Madeleine Rebérioux, Présidente de la Ligue des Droits de l’Homme de 1991 à 1995

Par l’historienne Michelle Perrot

« La citoyenne Madeleine, toujours en vadrouille », disait d’elle affectueusement son mari Jean qui l’accompagna fidèlement dans ses pérégrinations de tous ordres, gardien de leur foyer, à La Varenne ou dans ce Berry qu’ils aimaient tant.

Sa vie traverse le XXe siècle, ses drames, ses conflits, ses déceptions et ses espoirs. Cette femme engagée fut de tous les combats, aimantée par de très fermes convictions politiques et sociales, dont Jaurès, qu’elle a tant servi, est comme la figure de proue.

Madeleine, je l’ai rencontrée pour la première fois en 1960, au colloque sur « Le militant ouvrier », dont devait naître Le Mouvement Social, qu’elle a ultérieurement dirigé durant de longues années. Notre collaboration, parfois intermittente, voire conflictuelle, toujours amicale, n’a jamais cessé. Une de nos dernières rencontres de travail, c’était le 5 février 2004, lors de l’enregistrement d’une émission sur les femmes, pour la journée du 8 mars.

Car Madeleine s’intéressait à l’histoire des femmes. Le social et le politique demeuraient pour elle prioritaires mais elle y incorpora la dimension des rapports de sexes de plusieurs manières : dans son œuvre et à Paris VIII-Vincennes, puis Saint-Denis, l’université dont elle a été une des fondatrices.

Il y eut notamment le colloque de décembre 1978 à Vincennes, sur « Femmes et classe ouvrière », avec trois thèmes : « femmes et travail » ; « femmes et mouvement ouvrier » ; « le travail ménager », sur lequel le débat féministe s’interrogeait alors : fallait-il, ou non, rémunérer ce travail « gratuit » des femmes ? Durant trois jours, un public nombreux montra l’intérêt pour ces problématiques et l’intensité des recherches en cours. Beaucoup de rencontres se firent à cette occasion. Au même moment, Le Mouvement Social sortait « Travaux de femmes » (octobre-décembre 1978). Le terreau des recherches sur les femmes était social et Madeleine s’en réjouissait. Par la suite, elle a dirigé de nombreuses maîtrises et thèses dans cette direction et dans celle du socialisme, son autre préoccupation.

Dans un article (1979) consacré à « la question des femmes dans la seconde Internationale », elle se plaisait à souligner que « la rencontre entre les femmes et le socialisme a bien eu lieu ». Le socialisme allemand et, tout compte fait, le marxisme étaient plus ouverts à cet aspect des choses. C’était moins le socialisme en tant que tel qu’il convenait d’incriminer qu’un certain sexisme français.

Dans les années 1990, Madeleine s’est investie dans un projet plus régional : la fondation en Berry, autour de Nohant et d’Ars, du « Centre international George Sand et le romantisme ». Madeleine, présidente du conseil scientifique de ce projet, au départ très ambitieux, s’en occupa avec l’énergie qu’elle apportait à toute chose. Il y eut d’innombrables réunions et démarches, où elle déploya son savoir-faire et la multiplicité de ses relations culturelles. Littéraires, historiens et personnalités locales affluèrent aux colloques organisés à Nohant, l’un sur « la Correspondance », l’autre sur « l’éducation des filles », l’un et l’autre publiés, avec sa participation. L’amitié entre Madeleine et George n’était pas évidente : le côté « bonne dame » ne l’emballait pas ; et puis, il y avait la Commune et Madeleine se sentait plus proche, sans doute, de Louise Michel que de Sand à cet égard. Mais Sand était sa voisine. Madeleine appréciait son engagement pour la République et le socialisme. « Le socialisme est le but. La République est le moyen », disait George en 1848. Madeleine approuvait. Elle redécouvrit son œuvre romanesque, en particulier La Ville noire, le plus ouvrier des romans de Sand. Malheureusement, le projet sandien ne fut que partiellement réalisé. Mais Madeleine ne désarmait pas. Dans les années 2000, elle rêvait d’organiser, au château d’Ars, autour d’une pionnière de la photographie en Berry, une exposition sur les femmes photographes.

Rien n’était étranger à cette femme multiple et passionnée.

Elle entendait demeurer fidèle à l’universalité des « droits de l’Homme », à La Ligue, qu’elle présida avec l’intensité que l’on sait, et ailleurs, partout dans le monde.