Prigojine, le « cuisinier de Poutine », et ses très juteux contrats publics

L’homme d’affaire Evgueni Progogine, fondateur de la milice fasciste criminelle Wagner, protégé de Poutine, vit des contrats publics avec l’état russe.

Publié le 15/06/2023 sur France Info

Diriger une milice privée au service des intérêts du Kremlin est loin d’être la seule activité du milliardaire Evguéni Prigojine. A la tête d’une nébuleuse de sociétés, le patron de Wagner et « cuisinier de Poutine » touche notamment une fortune de l’Etat pour nourrir les militaires… avec parfois des produits périmés. Dans cet extrait de « Complément d’enquête », un entrepreneur russe en exil dénonce la corruption de ce système.

Si cet ancien petit truand de Saint-Pétersbourg qui s’est lancé dans la restauration a pu devenir milliardaire, c’est notamment grâce à de l’argent public. Selon Current Time, un média russophone financé par les Etats-Unis, en huit ans, Prigojine aurait amassé plus de 5 000 contrats, d’une valeur totale de 2,3 milliards d’euros. De bien juteux contrats… qu’il n’aurait pu obtenir sans le soutien du pouvoir.

Surnommé le « cuisinier de Poutine » (il est responsable de l’organisation de ses banquets), Evguéni Prigojine a d’abord décroché la gestion de l’approvisionnement des cantines scolaires. Malgré un scandale sanitaire en 2019 (des images prises par un employé ont révélé des conditions d’hygiène déplorables dans l’une des cantines gérées par sa société Concord), l’Etat lui a aussi confié la restauration dans les casernes. Depuis, « c’est lui qui reçoit les plus gros contrats du ministère de la Défense », souligne le journaliste d’investigation Denis Korotkov.

Avec l’aide de Sergueï Khrabrykh, un ancien sous-traitant de l’armée russe exilé en France, « Complément d’enquête » s’est penché sur Glavnaya Linia (Ligne principale), l’entreprise de Prigojine qui nourrit les militaires. Les journalistes ont constaté qu’elle est visée par des dizaines de procédures judiciaires. Un document émanant d’un tribunal moscovite l’accuse notamment d’enfreindre les normes sanitaires avec des « produits périmés », pourris ou moisis, dont certains sont infestés d’insectes…

Prigojine le patriote servirait-il de la nourriture avariée à ses chers soldats russes ?

Sergueï Khrabrykh s’est procuré le contrat signé que le ministère des Situations d’urgence a signé en 2021 avec Glavnaya Linia. Un contrat public d’un montant de plus de 336 000 euros, sans véritable appel d’offres et particulièrement avantageux puisqu’il garantit un paiement complet par anticipation, explique-t-il. Cet entrepreneur qui prend la parole pour la première fois veut « dénoncer la corruption au sein du ministère de la Défense, la corruption des hauts fonctionnaires et de M. Prigojine ».

Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Etat fait un effort supplémentaire. En 2022, les bénéfices de Glavnaya Linia ont doublé pour atteindre 7 millions d’euros. Selon Sergueï Khrabrykh, « quelqu’un a donné l’ordre d’enrichir Prigojine. Qui d’autre que Poutine aurait pu faire cela ? Quelle que soit sa proximité avec le président, avec la direction du pays, Prigojine ne peut pas recevoir d’uniformes ou d’équipements militaires gratuitement. Il doit les acheter. Et pour augmenter les ressources de Prigojine, on lui octroie des fonds de roulement. »

Extrait de « Prigojine, le boucher de Poutine« , un document à voir dans « Complément d’enquête » le 15 juin 2023.

Au Mali comme en Ukraine, les responsables de crimes de guerre doivent être jugés

Le recours à la justice pour lutter contre l’impunité, d’effet limité dans l’immédiat, est un levier et un instrument indispensable pour peser sur les responsables des atrocités commises. La LDH y apportera sa contribution en liaison avec la FIDH, très engagée dans le combat pour une justice internationale effective, notamment par le recours au mécanisme de la compétence universelle qui permet de poursuivre ces criminels hors de leur pays.  D’ores et déjà, il y a lieu de documenter les violations commises et de rassembler un maximum de preuves pour pouvoir ensuite diligenter les enquêtes et procédures de poursuite des responsables qui devront être engagées. Rappelons que si ni la Russie ni l’Ukraine n’ont adhéré au statut de la Cour pénale internationale (CPI), l’Ukraine a accepté en 2014 de se soumettre à la compétence de cette juridiction pour les crimes de guerre ou contre l’humanité perpétrés en Ukraine. 

