Le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) ou la tentation du pot de confiture

L’assassinat de la jeune Louise dans la nuit du sept au huit février 2025 a soulevé un vif émoi dans toute la France. Dès le 8 février, le rédacteur en chef de Valeurs Actuelles diffuse l’information suivante : « deux suspects ont été interpellés […] l’homme est de type Nord-Africain six mentions au TAJ et la femme de 20 ans de type européen inconnue au TAJ ». Un journaliste du JDD écrit le nom entier du jeune homme, assorti de son année de naissance sur le réseau X.

Quelques jours plus tard le couple sera relâché et le présumé assassin incarcéré.   A l’évidence, un policier ou un magistrat du parquet ont transmis illégalement l’information aux journalistes.

Le TAJ – qui est un des 100 fichiers détenus par le ministère de l’Intérieur – a été créé le 1er janvier 2014 par la fusion des fichiers STIC (police) et JUDEX (gendarmerie).  Il est prévu par les articles 230-6 et suivants et R40-23 et suivants du code de procédure pénale. Ce fichier comporte des informations sur les personnes interpellées, les personnes mises en cause (y compris acquittées ou relaxées) les personnes ayant porté plainte et les personnes morales. Ce fichier contiendrait à l’heure actuelle près de 19 millions de mis en cause, soit près du tiers de la population totale française (enfants compris) ; il fait l’objet de critiques récurrentes (rappels à l’ordre et injonctions) de la CNIL [  ICI  ] et de la Cour européenne des droits de l’Homme [  ICI  ]. Des français ou des étrangers au casier judiciaire vierge continuent de figurer dans ce fichier, ce qui, on s’en doute, est susceptible de leur porter préjudice à un moment ou à un autre.

Des exemples de fuites d’informations après consultation illégale du TAJ sont légion. Une simple consultation dans la presse écrite française avec la seule requête « TAJ consultation illégale » fait remonter près de quarante cas, lesquels ne sont sans doute que la partie visible (pour le public) de l’iceberg.

L’analyse des articles publiés permet de dégager la typologie suivante des motivations :

  • Monétisation des données en vendant l’accès aux fichiers à des personnes extérieures, souvent du milieu délinquant. Des policiers profitent de leur habilitation pour fournir des renseignements en échange d’argent​. On voit ainsi des transactions tarifées : par exemple 50 € la consultation de fiche TAJ dans le réseau « la Genèverie »​ ou encore 25 € pour un numéro d’immatriculation et 100 € pour un signalement FPR dans une affaire de trafic de stupéfiants en 2024​ .

  • Consultations à des fins personnelles ou familiales : plusieurs abus constatés sont le fait de membres des forces de l’ordre agissant par intérêt privé ; des policiers ou gendarmes interrogent le TAJ pour savoir si un.e proche “a des antécédents” ou pour surveiller des connaissances. Par exemple, plusieurs mis en cause ont recherché des informations sur leurs ex-conjoints ou leurs nouveaux compagnons​. D’autres ont avoué avoir consulté des fiches de voisins, de membres de la belle-famille​
  • Consultations à des fins politiques : l’exemple de la jeune Louise cité plus haut montre que les motivations politiques ne sont pas absentes ; de même, dans le cas de la policière de Tours, (Le Figaro 31/01/2023) la consultation est allée jusqu’à porter sur des personnalités publiques​. L’affaire « Squarcini » (Le Monde 30/09/2016) représente le cas le plus emblématique à l’intersection des intérêts politico-économiques.

Le profil des contrevenants couvre un large spectre hiérarchique

On trouve de jeunes gardiens de la paix (22-25 ans) tentés de rendre de « petits services » ou de gagner un peu d’argent facile​, mais aussi des agents plus expérimentés – un commandant de police quinquagénaire, un commissaire divisionnaire. Les gendarmes ne sont pas en reste, avec des militaires d’une vingtaine d’années jusqu’à 40 ans surpris en flagrant délit de consultation illégale​. Il ressort également que certains complices extérieurs (ex-conjoints, amis, informateurs) sollicitent ces agents indélicats, ou que des imposteurs essayent d’exploiter la crédulité des opérateurs (cas du faux policier Leandro)​. Ainsi, l’abus du TAJ n’est pas cantonné à un type précis de profil, mais touche potentiellement tous les échelons, du simple ADS (adjoint de sécurité) jusqu’aux officiers supérieurs.

