents dans tous les pays européens et rassemblés par une origine historique, une culture, une langue, et partout victimes de discriminations.
Ce sont les Tsiganes, les Manouches, les Sintis, les Gitans… En France, il n’y a pas de minorité ethnique, mais la désignation d’une catégorie administrative : les gens du voyage, définis par leur mode de vie itinérant. Tous les gens du voyage sont français, la majorité d’entre eux sont tsiganes ou roms.
Ceux qu’on appelle les gens du voyage se reconnaissent, pour la majorité d’entre eux, sous le terme de Roms, mais sont définis par leur mode de vie itinérant et une catégorisation administrative. Ils sont de 400 000 à 600 000 en France et subissent eux aussi de nombreuses discriminations : droit de vote, titre de circulation à faire viser par la gendarmerie tous les trois mois, difficultés de stationnement et d’accès à l’habitat… Ils sont représentés par plusieurs associations nationales : UFAT, ANGVC, ASNIT. La Fnasat rassemble une centaine d’associations qui travaillent avec et pour les gens du voyage sur tout le territoire français.
Anaïs : Comment jugez-vous l’influence de l’Union européenne sur la situation des Roms en France ?
L’Union européenne avait décidé il y a six ans qu’on entrait dans la décennie des Roms, 2005-2015, avec comme priorité l’amélioration de leur situation partout en Europe. Pour 10 à 12 millions de Roms. Six ans après, dans tous les pays d’Europe, y compris en France, la situation s’est aggravée.
Les déclarations du président Sarkozy il y a un an stigmatisant les Roms, gens du voyage, supposés être délinquants, vont dans le sens de cette stigmatisation accrue. La position de Mme Reding est parfaitement légitime. Elle pointe le côté délibérément raciste d’une politique désignant une population sur des bases ethno-raciales, réelles ou supposées.
Aujourd’hui, toutes les institutions européennes et internationales attendent de la France et de tous les pays européens un plan pour améliorer la situation des Roms et des gens du voyage.
Anaïs : d’après vous donc, l’Union européenne, par son (in)action, aurait donc une influence plutôt néfaste sur le sort des Roms en Europe et la décennie des Roms n’aurait eu comme effet que de les stigmatiser ?
La politique européenne depuis des années n’est pas efficace. Il y a actuellement une volonté réaffirmée d’améliorer la situation des Roms dans tous les pays d’Europe : en Hongrie, en Roumanie, au Kosovo, en Italie, en France. Des financements sont débloqués, mais il manque d’opérateurs fiables, en particulier dans les pays d’origine, et une volonté politique de ces Etats.
Il faut rappeler que, jusqu’en 1856, les Roms étaient esclaves en Roumanie. D’où la représentation qu’en a la population.
David : La défaite de Sarkozy en 2012 sera-t-elle un soulagement pour votre communauté ? Le programme du PS est-il meilleur ?
Je ne suis pas rom, mais gadjo. Les gadje sont tous ceux qui ne sont ni roms, ni tsiganes, ni gitans, ni manouches. Je suis également élu socialiste depuis vingt ans. Je suis convaincu qu’un gouvernement socialiste aura la volonté dès 2012 de mettre fin aux mesures transitoires, permettant ainsi aux Roms roumains d’être considérés comme des citoyens européens et d’accéder normalement au marché du travail. Il n’y aura donc plus de « question rom ».
Bruno : Depuis l’été dernier, le gouvernement ne parle plus de Roms mais de citoyens roumains. Est-ce une réponse positive aux critiques des associations ?
Bien sûr. Je me souviens d’une conférence de presse où le ministre de l’intérieur parlait de Roms, quand le préfet de police ne parlait que de Roumains. Dans un cas, propos racistes ; dans l’autre cas, propos simplement « xénophobes ». Reste qu’en parlant de Roumains migrants, le gouvernement actuel fait exclusivement référence aux Roms.
Julien : Perçoit-on toujours la même hypocrisie de la part des élus PS qui s’insurgent devant les propos du président, mais qui une semaine plutôt envoyaient des circulaires demandant l’évacuation de camps de Roms ?
D’une part, la demande d’évacuation de bidonvilles de Roms migrants répond à des impératifs d’hygiène et de sécurité qu’on ne peut pas balayer d’un revers de main. D’autre part, la question de l’immigration des Roms roumains est évidemment une question de responsabilité nationale, mais dont la gestion retombe inévitablement sur les collectivités locales, quelle que soit leur couleur.
De plus en plus de villes de gauche essaient de mettre en place des dispositifs d’accueil moins inhumains. Cela reste un cautère sur une jambe de bois, car la seule solution, c’est la levée des mesures transitoires qui interdisent aux Roms et aux Bulgares de travailler légalement en France.
Thomas : Certains viennent pour trouver une aide, d’autres sont organisés pour truander les touristes. Quand on voit ses derniers tous les matins je comprends l’envie de certains de les chasser de leur pays mais quelle serait la meilleure solution ?
