Par Jean-Luc Boero, Cadre ASE et président de la section Ligue des Droits de l’Homme de St Nazaire.
Le 20 avril dernier, lors du débat qui l’opposait à Marine Le Pen à quatre jours de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a déclaré que la protection de l’enfance sera au cœur des cinq années à venir. Le journal « Le Monde » en date du 12 mai s’est fait l’écho du manque de moyens. Le nombre de mesures non-exercées est parfois de plusieurs centaines dans certains départements, que ce soient des mesures de placements ou des mesures en milieu ouvert. Les juges des enfants et les professionnels en charge d’évaluer et de préconiser des mesures d’assistance éducative ou d’aide éducative administrative sont effarés par l’augmentation des délais moyens de prise en charge. On dépasse souvent les six mois. Les enfants sont évidemment les premières victimes de notre incapacité à les protéger. Mais les familles sont aussi celles qui sont confrontées à un système où les décisions les plus lourdes, celles qui conduisent à écarter un enfant de son milieu familial, ne prennent pas sens alors que dans nombre de situations, les parents sont débordés, fatigués et éprouvés par les troubles du comportement des enfants. Les maltraitances perdurent, s’amplifient et alourdissent les troubles et pathologies. La crise est profonde, la défiance à l’égard d’un dispositif souvent décrié par ces dysfonctionnements hyper médiatisés, son opacité, ses règles de fonctionnement complexes, sa répartition entre acteurs institutionnels pas toujours coordonnés, sa gouvernance complexe et très éloignée des préoccupations des professionnels et des usagers, affronte aujourd’hui une autre crise : celle du recrutement. Les politiques sociales sont devenues très bureaucratiques, cloisonnées et se sont rigidifiées. Il faut faire avec un dispositif si peu porteur, qui ne permet pas d’accompagner dans la durée et au rythme des familles. La créativité, la souplesse et les initiatives sont de plus en plus réduites. Le fonctionnement en silo, les missions qui se cloisonnent et se spécialisent à tout va ne sont plus en phase avec les besoins du travail social. Le désenchantement est terrible et avec des salaires dérisoires, vous combinez une crise majeure de sens et d’attractivité. Cette réalité douloureuse ne cesse de s’accroitre malgré les efforts conduits par des départements volontaires mais souvent confrontés à des finances exsangues. Si la loi Taquet apporte quelques satisfactions de principe, il n’en reste pas moins vrai que du texte à la réalité, la situation continue de se dégrader. Et rien ne nous permet d’envisager la fin des accueils hôteliers ou en gîte rapidement. D’ailleurs dans certains départements, ce type d’accueil ne cesse de progresser. En Loire Atlantique, par exemple, nous avons perdu plusieurs centaines de places d’accueil chez les assistants familiaux ces 10 dernières années. Et nous augmentons sans cesse le nombre d’enfants accueillis en gîte. La fonction et les contraintes du métier d’assistant familial sont très éprouvantes. Comment réussir à vivre harmonieusement en famille face à un ou plusieurs enfants en très grandes difficultés avec, pour un nombre non négligeable d’entre eux, des troubles majeurs du comportement et souvent des troubles psychiques. Les accueils familiaux doivent se faire selon une triple dimension : sociale, thérapeutique et éducative. Les équipes d’accompagnement doivent être représentatives de ces trois axes. Il faut que les professionnels ne soient pas confrontés à un sous-effectif chronique, à une surcharge de travail et une incapacité chronique à pouvoir répondre aux multiples crises et épreuves que traversent les familles d’accueil. Il est important aussi de rappeler qu’il ne peut y avoir une politique d’accueil familial sans une politique articulée et complémentaire avec le secteur médico-social et le secteur thérapeutique. Il faut aussi permettre l’accueil de jour des enfants déscolarisés et la prise en compte du besoin de souffler des familles d’accueil. L’ensemble de ceux qui travaillent dans ce secteur doivent bénéficier de supervisions et d’analyse de la pratique. La création de places en nombre pour pouvoir accueillir dignement les enfants qui nous sont confiés par les familles dans le cadre de la protection administrative ou sur décision des juges des enfants doit donner lieu à une vraie impulsion nationale. Le gouvernement doit favoriser les investissements en la matière. Il doit injecter les moyens financiers auprès des départements qui manquent de places d’accueil. Il doit permettre des créations diversifiées et faciliter les implantations territoriales de maisons d’enfants et de lieux de vie et d’accueil. Il ne pourra y avoir prise en compte de la réalité rencontrée sans un panel diversifié de modes d’accueil. Les départements avec l’aide conséquente de l’Etat doivent œuvrer en ce sens et accroitre leur complémentarité qui s’est raréfiée ces dernières années en raison du manque de places. Un effort sensible doit aussi exister pour le maintien des fratries en cas de placement. Construisons massivement des villages d’enfants. Il est encore trop difficile de maintenir ensemble les enfants d’une même fratrie. Certes parfois la séparation est nécessaire en raison des souffrances massives et des places occupées dans les familles pathogènes. Un tel effort doit aussi se faire pour les mesures en milieu ouvert et pour la prévention éducative. Ce nouveau dessein de la protection de l’enfance doit aussi prendre en compte l’expertise des professionnels et le pouvoir d’agir des familles. Tout enfant doit trouver une solution, toute décision prise par un juge des enfants ou par une autorité administrative doit se mettre en place dès que possible, toute information préoccupante doit donner lieu à une évaluation dans un délai de trois mois maximum, tel que prévu par la loi. Toute mesure en milieu ouvert administrative ou judiciaire doit s’appliquer rapidement. Il ne s’agit pas de réduire la crise actuelle à un effet de la crise sanitaire. La dégradation est bien antérieure à cette pandémie, même si celle-ci est venue l’accroître. Dans bon nombre de départements, la crise existait bien avant mars 2020. Elle est apparue progressivement depuis que les politiques sociales ont été déterminées par l’orthodoxie budgétaire. Il n’y a plus d’adéquation entre les besoins et les moyens mis à disposition. Nous sommes confrontés à la même crise que la crise de l’hôpital public : activité à l’acte, primat de l’approche budgétaire, manque d’investissements, manque de personnel, fonctionnement en silo, mauvaise répartition territoriale, salaire dérisoire, gouvernance opaque et pouvoir exclusif aux technocrates, déconstruction des cultures-métiers et accroissement sensible des besoins, comme ce fut le cas avec les mineurs non-accompagnés. L’empilement de lois devenues de plus en plus inappliquées vient bien mettre en avant que réformer la protection de l’enfance ne devra pas se traduire dans les cinq années à venir par une nouvelle inflation de textes, de lois, de décrets, si ces obligations légales ne viennent pas donner du sens à un secteur sinistré et si les moyens financiers ne sont pas massifs et globaux. Faudra-t-il aller vers un texte qui rende opposable la protection de l’enfance ? C’est à se le demander. Ainsi, j’ai envie de dire à M. Macron, « chiche, nous vous attendons pour sortir de cette situation et enfin redonner espoir aux professionnels, aux enfants et aux familles. »
Jean-Luc Boero, le 10 juin 2022
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