La banalisation et le sentiment d’impunité

Un élément marquant est la banalité apparente de ces pratiques aux yeux de certains prévenus puisque Les droits d’accès au fichier TAJ ont été multipliés ou tolérés alors que les contrôles semblent être peu efficaces.  Plusieurs ont affirmé en audition que « tout le monde consulte le TAJ », sous-entendu en dehors des enquêtes officielles, et que cette tolérance officieuse ferait partie de la culture du métier​. Le gendarme de l’Ain a parlé d’une « mauvaise habitude fréquente chez nous ». De même, la policière de Tours a soutenu que nombre de collègues avaient eu au pire de simples rappels à l’ordre pour des faits semblables, et qu’il était inédit d’être déféré devant un tribunal correctionnel pour cela​. Ce sentiment d’impunité explique que certains agents aient multiplié les recherches illicites sur des années.

L’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme énonce le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, mais la tentation de mettre la main dans le pot de confiture est trop forte et le pot beaucoup trop facile à atteindre.

Articles recensés (hors doublons) :

10 février 2025

CheckNews

Affaire Louise : quand des médias d’extrême droite dévoilent le nom complet d’un suspect finalement mis hors de cause – TAJ, une information qui fuite.

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14 mars 2024

Le Monde

Au tribunal de Paris, la « tricoche » de deux policiers – Jugés pour « corruption », ils monnayaient des fichiers confidentiels à un escroc. : il était possible, contre quelques centaines d’euros, de recevoir sa fiche TAJ

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16 mars 2024

Le Parisien

Le commissaire détournait des fichiers pour aider sa compagne, joueuse de poker

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2 avril 2024

La Nouvelle République du Centre-Ouest

Usage détourné de fichiers internes : la policière condamnée

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13 mai 2024

Le Parisien

Complicité Un policier ripou dans la manche des trafiquants – Ces données provenaient du fichier des véhicules (SIV), de celui des antécédents judiciaires (TAJ) et de celui des personnes recherchées (FPR). Environ 200 recherches contre une rémunération

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23 mai 2024

La Voix du Nord
À onze reprises, il a consulté le fichier des antécédents judiciaires (TAJ) pour obtenir des informations personnelles sur l’une d’elles. L’un des rares faits que le gradé n’a pas contesté.

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8 juillet 2024

La Nouvelle République du Centre-Ouest

Un policier en poste au commissariat central de Tours a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire le 28 juin, notamment pour des menaces de mort ainsi que la consultation à des fins personnelles du Traitement des antécédents judiciaires (TAJ)

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16 octobre 2024

Le Télégramme (Bretagne)

L’homme était également jugé pour avoir consulté le fichier de traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) à des fins personnelles

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26 novembre 2024

Le Figaro (site web)

Marseille : un policier condamné pour avoir fourni des renseignements au crime organisé. Il avait consulté de manière irrégulière le Traitement des antécédents judiciaires (TAJ), le Système d’immatriculation des véhicules (SIV) et le Fichier des Personnes Recherchées (FPR).

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Mercredi 25 janvier 2023

Le Progrès (Lyon)

Poursuivi pour « violation du secret professionnel » et « détournement de la finalité d’un traitement de données à caractère personnel » Le gendarme consultait des informations protégées.

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28 janvier 2023

Ouest-France

Consultation du TAJ, un fichier d’antécédents judiciaires, à de multiples reprises, pour obtenir des renseignements sur certaines personnes : sa femme, son supposé amant, l’épouse de celui-ci mais aussi sa sœur, des cousins.

