Le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) ou la tentation du pot de confiture

L’assassinat de la jeune Louise dans la nuit du sept au huit février 2025 a soulevé un vif émoi dans toute la France. Dès le 8 février, le rédacteur en chef de Valeurs Actuelles diffuse l’information suivante : « deux suspects ont été interpellés […] l’homme est de type Nord-Africain six mentions au TAJ et la femme de 20 ans de type européen inconnue au TAJ ». Un journaliste du JDD écrit le nom entier du jeune homme, assorti de son année de naissance sur le réseau X.

Quelques jours plus tard le couple sera relâché et le présumé assassin incarcéré.   A l’évidence, un policier ou un magistrat du parquet ont transmis illégalement l’information aux journalistes.

Le TAJ – qui est un des 100 fichiers détenus par le ministère de l’Intérieur – a été créé le 1er janvier 2014 par la fusion des fichiers STIC (police) et JUDEX (gendarmerie).  Il est prévu par les articles 230-6 et suivants et R40-23 et suivants du code de procédure pénale. Ce fichier comporte des informations sur les personnes interpellées, les personnes mises en cause (y compris acquittées ou relaxées) les personnes ayant porté plainte et les personnes morales. Ce fichier contiendrait à l’heure actuelle près de 19 millions de mis en cause, soit près du tiers de la population totale française (enfants compris) ; il fait l’objet de critiques récurrentes (rappels à l’ordre et injonctions) de la CNIL [  ICI  ] et de la Cour européenne des droits de l’Homme [  ICI  ]. Des français ou des étrangers au casier judiciaire vierge continuent de figurer dans ce fichier, ce qui, on s’en doute, est susceptible de leur porter préjudice à un moment ou à un autre.

Des exemples de fuites d’informations après consultation illégale du TAJ sont légion. Une simple consultation dans la presse écrite française avec la seule requête « TAJ consultation illégale » fait remonter près de quarante cas, lesquels ne sont sans doute que la partie visible (pour le public) de l’iceberg.

L’analyse des articles publiés permet de dégager la typologie suivante des motivations :

  • Monétisation des données en vendant l’accès aux fichiers à des personnes extérieures, souvent du milieu délinquant. Des policiers profitent de leur habilitation pour fournir des renseignements en échange d’argent​. On voit ainsi des transactions tarifées : par exemple 50 € la consultation de fiche TAJ dans le réseau « la Genèverie »​ ou encore 25 € pour un numéro d’immatriculation et 100 € pour un signalement FPR dans une affaire de trafic de stupéfiants en 2024​ .

  • Consultations à des fins personnelles ou familiales : plusieurs abus constatés sont le fait de membres des forces de l’ordre agissant par intérêt privé ; des policiers ou gendarmes interrogent le TAJ pour savoir si un.e proche “a des antécédents” ou pour surveiller des connaissances. Par exemple, plusieurs mis en cause ont recherché des informations sur leurs ex-conjoints ou leurs nouveaux compagnons​. D’autres ont avoué avoir consulté des fiches de voisins, de membres de la belle-famille​
  • Consultations à des fins politiques : l’exemple de la jeune Louise cité plus haut montre que les motivations politiques ne sont pas absentes ; de même, dans le cas de la policière de Tours, (Le Figaro 31/01/2023) la consultation est allée jusqu’à porter sur des personnalités publiques​. L’affaire « Squarcini » (Le Monde 30/09/2016) représente le cas le plus emblématique à l’intersection des intérêts politico-économiques.

Le profil des contrevenants couvre un large spectre hiérarchique

On trouve de jeunes gardiens de la paix (22-25 ans) tentés de rendre de « petits services » ou de gagner un peu d’argent facile​, mais aussi des agents plus expérimentés – un commandant de police quinquagénaire, un commissaire divisionnaire. Les gendarmes ne sont pas en reste, avec des militaires d’une vingtaine d’années jusqu’à 40 ans surpris en flagrant délit de consultation illégale​. Il ressort également que certains complices extérieurs (ex-conjoints, amis, informateurs) sollicitent ces agents indélicats, ou que des imposteurs essayent d’exploiter la crédulité des opérateurs (cas du faux policier Leandro)​. Ainsi, l’abus du TAJ n’est pas cantonné à un type précis de profil, mais touche potentiellement tous les échelons, du simple ADS (adjoint de sécurité) jusqu’aux officiers supérieurs.

