Attentat du 14 juillet : un indispensable second procès

Le procès actuellement en cours a pour vocation de juger la culpabilité des personnes susceptibles d’avoir aidé Mohamed Lahouaiej-Bouhlel à commettre l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. De nombreux témoignages émaillent les audiences et les responsables de l’époque, nationaux et locaux, vont très prochainement témoigner : François Hollande et Bernard Cazeneuve le 10 octobre, Philippe Pradal et Christian Estrosi le 20 octobre. Or la question des failles éventuelles du dispositif de sécurité mis en place ne pourra pas être tranchée par ce procès, puisque tel n’est pas son objet. Des plaintes ont été déposées et une instruction est en cours depuis décembre 2016, mais sans que l’on sache si un second procès aura bien lieu.

Au vu des éléments actuels, constats validés et témoignages, les parties civiles, mais aussi et plus largement la société civile, sont légitimes à demander la tenue d’un second procès judiciaire afin d’être éclairées sur les éventuelles failles du système de sécurité et les responsabilités afférentes des autorités en charge de la sécurité de cette soirée tragique du 14 juillet 2016.

Ce deuxième procès est une nécessité pour les familles et proches des victimes mais elle l’est aussi pour l’ensemble des Niçoises et des Niçois, et bien au-delà. La menace terroriste ne peut être écartée. Même si nous savons qu’aucun dispositif de sécurité ne peut prétendre à 100 % empêcher un attentat, il faut, pour une meilleure protection de nos concitoyens, tirer les enseignements de l’inefficacité du dispositif mis en place le 14 juillet 2016 à Nice. Et, plus encore que le dispositif lui-même, c’est la conception de notre politique sécuritaire qui est en jeu.
L’attentat du 14 juillet 2016 a été et reste pour notre ville une terrible épreuve. De nombreuses personnes, qu’elles soient niçoises ou venues d’ailleurs, ont été frappées dans leur chair. Beaucoup en portent les stigmates, tant physiques que psychologiques. Leurs revendications sont légitimes, elles doivent être entendues et devenir nos revendications collectives et citoyennes.

Nice, le 9 octobre 2022


La Ligue des Droits de l’Homme section Nice, le Syndicat des Avocats de France, le Collectif citoyen 06 et l’association Tous citoyens

Nice Halle Gare du Sud

Vous prendrez bien une tranche de caméra sauce surveillance ?

L’idée était pourtant séduisante : proposer aux Niçois une « offre de restauration variée et conviviale tournée vers la thématique des cuisines du monde ».

Si l’opération, hélas, est pour le moment un échec financier retentissant, la machine bureaucratique, elle, semble bien se porter, en distribuant des autorisations de vidéosurveillance à tour de bras, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Halle.

On savait déjà que ce lieu, par son volume, son bruit et sa résonance, n’était déjà pas le plus convivial de la ville, mais voici qu’à présent, son gestionnaire est autorisé à vous surveiller en permanence pendant vos repas à l’aide de ses 18 caméras 360° : Bon appétit !

La banalisation de la vidéosurveillance

Pour rappel, dans ce même ensemble immobilier (côté Bd Malausséna), se trouve une médiathèque dans laquelle pas moins de 17 caméras de vidéosurveillance avaient déjà été autorisées (22/01/2014) dont une dans ce qui était à l’époque une salle de réunion associative… Saisie par nos soins, la Commission départementale de la vidéoprotection, présidée par un magistrat du Siège, a estimé (30/11/2016) que « le dispositif est apparu proportionné à la double exigence de libre expression et de sécurité ».
La banalisation de la vidéosurveillance est donc telle que même un magistrat du siège trouve normal que l’on puisse vidéosurveiller ou éventuellement enregistrer les activités d’une association loi de 1091. [lien]

Une étrange mission confiée au privé

A la lecture de l’article 5 de l’arrêté, on constate que la société privée «  La Halle Gare du Sud » se voit confier par l’Etat des missions de « prévention d’actes terroristes » et de « prévention du trafic de stupéfiants », missions en principe éminemment régaliennes ; très étrange.

Arrêté préfectoral du 20 mai 2022 (extrait) :


Nice – Arrêté préfectoral du 29 juin 2022 : Estrosi is watching you

L’arrêté préfectoral du 29 juin 2022 autorise rien de moins qu’un lot supplémentaire de 2.258 caméras de vidéosurveillance, ainsi que le transfert des images du centre de supervision urbain (CSU) vers le bureau de monsieur le maire !

Open Bar

La commission départementale – pourtant présidée par un magistrat du siège – n’a imposé aucune limite au nombre d’écrans possibles dans « le bureau de monsieur le maire » ; cela veut dire qu’il aura tout le loisir d’en faire installer deux, trois, quatre ou plus s’il en ressent l’impérieux besoin (1). 

Tracking sur la voie publique

Le réseau actuel de 4.000 caméras de vidéosurveillance pouvant être couplé à terme avec le logiciel de profilage (tracking) sur la voie publique actuellement en expérimentation à Nice, on imagine toutes les opportunités qui pourraient s’offrir au maire. Allez, il ne faut pas faire preuve de mauvais esprit, le maire dit à la presse que juste pour pouvoir retrouver un enfant ou un pépé Alzheimer qui se seraient perdus…

Banalisation de la vidéosurveillance généralisée de la voie publique

On observe comment on a dérivé silencieusement de la vidéosurveillance statique « de papa » sur quelques caméras, à la vidéosurveillance généralisée sur plusieurs milliers de caméras (cas de Nice) ;

 puis aux transferts tous azimuts d’images captées sur la voie publique  (Décret du 12/8/22 « relatif à l’extension des destinataires des images de vidéoprotection »  [  ICI  ] ) ;

 puis au profilage qui n’est possible qu’avec une vidéosurveillance généralisée.