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31 janvier 2023

Le Figaro (site web)

Tours : une policière condamnée pour avoir consulté un fichier à des fins personnelles

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1er février 2023

La Nouvelle République du Centre-Ouest

Détournement d’un fichier interne : la policière condamnée

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7 avril 2023

Le Progrès (Lyon)

Un gendarme en poste dans l’Ain, déjà condamné en 2020 pour avoir « espionné » son ancienne compagne, a été jugé pour des menaces de mort. Mais également pour avoir consulté plusieurs fois des fichiers judiciaires pour trouver des informations sur elle ou ses proches.

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16 avril 2023

La Voix du Nord

Une jeune policière révoquée après la vente de fiches confidentielles

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24 avril 2023

Le Figaro (site web)

Police municipale : enquête pour usage illégal de fichiers en Haute-Garonne

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1er juillet 2023

L’Équipe

Supporter giflé par Neymar : Ahmed est gardien de la paix, lui aussi en poste dans le sud de la France, et pense pouvoir consulter le fichier du Traitement des antécédents judiciaires (TAJ) sans trop se faire remarquer.

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29 septembre 2023

Ouest-France

Elle avait obtenu d’un ex, policier à Lorient, qu’il consulte le fichier judiciaire de son ancien petit ami qu’elle accusait de proxénétisme.

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8 janvier 2022

La Voix du Nord

Un policier condamné pour violation du secret professionnel

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5 mai 2022

Le Figaro (site web)

Oise : un policier mis en examen pour avoir détourné des fichiers « à des fins personnelles »

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10 juin 2022

Cambrai

Il consulte des fichiers nationaux dans un but privé, le gendarme sévèrement sanctionné

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18 juillet 2022

Le Figaro (site web)

Vente de données issues des fichiers de police : quatre suspects mis en examen dont deux policiers

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3 septembre 2022

Le Parisien

Escroquerie – Un usurpateur bien connu sur Internet a été mis en examen, jeudi soir à Paris, pour avoir diffusé des données confidentielles provenant des fichiers de police concernant des personnalités.

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24 novembre 2022

Sud-Ouest (site web)

Charente-Maritime : la gendarme avait diffamé son ex sur TikTok – Il lui est reproché un « accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données »

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15 janvier 2021

La Nouvelle République du Centre-Ouest

Un gendarme a été condamné, mercredi, pour avoir ouvert le fichier de traitement d’antécédents judiciaires sans y être autorisé.

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20 août 2021

La Voix du Nord

En dehors de tout cadre légal, des recherches vont être effectuées au «TAJ»

Deux policiers maubeugeois condamnés à de la prison avec sursis

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3 septembre 2021

La Voix du Nord

Détournement, à des fins personnelles, de données en provenance du fichier policier des antécédents judiciaires (TAJ)

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13 mai 2020

Le Parisien

Ces intrigantes recherches sur une accusatrice de Tariq Ramadan – Bidule7575 déclare ce jour-là au policier ripou qu’il a de gros clients qui veulent savoir qui est Christelle – il consulte à 9 h 5 le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ)

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28 septembre 2020

Le Monde (site web)

La juge d’instruction a retrouvé les consultations faites par les deux fonctionnaires au printemps 2018 sur le fichier de Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ)

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25 mars 2018

La Voix du Nord

Un concessionnaire automobile, avec lequel il a un différend commercial, publie sur son téléphone la page de garde du fichier TAJ

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10 mai 2018

Ouest-France

Il va chercher des infos sur la plainte de Monsieur H dans le TAJ (dossier de Traitement des antécédents judiciaires). Et il va planquer l’argent chez des parents. Le gendarme perd la tête à la chasse au trésor.

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16 octobre 2018

La Voix du Nord

J’ai consulté le TAJ car il était censé vivre avec ma fille – Le policier n’accepte pas la rupture conjugale et roue de coups l’ami de son ex.

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30 septembre 2016

Le Monde

France

Pourquoi Bernard Squarcini a été mis en examen

Il est établi par ailleurs que M. Squarcini a eu accès à divers fichiers de police, comme le Traitement des antécédents judiciaires (TAJ), le Service de traitement des infractions constatées (STIC), le Fichier des personnes recherchées (FPR) ou encore le fichier Cristina relatif notamment au terrorisme, couvert par le secret défense.

