La protection de l’enfance : Une politique publique sans assise financière et sans cohérence à la hauteur des besoins et des enjeux
Un malaise systémique ancien
Le mouvement des associations de protection de l’enfance du 44 et de l’association Repairs ! 44, association d’usagers de l’ASE, n’a malheureusement rien d’étonnant et on peut même s ’étonner sur le fait que la protection de l’enfance en Loire-Atlantique n’ait pas montré publiquement depuis longtemps bien plus de signes de malaise.
Un manque d’anticipation et une responsabilité multiple qui paralyse : l’exemple des familles d’accueil
La dégradation des conditions permettant de protéger les enfants en danger en France est une problématique qui prend ses sources dans des facteurs dont certains sont anciens. Par exemple, les accueils des enfants en famille d’accueil ne cessent de diminuer faute d’assistants.es familiaux.es. Et pourtant, ce mode d’accueil a fait ses preuves en matière de stabilité et de réponses aux besoins affectifs et éducatifs des enfants de l’ASE. Les départs en retraite nombreux depuis 20 ans n’ont pas été compensés par suffisamment d’embauches. Les rapports et autres alertes sur la pyramide des âges et sur les difficultés d’exercice de ce métier sont connus dans le secteur de la protection de l’enfance, les ministères et les équipes dirigeantes des conseils départementaux, mais chacun s’est renvoyé la responsabilité et comme c’est une politique d’Etat sur le statut et départementale sur l’accompagnement, l’inertie a prédominé dans le règlement de la crise de ce métier.
Comme souvent dans un pays jacobin, les départementaux ont attendu les recettes de l’Etat et l’attentisme s’est conjugué avec de nouvelles problématiques comme l’arrivée des MNA (Mineurs Non Accompagnés) ou la crise COVID. D’autre part, des réformes départementales ont pu déstabiliser ce secteur déjà en crise. Tout cela n’a pas facilité l’attractivité de ce métier malgré d’incontestables avancées salariales, de reconnaissance ou de formation. Et sur ce plan la Loire-Atlantique n’a pas à rougir des efforts fournis.
Penser la protection doit se faire dans son écosystème
La crise de la protection de l’enfance ne s’arrête pas aux portes des conseils départementaux. Elle s’emboîte dans celle de la pédopsychiatrie ou du médico-social qui sont de compétence d’Etat et vouloir traiter en silo les sources de la crise systémique de la protection de l’enfance rend bien souvent caduques les efforts. Les familles d’accueil sont souvent les premières à souffrir de l’absence de prise en charge spécialisée en médico-social ou en pédopsychiatrie d’enfants qui peuvent vivre chez elles 24h sur 24 faute de structures ou d’accompagnements ad hoc.
Des réorganisations à marche forcée : une perte de repères
En Loire-Atlantique, comme dans la majorité des départementaux, l’axe majeur des réorganisations dans le social, conduites ces dernières années, fut la territorialisation et la spécialisation. Avec des équipes spécialisées au territoire, l’accompagnement et le repérage des difficultés allaient éviter les maltraitances aux enfants et d’horribles affaires comme celle de la jeune Laetitia dont l’assistant familial fut condamné pour des abus sexuels sur des enfants confiés. Tout le monde avait espoir que cela ne se reproduirait plus. Si sur le papier il n’y a rien à critiquer à une telle spécialisation, la conduire au pas de charge comme ce fut fait laisse plein d’aspects sur le carreau. Les cultures en réseau, la connaissance fine des situations et les pratiques d’accompagnement s’en sont retrouvées bousculées. Les questions d’articulation et de responsabilité entre les métiers ont contribué à rendre parfois illisibles, pour les familles d’accueil, les missions des professionnels. Bref, bien des années après, les séquelles de cette réorganisation sont encore dans les mémoires et indubitablement n’ont pas rendu attractif un métier pourtant si essentiel !
Une perte de sens qui épuise
En Loire-Atlantique, on s’est progressivement habitué à l’usage d’acronymes : PNE pour les Placements Non Exécutés (l’enfant en danger que la justice a ordonné de retirer de sa famille, mais y restant, dans l’attente qu’une place se libère) et PME pour les Placement Mal Exécutés (l’enfant en danger est retiré de sa famille, mais confié à un lieu non agréé, non formé à la complexité de son accueil). Parfois, les placements à domicile se réalisent non par choix mais par défaut. Les places d’urgence manquent et les « bébés gris », bébés qui manquent de stimulation et qui peuvent souffrir du syndrome d’hospitalisme, restent à l’hôpital par défaut de lieu d’accueil.