Prochaine étape : que pourrait-on faire à partir du profilage ?  Le concours d’idées est lancé ! Mais on ne triche pas en regardant sur l’élève Xi Jinping.

***

(1) Article 3 de l’arrêté du 3 août 2007 portant définition des normes techniques des systèmes de vidéosurveillance : « Le logiciel permet : 1° La lecture des flux vidéo sans dégradation de la qualité de l’image ; 2° La lecture des flux vidéo en accéléré, en arrière, au ralenti ; 3° La lecture image par image des flux vidéo, l’arrêt sur une image, la sauvegarde d’une image et d’une séquence, dans un format standard sans perte d’information ; 4° L’affichage sur l’écran de l’identifiant de la caméra, de la date et de l’heure de l’enregistrement ; 5° La recherche par caméra, date et heure. »

***

Recours de la LDH contre l’arrêté anti-mendicité (13 juin 2022) de la ville de Nice

Communiqué :

« La liberté est la règle et la restriction de police l’exception »

Recours en référé suspension et pour excès de pouvoir contre l’arrêté du 13 juin 2022 pris par M. le maire de Nice portant réglementation de la mendicité sur les secteurs touristiques.

Malheureusement, une fois de plus, la Ligue des droits de l’Homme a été contrainte de déposer auprès du tribunal administratif de Nice , le 1 août 2022, un recours en référé suspension, ainsi qu’un recours pour excès de pouvoir contre le nouvel arrêté anti-mendicité de la ville de Nice.Les principaux points soulevés devant la juridiction administrative sont :

  • Atteinte à la liberté d’aller et venir qui est la première des libertés
  • Non respect de la liberté d’utilisation du domaine public
  • Violation du principe de non discrimination à l’égard des personnes vivant dans la pauvreté et du principe de respect de la dignité humaine
  • Atteinte portée au principe de fraternité et à la liberté fondamentale d’aider autrui dans un but humanitaire
  • Absence de preuves de troubles à l’ordre public en rapport avec l’exercice de la mendicité
  • Détournement de pouvoir : en effet, il apparaît clairement que l’objectif réel de l’arrêté n’est pas le maintien de l’ordre public, mais  de rendre invisible la mendicité dans les zones touristiques de la ville

Christian Braquet

Président de la section de Nice

IMREDD Nice : grattez un peu la smart-city et vous trouverez rapidement la police-city

L’IMREDD

L’Institut Méditerranéen du Risque de l’Environnement et du Développement Durable (IMREDD) est un institut de l’université Côte d’Azur (ex université Nice Sophia-Antipolis) qui « s’intéresse à un défi sociétal : le territoire intelligent et résilient, territoire « aimable » face à l’ensemble des problématiques environnementales. »

« Intelligent », « résilient », « aimable » : une avalanche de qualificatifs charmants, qui évoquent plus le confort douillet du cocooning que l’univers de la barbouzerie digitale ; et pour faire bonne mesure, comme c’est désormais le cas assez souvent, on enrobe le tout avec des « problématiques environnementales » : qui pourrait s’opposer à ça ?

Cette technique du « paquet cadeau » qui consiste à mixer, dans un même projet, surveillance généralisée et invasive des populations avec des solutions qui pourraient s’avérer utiles (alertes tremblements de terre, accidents Seveso, etc.) est utilisée par la ville de Nice dans son projet « Safe city » piloté par Thalès  https://site.ldh-france.org/nice/2018/08/27/safe-city-criminogene/

Dans tous les cas, l’objectif est d’éviter de prononcer les mots qui fâchent comme surveillance, contrôle des réseaux sociaux, reconnaissance faciale, etc.

SERENITY

Prenons l’exemple de « Serenity », projet piloté par l’IMREDD :

« L’ambition stratégique de SERENITY est avant tout d’apporter une solution globale et clés en main aux acteurs du tissu urbain, avec des avantages croisés et mutualisés autour des grandes thématiques de la sureté / sécurité et de l’écoresponsabilité. En renforçant au sein même du projet l’acceptabilité de cette technologie disruptive, l’objectif est de supprimer les barrières et freins à l’adoption. »

Il s’agirait de proposer une « solution globale » autour des « grandes thématiques de la sureté/sécurité et de l’écoresponsabilité », sans plus de précisions, sans doute parce que les concepteurs savent parfaitement que la vidéosurveillance généralisée et autres techniques de pistage algorithmique des citoyens, ça passe mal ; c’est pourquoi on inclut dans le paquet cadeau un peu d’écoresponsabilité fort consesuelle.

D’ailleurs, si « Serenity », dont le titre même évoque immanquablement « dormez bien les enfants » est une solution technologique  exempte d’atteintes aux libertés publiques, on se demande bien pourquoi « l’objectif est de supprimer les barrières et freins à l’adoption. » Le directeur de l’IMREDD lui-même tente de convaincre en déclarant sur Twitter (23/06/2022) :  » le premier besoin du citoyen quand il sort de chez lui, c’est de sen sentir en sécurité dans la ville » version à peine modifiée du fameux « la première des libertés, c’est la sécurité » chère chère à tous les marchands de solutions techno-policières.

Le consortium de Serenity

Pour y regarder d’un peu plus près, il suffit de consulter le savoir faire de toutes les entreprises qui composent le consortium de Serenity, pour comprendre que nous n’avons pas à faire à des bisounours  

ONHYS : spécialisée dans la simulation du comportement humain

SIRADEL ENGIE :  l’optimisation d’infrastructures (connectivité 5G/6G, mobilité, vidéosurveillance, etc.), et les territoires dans leurs transformations digitales, énergétiques, environnementales et sociétales

INOCESS : captation des flux par IoT qui permet la mise en place et l’administration d’un ensemble de capteurs sur le terrain, le prétraitement et l’anonymisation des données.