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16 septembre 2015

Le Figaro.fr

Le fonctionnaire de police recherchait par ailleurs des informations sur les salariés ou les futurs employés de l’établissement dans le fichier policier TAJ

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Le tribunal administratif annule l’arrêté anti-mendicité de la ville de Nice du 13 juin 2022

La LDH – à laquelle s’était jointe la fondation Emmaüs – avait saisi le juge des référés le 1er aout 2022 afin qu’il annule l’arrêté municipal pris par le maire de Nice le 13 juin 2022 règlementant la mendicité pendant la période touristique. Le juge des référés n’avait suspendu que l’article 3 de l’arrêté municipal concernant la mendicité avec chiens.

Par décision du 6 mars 2025 le tribunal administratif de Nice, jugeant sur le fond, vient d’annuler la totalité de l’arrêté du 13 juin 2022.

Pour motiver son arrêté, le maire de Nice avait produit pas moins de 758 PV dressés par la police municipale lors de la saison estivale de l’année précédente ; nous les avions analysés un par un et avec beaucoup de minutie et fait valoir au juge que :

  • Les PV ne font que relater la présence de SDF dans l’espace public
  • Aucun des PV ne signale la présence de SDF agressifs ou accompagnés de chiens dangereux
  • Un groupe très restreint de SDF a été verbalisé un grand nombre de fois

Le juge du fond a admis nos arguments, c’est pourquoi il vient d’annuler l’arrêté du maire de Nice.

Me Mireille Damiano a défendu notre cause avec la ténacité que nous lui connaissons.

Cette décision nous conforte dans notre combat pour le respect du principe constitutionnel de fraternité, pour la dignité et contre toute forme de discrimination et en particulier celle qui s’exerce contre les victimes d’une société de plus en plus inhumaine.  

Nice le 7 mars 2025

LISTE DES DÉCÈS LIÉS A LA FRONTIÈRE ENTRE VINTIMILLE ET MENTON DEPUIS 2015

(mise à jour février 2025)

Cette liste présente l’état actuel de nos connaissances concernant les décès liés aux conséquences physiques et psychiques de la fermeture de la frontière, des politiques migratoires européennes et du racisme sur ce territoire.

Elle a été réalisée par le recoupement d’informations provenant de diverses sources : des habitant.es, des militant.es, des personnes en migration, des travailleurs et travailleuses sociales, des chercheur.ses, des journaux locaux, des municipalités, des bases de données officielles… Elle demeure un travail en cours d’élaboration : des informations essentielles sont encore manquantes et certaines auraient besoin d’être approfondies.

N’ayant pas accès aux sources policières et judiciaires, nous ne savons pas toujours par quels moyens certains noms ont été établis. Nous supposons qu’ils viennent de données que les personnes ont dû déclarer aux autorités dans le cadre du dispositif de contrôle des frontières, celui-là même qui a mené à leur décès. Ainsi, tant qu’il n’y a pas eu de confirmation par des proches, nous ne considérons pas que les personnes sont identifiées avec certitude. Cependant, nous publions ces informations qui peuvent être un point de départ pour retrouver les familles.

D’autre part, n’y sont pas mentionnées les nombreuses personnes gravement blessées mais nous n’oublions pas que les frontières traumatisent les corps et les esprits, en plus de tuer. Il faut également considérer que nous ne sommes très certainement pas au courant de toutes les morts liées à la violence de cette frontière.

Cette violence ne tient pas seulement aux dispositifs de contrôles placés sur le tracé de la frontière mais aussi à la manière dont sont traitées les personnes en migration sur tout le territoire. C’est pourquoi nous avons décidé d’inclure dans notre travail de mémoire non seulement les personnes décédées en tentant de traverser mais aussi celles ayant perdu la vie à cause d’accidents, de rixes ou de problèmes de santé liés aux conditions de vie indignes auxquelles elles ont été contraintes.

