Ce rapport sera diffusé en deux parties .
la partie 1 sur la typologie et la partie 2 sur la dimension politique
Ici la partie 1 sur la typologie
Puis : partie 2 sur la dimension politique
Partie 3 : la stratégie de la nasse, pratique attentatoire aux libertés.
Dans sa première décision du 21 mai 2015, se rapportant à la gestion policière des militant.es de la Ligue des droits de l’Homme aux abords d’une cérémonie en présence du ministre de l’Intérieur deux ans auparavant, le Défenseur des droits avait constaté qu’il n’existait aucun cadre légal ni cadre d’emploi relatifs à la pratique policière de la nasse.
Celui-ci avait ensuite précisé, dans un rapport publié en 2017, que la pratique ne faisait l’objet d’aucun enseignement officiel.
Cette première décision n’est pas dénuée d’intérêt, puisqu’en réponse aux observations du Défenseur des droits, la préfecture de police avait indiqué que la nasse contestée – appliquée durant 3h sur un petit groupe de personnes d’âge avancé – était nécessaire « compte tenu de la méconnaissance des intentions réelles des manifestants ».
Ainsi, en dépit des déclarations unanimes des manifestant.es qui souhaitaient rentrer chez elleux, l’autorité de police avait opté pour le maintien de la mesure litigieuse. Cette position dévoile-t-elle une approche criminalisante des manifestant.es ? A défaut de pouvoir lire leurs « intentions réelles » la position des autorités qui porte atteinte à la liberté d’aller et de venir dans le but de prévenir d’hypothétiques infractions, n’est-elle pas fondée sur une présomption de trouble ?
A rebours des déclarations précitées, les autorités d’un pays voisin de la France, le Royaume-Uni, semblent exprimer une position située dans le prolongement de la présomption d’innocence et du principe de légalité des délits et des peines. Celles-ci retiennent que : « le point de départ du maintien de l’ordre est la présomption en faveur des manifestants (…) il n’existe en droit national aucune base légale décrivant les manifestations comme une activité intrinsèquement illégale ».
Dès lors, la forte multiplication de la pratique des nasses policières indifférenciées en France répond-elle mécaniquement à des faits de délinquance, qui seraient devenus à la fois systématiques et imputables à la participation de l’ensemble des manifestant.es, ou bien poursuit-elle des finalités différentes ?
Comparée aux assignations à résidence, ainsi qu’à d’autres mesures de police préventives appliquées à des individus considérés en raison de leur dangerosité potentielle (appelées « MICAS » dans le vocabulaire juridique, depuis l’adoption de la loi SILT en 2017), la nasse policière ne présente évidemment pas la même intensité dans la restriction des libertés publiques, en particulier de la liberté d’aller et venir.
En dépit de cette différence, faut-il pour autant exclure la nasse des interrogations relatives à la multiplication de pratiques policières administratives et judiciaires exceptionnelles en France, identifiables par leur caractère à la fois préventif, dérogatoire et liberticide ?
Il apparaît que la hausse de ces pratiques coïncide avec la montée en puissance d’une nouvelle « doctrine » juridique, née dans les années 1980, sous la plume d’un professeur allemand, M. Günther Jakobs, et désignée sous le nom de « droit pénal de l’ennemi ».
Préambule
Alors même que la perception des droits et libertés fondamentaux qu’elle propose – dont la garantie par l’État serait uniquement conditionnée à la loyauté politique des individus – constitue une véritable contre-révolution juridique, philosophique et politique, la théorie du « droit de l’ennemi » semble poursuivre un développement concret dans l’adoption de lois et de pratiques polémiques au sein d’États autoritaires, mais également dans certains États considérés jusqu’à présent comme démocratiques.
texte complet à télécharger ici :
On pourra lire aussi cet article par 4 observateurs, publié dans la Revue des Droits de l’Homme, Lettre d’actualité du 17 mai 2021.