VIDETICS : propose des solutions d’analyse vidéo par intelligence artificielle permettant de se connecter aux réseaux des caméras de vidéoprotection et de retransmettre en temps réel des informations

ATRISC : compétences fortes autour de toutes les questions liées à l’innovation dans les domaines de la gestion des risques, menaces et vulnérabilités des organisations et des territoires. Le sujet de l’acceptabilité des solutions ou méthodes proposées aux usagers. ATRISC assure le pilotage de l’acceptation

Mots clé : Simulation de comportement humain, transformations sociétales, analyse vidéo par intelligence artificielle, caméras de vidéoprotection, vulnérabilités des organisations.

Sans doute, ils pensent que les français sont encore un peu archaïques, un peu trop Amish pour accepter leurs solutions intrusives, mais avec le « pilotage de l’acceptation » (traduisez un bon lobbying) , le groupe de pression sécuritaire espère y arriver.

En appuyant sur un bouton

Lors de l’émission « C Politique » diffusée sur la 5 samedi 7 mai, il a été diffusé un reportage sur la gestion de la pandémie par la Chine avec les méthodes techno-policières que l’on connait. Ci dessous, un extrait de 7 minutes :

(cliquez sur le triangle en bas à gauche)

Dans ce bref extrait, on voit les policiers chinois utiliser toute une gamme d’objets technologiques et de procédures qui existent aussi en France, même s’ils ne sont pas généralisés, systématisés et poussés à leur paroxysme comme en Chine : vidéosurveillance généralisée, reconnaissance faciale, géolocalisation, Pass, drones pour surveiller et  invectiver la population ; nous n’avons pas encore ces effrayants cloportes-robots développés sur le modèle de ceux de Boston Dynamics et munis de hauts parleurs.

Pas de ça chez nous

La première réaction est de penser que tout cela ne peut se produire en France, parce que nous sommes une démocratie, même autoritaire et avec de très forts penchants policiers, même très friande d’états d’urgence prolongés et « régimes transitoires ». Mis à part quelques représentants du tout sécuritaire tels qu’Estrosi et autres Rebsamen, on imagine volontiers la réponse de la majorité des élus : pas de ça chez nous !

Le « Crisis data hub »

 Toutefois, on ne peut s’empêcher de penser à quelques-unes des propositions contenues dans le rapport produit en juin 2021 par nos braves et paisibles sénateurs de la « Délégation sénatoriale à la prospective »  [   ICI   ] dont nous avons extrait quelques propositions :

« Quarantaine obligatoire pour les seules personnes positives, strictement contrôlée grâce à des outils numériques (géolocalisation en temps réel avec alerte des autorités » « Dans les cas les plus extrêmes […] toute violation de quarantaine pourrait conduire à une information en temps réel des forces de l’ordre, à une désactivation du titre de transport, ou encore à une amende prélevée automatiquement sur son compte bancaire »

Mais la proposition phare est celle de la création d’un « Crisis data hub » plateforme de collecte, de concentration de données personnelles (comme par exemple les données médicales) croisées avec celles produites par des tiers (opérateurs télécoms (géolocalisation), entreprises dites « technologiques » , transports, banques, etc. Le tout à mettre en œuvre uniquement en « cas de crise sanitaire ou autre ».

En appuyant sur le bouton

Les sénateurs se placent dans l’hypothèse d’une « situation de crise sanitaire ou autre » pour s’autoriser à « croiser, entre autres, des données médicales avec des données de géolocalisation » ; c’est exactement ce que fait actuellement le gouvernement chinois.

Le très vague et inquiétant « ou autre » devrait alerter tous les défenseurs et défenseuses de l’Etat de droit ; c’est la porte ouverte à tous les abus et à toutes les tyrannies. Que se passera-t-il si un jour est déclenchée dans notre pays une grève générale illimitée et qu’elle dure plusieurs semaines ? Qui est en mesure de garantir que ce dispositif ne sera pas détourné pour surveiller ou entraver les mouvements des syndicalistes, des journalistes ou de simples militants ?

L’expérience montre que lorsqu’un dispositif techno est disponible, son utilisation finit toujours par être dévoyée et utilisée à d’autres fins que celles prévues à l’origine, dans un premier temps illégalement, puis ensuite avalisé par la loi, Cf par exemple : la reconnaissance faciale sur les fichiers du TAJ, les valises IMSI Catcher, l’utilisation policière des drones.  

Les sénateurs  font preuve d’une certaine candeur s’ils pensent qu’ils vont pouvoir venir à bout d’une pandémie « ou autre » « en appuyant sur le bouton » ;  leurs propositions sont très inquiétantes, car « en appuyant sur un bouton » il serait alors possible de porter un coup fatal à l’Etat de droit.  

L’absentéisme scolaire, l’éducateur, le démagogue et le procureur

Photo publiée le 30 mars 2022 dans les réseaux sociaux par le premier adjoint au maire de Nice et retweetée par le procureur de la République de Nice, informant les abonnés à leurs comptes respectifs de la tenue d’un conseil des droits et devoirs des familles – avec la mention : « dernier avertissement »

Les équipes éducatives prennent en charge le problème de l’absentéisme scolaire

L’absentéisme est une plaie sociale qu’il faut combattre ; c’est souvent la première étape vers la déscolarisation et donc, parfois, vers la désocialisation. De longue date, les procédures ont été prévues par le code de l’éducation nationale afin de détecter, prévenir et éventuellement sanctionner les familles, notamment par un signalement au procureur de la République. Enseignants, conseillers principaux d’éducation, équipes éducatives, chefs d’établissements, œuvrent au quotidien et convoquent les familles – sans tambours ni trompettes – pour limiter ce phénomène.

La ville de Nice s’empare du sujet, puis l’abandonne et … le reprend à la veille des élections

En 2010, la ville de Nice a créé un conseil des droits et devoirs des familles sur la base d’une loi du 5 mars 2007 dite de prévention de la délinquance, dont le rapporteur était un certain Christian Estrosi. En effet, les politiciens conservateurs ont inscrit dans le code de l’action sociale et des familles deux articles (L 141-1 et L 141-2) qui autorisent les communes à prendre en charge – elles aussi – la problématique de l’absentéisme scolaire créant ainsi un doublon administratif avec l’Education nationale, service de l’Etat.