La banalisation et le sentiment d’impunité

Un élément marquant est la banalité apparente de ces pratiques aux yeux de certains prévenus puisque Les droits d’accès au fichier TAJ ont été multipliés ou tolérés alors que les contrôles semblent être peu efficaces.  Plusieurs ont affirmé en audition que « tout le monde consulte le TAJ », sous-entendu en dehors des enquêtes officielles, et que cette tolérance officieuse ferait partie de la culture du métier​. Le gendarme de l’Ain a parlé d’une « mauvaise habitude fréquente chez nous ». De même, la policière de Tours a soutenu que nombre de collègues avaient eu au pire de simples rappels à l’ordre pour des faits semblables, et qu’il était inédit d’être déféré devant un tribunal correctionnel pour cela​. Ce sentiment d’impunité explique que certains agents aient multiplié les recherches illicites sur des années.

L’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme énonce le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, mais la tentation de mettre la main dans le pot de confiture est trop forte et le pot beaucoup trop facile à atteindre.

Articles recensés (hors doublons) :

10 février 2025

CheckNews

Affaire Louise : quand des médias d’extrême droite dévoilent le nom complet d’un suspect finalement mis hors de cause – TAJ, une information qui fuite.

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14 mars 2024

Le Monde

Au tribunal de Paris, la « tricoche » de deux policiers – Jugés pour « corruption », ils monnayaient des fichiers confidentiels à un escroc. : il était possible, contre quelques centaines d’euros, de recevoir sa fiche TAJ

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16 mars 2024

Le Parisien

Le commissaire détournait des fichiers pour aider sa compagne, joueuse de poker

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2 avril 2024

La Nouvelle République du Centre-Ouest

Usage détourné de fichiers internes : la policière condamnée

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13 mai 2024

Le Parisien

Complicité Un policier ripou dans la manche des trafiquants – Ces données provenaient du fichier des véhicules (SIV), de celui des antécédents judiciaires (TAJ) et de celui des personnes recherchées (FPR). Environ 200 recherches contre une rémunération

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23 mai 2024

La Voix du Nord
À onze reprises, il a consulté le fichier des antécédents judiciaires (TAJ) pour obtenir des informations personnelles sur l’une d’elles. L’un des rares faits que le gradé n’a pas contesté.

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8 juillet 2024

La Nouvelle République du Centre-Ouest

Un policier en poste au commissariat central de Tours a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire le 28 juin, notamment pour des menaces de mort ainsi que la consultation à des fins personnelles du Traitement des antécédents judiciaires (TAJ)

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16 octobre 2024

Le Télégramme (Bretagne)

L’homme était également jugé pour avoir consulté le fichier de traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) à des fins personnelles

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26 novembre 2024

Le Figaro (site web)

Marseille : un policier condamné pour avoir fourni des renseignements au crime organisé. Il avait consulté de manière irrégulière le Traitement des antécédents judiciaires (TAJ), le Système d’immatriculation des véhicules (SIV) et le Fichier des Personnes Recherchées (FPR).

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Mercredi 25 janvier 2023

Le Progrès (Lyon)

Poursuivi pour « violation du secret professionnel » et « détournement de la finalité d’un traitement de données à caractère personnel » Le gendarme consultait des informations protégées.

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28 janvier 2023

Ouest-France

Consultation du TAJ, un fichier d’antécédents judiciaires, à de multiples reprises, pour obtenir des renseignements sur certaines personnes : sa femme, son supposé amant, l’épouse de celui-ci mais aussi sa sœur, des cousins.

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31 janvier 2023

Le Figaro (site web)

Tours : une policière condamnée pour avoir consulté un fichier à des fins personnelles

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1er février 2023

La Nouvelle République du Centre-Ouest

Détournement d’un fichier interne : la policière condamnée

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7 avril 2023

Le Progrès (Lyon)

Un gendarme en poste dans l’Ain, déjà condamné en 2020 pour avoir « espionné » son ancienne compagne, a été jugé pour des menaces de mort. Mais également pour avoir consulté plusieurs fois des fichiers judiciaires pour trouver des informations sur elle ou ses proches.