Deux choses : lorsque des gens viennent en France pour des raisons à la fois économiques et de persécution réelle dans leur pays et qu’ils ne peuvent pastravailler légalement dans le pays d’accueil, d’une part ils sont obligés d’essayerde gagner leur vie comme ils peuvent, par exemple par la vente de journaux, par la mendicité, par de petits boulots au noir, et d’autre part ils sont comme tous les pauvres démunis, victimes de bandits qui exploitent leur misère.
David : Justement, pourquoi n’ont-ils pas le droit de travailler ?
Les mesures transitoires que la France a instaurées au moment de l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne, faites pour protéger le marché du travail, interdisent en réalité tout accès au travail salarié normal pour les Roumains et les Bulgares. Ces mesures courent jusqu’à fin 2011.
Le gouvernement a déjà annoncé qu’il les prolongerait jusqu’à fin 2013, date limite. En réalité, il y a 15 000 Roms migrants en France, soit 3 000 à 4 000 personnes susceptibles de chercher un emploi. Tous les Roms depuis vingt ans qui ont eu untitre de travail leur permettant de travailler légalement ont trouvé du travail, paient leurs impôts, se sont logés, ont scolarisé leurs enfants, et ne sont plus une charge pour la France.
Il faut ajouter que sont considérés comme délinquants par la police tous les Roms qui ne sont plus en situation régulière sur le territoire.
Thomas : En France, leur interdit-on de travailler normalement ?
Les mesures transitoires, maintenues en place seulement par dix pays européens, imposent, pour avoir un titre de séjour, d’obtenir un contrat de travail. Celui-ci est soumis à trois conditions : être dans le cadre des métiers dits sous tension, pour lesquels on manque de main-d’œuvre ; trouver un employeur qui paie une taxe de 800 à 1 600 euros ; obtenir l’accord de la direction du travail, qui peut mettre deux à six mois.
Il est donc exceptionnel de trouver un employeur qui accepte ces conditions en dehors des employeurs militants ou associatifs.
Voisine : Que permettrait la levée des mesures transitoires ? Car d’autres migrants ont des conditions d’accès à l’emploi encore plus dures, et trouvent quand même du boulot. Par exemple les migrants d’Afriquesubsaharienne. Y a-t-il d’autres raisons qui expliquent les difficultés d’accès à l’emploi, le manque de réseaux par exemple ?
D’une part, les Roms roumains et bulgares sont européens et bénéficient du droit de libre circulation et de libre installation garanti par les conventions européennes. Ils devraient donc pouvoir, comme les Polonais, les Espagnols ou les Anglais, accéder au marché du travail et vivre décemment.
Effectivement, ils ont peu de réseaux, ils sont très peu nombreux, et surtout, souffrent d’un rejet de la part de leurs concitoyens non Roms. Par ailleurs, les migrants d’Afrique vivent dans d’aussi mauvaises conditions et travaillent au noir sans couverture sociale ni aucun droit social.
Pierre : Vous dites que ces mesures transitoires sont appliquées dans 10 pays. Qu’en est-il de la situation des Roms dans les autres pays ?
Prenons par exemple l’Espagne, qui a levé les mesures transitoires l’année dernière, et n’a enregistré aucun afflux massif de Roumains ou de Bulgares. Les Roms roumains présents en Espagne, beaucoup plus nombreux qu’en France, trouvent du travail aussi difficilement que les autres migrants européens, mais pas plus. Il n’y a donc pas de question spécifiquement rom, mais l’interdiction qui leur est faite, encore une fois, de gagner légalement leur vie.
Voisine : L’Espagne qui veut maintenant rétablir les mesures transitoires…
Pas à ma connaissance, mais tout est possible. Ce serait regrettable et contraire aux recommandations européennes.
David : Y a-t-il un « intérêt » pour l’Etat français à les maintenir dans la marginalité ?
Les mesures transitoires permettent d’avoir une population de quelques milliers de personnes boucs émissaires idéaux, qui focalisent les peurs, les haines, et justifient des lois de plus en plus sécuritaires. Ainsi, la Loppsi 2, initialement faite pour lutter contre les installations illicites de Roms, autorise aujourd’hui les préfets à expulser sans mesure judiciaire toutes les occupations, y compris sur des terrains privés ou municipaux.
La fabrication par les mesures transitoires de ce groupe de boucs émissaires justifie les discours xénophobes et racistes et libère cette parole de la part de la droite de l’UMP. Sa fonction politique est donc évidente.
David : Les Roms ont-ils toujours l’envie de venir en France malgré ces discours xénophobes et les mesures policières ?
Le fait est que l’immigration des Roms roumains se poursuit au même rythme malgré les expulsions – plus de 10 000 en 2010 – et les conditions de vie que nous leur réservons. Comme ils disent : « Il y a plus à manger dans vos poubelles que chez nous. »
Pour autant, le nombre de Roms roumains présents sur le territoire est stable à environ 15 000 depuis des années.