Ayant sans doute épuisé les charmes de cette commission en termes de nouveauté à mettre sous la lumière des médias, en 2018, la ville de Nice transfère les compétences de ce conseil au CCAS et donc plus personne n’en entend parler. Toutefois, mordu aux mollets sur le thème de la sécurité par les Ciotti, Le Pen et autres Zemmour, le maire de Nice a sans doute estimé que c’était le bon moment, en ces temps préélectoraux, pour montrer ses muscles sécuritaires. C’est pourquoi, en février et mars 2022, deux délibérations du conseil municipal de la ville de Nice rapatrient en son sein la gestion du conseil des droits et devoirs des familles.

La nouvelle configuration du conseil des droits et devoirs des familles de la commune de Nice, telle qu’approuvée le 4 mars 2022, laisse apparaitre une nette coloration répressive : présidée par l’adjoint à la sécurité, présence du procureur de la république et d’un policier municipal ; en même temps, elle exclut du conseil le représentant du conseil départemental 06 qui est la collectivité désignée par la loi comme responsable territorial des questions liées à la petite enfance et cela pour des raisons de pure tambouille politicienne locale dans laquelle l’intérêt de l’enfant n’a pas pesé bien lourd.

Quelques jours plus tard, nous assistons à la théâtralisation sur les réseaux sociaux de l’activité de ce conseil, sous la houlette du premier adjoint chargé de la sécurité

Une des photos diffusées par le premier adjoint sur les réseaux sociaux (cf. ci-dessus) pourrait aisément permettre à des voisins ou des habitants du même quartier de reconnaitre la famille qui « comparait », alors que l’article L 141-1 indique que « Les informations communiquées […] ne peuvent être divulguées à des tiers sous peine des sanctions prévues ». Compte-tenudu nombre d’abonnés aux comptes twitter du premier adjoint et du procureur, environ 10.000 personnes sont susceptibles de voir cette photo.

Que vient faire le procureur de la république dans ce simulacre de tribunal ?

 Le conseil s’est réuni avec la bénédiction et la présence effective du procureur de la république de Nice, présence prévue par la délibération du conseil municipal du 4/03/2022, mais juridiquement douteuse car non prévue par les deux articles du code de l’action sociale  qui énumèrent les membres de ce conseil (L 141-1 et D 141-8). Non seulement le procureur de Nice assiste, mais il persiste et signe en retweetant purement et simplement le premier adjoint qui présidait la séance.

Pourquoi le procureur de la République se met ainsi au service de la communication de la ville de Nice ?

Pour diminuer l’absentéisme scolaire

Il est légitime de se poser la question de savoir si l’équipe municipale de Nice pense résoudre le problème de l’absentéisme scolaire avec quelques coups de menton et quelques tweets ou si son objectif prioritaire est de faire de la communication sécuritaire. Si la ville de Nice souhaite apporter une contribution au problème de l’absentéisme scolaire, elle devrait revoir de fond en comble toute sa politique sociale, de l’habitat et de l’urbanisme.

Signataires : Ligue des droits de l’Homme (Nice) – Syndicat des avocats de France (Nice)Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples 06Réseau éducation sans frontières 06 – Tous citoyens – Habitat et CitoyennetéDroit au logement 06ATD Quart Monde Nice.

Réfugiés : lettre ouverte au préfet des Alpes-Maritimes :

photo Thomas Coex-AFP

« Non au tri des réfugiés fuyant l’Ukraine à la frontière franco-italienne ! »

Monsieur Le Préfet,

Nous nous permettons de vous interpeller car la Police de l’Air et des Frontières française, placée sous votre autorité, se livre quotidiennement, à la frontière franco-italienne, à un inadmissible tri des réfugiés fuyant la guerre en Ukraine, laissant passer les Ukrainiens et refoulant les non-ukrainiens.

Depuis le 24 février 2022, des milliers de victimes de la guerre fuient l’Ukraine passant par la Pologne, la Moldavie, la Hongrie et continuent leur chemin vers d’autres états européens.

Il est acquis que les personnes arrivant aux frontières puissent, le plus facilement possible, passer dans un autre pays membre, pour rejoindre de la famille ou des amis.

En effet, la commission européenne rappelait le 8 Mars 2022 qu’il existait de multiples catégories d’entrants parmi lesquels des citoyens de l’UE, des réfugiés reconnus par l’Ukraine, mais aussi des étudiants et travailleurs de nombreux pays ; elle rappelait qu’ « il est capital que toutes les personnes qui fuient l’agression de la Russie en Ukraine, sans exception, soient traitées avec le plus grand respect et le plus grand soin ».

Le Conseil de l’Union Européenne a décidé d’actionner, le 4 mars 2022, le dispositif exceptionnel de protection temporaire prévu à l’article 5 de la directive du 20 Juillet 2001.

La circulaire ministérielle adressée le 10 mars 2022 à tous les préfets précise le champ d’application de la décision du Conseil de l’Union :

  • Les ressortissants ukrainiens y résidant avant le 24 février 2022
  • Les ressortissants des pays tiers bénéficiant d’une protection internationale ou nationale équivalente
  • Les ressortissants de pays tiers résidant régulièrement en Ukraine « sur la base d’un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays d’origine dans des conditions sûres et durables » ; pour l’application de ces dispositions, vous convoquerez l’intéressé à un entretien au cours duquel vous procèderez à l’examen de sa situation individuelle.
  • Les membres de famille

La Commission européenne, dans une publication du 21 Mars 2022 a rappelé que tant les personnes ayant droit à la protection temporaire que celles qui n’y ont pas droit peuvent bénéficier du regroupement familial.