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16 avril 2023

La Voix du Nord

Une jeune policière révoquée après la vente de fiches confidentielles

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24 avril 2023

Le Figaro (site web)

Police municipale : enquête pour usage illégal de fichiers en Haute-Garonne

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1er juillet 2023

L’Équipe

Supporter giflé par Neymar : Ahmed est gardien de la paix, lui aussi en poste dans le sud de la France, et pense pouvoir consulter le fichier du Traitement des antécédents judiciaires (TAJ) sans trop se faire remarquer.

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29 septembre 2023

Ouest-France

Elle avait obtenu d’un ex, policier à Lorient, qu’il consulte le fichier judiciaire de son ancien petit ami qu’elle accusait de proxénétisme.

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8 janvier 2022

La Voix du Nord

Un policier condamné pour violation du secret professionnel

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5 mai 2022

Le Figaro (site web)

Oise : un policier mis en examen pour avoir détourné des fichiers « à des fins personnelles »

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10 juin 2022

Cambrai

Il consulte des fichiers nationaux dans un but privé, le gendarme sévèrement sanctionné

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18 juillet 2022

Le Figaro (site web)

Vente de données issues des fichiers de police : quatre suspects mis en examen dont deux policiers

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3 septembre 2022

Le Parisien

Escroquerie – Un usurpateur bien connu sur Internet a été mis en examen, jeudi soir à Paris, pour avoir diffusé des données confidentielles provenant des fichiers de police concernant des personnalités.

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24 novembre 2022

Sud-Ouest (site web)

Charente-Maritime : la gendarme avait diffamé son ex sur TikTok – Il lui est reproché un « accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données »

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15 janvier 2021

La Nouvelle République du Centre-Ouest

Un gendarme a été condamné, mercredi, pour avoir ouvert le fichier de traitement d’antécédents judiciaires sans y être autorisé.

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20 août 2021

La Voix du Nord

En dehors de tout cadre légal, des recherches vont être effectuées au «TAJ»

Deux policiers maubeugeois condamnés à de la prison avec sursis

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3 septembre 2021

La Voix du Nord

Détournement, à des fins personnelles, de données en provenance du fichier policier des antécédents judiciaires (TAJ)

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13 mai 2020

Le Parisien

Ces intrigantes recherches sur une accusatrice de Tariq Ramadan – Bidule7575 déclare ce jour-là au policier ripou qu’il a de gros clients qui veulent savoir qui est Christelle – il consulte à 9 h 5 le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ)

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28 septembre 2020

Le Monde (site web)

La juge d’instruction a retrouvé les consultations faites par les deux fonctionnaires au printemps 2018 sur le fichier de Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ)

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25 mars 2018

La Voix du Nord

Un concessionnaire automobile, avec lequel il a un différend commercial, publie sur son téléphone la page de garde du fichier TAJ

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10 mai 2018

Ouest-France

Il va chercher des infos sur la plainte de Monsieur H dans le TAJ (dossier de Traitement des antécédents judiciaires). Et il va planquer l’argent chez des parents. Le gendarme perd la tête à la chasse au trésor.

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16 octobre 2018

La Voix du Nord

J’ai consulté le TAJ car il était censé vivre avec ma fille – Le policier n’accepte pas la rupture conjugale et roue de coups l’ami de son ex.

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30 septembre 2016

Le Monde

France

Pourquoi Bernard Squarcini a été mis en examen

Il est établi par ailleurs que M. Squarcini a eu accès à divers fichiers de police, comme le Traitement des antécédents judiciaires (TAJ), le Service de traitement des infractions constatées (STIC), le Fichier des personnes recherchées (FPR) ou encore le fichier Cristina relatif notamment au terrorisme, couvert par le secret défense.

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16 septembre 2015

Le Figaro.fr

Le fonctionnaire de police recherchait par ailleurs des informations sur les salariés ou les futurs employés de l’établissement dans le fichier policier TAJ

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