Dans un dossier sur l’épidémie de Covid 19 à l’Ariane daté du 18 février 2021, la rédaction de Nice Matin se fait fort d’expliquer à ses lecteurs la plus grande vulnérabilité des quartiers populaires. Parallèlement aux facteurs bien répertoriés que sont la promiscuité et la précarité économique, il existerait d’autres facteurs aggravants qui relèveraient de la responsabilité des habitants de ces quartiers : l’insouciance juvénile, le relâchement des gestes barrière du fait d‘une perte de confiance envers les discours officiels, et le fatalisme religieux. Rien ne prouve que les deux premiers soient spécifiques à ces quartiers, quant au troisième il fait allusion à une caractéristique bien connue des banlieues françaises : la sur-représentation de populations d’origine étrangère, dont la plupart originaires de pays musulmans. Selon l’INSEE 17,5% des habitants de ZUS sont étrangers, dont près de la moitié originaires des pays du Maghreb, et 10,2% sont Français par acquisition de la nationalité.
Toutefois, aucun lien ne peut être fait entre la présence de populations musulmanes dans les quartiers dits sensibles et la vulnérabilité de leurs habitants. Une enquête de l’INSEE montre que de façon générale la surmortalité due au virus est deux fois plus forte pour les personnes nées à l’étranger. Mais cela est encore beaucoup plus vrai pour celles nées en Asie (+ 91%) et en Afrique noire (+114%) qu’au Maghreb (+54%). Leur vulnérabilité n’a donc rien à voir avec l’islam. Elle s’explique par leur concentration dans des communes densément peuplées, l’occupation de logement plus exigus, un usage plus élevé des transports en commun, une sur-représentation parmi les travailleurs en première ligne (Dossiers de la DREES, n° 62, juillet 2020).
Ce raccourci entre religion musulmane et comportement sanitaire traduit donc une profonde méconnaissance des données fournies par les grandes enquêtes statistiques, mais aussi des savoirs sur le fait religieux, quand bien même il serait formulé par une personne de confession musulmane. La plupart des religions intègrent dans leur corpus théologique, de façon plus ou moins appuyée selon les doctrines et les époques, l’idée de prédestination ou de détermination des évènements et du sort des hommes par le destin. La plupart d’entre elles, et non pas seulement l’islam, engagent leurs croyants à se mettre dans les mains de Dieu, y compris les religions chrétiennes : les joueurs de football qui font le signe de croix avant d’entrer sur le terrain pensent que ce qui arrive est la volonté de Dieu. Cela ne les empêche en rien de s’engager à fond pour gagner la partie. Pas plus que le fameux Mektoub des musulmans ne les empêche de tenter de changer l’ordre des choses comme l’ont montré récemment les printemps arabes, et avant eux les mouvements de libération anti-colonialistes.
L’association entre religion musulmane et non-respect des mesures sanitaires n’a aucun fondement. Le recours au stéréotype éculé du fatalisme musulman remplit la même fonction que celle du soupçon de maltraitance animale visant des rappeurs d’un autre quartier populaire dans un article précédent du même journal (1) : laisser entendre que la pratique de l’islam rendrait les musulmans rétifs au respect des normes en vigueur dans la société, qu’elle en ferait en quelque sorte de mauvais citoyens.
La LDH s’étonne qu’un journal à grand tirage tel que Nice-Matin alimente une fable qui stigmatise des individus en fonction de leur attachement réel ou supposé à une religion.
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(1) Nice-Matin du 23/12/2020 titre en gros caractères sur toute la largeur de la page, à propos d’un événement survenu dans un quartier de Nice Nord : « Qu’est devenue la chèvre en laisse du clip de rap ? » L’article rapporte les déclarations d’une responsable de la ville : « nous avons juste une suspicion, il faut que l’on sache ce qu’elle est devenue (ndlr la chèvre) En espérant qu’elle aille bien »
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