Cette liste a pour vocation de soutenir le travail de mémoire et de justice que nous devons à toutes les personnes qui se voient nier leur liberté de circulation et qui se battent quotidiennement pour préserver leur dignité. La forme de liste prise ici permet de partager plus facilement ces informations pour les visibiliser mais nous souhaitons qu’elle ne soit pas perçue comme une tentative d’uniformiser les parcours de chaque individu sous une simple étiquette de « victimes des frontières ». Aucune liste ne pourrait être à la hauteur de la complexité, de la diversité et de l’importance de chacune de ces existences et de leur fin.

Contact : borderkills@riseup.net

L’éternelle danse macabre de l’injustice : Pınar SELEK face à son quatrième report de jugement

Dans les couloirs glacés de la justice turque, le temps s’étire comme une ombre malveillante. Pour la quatrième fois, le verdict dans l’aЛaire Pınar SELEK est reporté, perpétuant une mascarade judiciaire qui, depuis plus d’un quart de siècle, piétine les droits fondamentaux d’une femme dont le seul crime fut de penser librement.

Vingt-six années.

Neuf mille quatre cent quatre-vingt-dix jours. Cinq procès.

Quatre acquittements.

Une vie suspendue au fil d’une justice qui se joue d’elle.

Comment qualifier cette obstination judiciaire sinon de torture institutionnalisée ? Chaque renvoi est un nouveau coup porté non seulement à Pınar SELEK, mais aux fondements mêmes de l’État de droit.

Cette sociologue, féministe et écrivaine, dont les travaux sur les minorités ont enrichi la pensée critique, est contrainte à un exil sans fin, tandis que la justice de son pays natal s’acharne à réécrire une version des faits que quatre acquittements ont pourtant déjà démentie.

La section niçoise de la LDH observe, consternée, ce théâtre de l’absurde où les droits humains sont réduits à de simples accessoires.

Ce quatrième renvoi est une violence délibérée, un véritable et inacceptable déni de justice.

Cette saga judiciaire n’est pas seulement l’histoire d’une femme confrontée à l’arbitraire – c’est le symbole d’une justice dévoyée qui, telle une horloge déréglée, répète inlassablement les mêmes erreurs, sourde à l’impératif de la légalité et aveugle aux évidences de la vérité.

Communiqué du 7 février 2025

Section de Nice de la Ligue des Droits de l’Homme

Vœux du préfet Moutouh : c’est qui « ils » ?

« à se demander s’ils ont été un jour civilisés » 

 « ensauvagement » « décivilisation »  le journaliste prend la précaution de mettre des guillemets afin qu’il ne lui soit pas reproché d’avoir noirci excessivement le tableau dressé par le préfet des Alpes-Maritimes. Un préfet qui alerte ses concitoyens sur des dangers bien réels est dans son rôle ; mais un préfet qui adopte délibérément le vocabulaire de l’extrême droite identitaire et suprémaciste abandonne son devoir de fonctionnaire astreint à la neutralité.

 « à se demander s’ils ont été un jour civilisés »  on suppose que le préfet a même dépassé le concept du « choc des civilisations » (puisque celui-ci implique deux civilisations en opposition) pour revenir aux idées exposées par Jules Ferry au XIXème siècle.

 Assemblée nationale (28 juillet 1885) :

M. Jules Ferry. et je vous défie – permettez-moi de vous porter ce défi, mon honorable collègue, monsieur Pelletan -, de soutenir jusqu’au bout votre thèse, qui repose sur l’égalité, la liberté, l’indépendance des races inférieures.  […]

Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures… (Rumeurs sur plusieurs bancs à l’extrême gauche.)

M. Jules Maigne. Oh ! vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l’homme !

L’arrêté démagogique du maire de Mandelieu a été suspendu par le T.A de Nice

L’arrêté démagogique du maire de Mandelieu a été suspendu par le T.A de Nice

Le 7 octobre 2024, M.  Sébastien Leroy, maire de Mandelieu, prenait un arrêté avec effet du même jour : « tous les drapeaux en lien avec le conflit israélo-palestinien sont interdits sur la voie publique à compter du sept octobre 2024, date anniversaire des attaques terroristes du Hamas […] jusqu’au 13 octobre 2024 minuit ».

