Violences, asile et demandeuses d’asile

« Violences, asile et demandeuses d’asile »

TABLE RONDE

Le vendredi 30 mars 2018  – 18h30 à 20h30 –

Pôle universitaire Saint Jean d’Angély – Université de Nice-Sophia Antipolis

Amphi 5, bâtiment IAE    24, Avenue des Diables Bleus 06300 Nice

crédit photo : http://lahorde.samizdat.net/

La migration féminine n’est ni récente, ni marginale : en 1960, les femmes constituaient 47 % des migrants, aujourd’hui elles représentent plus de la moitié (51%) des flux migratoires de la planète[1].  Mais comme le « neutre » au masculin était considéré suffisamment légitime pour représenter tous les migrants, elles ont longtemps été ignorées dans le champ des sciences sociales.

Mais depuis plus de vingt ans[2], il s’agit de multiples informations collectées sur les femmes en mobilité et d’un travail efficace de déconstruction du référent universel et des schémas de la mobilité internationale.[3] Grâce à ces études qui en adoptent une approche multisituée des migrations internationales[4], nous voyons comment les migrations contribuent à la reproduction de la hiérarchie des sexes et comment ces dernières façonnent les trajectoires migratoires, en fonction de l’appartenance nationale, de l’âge, de la situation familiale et de la catégorie socioprofessionnelle[5]. Ces travaux montrent que la mobilité des femmes découle souvent des violences spécifiques : excision, mariage forcé, obligations vestimentaires, interdictions des activités culturelles et professionnelles. Leur dispersion rend plus difficile la comptabilité[6] des femmes qui ont le courage de fuir des cauchemars et qui sont venues après des parcours héroïques mais aussi chaotiques : violences, viols, tortures. Les législations protectrices consacrées par la communauté internationale leur assurent-elles, en Europe, l’accueil, la protection et les soins nécessaires ? Quelles sont les réponses des autorités face aux défis posés par la spécificité de la problématique du genre dans l’asile ?

L’OFPRA enregistre les noms des femmes qui ont pu demander une protection. Par exemple, en 2016, il y a 21.079 femmes qui représentent 33% des demandeur.euse.s d’asile en France et il n’y a que 6.500 décisions favorables de la Cour nationale du Droit d’Asile. [7] Pourquoi ? Parce que les persécutions faites aux femmes sont difficiles à prouver ?

Comment montrer, par l’exposition de traces matérielles, et démontrer, par l’organisation du récit, que l’on est une personne qui craint « avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, que cette personne se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays » (Convention de Genève, article 1er, section A, paragraphe 2) ? Comment démontrer le besoin de protection à partir d’un récit incroyable ?

A Nice, à travers les associations qui travaillent sur le terrain, nous rencontrons un nombre considérable des femmes confrontées, à une politique, une législation et des pratiques administratives qui imposent des conditions difficiles aux demandes d’aide suite aux violences qu’elles ont déjà subies. En effet, dans les textes, ces lois prennent en compte les violences particulières faites aux femmes. Peut-on parler alors d’une distance entre les textes et les réalités matérielles et idéologiques ? Dans un contexte de sélectivité des demandes d’asile en général, comment les récits des femmes victimes des violences spécifiques peuvent-ils être légitimés dans des parcours d’accès au statut de réfugié ?

Pour ce faire, nous allons aborder, autour de cette table ronde « Violences, asile et demandeuses d’asile », trois dimensions interdépendantes de ce sujet. Nous ouvrirons la discussion par des violences et des persécutions à caractère sexiste qui entrainent la mobilité des femmes (même si ces persécutions sont multiples nous nous limiterons, en raison du temps imparti, aux mutilations génitales et aux mariages forcés), puis nous décrirons les violences qu’elles subissent pendant leurs voyages, pour nous focaliser ensuite sur les difficultés liées à leur protection, en France.

Cette table ronde sera mise en place grâce à la collaboration des associations niçoises (GRAF-Groupe de Réflexion et Action féministe-, Planning Familial, Habitat & Citoyenneté, LDH) et de l’Université à travers l’Observatoire des Migrations (URMIS et ERMES-Université de Nice Sophia Antipolis).

Nous vous invitons à vous mettre autour de cette table ronde, pour développer une analyse collective sur la situation complexe des demandeuses d’asile et pour définir ensemble les besoins les plus urgents. Cela faciliterait une éventuelle action collective.

