Communiqué de presse
19 janvier 2017
La Croix Rouge Française, qui agit pour le compte du département de Paris, refuse de mettre à l’abri et de protéger des dizaines de mineurs non accompagnés qui sollicitent une protection au titre de l’enfance en danger. Depuis septembre, de nombreux mineurs se voient refuser l’accès au dispositif de protection de l’enfance, en toute illégalité et alors même que leur minorité et leur situation d’isolement ne sont pas contestées.
La loi impose[1] à chaque département de mettre en place l’accueil provisoire d’urgence de toute personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, sans délai et dès qu’elle se présente. Durant cette période, le département doit évaluer sa minorité et sa situation d’isolement et lui notifier une décision d’admission ou de non-admission au bénéfice de l’aide sociale à l’enfance. Depuis le 1er janvier 2016, la Croix Rouge s’est vue confier la mission de premier accueil et d’évaluation des mineurs isolés se présentant sur le territoire parisien (par la création du Dispositif d’Évaluation des Mineurs Isolés Étrangers – le DEMIE).
Depuis septembre 2016, l’ADJIE2 a reçu un nombre croissant de mineurs isolés ayant été éconduits le jour de leur présentation au DEMIE (le collectif a recensé 52 cas). Ils étaient – pour la plupart – en possession de documents d’état civil prouvant leur minorité et dont l’authenticité n’a pas été contestée (c’était le cas de 31 d’entre eux). Parmi eux, certains provenaient du centre humanitaire de la Chapelle où ils ne peuvent être hébergés en raison de leur minorité. À de nombreuses reprises, les membres de l’ADJIE se sont rendus au DEMIE et ont pu constater cette pratique manifestement illégale.
Lorsqu’ils se présentent à la Croix Rouge, la grande majorité de ces jeunes fait l’objet d’un « préentretien d’accueil » de 15 à 20 minutes avant de se voir refuser la prise en charge sans qu’aucune décision administrative ne leur soit notifiée. Quelques privilégiés ont la chance d’obtenir un rendez-vous (programmé un mois plus tard environ) pour que leur situation soit évaluée. En attendant, ils ne sont pas mis à l’abri. Dans les deux cas, ils ne peuvent bénéficier des dispositifs d’hébergement pour majeurs (non-habilités à accueillir des mineurs) et doivent survivre dans la rue. Nos constats ne reflètent qu’une partie de la réalité, nombreux sont les mineurs qui ne sollicitent pas nos associations et ne sont donc pas assistés dans la reconnaissance de leurs droits.
Contactés au sujet de ces pratiques illégales particulièrement préoccupantes, les responsables de la Ville de Paris concèdent le fait qu’ils font face à de grandes difficultés depuis octobre suite à l’augmentation des « flux », et assurent que les capacités du dispositif de mise à l’abri ont été étendues.
Le sempiternel argument « du manque de places disponibles » est difficilement acceptable lorsqu’on rappelle que, dès 2014, les associations3 et le Défenseur des Droits4 avaient alerté l’opinion et les pouvoirs publics sur des faits identiques. À croire que rien n’a changé depuis, en dépit des « 15 mesures pour améliorer la prise en charge des mineurs isolés étrangers » adoptées à l’unanimité par le Conseil de Paris le 13 avril 2015.
Dans une décision du 21 juillet 2016, le Défenseur des Droits constatait de nouveau ces pratiques et faisait état du fait que ces refus ne semblaient s’expliquer « que par le physique du jeune qui se présente, et seraient plus nombreux en période de particulière affluence ». Ce dernier rappelait à la Croix Rouge et au département « que tous les jeunes qui se présentent comme mineurs non accompagnés doivent impérativement faire l’objet d’une évaluation socio-éducative conforme aux missions qui leur sont dévolues ». Cette recommandation ne semble pas avoir été écoutée par la Croix Rouge et la Ville de Paris, qui se sont depuis distinguées par leur inertie et leur incapacité à anticiper les demandes de protection.
Alors qu’à la création du centre humanitaire de La Chapelle, la municipalité de Paris se targuait d’agir pour pallier la carence de l’État[5] s’agissant de la mise à l’abri des personnes migrantes à la rue, c’est bien sa responsabilité – en tant que chef de file de la protection de l’enfance – qui, cette fois, est engagée. Au-delà des déclarations d’intention et derrière la vitrine d’un Paris ville-refuge, on entrevoit donc une réalité bien différente.
Une réalité dans laquelle des mineurs migrants, privés de la protection de leur famille et donc en situation d’extrême vulnérabilité, voient leur droit à une protection bafoué, en totale contradiction avec la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.
Nous demandons que l’ensemble des jeunes se présentant comme mineurs non accompagnés soient, comme la loi le prévoit, mis à l’abri sans délai et voient leur demande de protection examinée pour permettre leur admission à l’aide sociale à l’enfance.
ADJIE (Accompagnement et Défense des Jeunes Isolés Etrangers) contact@adjie.fr
[1] L’article 375 du code civil et les articles L223-2, alinéas 2 et 4, et R221-11 du code de l’action sociale et des familles
[2] L’ADJIE (Accompagnement et Défense des Jeunes Isolés Étrangers) est un collectif associatif proposant des permanences juridiques hebdomadaires dans le but de garantir l’effectivité des droits des mineurs et jeunes isolés étrangers qui rencontrent des difficultés pour entrer dans le dispositif de protection ou pendant leur prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance.
[3] Voir « PAOMIE : Une moulinette parisienne pour enfants étrangers. » http://www.gisti.org/spip.php?article3137
[4] Voir la décision du Défenseur des Droits, MDE-2014-127 du 29 août 2014 relative à la situation des mineurs isolés étrangers. http://www.defenseurdesdroits.fr/decisions/ddd/DDD_DEC_MDE–2014–127.pdf
[5] Voir la lettre du 28 octobre 2016 signée par la maire de Paris et adressée aux ministres de l’intérieur et du logement. http://www.20minutes.fr/paris/1952151–20161030–refugies–paris–lettre–anne–hidalgo–metgouvernement–face–responsabilites