Le 8 octobre la presse locale faisait état de cet arrêté sous le titre : « Mandelieu – le maire interdit le drapeau palestinien », reprennent ainsi un tweet du maire de Mandelieu « j’ai signé ce jour un arrêté interdisant les drapeau palestinien » dans lequel il mentait éhontément à ses lecteurs à propos du contenu exact de son arrêté.

Le mercredi 9 octobre la Ligue des droits de l’Homme déposait un référé en annulation de l’arrêté municipal.

En effet, cet arrêté portait une atteinte évidente à la liberté d’expression, laquelle constitue un des fondements essentiels de toute société démocratique. Dans son référé la LDH faisait ressortir que « La liberté d’expression ne saurait s’accommoder d’une telle interdiction, car l’interdiction de drapeaux israéliens pour les personnes souhaitant rendre hommage aux victimes du 7octobre la semaine de l’anniversaire desdits massacres parait disproportionnée ».

En outre, la rédaction imprécise « tous les drapeaux en lien avec le conflit israélo-palestinien » aboutit à interdire aussi le drapeau des États Unis d’Amérique qui sont notoirement impliqués dans ce conflit puisqu’ils fournissent à Israël l’essentiel de ses armements et munitions, ainsi que notre drapeau tricolore, puisque la France a déclaré avoir participé militairement à l’interception des missiles lancées par l’Iran en direction d’Israël.

Le jeudi 10 octobre le TA de Nice a suspendu l’arrêté du maire de Mandelieu

Combat juridique contre un préfet sans foi ni loi

Récit d’un « cirque infernal dura dix semaines au cours desquelles toutes les manifestations ont été systématiquement interdites par un arrêté chaque fois annulé par la juridiction administrative. Semaine après semaine, les recours ont été portés par la Ligue des droits de l’homme, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), l’Association France Palestine et par la suite également par l’Association de Défense des Libertés constitutionnelles (ADELICO) et occasionnellement par des requérant·es personnes physiques. »

Merci à nos avocates Rosanna Lendom et Mireille Damiano qui ont mené ce combat avec l’aide des services juridiques de nos associations.

Comment est-il possible que, dans un pays qui se prétend le parangon de la démocratie, un préfet puisse impunément bafouer ouvertement les principes les plus élémentaires de la démocratie ?

Le texte complet  [   ICI   ]  (durée de lecture : 5mn )

Estrosi, amiral de la flotte des drones sous-marins ?

Nous avons trouvé cet été sur les réseaux sociaux une lettre d’information « L’essentiel Nice » [  ICI  ] dont l’article publié le 31 juillet 2024 [  ICI  ] a particulièrement attiré notre attention.

Reprenons les éléments les plus saillants de cette lettre qui semble avoir été écrite sous la dictée de la directrice générale adjointe de la ville de Nice :

Drone sous-marin et satellite

« Il est également prévu de développer la surveillance maritime avec le repérage via satellite […] mais aussi avec l’acquisition d’un drone sous-marin pour repérer d’éventuelles menaces immergées »

Là, on se pince, on se dit : ce n’est pas possible, j’ai mal lu et on relit deux ou trois fois et non, c’est bien ça, des drones sous-marins et des satellites à Nice. M. Estrosi se prend pour l’amiral de la flotte ou à minima pour le préfet maritime. Le Conseil d’Etat ayant exclu les collectivités locales de l’utilisation de « dispositifs de captation d’images au moyen d’aéronefs sans pilote », peut-être l’idée a germée dans l’esprit du maire : pas dans les airs, donc, sous l’eau, c’est permis. Eureka !  J’aurai mon nouveau gadget pour faire le buzz.

Désolé pour l’égo de M. le maire, mais Nice, ce n’est ni Toulon ni Marseille ! On ne voit pas bien à quoi pourrait s’attaquer un plongeur de combat et il n’y aura pas de dents de la mer à Nice, puisque, en matière de squales, il y a bien longtemps que les inoffensifs « anges de la mer » (squatina oculata) ont déserté la baie du même nom.