Elle précise encore que les personnes qui n’auraient pas droit à une protection temporaire et qui seraient en mesure de retourner dans leur pays d’origine dans des conditions sures et durables devraient être admises dans l’Union, même si elles ne remplissent pas toutes les conditions d’entrée fixées par le code frontières Schengen, afin que leur passage sur en vue de leur retour soit assuré.

Il est donc de votre responsabilité de garantir aux ressortissants non-ukrainiens fuyant les bombardements russes, un entretien individuel et l’étude de leurs droits. Encore faut-il les laisser entrer sur le sol français !

Or, plusieurs dizaines de ressortissants de pays tiers fuyant l’Ukraine, ont, nonobstant ces directives et recommandations,  été refoulés à la frontière franco-italienne par les agents de la Police de l’Air et des Frontières placés sous votre responsabilité, en total contradiction avec les décisions de l’Union Européenne et des engagements de la France.

Nous avons été alertés sur la gravité de ces exactions, et avons été informés de source sure des réponses données par un agent de la PAF, sur l’une de ces situations :  

« Ils ne sont pas ukrainiens, ils sont xxxx (…) Le plus court chemin pour XXXX, c’est pas la France, c’est de l’autre côté. Ils repartent d’où ils viennent. On a des instructions. [ … ] Les ukrainiens, y’a pas de soucis, ceux qui ne sont pas ukrainiens, c’est comme ça. C’est la loi

Ces pratiques vont à l’encontre d’un traitement digne et respectueux des exilés fuyant la guerre en Ukraine. Elles constituent une privation manifeste de leurs droits. Elles établissent une discrimination intolérable et un tri honteux entre ukrainiens et non ukrainiens.

Nous vous demandons de faire appliquer, sans délais et sans dévoiement, la décision du Conseil de l’Europe éclairée par la circulaire du 10 mars 2022 et la communication de la Commission européenne du 21 Mars 2022 et de donner les instructions en ce sens aux services de la Police aux Frontières.

Nous vous prions de croire, Monsieur Le Préfet, à l’expression de notre parfaite considération.

Ligue des Droits de l’Homme PACA – Syndicat des Avocats de France – Tous CitoyensHabitat et citoyenneté.

————————————————————————————————————————

Comment les politiques migratoires influencent notre sentiment d’empathie envers les réfugiés ?

Une réflexion de la sociologue Jocelye Streff-Fenart , membre de la section de Nice de la LDH. Cliquez ici : https://s.42l.fr/empathie-ou-pas

Les drones policiers au conseil constitutionnel

CONTRIBUTION EXTÉRIEURE SUR LA LOI RELATIVE A LA RESPONSABILITÉ PÉNALE ET LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE ADRESSÉE AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL LE 30/12/2021

Objet : Contribution extérieure du Syndicat de la Magistrature, du Syndicat des Avocats de France, de la Ligue des Droits de l’Homme et de la Quadrature du Net, sur la loi relative à la responsabilité pénale et la sécurité intérieure (2021-834 DC)

Cette contribution adressée au Conseil Constitutionnel contient 45 pages https://s.42l.fr/contributionloisecuriteinterieure  ; nous proposons ici une brève synthèse de la partie concernant les drones, elle-même contenue dans le chapitre « dispositions relatives à la captation d’images »

Drones

 Ces articles doivent être censurés par votre Conseil pour deux raisons : ils échouent à présenter les garanties qui faisaient déjà défaut dans la loi sécurité globale et qui en avaient justifié la censure par votre Conseil ; ils présentent encore moins de garanties.

En matière de police judiciaire et de police municipale, le législateur a apporté quelques précisions utiles par rapport à la loi sécurité globale (par exemple, en matière municipale, la très large finalité consistant à « assurer l’exécution des arrêtés de police du maire » a été remplacée par une liste de finalités plus explicites : sécurité des événements publics, régulations des transports, assistance aux personnes…

En revanche, en matière de police administrative, la liste des finalités reste inchangée et toujours aussi excessive. De plus, la loi ajoute pour la police judiciaire une nouvelle finalité particulièrement large : la « recherche d’une personne en fuite ». La logique même de la fuite, couplée à la très grande mobilité des drones, est susceptible d’entraîner la surveillance de zones géographiques aussi larges qu’impossibles à anticiper.

• Durée

La loi déférée prévoit que l’autorisation rendue par le préfet en matière de police administrative ou de police municipale peut être renouvelée par le préfet tous les trois mois de façon illimitée (idem pour le Procureur, dans ses attributions). Les autorisations peuvent être renouvelles pour une durée à laquelle le législateur n’a fixé aucune limite maximale, contrairement aux exigences constitutionnelles.

• Périmètre

La loi déférée continue de laisser la délimitation du périmètre surveillé à la discrétion du préfet ou du procureur. En pratique, cette absence de limitation empêchera toute autorité indépendante d’examiner au préalable la nécessité et la proportionnalité de la mesure de surveillance. Ce n’est qu’a posteriori, une fois que l’atteinte aux libertés de la population aura été consommée qu’une autorité extérieure pourra éventuellement y mettre fin.

• Subsidiarité

Votre Conseil a censuré la loi sécurité globale au motif que le déploiement de drones ne présentait « pas un caractère subsidiaire » – autrement dit, que les drones pouvaient être déployés en l’absence de « circonstances liées aux lieux de l’opération [qui] rendent particulièrement difficile le recours à d’autres outils de captation d’image ». Cette garantie de subsidiarité fait toujours défaut dans la nouvelle loi : le préfet et le procureur ne sont toujours pas tenus de vérifier si d’autres outils moins intrusifs permettraient d’atteindre le même objectif avant d’autoriser le déploiement de drones.

