Comment la démocratie coréenne a-t-elle dompté Covid-19 – faits marquants

Plus d’informations sur le rapport du Pr François AMBLARD

Comment la démocratie coréenne a-t-elle dompté Covid-19 – Résumé

 

Les questions  abordées dans le rapport du Pr Amblard :

Beaucoup d’idées fausses sur la Corée, mêlées a un complexe de supériorité alimente par l’ignorance, conduisent certains à penser que les solutions coréennes ne peuvent pas s’appliquer chez nous du fait de trop grandes différences entre les deux pays.

– Comment briser les chaines de contamination par le traçage rigoureux des contacts contaminants ?

– Quelles garanties juridiques face à l’intrusion dans la vie privée, et comment utiliser les données récoltées ?

– Comment soigner dans l’urgence, sans certitude scientifiquement établie sur les outils thérapeutiques ?

– Comment élaborer au plus vite un consensus thérapeutique acceptable ?

– Comment « sortir » du confinement avec une sécurité sanitaire maximale ?

– Comment rendre cette sortie consensuelle ?

 

Le plan du rapport (partie 1)  

Sommaire

Introduction

  1. Traçage rétrospectif et isolement des porteurs de virus

1.1 Dispositif d’enquête individuelle

1.2 Stockage des données et garanties juridiques

1.3 Mesures découlant du traçage

1.4 Diffusion des données de traçage

1.5 Résistances et adhésion

  1. Réponse médicale : isoler, protéger, et soigner

2.1 Stades cliniques : définition et orientation initiale

2.2 Recommandations thérapeutiques, chloroquinine, essais informels

2.3 Une hôtellerie d’isolement pour contenir Covid-19

2.4 Prise en charge et obligations des contacts du patient Covid+

2.5 Isolement systématique de tout voyageur entrant dans le territoire

2.6 Critères de sortie ou de levée d’isolement, règles ultérieures

2.7 Protection des personnes âgées

2.8 Y a-t-il eu saturation des hôpitaux, manque de tests ou de masques ?

  1. Essais thérapeutiques en cours

3.1 Essai formel hydroxychloroquinine

3.2 L’Institut Pasteur de Séoul : ‘drug repositionning’ avec le ciclesonide (Alvesco)

3.3 Autres essais cliniques

  1. Que faire une fois la courbe infléchie ?

4.1 Le bilan de Covid-19 en Corée du Sud

4.2 La vie quotidienne aujourd’hui : liberté et veille

4.3 Élaboration consensuelle d’un modus vivendi durable

Conclusion

 

EXTRAITS DU RAPPORT

 Organisation générale de la réponse coréenne

La réponse nationale coréenne est organisée par le Korean Center for Disease Control (KCDC) qui jouit d’une autorité respectée de tous, car fondée sur la connaissance scientifique, l’expérience professionnelle, des actions et une communication quotidienne transparente. Etant perçu comme un organe politiquement indépendant, son action est restée hors du champ d’une critique politique et partisane vivace.

La population coréenne  n’a fait l’objet d’aucune mesure collective de confinement, ni d’aucune obligation générale de port du masque, pas plus que de restriction de déplacement. Même au pic épidémique, la ville de Daegu épicentre de la maladie, n’a pas été confinée. En revanche, toutes les personnes testées positives, sont soumises sans exception à des mesures d’isolement, et hospitalisées dès l’apparition des premiers symptômes.

Sans rien mettre entre parenthèses du jeu démocratique, sans rien limiter des libertés individuelles pour 99,98% de la population, sans jamais fermer les frontières, le gouvernement et les 51 millions de Coréens ont réussi en quatre semaines à dompter le flux quotidien de personnes nouvellement infectées. Le nombre des victimes de Covid-19 déplorées chaque jour n’a jamais dépassé la dizaine. Le contraste saisissant avec les ravages de la pandémie dans la plupart des pays riches en Occident devrait inspirer à la France, une sincère et profonde humilité politique, mais surtout réveiller impérieusement en nous une curiosité indispensable. 

Surveillance épidémiologique et vie privée

En Corée, la surveillance épidémiologique rapide et rigoureuse  repose sans ambiguïté sur une intrusion dans la vie privée des individus positifs. La base légale de cette intrusion dans la vie privée repose sur la loi qui, en situation de grave crise sanitaire, donne au KCDC des pouvoirs de justice et de police lui permettant de déclencher les enquêtes de traçage sans la nécessite d’une autorisation de justice. Le ministre de la Santé dispose également de ce pouvoir d’exception

La sensibilité des Coréens à la protection de la vie privée a conduit le législateur à organiser la collecte des informations de façon très artisanale, par appels téléphoniques et emails, pour éviter la suspicion créée par les algorithmes automatiques et autres boites noires ou systèmes d’écoutes incontrôlés.

Le premier stade d’enquête automatique permet de retracer un itinéraire assez grossier, mais pas d’identifier précisément les contacts. C’est dans une seconde étape, avec l’officier épidémiologique traitant, que l’enquête se précise. Celui-ci reçoit via le KCDC l’itinéraire établi par les algorithmes de la base de données, et demande au sujet positif de confirmer son itinéraire, de chercher dans ses souvenirs pour le préciser, et surtout d’identifier autant que possible les personnes rencontrées. A ce stade, les enregistrements des caméras de surveillance peuvent être mobilisés. Le refus de coopérer expose le contrevenant a une sanction maximale d’un an de prison assortie d’une amende de 150.000 euros.