5.000 caméras

Le dispositif de la ville de Nice comporterait donc – en août 2024 – 5.000 caméras de vidéosurveillance.  Au dernier pointage en 2023, on en était déjà au chiffre impressionnant de 4.000 caméras [  ICI  ]. Tenter de suivre l’évolution du nombre de caméras à Nice, c’est prendre le risque d’être toujours en retard d’une statistique. S’il y a vraiment 5.000 caméras à Nice, cela voudrait dire qu’il y en a plus qu’à Paris intra-muros ! 

Mais quel est le résultat tangible de cette débauche de caméras ? Lors du référé au Conseil d’Etat relatif à l’arrêté municipal de couvre-feu des mineurs « le magistrat parisien a alors insisté sur les données chiffrées produites par la ville qui indiquent que le nombre de victimes d’infractions pour 1.000 habitants à Nice est supérieur à la moyenne française en 2023 pour les atteintes aux biens et aux personnes » (Nice-Matin du 12 juillet 2024).

L’intelligence artificielle

L’article fait mention de « L’intégration de l’intelligence artificielle qui permet d’augmenter l’efficacité de la vidéosurveillance, notamment en ce qui concerne les « risques feux de forêt ». Pourquoi écrire « notamment » ? Il y aurait à Nice d’autres utilisations de couplage vidéosurveillance + IA ? Ce serait illégal. Et ce, malgré les déclarations faites au juge administratif de Nice en novembre 2023 suite au recours de la LDH et de l’union syndicale Solidaires, dans le cadre du recours concernant l’utilisation du logiciel israélien Briefcam ? [  ICI  ]. Si l’IA permet de combattre efficacement les feux de forêt : bravo ! Dès lors que cette technique n’est pas utilisée comme cheval de Troie psychologique justifiant ensuite l’utilisation de l’IA pour porter atteinte aux libertés individuelles … 

Les réquisitions

La ville annonce 2.000 réquisitions d’images par an, soit presque 6 réquisitions par jour. Il semblerait donc que la réquisition soit devenue une sorte de réflexe pavlovien ou de « parapluie administratif » de la part de la police nationale locale. Rien n’est dit de suites concrètes de cette profusion de réquisitions.

Interpellation des trois suspects de l’incendie meurtrier des Moulins

On remarquera tout d’abord que la dite « vidéoprotection », une fois de plus, n’a pas empêché que le crime soit commis ; elle n’a pas protégé les habitants du quartier.

L’article s’engage peut-être un peu vite en indiquant que les interpellations sont dues à la vidéosurveillance ; l’instruction de cette affaire le dira. Dans tous les cas, la presse a rapporté que le chauffeur du véhicule s’est rendu de lui-même quelques heures après l’incendie. Si la vidéosurveillance est à l’origine des arrestations, tant mieux et ça rentrera dans les 2% de cas résolus au niveau national grâce à la vidéosurveillance. 

Nice, une caméra de très longue portée sur la voie publique, c’est comme une caméra de supérette

Le 18 avril 2024, nous mettions en ligne sur notre site un article intitulé : « Aucune réponse ». En effet, un article paru dans le 5/12/2023 dans quotidien local Nice-Matin faisait état de l’installation d’une caméra de très longue portée capable de visionner une personne se déplaçant à l’aéroport à partir de Rauba Capeu, soit sur une distance d’environ six kilomètres à vol d’oiseau.

A la suite de cette information, nous avons adressé une série de courriers :

  • lettre adressée le 18 décembre 2023 au président de la commission départementale de la vidéoprotection, restée sans réponse.
  • courriers adressés le 30 janvier 2024 et le 29 février 2024 (en RAR) au préfet des Alpes-Maritimes, restés sans réponse.

Le 6 mai 2024 nous était présenté un courrier en RAR de la préfecture, daté du… 15 avril 2024 !

Cinq mois après notre premier courrier, que nous dit la préfecture des Alpes-Maritimes ?