Thomas : Mais que faire ? Tous les jours à Palais-Royal à Paris, ils sont des dizaines de moins de 16 ans. N’existe-t-il pas chez les Roms une culture de la mendicité ?
Il y a une culture de la pauvreté et quand on est pauvre, tous les moyens sont bons, surtout lorsqu’on vous interdit de travailler normalement. En Roumanie, les Roms ne mendient pas, les Roms ne vivent ni en caravanes ni en bidonvilles. Et pourtant ils sont très discriminés, en particulier sur le marché du travail.
Pierre : Les vrais responsables de la situation difficile des Roms en Europe ne sont-ils pas les dirigeants roumains à qui il incombe en priorité d’accepter et d’intégrer cette frange de sa population ? Pourquoi l’UE, qui verse des aides au développement importantes à la Roumanie, n’impose pas aux dirigeants roumains de faire des efforts ?
Bien sûr, la responsabilité de la Roumanie est entière. Mais c’est un pays encore désorganisé, pauvre, avec de multiples priorités qu’il considère, à tort pour moi, comme supérieures à la situation des Roms. Ceux-ci sont environ 2 millions en Roumanie. Pour autant, la France, cinquième puissance économique mondiale, doit pouvoir accueillir 15 000 Roms originaires de Roumanie sans difficulté si elle le veut.
Ce n’est donc, encore une fois, qu’une question politique.
David : Que pensez-vous du rapport sanitaire dramatique publié cette semaine par Médecins du monde ?
Depuis 1993, Médecins du monde, grâce à sa mission « Banlieue », essaie defaciliter l’accès aux soins pour les Roms migrants. La situation décrite aujourd’hui montre une aggravation par rapport aux années précédentes, liée en particulier à la multiplication des évacuations de terrains. Impossible en effet d’assurer un suivi de soins, de prévention, de vaccination, lorsque les personnes sont déplacées toutes les trois ou six semaines.
Cela a également des conséquences négatives pour l’ensemble de la population présente sur le territoire.
Pierre : Le mode de vie itinérant n’est-il pas un frein à l’accession à une activité professionnelle stable ?
Les Roms de Roumanie ne sont pas des nomades. Ils ne vivent pas en caravanes, mais en maisons, depuis des dizaines d’années. S’ils se sont installés dans des caravanes pourries en France, c’est faute d’autre abri. Il n’y a donc aucune raison de considérer que le fait d’être Rom implique une quelconque difficulté d’accéder à un emploi stable.
David : Les événements de Nîmes entre communauté gitane et maghrébine (violences, vendettas) participent aux clichés sur les gens du voyage, même sédentaires. Comment luttez-vous contre cela ?
Les événements de Nîmes ne concernent pas des Roms, mais des gens du voyage français. Qu’il y ait des frictions entre différentes communautés ne concerne pas seulement des gens du voyage, mais aussi des Africains, des Maghrébins… Donc je ne crois pas qu’il faille faire de cette histoire une généralité.
La question de la mauvaise image des gens du voyage est essentiellement liée à une culture différente, et en particulier en période de crise, tout ce qui est différent de nous est facilement rejeté.
Pierre : Etes-vous pour l’occupation illégale de terrains par les Roms ou pour des propositions de logement légales alternatives ? Que proposez-vous ?
Il est évident que les Roms, comme tous les citoyens européens, doivent pouvoiraccéder au marché de l’emploi d’une part, à celui du logement d’autre part, sans discrimination particulière. L’occupation illicite de terrains, qu’elle soit autorisée ou non par les municipalités, est évidemment un pis-aller indigne.
Voisine : Les Français vous paraissent-ils plus informés sur la situation des Roms ?
Le seul effet positif du discours de Grenoble a été une mobilisation d’un nombre important de citoyens militants, collectifs de soutien, associations de droits de l’homme ou antiracistes. Au niveau français comme au niveau européen.
Le fait qu’aujourd’hui encore un chat du Monde.fr oblige à répondre à des questions dont les réponses ont déjà été apportées depuis un an montre que le travail sur les représentations négatives et les discriminations n’est jamais terminé. Information : le 1er octobre 2011 aura lieu dans un certain nombre de capitales européennes la première « Roma Pride », manifestation de la fierté des Roms.
Amaury : Les rois autoproclamés des Roms ont-ils fait quelque chose pour leur communauté ?
Les rois autoproclamés sont des chefs de communautés plus ou moins étendues, mais ne représentent pas grand-chose aux yeux des Roms eux-mêmes, et surtout vis-à-vis des institutions. D’autres responsables Roms s’imposent progressivement dans les institutions nationales et européennes, en particulier le Forum européen des Roms, qui réunit depuis un an des représentants roms de tous les pays européens et tente de peser sur les politiques européennes.
Chat modéré par Eric Nunès
source : Le Monde