Par la crainte de voir le gouvernement utiliser les données pour des motifs politiques, ou sans contrôle démocratique, la loi dispose que toutes les données personnelles collectées par le KCDC soient regroupées dans une grande base de données temporaire hébergée par un organisme extérieur à l’Etat, et même extérieur au KCDC, avec un contrôle et un traçage des accès. Tout citoyen peut contester les faits enregistrés dans la base de données et diffusés aux autorités, et le ministère de la Santé a l’obligation de les corriger, le cas échéant.

La loi inclut des dispositions pour interdire le détournement des données personnelles. Toutes les administrations ayant reçu des informations de la base de données, sont tenues de les détruire, une fois la mission pertinente accomplie.

Une obligation de transparence et de publicité a aussi été inscrite dans la loi, pour que le public dans son ensemble puisse suivre l’évolution de l’épidémie. Cette stratégie de publication est à double tranchant, car il peut provoquer l’anxiété ou entretenir la peur. La transparence a été choisie, bien que la peur engendrée puisse être mauvaise conseillère. L’expérience a prouvé le contraire, et personne ne m’a rapporté le moindre mouvement de panique. Le conditionnement entretenu par ces informations, contribue au contraire à rendre visible une menace dont la nature invisible explique peut-être en partie les conséquences catastrophiques du virus en Occident.

Le traçage

Le traçage est strictement rétrospectif, avec destruction des données.

Les mots sont ambigus, et leurs traductions rendent la chose plus confuse encore : traçage, pistage, tracking, tracing. Aucun de ces mots ne fait sens s’il n’est pas précisé.

Rien n’est plus faux que de dire que les Coréens ont accepté d’être « suivis », par leur GPS, leur téléphone ou leurs factures bancaires.

La seule chose à laquelle ils ont démocratiquement consenti, est une enquête « rétrospective », portant sur leurs déplacements passés pendant les deux semaines précédant la découverte de leur statut de porteur.

Prise en charge des patients

La Corée a créé deux groupes d’hôpitaux : 69 hôpitaux  accueillant les malades suspectés d’être infectés Covid et 337 hôpitaux Covid-free (à la date du 27 mars 2020). Dès les premiers symptômes, tous les patients sont pris en charge dans l’un des 69 hôpitaux désignés Covid+.

La maladie étant encore très mal connue, sans traitement dument reconnu par un processus  de médecine fondée sur les preuves, la pratique thérapeutique actuelle repose en Corée sur un consensus qui s’élabore librement au fil de l’accumulation graduelle des données scientifiques et thérapeutiques. L’attitude des autorités de santé coréennes repose sur la confiance envers les prescripteurs. Aucune polémique ne s’est développée en Corée sur le sujet, et chacun est à l’œuvre, du bas vers le haut, des praticiens vers les autorités, pour trouver au plus vite un consensus thérapeutique face à la maladie.

La médecine coréenne se livre là à des essais cliniques grandeur nature, sous haute surveillance collective. Pour atteindre le but le plus rapidement possible, aucune molécule n’est interdite, et toutes les restrictions sont levées sur les remboursements des médicaments. Cette situation d’exception est à l’opposé de la pratique habituelle, qui repose sur un encadrement extrêmement strict du volume des prescriptions, et des prix conclus avec les sociétés pharmaceutiques.

Une hôtellerie d’isolement pour contenir Covid-19

Les « living treatment centers» sont des installations temporaires gérées par l’Etat. Il s’agit de divers types de lieux (hôtels, résidences…) dont la destination usuelle est le logement, ou de tout lieu que l’Etat réquisitionne (immeuble, logement inoccupé, bureau, salle de conférences publique ou privée) pour le rendre « habitable  ». Certains lieux sont désignés à l’avance dans les plans d’urgence que le KCDC a la charge d’établir et de tenir à jour.

Ces centres d’isolement n’accueillent que des patients pauci- ou asymptomatiques, pour une surveillance simple, mais aucun traitement médical n’y est délivré. Ils visent à désengorger l’hôpital des patients nécessitant un isolement sans soins médicaux.

Obligation de dépistage

Toute personne sachant avoir eu un contact avec une personne diagnostiquée  Covid+ (cas contact) doit se soumettre à un dépistage PCR. Cette même obligation  est automatiquement notifiée à toute personne identifiée comme cible d’un contact potentiellement contaminant, par la base de données alimentée par les enquêtes approfondies du KCDC décrites plus haut.

Si le résultat est négatif, le cas contact est néanmoins dans l’obligation de s’isoler à domicile avec la totalité de la maisonnée, avec une surveillance active pendant quatorze jours. Ce confinement est levé au lendemain du quatorzième jour sous condition de test négatif.

Y a-t-il eu saturation des hôpitaux, manque de tests ou de masques ?

