AFP, publié le mardi 15 septembre 2020 à 15h36
Incarcéré depuis près de six mois, le journaliste Khaled Drareni, devenu le symbole du combat pour la liberté de la presse en Algérie, a été condamné mardi en appel à deux ans de prison ferme, ce qui signifie qu’il reste en détention.
« Deux ans de prison ferme pour Drareni. Nous allons faire un pourvoi en cassation », a déclaré à l’AFP l’un de ses avocats, Me Mustapha Bouchachi.
Dans un tweet, le frère du journaliste, Chekib Drareni, s’est dit « écœuré, choqué et déçu de la décision de la Cour qui renforce encore une fois l’injustice en Algérie ».
Avocats, collègues et proches de Khaled Drareni espéraient un jugement clément, sinon une relaxe.
La sévérité de la sentence a déclenché l’indignation et la colère des journalistes venus le soutenir au tribunal.
M. Drareni, 40 ans, avait été condamné le 10 août dernier à trois ans d’emprisonnement pour « incitation à attroupement non armé » et « atteinte à l’unité nationale ».
Lors du début du procès en appel, il y a une semaine, le procureur avait requis quatre années de prison ferme contre le fondateur du site d’information en ligne Casbah Tribune, qui est également le correspondant en Algérie pour la chaîne de télévision française TV5 Monde et pour Reporters sans Frontières (RSF).
« Son maintien en détention est la preuve d’un enfermement du régime dans une logique de répression absurde, injuste et violente », a réagi Christophe Deloire, le secrétaire général de RSF, dans un communiqué.
Détenu depuis le 29 mars, le journaliste a été arrêté après avoir couvert le 7 mars à Alger une manifestation d’étudiants, dans le cadre du « Hirak », le mouvement de contestation pacifique né en février 2019 d’un immense ras-le-bol des Algériens qui réclament un profond changement du « système » en place depuis l’indépendance en 1962.
Il est aussi accusé d’avoir critiqué sur Facebook « la corruption et l’argent » du système politique, selon RSF.
– « Entêtement aveugle » –
Le ministre de la Communication Ammar Belhimer, porte-parole du gouvernement, reproche en outre au journaliste d’avoir travaillé sans jamais avoir eu de carte de presse professionnelle, sur fond d’allégations d’être au service « d’ambassades étrangères ».
« Nous sommes scandalisés par l’entêtement aveugle des juges algériens qui viennent de condamner @khaleddrareni à 2 ans de prison (en appel) », a protesté M. Deloire en dénonçant « une justice algérienne aux ordres ».
Khaled Drareni était jugé en compagnie de Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, deux figures du « Hirak », le soulèvement qui a poussé au départ le président Abdelaziz Bouteflika en avril 2019 et a été suspendu mi-mars 2020 en raison de la crise sanitaire.
Sous le coup des mêmes chefs d’accusation, MM. Benlarbi et Hamitouche ont été condamnés à quatre mois de prison. Les ayant déjà purgés, ils sont ressortis libres de la cour d’Alger.
Pendant le procès en appel, au cours duquel il est apparu amaigri, Khaled Drareni a catégoriquement rejeté les accusations portées contre lui.
« Je suis un journaliste et non un criminel. Je n’ai fait que mon métier », a-t-il plaidé.
– « Ne pas lâcher » –
Le journaliste est soutenu par une campagne de solidarité tous azimuts, à Alger et à l’étranger.
Ses comités de soutien exigent sa libération « immédiate et « inconditionnelle » en raison de son état de santé « particulièrement préoccupant », selon RSF.
Le procès de Khaled Drareni s’inscrit dans un contexte de répression accrue à l’encontre des militants du « Hirak », des opposants politiques, des journalistes et de blogueurs.
Certains journalistes ont été accusés par le régime de semer la discorde, de menacer l’intérêt national et surtout d’être à la solde de « parties étrangères ». Plusieurs sont en prison et des procès sont en cours.
L’Algérie figure à la 146e place (sur 180) du classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF.
Selon le Comité national de libération des détenus (CNLD), quelque 45 personnes sont actuellement derrière les barreaux pour des faits liés à la contestation.
Pour Hakim Addad, un militant du « Hirak », « il est important de continuer la mobilisation, y compris la pression médiatique mais aussi politique pour que (les autorités) comprennent que nous ne lâcherons pas ».