Pour des raisons de sécurité, merci de vous inscrire : graf.inscription.tableronde@ gmail.com

Programme :

Introduction et Modération : Pinar SELEK

Avant la mobilité : Exemples des violences et persécutions sexistes

  • « Mutilations génitales féminines : état des lieux, conséquences sur la santé et la sexualité des femmes »

Marie LESCLINGAND, maîtresse de conférences au Département de Sociologie de l’Université Nice Sophia-Antipolis. Membre de l’URMIS. Ses domaines de recherche : Mutilations sexuelles féminines, santé, sexualité. Migrations féminines et rapports de genre en Afrique. Pratiques migratoires adolescentes en Afrique. Elle a co-dirigé le rapport « Excision et Handicap (ExH) : Mesure des lésions et traumatismes et évaluation des besoins en chirurgie réparatrice » qui fait état des lieux de la situation des mutilations sexuelles en France.

  • « Les femmes qui fuient des mariages forcés : situation des demandeuses d’asile ».

Latifa DRIF, conseillère au Mouvement français pour le planning familial de l’Hérault. Animatrice du Réseau «Jeunes confronté-e-s aux violences et aux ruptures familiales » sur les violences intrafamiliales et notamment les mariages forcés.

Durant la mobilité : Exemple des violences et persécutions sexistes

  • « Traite des femmes sur la trajectoire migratoire » (Avant et durant la mobilité)

Patrick HAUVUY. Directeur du Pôle Prévention Hébergement Insertion de l’association ALC qui agit, au travers du service des Lucioles et du dispositif national d’accueil et de protection des victimes de la traite pour – et avec – les personnes confrontées à des difficultés sociales, notamment les victimes de la traite des êtres humains et/ou du proxénétisme.

Et l’asile ? Quelles protections ?

  • « Les femmes dans les méandres de la demande d’asile ».

Elisabeth GRIMANELLI, juriste, elle est représentente de la Cimade 06 qui agit dans la défense des droits des personnes étrangères. L’association les accueille, au niveau national, et assure leur accompagnement administratif et juridique ainsi que leur hébergement.

  • « Problèmes spécifiques que des femmes étrangères affrontent tout le long de leur parcours »

Nicole SCHECK, médiatrice sociale à l’association Habitat & Citoyenneté, qui accueille les personnes qui cherchent l’asile dans le département des Alpes-Maritimes. Elle assure leur accompagnement administratif, juridique et aux droits médicaux et à l’hébergement.

  • « Difficultés dans l’identification des vulnérabilités liées au genre et à l’identité sexuelle »

Martin PRADEL, avocat au Barreau de Paris, est membre du Conseil de l’Ordre (2018-2020). Il est connu par ses défenses pénales des plus démunis, ainsi que par ses travaux judiciaires au sein de la FIDH, en qualité de Chargé de Mission en Tunisie, en République de Guinée, en République Démocratique du Congo ou en Turquie. Il est directeur des Droits de l’Homme et de la défense de la Défense et au sein de l’Union Internationale des Avocats (UIA).

 

Notes :

[1]. Selon les dernières données disponibles, rendues publiques par la Division de la population des ONU en 2010.

[2] La publication du numéro d’International Migration Review (1984) consacré aux femmes migrantes est une des charnières. Ensuite il y a eu nombreux numéros spéciaux de revue consacrés dernièrement à ces thématiques : Migrations Société, 1997 ; REMI, 1999 ; Cahiers du CEDREF 2000, 2003 ; Hommes et Migrations, 2004.

[3] Christine Catarino et Mirjana Morokvasic, « Femmes, genre, migration et mobilités », Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 21 – n°1 | 2005, mis en ligne le 22 septembre 2008. URL : http://remi.revues.org/2534  ; DOI : 10.4000/remi.2534

[4] Beauchemin Cris, « Migrations entre l’Afrique et l’Europe (MAFE) : Comprendre les migrations au-delà de l’immigration », Population, Vol.70, no.1, 2015, p. 7

[5] Dahinden J, et all. « Migrations : genre et frontières – frontières de genre », Nouvelles Questions Féministes, vol. 26, no. 1, 2007, pp. 4-14 ; Dahinden, J. « Verschuur C. et Fenneke R. (dir) : Genre, nouvelle division internationale du travail et migrations », Nouvelles Questions Féministes, vol. 26, no. 1, 2007, pp. 120-124. Morokvasic Mirjana , « Femmes et genre dans l’étude des migrations : un regard retrospectif », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 16 | 2008. Morokvasic, Mirjana ; Catarino Christine, « Une (in)visibilité multiforme », Plein Droit, no.75, 2007, pp. 27-30. Green, 2002. Boyd et Grieco, 2003 ;  Phizacklea, 1983 ; Chant, 1992 ; Hugo, 1999 ; Kelson et Delaet, 1999 ; Anthias et Lazaridis, 2000 ; Kofman et al., 2000 ; Willis et Yeoh, 2000 ; Ehrenrheich et Hochschild, 2003.

