100 % renouvelable, c’est possible !


La France est à un tournant. Grâce au poids du nucléaire, sa production d’électricité émet très peu de CO2. Mais ses réacteurs sont âgés. Et même si l’Autorité de sûreté nucléaire devrait valider leur prolongement de dix ans, il n’y a aucune discussion sur le fait que quasiment aucun ne fonctionnera encore en 2050, date à laquelle la France est supposée atteindre la neutralité climatique. D’où la question : par quoi les remplacer au cours des trente prochaines années, sachant qu’il est exclu de recourir à des technologies émettant du CO2 ?

Des investissements nécessaires

Faut-il, comme le veulent EDF et la majorité de la classe politique, lancer un programme de construction de nouveaux réacteurs ? Ou doit-on s’appuyer sur les seules énergies renouvelables pour atteindre un « mix électrique » décarboné ? En sachant qu’il serait essentiellement fondé sur des sources variables et non pilotables (l’éolien et le solaire), compte tenu des potentiels limités de développement des autres filières, comme l’hydraulique.

Ce débat ultrasensible en France semble enfin progresser. L’opérateur public RTE (Réseau de transport d’électricité, détenu à 50,1 % par EDF) a engagé mi-2019, à la demande de l’exécutif, une étude de deux familles de scénarios, avec ou sans nucléaire à l’horizon 2050. Fin janvier 2021, il a remis un premier rapport sur la faisabilité technique d’un mix électrique 100 % renouvelable, qui était une condition dirimante. Viendra cet automne un second rapport sur l’évaluation économique, sociétale et environnementale des deux grandes options sur la table.

Le rapport technique de RTE aboutit aux mêmes conclusions qu’une étude de l’Ademe de 2015 : un système électrique 100 % renouvelable avec une forte pénétration de sources variables peut répondre à chaque instant t à la demande. S’il n’y a pas d’impasse techno­logique, des actions très importantes sont toutefois à mener dans quatre domaines, prévient RTE. D’abord, et principalement, le développement de moyens pour s’assurer que l’offre répondra en permanence à la demande : stockage (moyens hydrauliques, batteries…), capacités supplémentaires de puissance pilotable (centrales à biogaz ou hydrogène vert…), flexibilisation dans la mesure du possible de la demande (pour réduire les besoins de capacités à la pointe), meilleure connexion des réseaux électriques. Il faudra, ensuite, développer des systèmes pour garantir la stabilité de la fréquence de l’onde électrique sur le réseau (50 Hertz), aujourd’hui assurée par la rotation des alternateurs des centrales classiques. S’ajoutent également des besoins d’adaptation du réseau et, enfin, de capacités de réserve en cas de défaillance.

Les gains économiques à attendre d’un scénario « avec » nucléaire par rapport à un scénario « sans » sont faibles

Tous ces impératifs techniques représentent des coûts, même si tous ne sont pas additionnels. Sans nucléaire ou avec, des réserves opérationnelles sont nécessaires. Et une large partie du réseau, construite avant les années 1970, va devoir de toute façon être renouvelée.

Quel serait alors le coût total d’un système électrique décarboné avec un peu, pas mal ou pas du tout de nucléaire en France ? En attendant de voir ce qu’en dira cet automne l’étude très attendue de RTE, les travaux menés par l’Ademe en 2015 et en 2018 ainsi que ceux d’une équipe du Cired en 2020 donnent déjà des éléments de réponse.

En 2015, l’Ademe avait déjà modélisé le coût d’un système 100 % renouvelable en 2050. Il atteindrait, sur la base d’une consommation de 422 TWh, 50,4 milliards d’euros par an (11,9 cts par kWh). Soit un coût quasiment égal à celui d’un système décarboné où le nucléaire atteindrait 50 % (49,5 milliards d’euros/an). En revanche, pour un système 100 % renouvelable avec peu d’efforts sur la demande (hypothèse d’environ 500 TWh/an), le coût annuel pour les Français atteindrait 63,6 milliards d’euros (12,5 cts par kWh).

Publiée trois ans plus tard, une autre étude de l’Ademe a tourné autrement la question : quel serait le système électrique le moins coûteux à ces horizons ? Conclusion : en 2050, pour une demande située entre 430 TWh et 600 TWh par an, le bouquet optimal serait celui où les renouvelables atteindraient 85 %. A l’horizon 2060 : 90 %. Inversement, décider de la construction d’une quinzaine d’EPR se traduirait à cet horizon par un surcoût de 39 milliards d’euros par rapport à un scénario de sortie progressive du nucléaire.

En 2020, deux nouvelles modélisations publiées par des chercheurs du Cired ont également jeté un pavé dans la mare. En 2050, pour une hypothèse de demande correspondant au scénario de référence de l’Ademe (422 TWh), le coût total d’un scénario électrique 100 % renouvelable (optimalement composé de 57 % d’éolien et de 31 % de solaire) atteint, hors coûts de réseau, 5 centimes par kWh. Soit autant que le système actuel. A noter que les coûts de gestion de la variabilité de la production sont faibles : 14,5 % du total. Quant au mix optimal, il fait apparaître une part d’ENR de 75 %. Le nucléaire n’y a de place que si la tonne de CO2 dépasse 100 euros, seuil au-delà duquel les centrales à gaz avec capture du CO2 ne sont plus compétitives. Et encore. Car les chercheurs du Cired ont retenu les hypothèses de coût du JRC, le centre scientifique lié à la Commission européenne, très optimistes pour le nucléaire neuf : une baisse de 50 % par rapport aux coûts d’investissement des trois EPR actuellement en construction en Europe. Si l’on retient une baisse de 40 %, ce qui serait déjà beaucoup, le nucléaire est éliminé du mix optimal, indiquent les chercheurs.

Incertitudes

Beaucoup d’incertitudes pèsent sur deux variables clés de l’équation : la demande électrique future et les coûts du nucléaire de demain. Mais ces études, comme d’autres, n’en délivrent pas moins un message clair : la place du nucléaire dans un mix électrique optimal est faible et les gains économiques à attendre d’un scénario « avec » par rapport à un scénario « sans » sont minces. Si le nucléaire ne doit jouer qu’un rôle d’appoint, est-il bien justifié au regard de l’énorme appareil industriel qu’il mobilise ? Et si les gains économiques à attendre sont réduits (à supposer qu’ils existent), peuvent-ils encore être opposés aux risques ? Il est tout sauf certain que la France ait intérêt à construire de nouveaux réacteurs.

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