Yannis Benrabah, Capucine Blouet, Vincent Louis et Nathalie Tehio
« La nasse : un dispositif de maintien de l’ordre toujours non encadré par le Conseil constitutionnel »
La pratique de la nasse, dont la récente consécration réglementaire ne correspond toujours pas à sa mise en œuvre effective, a fait l’objet d’une QPC alléguant une atteinte aux droits et libertés liée à l’incompétence négative du législateur. Le Conseil constitutionnel a écarté ce grief, au motif que la disposition contestée était trop générale pour se voir reprocher de ne pas encadrer cette pratique spécifique. L’ineffectivité du contrôle du Conseil face à la pratique de la nasse apparaît ainsi manifeste.
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La pratique de la nasse au regard du droit européen des droits de l’Homme (Revue des droits de l’Homme, 24 mai 2021)
Capucine Blouet, Nassim Harket, Sarah Hunet-Ciclaire, Vincent Louis, Alexandre Richard et Nathalie Tehio, « La pratique de la nasse au regard du droit européen des droits de l’Homme », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 24 mai 2021 .
Le développement et la banalisation de la nasse au sein des manifestations invitent à analyser cette pratique au prisme du droit européen des droits de l’Homme, plus particulièrement du droit de circuler librement, du droit de ne pas être arbitrairement privé de sa liberté, du droit de manifester et de celui de ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant. Si le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre ne prévoit pas cette pratique, elle perdure comme technique policière. La question prioritaire de constitutionnalité n’ayant pu aboutir, il revient à la Cour de cassation, saisie du dossier sur la nasse de place Bellecour à Lyon en 2010 d’appliquer la Convention, telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’Homme : un retour sur ce dispositif s’impose.
Depuis plusieurs années, une technique de maintien de l’ordre se déploie lors des manifestations et rassemblements sur la voie publique qui, si elle n’est pas nouvelle, tend à se développer et à se banaliser, en dépit de son caractère liberticide.
La pratique dite de la nasse consiste, selon le Défenseur des droits, « à priver plusieurs personnes de leur liberté de se mouvoir au sein d’une manifestation ou à proximité immédiate de celle-ci, au moyen d’un encerclement par les forces de l’ordre qui vise à les empêcher de se rendre ou de sortir du périmètre ainsi défini ».
La présente étude a pour objectif de fournir des éléments d’analyse juridique concernant spécifiquement les dispositifs de nasses fermées, c’est-à-dire le dispositif d’encerclement le plus contraignant, ne permettant pas aux manifestants de circuler librement.
Ce travail se fonde notamment sur de nombreuses observations de terrain réalisées à Paris par l’Observatoire parisien des libertés publiques, co-créé par la Fédération de Paris de la Ligue des droits de l’Homme et la section parisienne du Syndicat des avocats de France au printemps 2019.
Le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre, qui prend la forme d’une instruction ministérielle publiée en septembre 2020, a inscrit la pratique de l’encerclement filtrant dans le registre d’action des forces chargées du maintien de l’ordre. Il n’a pas interdit formellement la nasse, dispositif de rétention sur la voie publique des manifestants, mais il a exigé que soit « systématiquement laissé un point de sortie contrôlé aux personnes », conformément à l’objectif affiché de dispersion imposée. Il en résulte que la nasse complètement hermétique n’est plus censée être mise en œuvre. Pourtant, l’Observatoire a pu constater la persistance de cette pratique, même après l’entrée en vigueur du schéma.
L’Observatoire, en ces occasions, a de nouveau relevé que la pratique de la nasse était susceptible d’enfreindre de nombreuses libertés fondamentales contenues notamment dans la Convention européenne, telles que précisées dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Qu’en est-il concrètement des droits de circuler librement (I), de ne pas être arbitrairement privé de sa liberté (II), de manifester (III) et, enfin, du droit au respect de la dignité et à la sécurité des personnes (IV) ?
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