FEMMES AUBOISES


Par Nicole François

Il y a un an, à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, la section LDH Troyes et Aube présentait une exposition « Portraits de femmes auboises ».

Retour sur ces portraits : aujourd’hui 



FEMMES RESISTANTES de l’Aube

Dans l’Aube, on a pu identifier près de 200 femmes (on en compte 250 dans l’Yonne) mais ce chiffre est probablement sous-estimé. Elles sont originaires de tous les milieux et ont tous les âges. Gilberte Guesdon raccoutreuse à Troyes, 17 ans en 1943, est déjà agente de liaison FTP entre Troyes et le maquis d’Arcis-sur-Aube. Les résistantes de 20 à 30 ans occupent une part majeure des effectifs et les moins de 30 ans en forment la moitié. Peut-être la composante jeune et ouvrière de la population auboise explique-t-elle cette tendance. En atteste Paulette Chaton, née Aubert, ouvrière en bonneterie, agente de liaison de l’organisation Schmidt, arrêtée le 13 avril 1944 à Troyes pour distribution de tracts.

Qui sont ces femmes résistantes ?

Ce sont déjà des épouses, des mères et des filles qui, à la manière de sentinelles du foyer, résistent malgré leurs multiples tâches domestiques. A La-Lisière-des-Bois, un hameau de Saint-Mards-en-Othe, l’agricultrice Marguerite Couillard, née Philbert, mère de six enfants, aide son époux Gabriel à résister au sein du BOA. À Nogent-sur-Seine, Marie Buridant, née Barbier, membre des Commandos M, aide son époux Camille avec sa belle fille Simone née Barbier. Les couples de résistants constituent aussi une charnière efficace. Il existe de nombreux cas de duos résistants forts complémentaires comme le couple d’agriculteurs de Torvilliers, Lucette Baudiot, née Fèvre, et Édouard, agissant pour le groupe Montcalm ou le jeune couple Gisèle Camuset et Maurice, mariés en 1940. Certaines idylles sont même nées dans la Résistance. Jeanne Roth, née Schwartz, bonnetière et infirmière de la Croix rouge, a sauvé le juif autrichien Norbert Roth. Paulette Blasques, née Fourrier, buraliste à Pont-sur-Seine, a hébergé avec sa mère le prisonnier de guerre Corentin Cariou, qui deviendra son mari, après avoir été son contact au sein de Libération-Nord. Enfin Josette Ripoll, la jeune agente de liaison FTP du maquis de Saint Mards-en-Othe, deviendra l’épouse de Roland Nigond après la guerre. D’autres femmes ont su vivre la Résistance des hommes à l’instar de Josette Ripoll ou Rolande Die rejoignant le maquis et participant aux combats de Saint-Mards-en-Othe le 20 juin 44 puis à ceux de la Libération. Certaines ont même été homologuées au sein des unités combattantes comme Yvonne Fontaine, lieutenant FFC du réseau Abélard Buckmaster, qui accompagna Pierre Mulsant à Londres où elle effectue un stage militaire intensif.

Pourquoi ces femmes se sont-elles engagées ?

Les motivations ordinairement avancées pour expliquer l’engagement résistant masculin se retrouvent évidemment pour les femmes, qu’il s’agisse de la haine de l’occupant, de l’antinazisme, du patriotisme ou du poids du milieu. A ces motivations se combine également l’effet d’entraînement du milieu environnant. Plusieurs militantes de gauche, ayant participé aux luttes d’avant-guerre (Front Populaire, guerre d’Espagne..) figurent parmi ces résistantes. Madeleine Dubois, militante syndicaliste au sein du syndicat national des instituteurs (SNI) puis agente de liaison et de renseignement FTP sur toute la Bourgogne et en région parisienne. Andrée Jeanny née Boigegrain, ouvrière textile (secrétaire de la CGT en 1937) et membre de l’UJFF (Union de jeunes filles de France) a diffusé avec Cécile Romagon des tracts signés « Les Comités féminins », dans le but de rallier les ménagères de l’Aube à la Résistance. Les femmes ont su joindre au patriotisme d’autres motivations, des valeurs de cœur jugées traditionnellement féminines comme le don de soi et la générosité. La quinquagénaire Anne Carsignol, née Gourmand, proche du BOA et de l’Armée secrète, a hébergé de nombreuses équipes de sabotage sur sa propriété du château de Polisy, transformée à l’été 1944 en hôpital clandestin pour les maquisards.

Quelle place ces femmes ont-elles occupée dans la Résistance et qu’y ont-elles gagné ?

La fragilité supposée du beau sexe a souvent permis de déjouer les soupçons de l’Occupant. Eugénie Blanchon, née Hoffer, lingère à Troyes, a facilement fait passer des messages à Paul Langevin, assigné à résidence. Mais les femmes furent aussi victimes de cette approche sexuée et ont presque toujours été reléguées à des fonctions subalternes, y compris dans les couples résistants. Ainsi Suzanne Wauters, née Guenot, secrétaire de son mari Georges Wauters (haut responsable des réseaux Hector puis de Ceux de la libération) prit de grands risques pour lui et fut arrêtée et déportée à Ravensbrück. La Résistance à ce titre est restée le reflet de la société de l’époque. La femme est systématiquement l’auxiliaire, l’infirmière, le bras droit, l’intendante ou l’agente de liaison des résistants. Mais le courage des femmes leur a fait gagner le respect des hommes et le droit de vote, trop longtemps retardé par d’autres hommes, les sénateurs d’avant-guerre. Beaucoup de résistantes ont su se taire sous la torture. La résistante FTP, Marguerite Flavien, née Buffard,arrêtée en décembre 1943 à Lyon, est torturée par le milicien Paul Touvier et se suicide en se jetant par la fenêtre. Paulette Blasques de Libération Nord, arrêtée à Pont-sur-Seine le 21 février 1944 par la Feldgendarmerie de Romilly, est torturée à la prison de Troyes puis à Fresnes et est enfin déportée au camp de Dachau en Allemagne d’où elle sera libérée en avril 1945. Mais beaucoup de résistantes auboises ont malheureusement perdu la vie pour prix de leur engagement.

Jean LEFEVRE et Frédéric GAND, historien.