Toujours en Loire-Atlantique, comme dans de très nombreux départements, les mesures de décisions judiciaires prises par les juges des enfants pour bénéficier d’une aide éducative à domicile trainent à se mettre en place. Les listes d’attente explosent et les délais d’intervention s’allongent. Les situations, qui auraient dû bénéficier d’un accompagnement, se dégradent dans l’attente de cette intervention éducative. Là ou une présence régulière aurait parfois suffi, une séparation s’impose, la problématique familiale s’étant profondément altérée. Mais à son tour, le placement ne peut toujours se concrétiser du fait de la carence de places.
Cet état des lieux a de profondes répercutions sur les professionnels de l’ASE et dans leurs rapports avec les usagers. Celles et ceux qui en sont chargé.es en viennent à bricoler, tenant à bout de bras des problématiques délétères face auxquelles ils sont plongés dans l’impuissance. Confrontés à des conditions de travail de plus en plus stressantes, ils s’épuisent, quittent leur poste lorsqu’ils le peuvent. Le nombre de burn-out ne cesse d’augmenter. Ce n’est pas le profil des situations qu’ils ont à gérer qui les décourage et les taraude, mais l’impossibilité récurrente de leur apporter des réponses dignes et respectueuses. A son corps défendant, l’administration départementale confronte les professionnels à des accompagnements approximatifs et aléatoires, parfois à la brutalité des changements continus de placement et quelquefois aux dérives de lieux d’accueils peu sûrs à qui les professionnels n’ont d’autres choix que de confier les enfants.
Des ressources financières trop aléatoires
Et il faut noter l’hypocrisie de certaines décisions nationales comme celle sur l’interdiction des hébergements hôteliers pour les enfants de l’ASE. Bonne décision sur le principe mais que fait l’Etat pour doter financièrement les départements afin qu’ils créent des places d’accueils dignes ? Il réduit les marges fiscales des départements, ne paie pas la totalité des dotations nécessaires et leurs recettes sont largement dépendantes des droits de mutation. L’action sociale départementale est tributaire des ventes immobilières : beau symbole dans une France qui dans le préambule de sa constitution nomme le social comme une base incontournable de notre démocratie !
Une priorité départementale malmenée par un manque de concertation
La protection de l’enfance est une priorité pour l’exécutif départemental de Loire-Atlantique et ce n’est pas la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) qui viendrait le contester. Le budget de celle-ci a beaucoup progressé depuis le début du mandat. Mais que de retards pris lors des mandats précédents et il serait faux de dire que les données n’étaient pas déjà connues d’une crise qui ne pouvait que devenir abyssale.
La LDH rappelle que les plus vulnérables ne peuvent être une variable d’ajustement des dépenses départementales. Si les départements ne peuvent à eux seuls transformer en profondeur cet écosystème en crise, comme l’ont écrit 24 départementaux demandant des états généraux de la protection de l’enfance en 2024 ; ils se doivent aussi d’assurer une concertation et un travail de fond avec leurs professionnels et les associations. Piloter du haut pour le bas ne peut que conduire à des ressentiments et une crainte de dégringolade.
Alors Mesdames et Messieurs les élu.es, nous vous demandons d’entendre la parole des syndicats, des professionnels et des associations d’usagers et de rechercher avec eux les voix d’une issue qui ne compromette ni vos idéaux ni l’espoir nécessaire dans des métiers si engageants face à ceux qui ont le plus besoin de la solidarité : les enfants de la protection de l’enfance !
La LDH s’opposera à toute décision qui viendrait mettre à mal les avancées acquises ces dernières années. Le soutien entre 21 et 25 ans doit se poursuivre via des contrat jeunes majeurs qui leur garantissent un accompagnement de qualité. Il ne doit pas y avoir d’obligation de formation courte ou de contrat d’alternance, ce serait une discrimination inacceptable. Les jeunes de l’ASE sont des jeunes comme les autres et l’égalité d’accès à la formation ou l’emploi doit être faîte selon leur choix et leur capacité.
Saint-Nazaire, le 26 février 2024
Copie à la presse, associations, syndicats, partis politiques et conseillers départementaux