Au pic de l’épidémie pendant la première semaine de mars, et même si le nombre de décès quotidiens n’a jamais excédé dix, il y a eu brièvement une surcharge du système hospitalier, et cela d’autant plus que la quasi-totalité des cas était concentrée sur une seule ville.

Il y a eu temporairement une pénurie de masques de protection, mais elle n’a affecté que le public, pas le système sanitaire. Pour cette pénurie, le président Moon, au pouvoir depuis mai 2017, a présenté ses excuses à la nation.

Le bilan de Covid-19 en Corée du Sud

La Corée du Sud compte 51 millions d’habitants

Au 15 avril (date du rapport)  225 personnes sont décédées, 534 552 personnes testées dont 7114 dans les dernières 24 heures.

(Au 6 mai en Corée : 255 morts au total avec un cumul de 10 800 cas reconnus dont 9 330 déclarés guéris. Par comparaison à la même date du 6 mai la France déplore 25 530 décès, 170 550 cas dont 52 730 guéris)

Seulement 1,98% des personnes testées étaient positives ; ce qui représente 10 591 personnes atteintes, qui ont été mises en isolement strict, ou hospitalisées au moindre symptôme.

La guérison, qu’elle intervienne après isolement ou hospitalisation, est déclarée sur la base de deux tests PCR obligatoires négatifs. Avec ce critère, 7 616 personnes sont guéries, tandis que 2 975 cas sont encore actifs, alimentant un nombre de décès quotidiens très faible mentionne plus haut.

La mortalité cumulée est de 2,12%, et le nombre de décès quotidiens, même au plus fort de la crise, n’a jamais excédé une dizaine (en France, on a compté 762 décès dus au Covid pour la seule journée du 13 avril)

En Corée, une seule personne est décédée dans le personnel de santé, pour 120 contaminées.

Anticipation

Dès le 10 janvier, jour de la publication non-officielle du génome viral par le Shanghai Public Heath Clinicat Center, la société Kogene s’est engagée de sa propre initiative dans la conception d’un test RT-PCR pour détecter le virus SARS-CoV2.

Le 16 janvier, jour de la validation du test PCR développé à Berlin par le Pr Torsten, la société Seegen se lance à la suite de sa concurrente. Grace à un protocole d’agrément accéléré prévu par la loi, les deux sociétés reçoivent le 4 février, du KCDC et du ministère de la Santé, l’autorisation de commercialiser leur test. Tout est donc prêt pour une réponse massive

Plus de 100.000 personnes ont été testées dans les deux premières semaines en Corée.

Le nombre de nouveaux cas quotidiens a atteint un pic de 1000 individus, deux semaines seulement après la naissance du plus important cluster, très rapidement maitrisé et redescendu moins de deux semaines plus tard vers un plateau d’environ 100 cas par jour.

Impact sur la vie quotidienne

L’effort national a permis de fortement circonscrire le virus à la ville de Daegu, sans mettre la cité en quarantaine ni confiner ses habitants, comme ce fut le cas à Wuhan, et aujourd’hui dans  beaucoup de pays d’Europe.

Malgré ce succès apparent, le dispositif d’exception du KCDC n’a pas encore baissé la garde, et il considère ne pas être sorti de la crise, car la menace reste bien présente. Les données montrent en effet un nombre résiduel de décès quotidiens de l’ordre de trois à quatre personnes, et un nombre de nouveaux cas quotidiens qui est resté pendant deux ou trois semaines au niveau de cent personnes par jour, pour tomber récemment au niveau d’une cinquantaine.

Pour l’immense majorité des Coréens, la vie quotidienne est presque normale : aucune entrave à la circulation, des transports en communs actifs, la plupart des entreprises et des administrations au travail, restaurants et magasins ouverts.

Mais les établissements d’enseignement restent fermés et les consignes mises en place dès le début de l’épidémie n’ont pas changé : les gestes barrières, la « distanciation sociale » de deux mètres. Plusieurs dispositifs ont été installés, comme la protection des boutons d’ascenseur, l’habillage des poignées de portes d’usage collectif par des tissus de protection, ou encore un agent posté à l’entrée des supermarchés, pour désinfecter les mains des clients et la poignée de leur caddie.

Le port du masque n’a jamais fait l’objet d’une obligation dans l’espace public, mais seulement en milieu professionnel, et c’est une simple recommandation en situation de contacts denses.

Sortie de crise

Les autorités coréennes considèrent que le danger ne sera écarté qu’avec l’arrivée d’un vaccin, ou d’un traitement ayant fait ses preuves. D’ici là, un mode de vie socialement acceptable et accepté doit être élaboré. La notion de sortie de crise est donc impropre, car il s’agit d’une transition vers un mode de vie temporaire. Le contexte est fondamentalement différent de la France, dont le problème principal est de lever un confinement qui n’a pas eu lieu en Corée, sauf pour 0,006% de la population à ce jour.

La question du système scolaire et universitaire est aussi au cœur de la réponse coréenne. La  totalité du système éducatif est fermée depuis les jours qui ont suivi la contamination massive de Daegu, et il est hors de question pour le gouvernent coréen de faire revenir en classe qui que ce soit avant l’été ou le mois de septembre.