• Reconnaissance faciale

La loi remplace cette ancienne interdiction générale par une disposition bien plus limitée : l’interdiction d’installer des logiciels de reconnaissance faciale sur les drones eux-mêmes. En comparaison avec le droit actuel, désormais, plus rien n’empêchera les images captées par drones d’être analysées par des logiciels de reconnaissance faciale installées sur d’autres dispositifs que les drones eux-mêmes. Cette analyse pourra notamment être un rapprochement par reconnaissance faciale avec l’une des 9 millions de photographies contenues dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ), ce que la loi sécurité globale avait jusqu’alors interdit explicitement.

• Intérieur des domiciles

La loi sécurité globale exigeait que les captations d’image par drones soient « réalisées de telle sorte qu’elles ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles ». La loi déférée prévoit désormais que les drones pourront capter de telles images si cette captation est réalisée par inadvertance. Ce texte crée à l’inverse une autorisation de filmer à tout moment l’intérieur d’un domicile et de s’en servir pour constater une infraction, sous prétexte que l’enregistrement n’est pas intentionnel.

• Autorisation facultative

Désormais, lorsque les agents de terrain considéreront que « l’urgence résultant d’une exposition particulière et imprévisible à un risque d’atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens le requiert », ils pourront se passer de l’autorisation du préfet et faire décoller des drones de leur propre chef pour une durée de 4 heures.

Vous avez aimé le pass sanitaire ? Vous allez adorer les propositions de la commission prospective du Sénat

Observations sur le rapport de la délégation sénatoriale à la prospective

CRISES SANITAIRES ET OUTILS NUMÉRIQUES (juin 2021)

Rapport présenté par :

Véronique Guillotin : Vice-présidente de la délégation sénatoriale à la prospective – Docteur en médecine – Groupe rassemblement démocratique et social européen.

Christine Lavarde :  Vice-présidente de la délégation sénatoriale à la prospective – Ingénieure du corps des Ponts – Groupe Les Républicains.

René-Paul Savary : Vice-président de la délégation sénatoriale à la prospective – Docteur en médecine – Groupe Les Républicains.

*

« quarantaine obligatoire pour les seules personnes positives strictement contrôlée grâce à des outils numériques (géolocalisation en temps réel avec alerte des autorités »

« dans les cas les plus extrêmes [ … ] toute violation de quarantaine pourrait conduire à une information en temps réel des forces de l’ordre, à une désactivation du titre de transport, ou encore à une amende prélevée automatiquement sur son compte bancaire »

« il existe des formes de contrôle ou de contrainte plus implicites, mais non moins efficaces : un portique d’entrée dans le métro qui se mettrait à sonner très fort au passage d’une personne contagieuse ou censée être confinée serait dans la plupart des cas suffisamment dissuasif pour qu’il ne soit même pas nécessaire de transmettre cette information aux autorités chargées de contrôler le respect des règles. Début 2021, la presse a rapporté le cas d’un boîtier connecté, porté autour du cou, qui sonnerait (avec un son de 85 décibels) en cas de non-respect des règles de distanciation par les salariés d’une entreprise. L’initiative a été dénoncée comme anxiogène et inacceptable. Techniquement, toutefois, nul besoin d’un boitier autour du cou : un smartphone peut faire la même chose »

Quatre citations extraites du rapport de 182 pages « Crises sanitaires et outils numériques »  produit par la délégation sénatoriale à la prospective  [  ICI  ]. Nous avons tenté de comprendre les raisonnements qui conduisent la délégation sénatoriale à conclure son rapport par les propositions dignes d’une dictature policière. Prenant exemple sur certaines modalités de gestion de la pandémie observées dans les pays d’Asie Orientale, le rapport s’attache ensuite à démontrer que les concepts fondamentaux de proportionnalité et de nécessité dont la CNIL est la gardienne sont désormais caducs, au moins, dans leur forme actuelle.

La gestion de la pandémie dans les pays d’Asie Orientale

Le rapport débute et prend appui sur une étude de la situation sanitaire de divers pays asiatiques (Chine, Hong-Kong, Taïwan, Singapour, Corée du sud et Japon) réalisée (avril 2020) par l’Institut Montaigne, think tank néo-libéral (1), étude intitulée « L’Asie orientale face à la pandémie »  [ ICI ]. Les rédacteurs de l’étude se proposent de comprendre « comment le Japon, la Corée du Sud ou encore Taïwan sont-ils parvenus à éviter un confinement général de leurs populations ou celui de villes entières ? »

Le rapport du Sénat en tire la conclusion que si les pays asiatiques ont mieux géré la crise sanitaire que les pays occidentaux, c’est parce qu’ils ont massivement mis en œuvre des moyens numériques de contrôle de la population, à l’exception du Japon.  Or, cette conclusion nous semble contestable.

Outre que les données statistiques publiées par certains des pays étudiés, dirigés par des dictatures ou des démocraties autoritaires, sont sujettes à caution, de très nombreux autres paramètres peuvent expliquer d’éventuels meilleurs résultats :

  • Insularité ou quasi insularité (Taïwan, Corée du Sud, Japon, Singapour, Hong-Kong) qui permettent un contrôle très strict des frontières (comparativement à la France)
  • Flux touristiques plus limités qu’en occident.
  • Organisation sociale, encadrement des populations et disposition d’esprit des citoyens plus favorables à une discipline sanitaire stricte. Par exemple, le port du masque est habituel dans plusieurs de ces pays depuis des décennies ; en Chine, le quadrillage et le contrôle physique de la population se fait dans les grandes métropoles jusqu’au niveau du pâté d’immeubles, sans parler du contrôle absolu des médias.
  • Meilleure organisation administrative et surtout, comme le note l’étude de l’institut Montaigne, très grande réactivité des administrations face au danger pandémique, comme par exemple la mise en place très rapide de tests généralisés ou de contrôles sanitaires draconiens aux frontières terrestres et maritimes et l’imposition de sévères mesures de quarantaine aux arrivants.