[6] Sophie Vause et Sorana Toma, « Peut-on parler de féminisation des flux migratoires du Sénégal et de la République démocratique du Congo ? », Population, Vol. 70, no.1, 2015, pp.41-66

[7] Selon les chiffres d’OFPRA

Déclaration à propos de l’affaire dite « du burkini »

Nice, décembre 2016

Déclaration à propos de notre position sur « l’affaire du burkini »

Au cours de l’été 2016, plusieurs municipalités azuréennes ont prononcé des arrêtés dits anti-burkini qui visaient à interdire l’accès des plages aux femmes portant ce vêtement. Au nom des libertés individuelles, la LDH s’est pourvue en justice contre ces arrêtés et a réussi à les faire suspendre. Le combat dans lequel s’est engagé la Ligue, activement soutenu par les sections locales de Nice et Cannes, a suscité de nombreuses réactions, non seulement parmi la droite réactionnaire, mais également parmi nos sympathisants et nos membres. Si certains ont rejoint nos rangs à cette occasion, d’autres ont émis des réserves.

Ce sont les critiques venues de personnes aux sensibilités humanistes et/ou féministes qui nous ont conduit à ouvrir un débat interne, au sein de la section de Nice, afin de prendre au sérieux ces réticences, d’en saisir le sens, d’interroger ce qui peut apparaître aux yeux de certains comme des contradictions internes pour, in fine, clarifier nos positions et les valeurs qui animent les luttes que nous menons.

L’épisode du burkini, comme d’autres avant lu (1) , a pu laisser penser que la LDH soutenait aveuglément la religion musulmane. Ainsi, en attaquant devant les tribunaux administratifs et le Conseil d’Etat les arrêtés dits anti-burkini, la Ligue serait indifférente au sort des femmes qui, au nom d’une religion, couvrent leur corps pour le protéger de la convoitise des hommes ? Les combats féministes n’auraient plus droit de cité face à une position systématiquement pro-musulmane ?

Il n’en est rien, bien entendu. Un débat interne mené en plusieurs étapes nous conduit à préciser un certain nombre de points :

– Nous n’approuvons pas les valeurs véhiculées par le port du burkini.

– C’est parce que le racisme d’hier a pris aujourd’hui les traits d’une vindicte à l’encontre de l’islam que la LDH se trouve aux côtés de ceux qui subissent cette nouvelle forme d’oppression. Là où, hier, seule l’extrême droite osait stigmatiser les immigrés et leurs descendants, c’est aujourd’hui une large partie de la classe politique qui se saisit de l’islam pour mettre à l’index ces mêmes classes populaires issues des anciennes colonies. A ce titre, la LDH-Nice se mobilise pour combattre le racisme, quelles que soient les formes qu’il prenne, et défend l’égalité de traitement entre les musulmans et tous les autres Français, qu’ils aient ou non une religion. En aucun cas la LDH-Nice ne soutient une religion et elle n’entend pas non plus distribuer de bons et de mauvais points aux diverses croyances.

La quête d’un traitement égalitaire pour tous les citoyens n’est pas contradictoire avec la condamnation d’un islam politique prosélyte, réactionnaire, voire totalitaire. La LDH-Nice s’inquiète des initiatives menées par les militants d’un islam radical auprès de la jeunesse dans certains de nos quartiers et considère qu’il est de son devoir de s’en préoccuper. C’est pourquoi, ayant à l’esprit que la radicalisation est intrinsèquement liée à la question sociale et au désarroi d’une population laissée aux marges de la croissance, nous souhaitons développer des liens et des actions dans ces quartiers pour y faire vivre les valeurs de la République (plutôt que de les asséner comme une menace). C’est en renforçant le lien social que l’on entend lutter contre l’extrémisme.

– L’égalité hommes-femmes n’est pas un combat révolu et il ne saurait tenir la deuxième place derrière la lutte contre les discriminations racistes. Il n’y a pas à choisir entre la défense du droit des femmes à décider pour elles-mêmes et le combat contre l’instrumentalisation de l’islam par des politiques peu scrupuleux. Nous n’oublions pas que les mêmes qui veulent interdire le burkini au nom de la liberté de la femme, restent muets quant aux différences de salaires entre les hommes et les femmes (30% à l’heure actuelle), aux violences domestiques (1 femme meurt sous les coups de son partenaire tous les 3 jours) ou au partage des tâches domestiques. Nous sommes également conscients de la position d’infériorité laissée aux femmes dans les religions du Livre et notamment dans l’islam, du moins tel qu’il est pratiqué dans certains pays aujourd’hui. La domination des femmes revêt mille visages et nul ne peut se targuer d’avoir le monopole de leur défense. A l’heure actuelle, la section de Nice a le souci de faire valoir l’émancipation des femmes auprès d’un public large, au-delà des appartenances de chacun-e ; elle entend organiser des actions en ce sens.

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(1) Notre prise de position en faveur de l’ouverture de la mosquée En Nour ou notre action en justice contre les provocateurs qui y ont déposé un sanglier ensanglanté.