extrait du Dictionnaire Philosophique écrit par Voltaire il y a un peu plus de 250 ans, mais toujours d’actualité
Article « Fanatisme »
Voltaire, Dictionnaire philosophique, 1764
Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un enthousiaste ; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique. […]
Il n’y a d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique,
qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui
prévient les accès du mal ; car, dès que ce mal fait des progrès, il faut
fuir, et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent
pas contre la peste des âmes ; la religion, loin d’être pour elles un
aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. Ces
misérables ont sans cesse présent à l’esprit l’exemple d’Aod, qui assassine le
roi Eglon ; de Judith, qui coupe la tête d’Holopherne en couchant avec
lui ; de Samuel, qui hache en morceaux le roi Agag. Ils ne voient pas que
ces exemples, qui sont respectables dans l’Antiquité, sont abominables dans le
temps présent ; ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les
condamne.
Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage ; c’est
comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont
persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur
enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre.
Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux
hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous
égorgeant ?
Ce sont d’ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent
le poignard entre leurs mains. Ils ressemblent à ce Vieux de la Montagne qui faisait,
dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une
éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition
qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nommerait. Il n’y a eu qu’une
seule religion dans le monde qui n’ait pas été souillée par le fanatisme, c’est
celle des lettrés de la
Chine. Les sectes des philosophes étaient non seulement
exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède : car l’effet de
la philosophie est de rendre l’âme tranquille, et le fanatisme est incompatible
avec la tranquillité. Si notre sainte religion a été si souvent corrompue par
cette fureur infernale, c’est à la folie des hommes qu’il faut s’en prendre.
Car l’effet de la philosophie est de rendre l’âme tranquille, et le fanatisme
est incompatible avec la tranquillité. […]