Le contrôle numérique intrusif des populations a pu jouer un rôle dans les éventuels meilleurs résultats obtenus par les pays d’Asie orientale ; mais laisser entendre – comme le suggère le rapport du Sénat – que ces contrôles intrusifs ont joué un rôle central dans la maîtrise de la pandémie ne relève pas d’une démarche scientifique, parce qu’il est impossible de quantifier la contribution de chacun des items au meilleur résultat qui aurait été obtenu par les pays asiatiques étudiés.  (2)

La CNIL , la proportionnalité et la nécessité

Après avoir tenté de démontrer que les pays d’Asie orientale, en adoptant des procédures numériques extrêmement intrusives, avaient choisi la bonne procédure, le rapport tente de balayer les obstacles qui pourraient s’opposer en France à un développement du numérique intrusif.

Une des premières cibles est la CNIL, autorité administrative indépendante chargée dans notre pays de protéger les données personnelles en veillant, en particulier, au respect de la directive européenne transcrite en droit français sous le nom de règlement général de protection des données (RGPD) applicable en France à compter du 25 mai 2018.  Le rapport affirme que la CNIL fait preuve d’« un conservatisme juridique lourd de conséquences » (page 92), suggérant ainsi que cette autorité administrative a été ou sera indirectement responsable du développement des pandémies en France. (3) C’est un parfait non-sens, puisque le rôle de la CNIL se limite à veiller à la bonne application de la loi voté par le parlement, donc, aussi, par … le Sénat.

On sait que le RGPD pose des principes, traditionnels en droit public français, de proportionnalité et de nécessité.

Concernant la proportionnalité, le rapport critique les positions de la CNIL en ce qu’elles méconnaissent un nouveau concept juridique selon lequel ce sont les      « libertés numériques » qui devraient être subordonnées aux « libertés physiques » (page 103). Par « libertés physiques » les auteurs entendent la liberté de rester en bonne santé. Les limitations aux libertés individuelles pour motifs de santé publique sont anciennes, nombreuses et légitimes : vaccinations obligatoires, hospitalisation d’office, loi Evin, etc. (voir, par exemple, [ ICI ].

Mais ce que propose le rapport est de nature totalement différente :  ce ne sont pas des limitations d’aller et de venir ou des obligations plus ou moins contraignantes de faire ou de ne pas faire, mais une intrusion massive dans la vie privée des citoyens. Au demeurant, cette opposition numérique/physique, qui est centrale dans le raisonnement développé par le rapport, n’a pas beaucoup de sens. En effet, il suffit de penser au cas du logiciel Israélien « Pégasus » utilisé par certaines dictatures pour espionner les opposants (« libertés numériques »), afin de pouvoir plus efficacement porter atteinte à leurs (« libertés physiques »).

Ce concept central du rapport qui priorise les « libertés » physiques Vs les numériques est idéologiquement le pendant du concept conservateur qui voudrait privilégier ou même opposer sécurité et libertés [  ICI  ]. François Sureau explique : « quand on écoute un homme politique parler, il faut toujours voir ce qu’il met en premier ; par exemple s’il vous dit la liberté c’est bien, mais la sécurité ça compte, vous pouvez être sûr que ce dont il parle, c’est de la sécurité » [  ICI  ] . Ce discours est sous-tendu par la même idéologie qui fait dire à M. Ciotti qu’il faut chercher un « équilibre logique entre droits et devoirs pour les bénéficiaires des prestations sociales » (2011) ; à M. Sarkozy que « les droits sans les devoirs, ça n’existe pas » (2012) ou à M. Macron : « vous avez des devoirs avant d’avoir des droits » (2021). Au fond, ce qui est contesté, c’est l’existence des libertés fondamentales dont tout membre de l’espèce humaine est le dépositaire ; les conservateurs voudraient  les contextualiser, voire le contractualiser ! Les libertés fondamentales ne sont pas négociables.

Concernant le principe de nécessité, le rapport observe que la CNIL n’a pas de compétence médicale et est donc amenée à prendre des décisions dont elle ne maîtrise pas tous les paramètres (4) et reproche aussi à la CNIL d’avoir interdit l’utilisation des caméras thermiques sur la voie publique au motif de l’imprécision des mesures et des cas asymptomatiques. Le rapport conclut cette séquence en élargissant le propos : « Enfin, la défiance historique de la société française à l’égard de la collecte des données personnelles, dont la doctrine actuelle de la CNIL est le reflet, tient à une confusion, rarement formulée en tant que telle, entre les fins (protéger les droits et libertés) et les moyens (interdire les croisements de fichiers) » (page 106). Le rapport prétend qu’il est possible de croiser les fichiers tout en protégeant les données personnelles, alors que de nombreux spécialistes expliquent que ce sont précisément les croisements de masses considérables de données (tel que les pratiquent les GAFAM) qui portent atteinte aux libertés individuelles.

Le crisis data hub

Le crisis data hub peut être défini comme étant une base de données alimentée par des croisements de fichiers, en particulier de fichiers de données personnelles (dont médicales), en principe utilisable uniquement en cas de crise, par exemple, pour contrôler un confinement ciblé.