LDH

Editorial du Monde publié le 5 avril 2022

L’armée malienne et des miliciens russes sont accusés d’avoir tués des centaines d’habitants de Moura, fin mars. Comme en Ukraine, des forces aux ordres de Vladimir Poutine sont impliquées. La Cour pénale internationale se doit d’enquêter et de traduire en justice les dirigeants incriminés.

Editorial du « Monde ». Certaines concomitances renforcent le caractère tragique de l’actualité. Au moment même où, dimanche 3 avril, à Boutcha, en Ukraine, étaient découverts des centaines de cadavres de civils après le départ de l’armée russe, un autre massacre était révélé : celui dont ont été victimes, entre le 27 et le 31 mars, des centaines d’habitants de Moura, un village situé au centre du Mali. Dans cette zone contrôlée par des djihadistes affiliés à Al-Qaida, les forces armées maliennes et des paramilitaires blancs identifiés comme appartenant au groupe russe Wagner ont, lors d’une opération antiterroriste, tué des centaines d’habitants.

Des soldats maliens et des miliciens russes ont rassemblé des hommes et procédé à des exécutions sommaires. Des fosses communes auraient été creusées par les villageois eux-mêmes. Ce scénario de l’horreur, recoupé par plusieurs sources, s’est soldé par la mort de « 203 combattants », selon le communiqué triomphant de l’armée malienne, qui se félicite d’avoir « procédé aux nettoyages systématiques de toute la zone ». Un bilan que l’ONG Human Rights Watch porte à « environ 300 hommes civils, dont certains soupçonnés d’être des combattants islamistes ».

La résonance entre le massacre de Boutcha et celui de Moura ne se limite pas à leur simultanéité et à une logique comparable, qui évoque clairement des crimes de guerre. Elle tient à l’implication, dans les deux cas, de forces aux ordres de Vladimir Poutine, puisque sont avérés les liens de la milice Wagner avec le président russe. Seule différence notable : alors que les événements d’Ukraine sont amplement médiatisés, images et témoignages de journalistes à l’appui, ceux du Mali se sont déroulés sans aucun témoin extérieur. La présence du millier de mercenaires russes continue même d’être niée par les militaires putschistes au pouvoir à Bamako.

Logique de « nettoyage »

Tout se passe comme si le départ programmé des troupes françaises de l’opération « Barkhane » précipitait la fuite en avant autoritaire des militaires maliens et leur collaboration avec le régime russe. Le Mali, où des médias sont bâillonnés et les voix discordantes menacées, est en proie à un inquiétant déchaînement de violence. Recrudescence de la violence djihadiste d’un côté, massacres de civils perpétrés par l’armée malienne épaulée par Wagner de l’autre, avec un niveau de brutalité jamais atteint.

L’arrivée des mercenaires russes, connus pour leurs exactions en Libye et en Centrafrique, accélère une dérive marquée par une logique de « nettoyage ». Particulièrement alarmant apparaît le déferlement de ferveur patriotique que la junte malienne parvient à susciter à chaque « succès éclatant » des forces armées, dans un pays secoué depuis plus d’une décennie par le djihadisme et menacé d’éclatement.

En Afrique comme en Ukraine, les responsables de crimes de guerre doivent être jugés. La justice internationale doit être dotée de tous les moyens pour enquêter sur les massacres qui, en suscitant haine et désir de vengeance, ne font qu’alimenter une spirale de violence destructrice. Les exemples de l’ancien président du Liberia Charles Taylor, condamné à cinquante ans de prison en 2012 pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, ou celui de l’ancien président yougoslave Slobodan Milosevic, poursuivi pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, mort en 2006 en prison, montrent que des dirigeants impliqués dans de telles atteintes à la vie humaine peuvent être dûment traduits en justice.

Le Monde