A Casablanca, entre le passé et le présent, cinq destinés sont reliées sans le savoir.
Différents visages, différentes trajectoires, différentes luttes mais une même quête de liberté.
Et le bruit d’une révolte qui monte….
Sortie le 14 mars 2018
Après Ali Zaoua, prince de la rue (2000) sur les enfants des rues, Les Chevaux de Dieu (2012) qui mettait en scène des garçons des bidonvilles devenus terroristes kamikazes, et Much Loved (2015) sur la prostitution à Marrakech, le réalisateur franco-marocain, Nabil Ayouch, réalise avec Razzia un film puissant et provoquant, qui aborde frontalement un certain nombre de tabous de la société marocaine.
Nabil Ayouch eut à faire face pour son précédent film, Much Loved, à des réactions violentes au Maroc. Le film a non seulement été interdit par la censure, mais a déclenché une véritable vindicte populaire. Son actrice principale, agressée à Casablanca, a dû quitter le Maroc : « J’ai compris à ce moment-là qu’une censure populaire avait pris le relais de la censure politique, se souvient le cinéaste. La censure politique s’était arrêtée à l’interdiction de mon film. La censure populaire est allée beaucoup plus loin. C’est elle qui nous a fait le plus de mal ». Etre pris pour cible par les partisans d’un durcissement de l’ordre moral et religieux a fait de Nabil Ayouch une figure de proue du Maroc progressiste.
Si les personnages de ses précédents films étaient à la marge de la société, avec Razzia Nabil Ayouch est en plein cœur de la société marocaine. Le scénariomêle les destinées de personnages qui ne se connaissent pas mais sont liés par un même sentiment d’étouffement. Nabil Ayouch explique : « Ils représentent une majorité, les uns additionnés aux autres, mais une majorité silencieuse. Ils portent en chacun d’eux une part de rêve, de volonté d’exister, de souffle de liberté et ça nous semblait important, de les faire exister indépendamment les uns des autres ».
Le film met donc en scène plusieurs personnages dans des contextes différents. Salima, interprétée par Maryam Touzani – compagne du cinéaste et co-scénariste – incarne une femme asphyxiée par l’emprise d’un mari qui contrôle ses moindres faits et gestes, ses tenues vestimentaires, refuse qu’elle fume, qu’elle travaille… Hakim, jeune homme issu d’un milieu populaire, rêve d’être chanteur et a pour idole Freddie Mercury, le chanteur gay de Queen. Le père d’Hakim, muré dans le silence, rejette à la fois l’homosexualité de son fils et le métier qu’il s’est choisi. Inès est une adolescente perdue dans un ghetto de riches. Monsieur Joe (Arieh Worthalter), juif, restaurateur, est un des personnages les plus touchants du film, à la fois dans sa relation émouvante avec son père malade et dans son refus obstiné de voir l’antisémitisme latent de la société.Chacun de ces personnages, tous magnifiquement interprétés, est bien caractérisé : « Ces personnages existent, ils sont inspirés par des gens que j’ai rencontrés, précise Nabil Ayouch. Ils se débattent avec leurs rêves, leurs frustrations, ils essaient d’exister au sein d’une société qui les étouffe ».
Le film est construit en deux époques. Il commence au début des années 80 dans un village reculé de l’Atlas, par l’évocation de l’arabisation forcée de l’enseignement à travers l’histoire d’Abdallah, l’instituteur, qu’on oblige soudainement à enseigner à ses élèves dans une langue qu’ils ne comprennent pas. Il finit par abandonner le village et s’en va, laissant derrière lui la femme qu’il aime, Yto, qu’on retrouvera 35 ans plus tard. La deuxième époque du film se situe en 2015 dans un contexte de manifestations violentes, celles des islamistes et des conservateurs, durant lesquelles une majorité de femmes proteste contre la réforme du code de l’héritage instaurant l’égalité. Il était intéressant de relier les deux époques pour montrer les conséquences de l’importation au début des années 80 d’une idéologie et d’un islam salafistes au sein d’une culture musulmane marocaine ouverte et tolérante.
Le film joue sur la notion d’espace, l’espace clos de chaque personnage et l’espace public, celui de la rue, des lieux de rencontres et de harcèlement. La ville de Casablanca est elle-même un personnage du film. Il est fait allusion à plusieurs reprises au film de Michael Curtiz avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, sorti en 1942 et devenu un mythe. Des personnes âgées à Casablanca prétendent se souvenir du tournage dans l’ancienne Médina, alors que le film a été entièrement tourné en studio à Los Angeles. Leur conviction, le luxe de détails qu’ils fournissent, arrivent à faire douter leurs interlocuteurs.
Avec Razzia, en entrecroisant par un montage alterné les vies de ses différents personnages, Nabil Ayouch construit une narration sans faille et aborde frontalement ou plus allusivement plusieurs des maux qui taraudent la société marocaine : la répression de la liberté des femmes dans l’espace public, l’interdiction de l’avortement, la persécution de l’homosexualité, masculine et féminine, l’antisémitisme. A travers des personnages complexes, incarnant le courage de la résistance, il montre l’émergence de l’individu dans une société communautaire.
On peut regretter l’explosion de violence qui se déchaîne à la fin du film, lors d’une fête chez des jeunes gens de la haute bourgeoisie. Elle témoigne d’une tension sociale exacerbée mais fait verser le film dans un autre registre. La richesse et la complexité du scénario, la rigueur de la construction, la beauté des images – notamment les plans à couper le souffle tournés dans les montagnes de l’Atlas – font néanmoins de ce film un puissant hymne à la liberté qui dépasse largement le contexte du Maroc.
Thématiques du film : liberté, femmes, genre, égalité, antisémitisme, Maghreb
Razzia
Durée : 1h59
Réalisation : Nabil Ayouch
Distribution : Ad Vitam