Pour justifier une éventuelle intrusion massive dans les données personnelles des citoyens et en particulier les données personnelles de santé, le rapport développe une série d’arguments :

  • On peut comprendre « la sensibilité française à toute collecte et croisement de données personnelles (allusion, sans doute, à l’utilisation du fichier des juifs sous l’occupation), mais à l’heure actuelle c’est « absurde » puisqu’on donne volontairement aux Gafam « d’avantage d’informations que l’Etat n’en aura jamais ». Cet argument rappelle celui utilisé pour justifier la reconnaissance faciale : « puisque vous mettez vos photos sur les réseaux sociaux, pourquoi la reconnaissance faciale vous poserait un problème ? ». Pour le dire autrement : puisque vous avez mis le petit doigt dans l’engrenage, vous n’avez aucune raison de refuser d’y passer tout le bras, voire plus. Sauf que, d’une part, tous les citoyens ne mettent pas leurs photos sur les réseaux sociaux et, d’autre part, pour le moment, les réseaux sociaux n’ont pas la capacité de nous contraindre physiquement : perquisitions, gardes à vue, prison, etc. (ça viendra peut-être …)
  • « Un des arguments les plus fréquemment évoqués à l’encontre du recours au numérique dans la lutte contre le Covid-19 est qu’il s’agirait de méthodes caractéristiques de régimes autoritaires», mais c’est faux, répond le rapport, regardez le Japon, Israël ou l’Estonie (5). Israël ? un pays en guerre depuis 70 ans, grand pourvoyeur de logiciels espions à toutes les dictatures du monde (cf. affaire Pégasus et autres outils numériques d’espionnage) ; pour l’Estonie, cf. note n°2.
  • « à l’heure de la révolution numérique, du big data et de l’intelligence artificielle, on ne peut plus raisonnablement soutenir que l’intérêt principal des croisements de fichiers est la surveillance policière, ou l’instauration d’un État totalitaire fantasmé. » Certes, le croisement de données personnelles pourrait être utilisé à d’autres fins que des fins policières comme par exemple la recherche médicale ; en France, l’INSERM mène depuis plus de 20 ans des enquêtes épidémiologiques à grande échelle, sur la base du volontariat. En tout état de cause, ces techniques pourraient aussi être utilisées à des fins policières. Un récent projet de loi (juillet 2021) prévoit, que le fichier médical SI-DEP (Système d’Informations de DEPistage) puisse être consulté par des policiers : « On change complètement la finalité d’un fichier. On l’a créé pour qu’il soit médical et il devient finalement un fichier policier ». [  ICI  ]
  • « il existe aujourd’hui des solutions techniques permettant de garantir un très haut niveau de confidentialité et de sécurité » Discours habituel : « faites-nous confiance, tout est sous contrôle ». Or, très régulièrement, la presse se fait l’écho d’intrusions dans des systèmes informatiques parmi les plus protégés au monde comme par exemple le hack de la NSA [  ICI  ]. D’ailleurs, les rédacteurs sont tellement conscients de la faiblesse de cet argument que l’adjectif sécurisé est cité, tel un mantra, 60 fois dans le rapport, pour tenter de bien ancrer l’idée dans la tête du lecteur. Fin août 2021, on apprend que « Plus de 700 000 résultats de tests, et les données personnelles des patients, ont été durant des mois accessibles en quelques clics en raison de failles béantes sur le site de Francetest, un logiciel transférant les données des pharmaciens vers le fichier SI-DEP » (Médiapart 31-8-231)

L’entêtement du rapport à présenter l’intrusion numérique comme l’axe central et incontournable de la politique publique en cas de nouvelle pandémie pose problème ; tout se passe comme si les rapporteurs avaient été hypnotisés par les marchands de solutionnisme techno.  Cette option met de côté toute une série de progrès possibles dans le domaine de la médecine ( tests plus faciles à pratiquer et plus efficaces, nouvelles molécules pour le traitement de la maladie, nouveaux vaccins plus efficaces, faciles à administrer et à diffuser, etc.) ou dans le domaine de l’organisation administrative de la lutte contre la pandémie et particulièrement en tirant les leçons de ce qui a très mal fonctionné lors de l’épisode que nous vivons actuellement et tout particulièrement l’absence de préparation à un tel événement, malgré l’alerte de l’épidémie H1N1 de 2009.

Le rapport insiste à plusieurs reprises sur le caractère limité dans l’espace et dans le temps des procédures ultra intrusives, comme par exemple p 126 : « Le présent rapport propose donc de recourir bien plus fortement aux outils numériques dans le cadre de la gestion des crises sanitaires [ … ] y compris si cela implique d’exploiter des données de manière intrusive et dérogatoire. En contrepartie, ces mesures pourraient être bien plus limitées, à la fois dans leur nature, dans le nombre de personnes concernées, et dans la durée » ; toutefois, l’expérience vécue de ces vingt dernières années montre que les atteintes aux libertés individuelles et collectives présentées comme dirigées contre un unique ennemi (le terrorisme) et pour une durée très brève (état d’urgence) finit toujours, sous la pression policière, par être gravé définitivement dans le marbre de la loi qui s’applique en permanence à tous et plus particulièrement aux opposants, aux journalistes, etc. Il n’y a aucune raison de penser qu’il en irait autrement pour les dispositions si fortement intrusives proposées par la commission prospective du sénat.

*

(1) voir le comité directeur de l’Institut Montaigne [  ICI  ]

(2) Pour parer à toute critique concernant la nature politique des pays étudiés, le rapport étudie aussi le cas d’une démocratie européenne :  l’Estonie, pays doté d’une administration hyper informatisée, a fait l’objet en avril-mai 2007 d’une série de cyber attaques qui ont paralysé administrations et banques  ;  l’exemple de ce très petit pays, le plus septentrional des pays Baltes, avec seulement 1,2 millions d’habitants, peut-il vraiment servir de modèle pour un pays de près de 70 millions d’habitants ?

(3) cette attaque frontale contre les positions de la CNIL se combine de façon assez perverse avec l’assurance donnée que ce ne sont pas les statuts de la CNIL qui sont visés, pas plus que la réglementation européenne du RGPD (Règlement général de protection des données)

(4) comme les tribunaux administratifs, remarque le rapport

(5) Le Japon est cité comme une démocratie qui a utilisé des outils numériques intrusifs (page 101), mais page 22, le rapport indique : « le Japon est, de loin, celui qui a le moins recouru à des mesures fortes, et a fortiori à des outils numériques [ … ]Le Japon est aussi – faut-il y voir un hasard ? – celui de ces pays qui est le plus touché par l’épidémie »