1/ L’obligation d’informer le public de l’existence d’une caméra de vidéosurveillance « est satisfaite dès lors que la ville de Nice dispose sur son territoire d’un nombre suffisant de panneaux destinés à informer le public de l’existence d’un dispositif de vidéoprotection, une indication précise du champ de vision n’est donc pas nécessaire […] »

2/ « La réalisation et la communication d’une étude d’impact ne sont pas requises par les dispositions réglementaires »  

3/ « l’avis n° 20230576 du 9 mars 2023, rendu sur votre saisine par la CADA (1) considère que la communication des spécifications techniques des caméras est de nature à porter atteinte à la sécurité publique que protègent les dispositions du d) du 2° de l’article L 311-5 du code des relations du public avec l’administration. Par conséquent, je ne suis pas tenu de vous communiquer ces éléments.  […] mes services restent compétents pour s’assurer de la conformité de l’installation aux prescriptions réglementaires »

En résumé, ce courrier :

  • ne conteste pas l’existence d’une caméra de vidéosurveillance de très longue portée à Nice
  • refuse de communiquer les caractéristiques techniques de la caméra sous couvert de risque d’atteinte à la sécurité publique
  • considère que le premier policier du département est la personne la plus idoine pour certifier la conformité d’un dispositif policier.

Pour le préfet des Alpes-Maritimes, ce type de dispositif hors normes doit se traiter avec les mêmes obligations que celles applicables à une caméra de vidéosurveillance de supérette.

*

(1) Le 29 juin 2022, la préfecture des Alpes-Maritimes prenait un arrêté autorisant en une seule fois 2.258 caméras de vidéosurveillance à Nice ce qui laissait supposer une vaste opération de régularisation d’installations non déclarées.  Le 19 septembre 2022, nous sollicitions par lettre RAR communication de l’avis émis par la commission départementale de la vidéoprotection. Cinq mois plus tard, après deux lettres RAR et deux saisines de la CDA, la préfecture nous adresse un extrait du PV que nous contestons aussitôt. Finalement, après six mois de démarches, un deuxième document nous est adressé qui est un montage du PV destiné à occulter les items couverts, selon la préfecture, par des raisons liées à la sureté de l’Etat ou à la sécurité publique.

Le tabou de la reconnaissance faciale

Le tabou de la reconnaissance faciale

Avril 2024, Mme Véronique Borré – vice-présidente de la Région Sud en charge de la sécurité et directrice générale adjointe à la ville de Nice – met à profit, sans vergogne, l’émotion provoquée par l’intrusion d’un ancien élève dans un lycée de Toulon (1) pour tenter de remettre à la une de l’actualité la question de la reconnaissance faciale dans les lycées : « L’ensemble de ces dispositifs ne pourront atteindre leur efficience maximale que lorsque nous lèverons le tabou autour de l’utilisation de la reconnaissance faciale dans nos lycées » Web Région Sud 11/04/2024.

Le lobby politico-financier lié à l’industrie de la vidéosurveillance procède toujours de la même façon : mettre à profit un évènement qui, légitimement, impacte l’opinion publique pour placer ses pions.  La première tentative menée fin 2018 par la région Sud a été stoppée net par le tribunal administratif de Marseille (février 2020) saisi par la LDH, la Quadrature du net, la CGT Educ et la FCPE.

Se positionner en pourfendeur d’un tabou est censé procurer un avantage : tabou évoque immanquablement un interdit primitif, voire naïf ; donc, s’attaquer à un tabou place les responsables de la Région Sud dans une position offensive avec un message subliminal de pourfendeurs de croyances empreintes d’irrationalité ; mais c’est aussi tenter de se placer sous la protection des « Lumières » modernes et progressistes face aux tenants des chimères du passé.

La ficelle Orwellienne d’inversion des rôles est un peu grosse ; elle ne saurait masquer l’irresponsabilité, ou le cynisme, de ceux et celles qui voudraient nous faire prendre des vessies d’oppressions sécuritaires pour des lanternes libératrices.

Protéger la vie privée n’est pas un moyen de s’extraire du contrôle social ; la vie privée a non seulement une valeur sociale, mais elle est la condition de la liberté et de la démocratie.

Nice, le 26 avril 2024

  • (1) « L’intrusion qui avait suscité un vif émoi au lycée Claret ce mardi ne présentait aucun caractère de dangerosité, a souligné le procureur de la République. » Var-Matin 11/04/2024