François Hollande, ne créez pas des sous-catégories de citoyens !

Par Dominique Sopo, Françoise Dumont, Pierre Tartakowsky, Alain Le Cléach et Pierre Henry, William Martinet, Sacha Reingewirtz, Frédérique Rolet

Comme chacun d’entre nous, Monsieur le président vous avez été touché au plus profond de votre chair par les événements tragiques du 13 novembre dernier. En tant que garant de nos institutions, vous êtes maintenant en quête de solutions pour réduire, autant qu’il est possible, le risque d’attentat dans notre pays. Pour ce faire, vous seriez manifestement prêt à proposer une loi permettant de déchoir de la nationalité française, les binationaux convaincus de terrorisme, y compris ceux nés Français.

Cette proposition, formulée de longue date par le Front national, nous parait dangereuse et nous attendons de vous que vous y renonciez. Car au-delà du fait que la déchéance de nationalité pour faits de terrorisme est déjà prévue dans le droit français pour les personnes binationales naturalisées depuis moins de 15 ans, de nombreux arguments nous poussent à nous élever contre cette annonce.

Tout d’abord, d’un point de vue pragmatique, permettez-nous de vous dire qu’une telle mesure ne dissuadera en aucun cas les terroristes de tenter de commettre des attentats sur notre sol. En effet, ceux-ci sont dans une logique nihiliste et ont parfaitement acquis que leurs projets, en cas de succès, se termineront dans le carnage et la mort. Risquer la déchéance de la nationalité n’est donc guère susceptible de les impressionner. De plus, comme le révèlent les investigations antiterroristes, les factieux peuvent aussi bien être français depuis plusieurs générations, que français de parents étrangers ou simplement étrangers. Le terrorisme n’est pas le monopole des Français binationaux nés sur notre sol.

Par ailleurs, la déchéance de nationalité étendue viserait donc à renvoyer davantage de monde de notre territoire. Concrètement, il s’agirait de renvoyer des gens vers le Maghreb ou le Mali, des zones qui ont déjà fort à faire avec les attaques menées par des organisations terroristes qui rêvent, de Tunis à Bamako, de ces renforts que nous leur apporterions.

Enfin, et il s’agit là de la conséquence la plus grave, vous valideriez, depuis le plus haut sommet de l’Etat, l’idée qu’il y aurait deux catégories de Français. Les binationaux nés Français, qui sont « un peu moins français » et les Français qui n’ont qu’une nationalité et qui seraient « un peu plus français ». Il s’agit là d’une idée contraire à notre pacte républicain et aux valeurs les plus nobles constitutives depuis 1789 de notre identité commune. Ce sont précisément ces valeurs que Daech cherche à détruire et que nous devons plus que jamais préserver. A l’heure où de trop nombreux jeunes doutent de leur pleine appartenance à la société française, cette mesure, quand bien même elle ne les concerne pas, serait un signal vécu comme une défiance supplémentaire à leur endroit, là où il faudrait au contraire que la France montre pleinement qu’elle embrasse l’ensemble de ses enfants. La déstabilisation serait d’autant plus grave que chacun sait que vous ouvririez là un dangereux précédent. Car, une fois cette brèche ouverte, qui sait quels seront les critères qui pourront, demain ou après-demain, provoquer la déchéance de la nationalité ?

Installer l’idée que les Français ne sont pas tous égaux face à la loi, c’est donner du grain à moudre aux discours haineux des djihadistes ou de l’extrême droite « traditionnelle » qui prétendent que la coexistence entre Français de différentes origines est impossible, c’est imprimer une marque indélébile sur nos concitoyens, nés en France, ayant vécu toute leur vie dans notre pays, mais ayant pour seul tort d’avoir un parent étranger. C’est en définitive tourner le dos à « l’âme de la France [qui] est l’égalité » comme vous l’affirmiez au Bourget, le 22 janvier 2012.

« Le terrorisme ne détruira pas la République, car c’est la République qui le détruira » avez-vous proclamé avec force lors de votre adresse aux parlementaires à Versailles. 
Monsieur le président, mettez vos actes en adéquation avec vos propos en renonçant à cette mesure qui n’a pas sa place dans la patrie qui offrit la Grande Révolution à ses citoyens et au monde.

Dominique Sopo est président de SOS Racisme ; Françoise Dumont et Pierre Tartakowsky sont respectivement présidente et président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme ; Alain Le Cléach et Pierre Henry sont respectivement président et directeur général de France Terre d’Asile ; William Martinet est président de l’Union nationale des étudiants de France ; Sacha Reingewirtz est président de l’Union des étudiants juifs de France et Frédérique Rolet est secrétaire générale du syndicat national des enseignements de second degré – FSU

La liste intégrale des signataires se trouve ici : http://sos-racisme.org/non-la-decheance-de-nationalite/